Séance en hémicycle du 9 avril 2008 à 15h00

Résumé de la séance

Les mots clés de cette séance

  • discrimination
  • journée
  • l’égalité
  • transposition

La séance

Source

La séance est ouverte à quinze heures cinq.

Debut de section - PermalienPhoto de Roland du Luart

Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

Debut de section - PermalienPhoto de Roland du Luart

M. le président du Sénat a reçu de M. André-Claude Lacoste, président du collège de l’Autorité de sûreté nucléaire, le rapport sur l’état de la sûreté nucléaire et de la radioprotection en France en 2007, établi en application de l’article 7 de la loi n° 2006-686 du 13 juin 2006 relative à la transparence et à la sécurité en matière nucléaire.

Acte est donné du dépôt de ce rapport, qui a par ailleurs fait l’objet d’une présentation hier aux membres de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques et qui sera transmis à la commission des affaires économiques, laquelle auditionne M. André-Claude Lacoste cet après-midi même.

Ce rapport sera disponible au bureau de la distribution.

Debut de section - PermalienPhoto de Roland du Luart

Je rappelle au Sénat que M. le Premier ministre a demandé au Sénat de bien vouloir procéder à la désignation de sénateurs appelés à siéger au sein d’organismes extraparlementaires.

La commission des affaires économiques a fait connaître qu’elle propose la candidature de M. Francis Grignon pour siéger au sein du Conseil national de la sécurité routière.

La commission des affaires culturelles a fait connaître qu’elle propose la candidature de Mme Catherine Dumas pour siéger au sein de la Commission du dividende numérique.

Ces candidatures ont été affichées et seront ratifiées, conformément à l’article 9 du règlement, s’il n’y a pas d’opposition à l’expiration du délai d’une heure.

Debut de section - PermalienPhoto de Roland du Luart

L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, relative à la journée de solidarité (nos 245 et 259).

Dans la discussion générale, la parole est à Mme la secrétaire d’État.

Debut de section - Permalien
Valérie Létard, secrétaire d’État chargée de la solidarité

Monsieur le président, monsieur le président de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, la journée de solidarité avait été instaurée en 2004 par MM. Raffarin et Fillon à la suite de la terrible canicule de l’été 2003.

Il fallait maintenant tirer le bilan de trois années d’application. C’est ce qu’a fait Éric Besson dans son rapport d’évaluation, commandé par le Premier ministre. Cette proposition de loi en est la conséquence opérationnelle, et le Gouvernement y apporte tout son soutien.

Ce texte réaffirme, d’abord, le principe d’une journée de solidarité.

Cette journée de solidarité a fait la preuve de son efficacité : elle apporte aujourd’hui 2, 3 milliards d’euros à la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie.

Concrètement, cette aide contribue, d’une part, au financement des prestations de compensation pour le grand âge – l’APA, l’Allocation personnalisée d’autonomie – et pour le handicap – la PCH, la prestation de compensation du handicap – ; en 2007, elle a permis de financer 449 millions d’euros pour l’APA et 612 millions d’euros pour la PCH.

Cette aide permet, d’autre part, de créer des places d’accueil, soit, depuis sa création, l’équivalent de 14 000 places d’accueil à domicile ou en établissement pour les personnes âgées dépendantes et 7 700 places pour les personnes handicapées.

Cette aide contribue aussi à l’important effort de médicalisation des maisons de retraite, avec 73 000 places médicalisées en 2007 grâce à la journée de solidarité. Médicaliser, c’est apporter les soins nécessaires aux personnes hébergées et éviter, bien sûr, la maltraitance.

L’efficacité de cette mesure se constate également sur le plan financier. Avec la journée de solidarité, nous sommes loin de ce qui se faisait avec la vignette automobile : la Cour des comptes, dont vous connaissez tous la rigueur, a montré en juillet 2006 que chaque euro rapporté par cette journée est un euro alloué aux actions en faveur de l’autonomie.

Parallèlement, je tiens à souligner que les ressources nouvelles liées à la journée de solidarité n’ont entraîné aucune réduction des budgets existants en ce domaine. J’en veux pour preuve la loi de financement de la sécurité sociale pour 2008, que j’ai défendue devant vous avec Xavier Bertrand et au sein de laquelle le budget en faveur des personnes âgées et handicapées augmente de 8, 1 %.

Pour toutes ces raisons, le Gouvernement ne souhaite pas remettre en cause le principe de la journée de solidarité. Plutôt que d’augmenter les prélèvements pesant sur le travail, nous avons choisi, pour marquer notre solidarité avec les personnes âgées et handicapées, de travailler plus et d’instaurer une contribution de 0, 3 % sur les revenus du patrimoine et des placements.

Mais, tout en conservant ce principe, des assouplissements sont possibles dans sa mise en œuvre. C’est ce que prévoit cette proposition de loi, c’est ce que souhaite le Gouvernement.

Chacun de nous a pu constater l’an dernier les difficultés que cette journée posait dans les petites entreprises et les administrations le lundi de Pentecôte.

Sur le plan national, les chiffres parlent d’eux-mêmes : 70 % des entreprises étaient ouvertes le lundi de Pentecôte, mais seuls 42 % des salariés travaillaient ce jour-là. De plus, la plupart des services publics étaient fermés, qu’il s’agisse de La Poste ou de l’éducation nationale. Cela signifiait notamment que 4, 5 millions d’enfants ne pouvaient alors être accueillis pendant que leurs parents travaillaient.

Enfin, dans le secteur du transport routier, pour des raisons de sécurité, les entreprises travaillant le lundi de Pentecôte ne pouvaient faire circuler leurs camions de plus de 7, 5 tonnes.

À partir de ce constat, la question était la suivante : comment faire entrer dans la vie quotidienne des salariés un principe juste et solidaire sans désorganiser la vie des entreprises et de ceux qui y travaillent ?

La meilleure réponse est celle qu’envisage ce texte proposé notamment par M. le député Leonetti : réaffirmer le caractère férié du lundi de Pentecôte, tout en donnant une plus grande liberté aux salariés et aux entreprises.

Vous savez que le Gouvernement est très attaché à la liberté de choix, notamment en matière de temps de travail. Concernant la solidarité, nous avons le même objectif avec cette formule de « journée à la carte », qui prévoit que les partenaires sociaux se réuniront dans chaque entreprise pour fixer ensemble la date de la journée de solidarité.

Cette proposition implique ceci : à défaut d’accord collectif, la journée de solidarité n’est plus, par défaut, le lundi de Pentecôte, mais devient soit une journée de RTT, éventuellement divisée en deux demi-journées, soit un jour férié en moins au choix des partenaires sociaux, soit, enfin, sept heures réparties sur plusieurs jours.

Promouvoir cette souplesse d’application, c’est aussi faire en sorte que le principe de solidarité soit respecté : plus nous offrirons de souplesse aux entreprises, plus les partenaires sociaux trouveront les modalités pratiques d’organisation de ces sept heures de travail dans l’année.

Enfin, je voudrais souligner que ce texte de loi s’inscrit dans la politique de solidarité que nous mettons actuellement en œuvre avec Xavier Bertrand.

Comme vous le savez, notre pays doit faire face à un défi majeur, l’arrivée au grand âge de générations de plus en plus nombreuses. Aujourd’hui, 1, 3 million de Français sont âgés de plus de 85 ans ; en 2015, ils seront 2 millions ; et 2015, c’est demain ! Dans le même temps, le nombre de personnes atteintes par la maladie d’Alzheimer va également augmenter. Nous prenons donc les devants avec le plan Alzheimer, qui mobilise, pour lui seul, 1, 6 milliard d’euros.

Nous devons anticiper ces évolutions démographiques, sociales et sanitaires. C’est pourquoi nous avons entamé avec Xavier Bertrand une réflexion sur la mise en œuvre du « cinquième risque de la protection sociale ».

Nous voulons apporter des réponses à toutes ces personnes qui ont besoin d’une aide à domicile ou d’une place en établissement spécialisé, à toutes ces familles qui attendent une prise en charge et pour lesquelles les délais d’attente sont encore trop longs.

Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement est engagé dans une politique de solidarité ambitieuse. Celle-ci passe par des réformes qui doivent se traduire rapidement et concrètement dans la vie quotidienne de nos concitoyens.

La proposition de M. Leonetti relative à la journée de solidarité s’inscrit dans la direction que nous suivons : améliorer la prise en charge des personnes âgées et handicapées, en respectant à la fois la liberté de choix des partenaires sociaux et un principe de solidarité indispensable à la cohésion de notre société.

Applaudissements sur les travées de l ’ UC-UDF et de l ’ UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de André Lardeux

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, vous vous en souvenez, c’est dans le contexte des événements tragiques de la canicule de l’été 2003 qu’a été prise la décision de supprimer un jour férié, le lundi de Pentecôte, dans le but de dégager des ressources supplémentaires destinées aux personnes âgées et aux personnes handicapées. Quelques mois plus tard, la loi du 30 juin 2004 a créé le mécanisme de la journée de solidarité. Il en est résulté une majoration de sept heures de la durée annuelle de travail des salariés.

À l’origine, cette initiative a revêtu tout naturellement une force symbolique importante. Malheureusement, à l’épreuve des faits, cette dimension fraternelle et solidaire a très rapidement disparu.

Contrairement à l’Allemagne, où la suppression d’un jour férié dans le même objectif était intervenue en 1994 sans susciter de problème particulier, la création de cette journée de solidarité a fait l’objet dans notre pays de nombreuses critiques très injustes et surtout d’une certaine dose de mauvaise volonté dans le monde du travail.

Franchement, mes chers collègues, nous ne cessons, à longueur d’année, d’affirmer que notre système de protection sociale est fondé sur le principe de solidarité. Mais est-ce vraiment le cas, lorsque tant d’acteurs économiques et sociaux semblent renâcler à fournir un tout petit effort pour aider les plus fragiles de nos concitoyens ? Il ne s’agit après tout que de sept heures supplémentaires chaque année. Et la durée moyenne de travail est, dans notre pays, l’une des plus faibles au monde...

En 2007, force a été de constater que la majorité des salariés français n’a pas travaillé le lundi de Pentecôte. La proposition de loi déposée par Jean Leonetti et ses collègues députés vise à améliorer ce bilan peu flatteur par de nouveaux assouplissements à la loi du 30 juin 2004. Il s’agit de dispositions techniques que notre commission vous proposera d’adopter, avec pour seule modification un amendement tendant à encadrer les modalités de fractionnement sur l’année de ces sept heures de travail supplémentaires. Mais nos débats d’aujourd’hui permettront aussi de faire œuvre de pédagogie sur un sujet qui le mérite assurément.

Le bilan de la journée de solidarité apparaît aujourd’hui en demi-teinte.

Il s’agissait à l’origine d’un pari séduisant autant que d’un choix symbolique : renoncer à l’un des onze jours reconnus fériés par solidarité envers les personnes âgées et handicapées, tout en majorant, pour la première fois depuis plus de vingt ans, la durée du temps de travail par une décision législative.

Hélas ! cette initiative s’est trouvée confrontée à plusieurs difficultés pratiques en raison de la grande diversité des jours chômés accordés aux salariés français. À ces problèmes d’application s’est ajouté un certain nombre de manifestations de mauvaise volonté aboutissant à vider la loi d’une grande partie de sa substance. Citons, pêle-mêle, les grèves intervenues en 2005 dans les services publics, les recours contentieux des syndicats, mais également l’attitude de certaines entreprises du secteur privé qui ont offert cette journée à leurs salariés sans contrepartie, ce qui n’était pas l’esprit de la loi. On peut d’ailleurs se demander si ces entreprises sont fondées à se plaindre de la lourdeur des charges.

On peut aussi évoquer certaines modalités de fractionnement quotidien de la journée de solidarité. Parmi les plus singulières, celles qui sont en vigueur à la SNCF méritent une mention spéciale. Vous en trouverez le détail dans le rapport qui a été adopté par notre commission. Je ne suis pas loin de penser qu’il s’agit là d’une perception assez caricaturale du partage fraternel.

Si l’on se réfère aux quatre principaux critères d’évaluation que notre commission avait identifiés en 2004, il apparaît sans ambiguïté que seule une partie des objectifs initiaux du législateur a été atteinte. Un nouveau mode de financement pérenne du système de protection sociale a été créé pour un montant annuel de 2, 1 milliards d’euros, dont 1, 85 milliard d’euros versés par les employeurs privés et publics, auxquels s’ajoute une contribution sur les revenus du capital produisant 350 millions d’euros de recettes supplémentaires. Le pouvoir d’achat des salariés a été effectivement préservé. En revanche, l’insertion de la journée de solidarité dans le droit social s’est avérée très difficile. Enfin, la neutralité économique de cette mesure n’est pas entièrement assurée.

Par ailleurs, de trop grandes disparités de situations individuelles entre les assurés sociaux sapent la légitimité de la journée de solidarité auprès de l’opinion publique. Dans le secteur privé, 70 % des entreprises sont ouvertes et 48 % des salariés travaillent le lundi de Pentecôte. La plupart des services publics, en revanche, sont fermés. Certes, au total, 86 % des salariés se conformeraient à la loi, d’une façon ou d’une autre, durant l’année civile. Mais cette contribution est susceptible de prendre des formes aussi diverses que le renoncement à un jour de RTT ou le fractionnement quotidien des sept heures de travail supplémentaires.

La solution avancée dans la proposition de loi de Jean Leonetti pour améliorer ce triste constat s’inscrit dans la continuité des démarches déjà engagées dans le secteur public. Il s’agit, cette fois dans le secteur privé, de promouvoir davantage de souplesse dans l’organisation de la journée de solidarité.

Le texte prévoit en substance de donner « carte blanche » aux entreprises pour aménager au mieux, durant l’année civile, ces sept heures de travail supplémentaires. Cette idée trouve son origine dans le rapport du secrétariat d’État chargé de la prospective et de l’évaluation des politiques publiques publié en décembre 2007.

Trois hypothèses d’évolution de la journée de solidarité y étaient mises à l’étude.

Le premier scénario, le plus difficile, consistait à revenir à une application uniforme fixée au lundi de Pentecôte.

Le deuxième scénario, le moins difficile, impliquait l’abandon de toute référence au lundi de Pentecôte et le renvoi des modalités pratiques de ces sept heures de travail supplémentaires à des négociations avec les partenaires sociaux et in fine, en cas d’échec, aux employeurs.

Le troisième et dernier scénario visait à mettre fin aux principaux goulets d’étranglement empêchant l’enracinement de la journée de solidarité dans la vie économique et sociale, notamment en améliorant l’accueil et la garde des enfants le lundi de Pentecôte, ainsi que la situation dans le secteur des transports.

C’est donc la deuxième piste de réflexion qui a été retenue par la proposition de loi Leonetti, avec l’accord du Gouvernement.

Toutefois, seuls les salariés du secteur privé étaient concernés par le texte initial de la proposition de loi, alors que les principaux problèmes se situent dans les services publics. Mais un article additionnel adopté en première lecture par l’Assemblée nationale a fort opportunément réparé cet oubli.

Notre commission approuve l’économie générale de cette proposition de loi. Cependant, je ne vous le cacherai pas, mes chers collègues, trois questions majeures demeurent en suspens.

Il s’agit, en premier lieu, du rapport des Français au travail, dans un contexte de déficits structurels croissants du système de protection sociale.

Bien que la tendance à la diminution du temps de travail soit un phénomène constaté dans l’ensemble des pays de l’OCDE, la France occupe dans ce classement horaire une position particulière : le nombre annuel d’heures travaillées par actif occupé est aujourd’hui inférieur d’environ 15 % à la moyenne des autres pays concernés. L’augmentation du temps de travail résultant de la journée de solidarité reste modeste et rappelle que l’extension, voire la simple préservation, d’un système de protection sociale généreux ne pourra être financée à long terme que par l’accroissement de la production de richesse que permet le travail.

L’idée consistant à faire appel au dialogue social constitue une seconde source d’interrogations.

En effet, la quasi-totalité des syndicats a manifesté son hostilité au principe même de la journée de solidarité. Certains d’entre eux sont allés jusqu’à la qualifier de « corvée ». Il n’est guère étonnant, dans ces conditions, que seuls dix-neuf accords de branche aient été signés avec les organisations syndicales depuis 2004. En pratique, les chefs d’entreprise seront donc conduits le plus souvent, comme aujourd’hui, à définir en dernier ressort les modalités de cette journée de solidarité.

La proposition de loi ne laissant que des délais très courts entre la date prévisionnelle d’entrée en vigueur de ses dispositions et le prochain lundi de Pentecôte, fixé au 12 mai 2008, ses effets ne seront guère perceptibles avant 2009.

Enfin, nous persistons à nous interroger sur la neutralité économique, pour le secteur productif, de la journée de solidarité.

En l’absence d’une augmentation de 0, 4 % de la quantité de travail produite par l’ensemble de l’économie française, l’apport de la loi du 30 juin 2004 se bornerait à la création d’un prélèvement obligatoire. Un processus d’ajustement dynamique dans les entreprises est donc indispensable pour leur permettre de faire travailler leurs salariés. Or l’introduction, pour le secteur privé, de davantage de souplesse ne risque-t-elle pas, à l’instar de ce qui s’est déjà produit dans les services publics, de vider la loi du 30 juin 2004 d’une partie de sa substance ?

Nous souhaitons en particulier que la liberté accordée aux entreprises pour organiser cette journée ne les conduise pas à des modalités de mise en œuvre qui feraient perdre de vue le ressort solidaire initialement envisagé. Or un trop grand fractionnement de ces sept heures de travail sur l’ensemble de l’année, comme certaines entreprises le pratiquent, serait de nature à faire perdre la conscience du geste fraternel qui avait inspiré la loi.

En définitive, mes chers collègues, notre commission vous demande d’adopter cette proposition de loi dans une version très proche de celle qui a été votée par nos collègues députés.

La solution retenue par ses auteurs présente, en effet, le mérite d’offrir une grande lisibilité, ce qui devrait renforcer la légitimité de la journée de solidarité aux yeux de nos concitoyens. Certes, il aurait été également concevable de mettre en œuvre le troisième scénario étudié par le rapport Besson, qui aurait consisté à conserver l’acquis du lundi de Pentecôte tout en agissant prioritairement sur les modalités d’accueil des enfants dans les crèches et les écoles, ainsi que sur l’organisation des transports publics et privés. Mais c’est un autre choix qui a été fait, et nous en prenons acte.

Pour conclure, permettez-moi une observation de portée générale. La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui ne résout évidemment pas de manière définitive les problèmes de financement de la politique de la dépendance. D’autres mesures devront être prises pour préparer l’avenir. Nous y reviendrons lorsque nous examinerons, d’ici à la fin de cette année, le projet de loi, en cours d’élaboration, concernant la création d’un cinquième risque de protection sociale.

Applaudissements sur les travées de l ’ UMP et de l ’ UC-UDF.

Debut de section - PermalienPhoto de Yves Détraigne

...et plusieurs rapports officiels, dont le rapport du comité de suivi et d’évaluation de la journée de solidarité, remis au Premier ministre le 19 juillet 2005, le rapport d’information de Denis Jacquat du 30 novembre 2005, ou encore celui du 18 décembre 2007 d’Éric Besson, pour que le Gouvernement accepte de tirer enfin les conséquences de ce que nos concitoyens, à une large majorité, constataient sur le terrain depuis le début de la mise en œuvre de la journée de solidarité, à savoir que l’application de cette mesure, instaurée à la suite de la canicule de 2003, et dont il ne s’agit pas pour moi de contester le principe, était plus un modèle de désordre que d’organisation.

Je passerai rapidement sur l’obligation faite aux transporteurs routiers de travailler le lundi de Pentecôte, sans qu’ils aient pour autant, comme l’a dit Mme la secrétaire d’État, le droit de faire circuler leurs poids lourds ! Le ridicule de la situation parle de lui-même et ne mérite pas de commentaire particulier.

J’évoquerai également la manière dont la SNCF a décidé de mettre en œuvre cette journée de solidarité dans certains services et qui a fait sourire, souvent de manière grinçante, la France entière. Le fait de décider que les employés travailleront chacun une minute onze secondes de plus chaque jour ressemble plus à une mauvaise blague qu’à une décision de gestion mûrement réfléchie.

M. le président de la commission des affaires sociales opine

Debut de section - PermalienPhoto de Yves Détraigne

En effet. Si l’on ajoute qu’elle a par ailleurs, comme l’indique le rapport Leonetti, offert à son personnel un bonus de rémunération en violation de la loi – qui dispose que le travail accompli durant la journée de solidarité ne donne pas lieu à rétribution – et que le service du lundi de Pentecôte est resté un service réduit de jour férié, alors que la majorité des utilisateurs de la SNCF étaient censés aller au travail ce jour-là et avaient donc besoin de prendre le train, nous avons, avec l’exemple de cette seule entreprise nationale, une belle démonstration de la manière on ne peut plus chaotique et fantaisiste dont a été mise en œuvre cette journée de solidarité.

Je soulignerai surtout la position surprenante de l’État lui-même qui, au travers de l’arrêté du ministre de l’éducation nationale en date du 8 décembre 2004, a décidé que, pour les personnels placés sous son autorité, toutes académies confondues, cette journée serait celle du lundi de Pentecôte et a permis, simultanément, aux recteurs d’académie de choisir un jour différent afin de s’adapter aux nécessités locales. C’est ce que l’on appelle, dans mon département, « vouloir une chose et son contraire ».

Je ne multiplierai pas les exemples pour illustrer la manière dont l’esprit de cette loi a été détourné au cours de la mise en œuvre de celle-ci. Ils sont nombreux ; nous le savons tous, car nous avons vécu la situation sur le terrain.

Comme de nombreux parlementaires, j’ai soulevé à plusieurs reprises auprès des ministres compétents de l’époque, soit au travers de courriers, soit par des questions écrites, les incohérences et les inconvénients qu’entraînait pour nombre de familles et pour divers corps de métiers la manière dont cette journée était mise en œuvre.

Ainsi, en juin 2007, j’écrivais un courrier au ministre du travail, des relations sociales et de la solidarité, en citant quelques exemples des absurdités relevées le dernier week-end de Pentecôte dans mon département. J’indiquais notamment ceci : « Ces quelques exemples démontrent que l’organisation de la journée de solidarité aboutit, dans de nombreux cas, à des situations abracadabrantes et crée, en tout état de cause, de profondes inégalités entre les différentes catégories de travailleurs. Je considère donc qu’il serait sans doute plus réaliste, plus judicieux et plus efficace de maintenir la contribution spécifique sans pour autant imposer cette journée de travail fictif ou de décider, purement et simplement, de réduire d’une journée le nombre de jours de congés annuels dont bénéficient les Français. »

Je ne peux donc que me réjouir de la proposition de loi qui nous est soumise aujourd’hui et que le groupe Union centriste-UDF votera.

Je ferai cependant observer que l’instauration de la journée de solidarité est fondée sur une ambiguïté. Il a, en effet, été expliqué aux Français qu’en travaillant une journée de plus on augmentait la richesse produite et, par voie de conséquence, notre capacité à contribuer à la solidarité nationale.

Ce principe est à la fois vrai et faux. Vrai en ce sens que des entreprises de production fabriquent effectivement plus et augmentent leur chiffre d’affaires. Mais faux car beaucoup d’activités, que je serais tenté de qualifier d’« activités de soutien » – je pense notamment aux services des collectivités publiques – ne créent pas de richesses nouvelles, mais supportent bien des charges supplémentaires en raison de l’ouverture une journée de plus chaque année.

Pour une collectivité, ouvrir ses services une journée de plus que prévu, ce sont des charges de fonctionnement une journée de plus, mais sans aucune recette nouvelle.

La charge supplémentaire a été d’autant plus lourde que, dès lors que de nombreux parents étaient au travail tandis que leurs enfants n’avaient pas école ce jour-là, il revenait, bien entendu, aux collectivités locales de faire le nécessaire pour que ces enfants ne soient pas livrés à eux-mêmes.

Sans vouloir contester le fait que ce sont tous les Français, et pas seulement ceux qui travaillent dans le secteur marchand, qui doivent participer à cette journée de solidarité – sinon, le terme « solidarité » n’a plus de sens –, je souhaitais cependant formuler cette observation au regard des remarques que l’État ne manque pas de faire régulièrement – notamment en ce moment – aux collectivités locales sur le fait qu’elles ne participent pas assez à la réduction des déficits publics.

C’est bien beau de faire ce type de reproches aux collectivités, mais encore faudrait-il être cohérent et ne pas leur infliger de charges nouvelles sans contrepartie comme cela a été le cas – parmi beaucoup d’autres – avec la journée de solidarité !

J’aimerais aussi que l’on ait des chiffres plus précis sur ce que rapporte effectivement cette journée en recettes supplémentaires pour la solidarité nationale, mais également sur les coûts supplémentaires qu’elle génère, et pas seulement pour le secteur public. Le rapport cite, en effet, des chiffres en réalité difficiles à vérifier ; ce sont des estimations tout à fait théoriques.

On pourrait également s’interroger, au moment où notre pays est à nouveau en panne de croissance, où les déficits publics sont supérieurs à ce qui était attendu et où l’État vient d’annoncer une réduction de ses dépenses de l’ordre de 7 milliards d’euros, pour savoir si c’est véritablement en augmentant les charges et les contraintes qui pèsent sur l’ensemble des agents économiques – comme cela a été le cas avec la journée de solidarité – que notre pays va durablement se donner des moyens supplémentaires pour répondre aux incontestables besoins de solidarité en direction des personnes âgées et des personnes handicapées.

Peut-on simultanément se plaindre du poids des prélèvements et des contraintes qui entravent notre économie et continuer, chaque fois qu’un problème surgit sur le devant de l’actualité, à instaurer de nouvelles taxes ? N’est-ce pas plutôt en réduisant les contraintes, en libérant la croissance et le travail – et j’approuve à cet égard le propos de M. le rapporteur – que notre pays rejoindra le cercle vertueux d’une croissance retrouvée générant, sans instauration de taxe nouvelle, des recettes supplémentaires nous permettant de faire face aux besoins de solidarité entre les générations ? Je crois que c’est aussi cette question essentielle qui nous est posée au travers des incohérences auxquelles a donné lieu la mise en œuvre de la loi de 2004.

Quoi qu’il en soit, et même si ce texte ne tranche pas sur ce choix de société, le bon sens l’emporte avec cette proposition de loi. Nous la voterons donc sans hésiter, avec l’espoir que les employeurs utilisent intelligemment la souplesse qui va leur être donnée et ne recréent pas de « vraies fausses journées » de solidarité.

Applaudissements sur les travées de l ’ UC-UDF et sur quelques travées de l ’ UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Domeizel

Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, enfin ! après deux ans de pagaille avérée, vous vous décidez, dans l’urgence, avant le lundi de pentecôte 2008, à revenir sur la loi du 30 juin 2004 instaurant la journée de solidarité.

Rappelez-vous, elle avait été votée dans la précipitation, sous le coup de l’émotion, après la canicule de 2003, qui entraîna 15 000 décès de personnes âgées.

Je ne vais pas bouder mon plaisir à vous rafraîchir la mémoire.

Debut de section - PermalienPhoto de Nicolas About

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Surtout en période canicule !

Sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Domeizel

Lors de l’examen du projet de loi relatif à la solidarité pour l’autonomie des personnes âgées et des personnes handicapées, le 26 mai 2004, j’avais commencé mon intervention ainsi : « Bravo ! Avec ce projet de loi, vous avez fait l’unanimité…

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Domeizel

…contre vous : les organisations syndicales, les partis d’opposition et une grande partie de vos sympathisants, le conseil d’administration de la CNAVTS, l’UDF, les professionnels du tourisme, les évêques de France et l’opinion publique. »

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Domeizel

M. Claude Domeizel. Sans tenir compte non plus des avis du Conseil économique et social, vous avez fait la sourde oreille à l’ensemble de ces protestations et vous vous êtes obstinés – je parle bien sûr du gouvernement de l’époque, vous l’avez compris, madame la secrétaire d'État.

Mme la secrétaire d'État sourit.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Domeizel

Déjà en 2005, le Conseil d’État avait réaffirmé le caractère férié du lundi de Pentecôte. Qu’importe ! La loi a imposé sa journée de solidarité de Pentecôte à 70 % des entreprises, celles qui ne dépendaient pas des accords d’entreprises ou de branche.

Bien entendu, ce fut la cacophonie : des salariés obligés de travailler, mais des services publics fermés, notamment les services d’accueil dans les crèches, les écoles, sans compter des effets négatifs sur l’économie touristique et les transports routiers, sur les corridas de Pentecôte à Nîmes, etc.

Dans une question posée au Sénat le 12 mai 2005, je disais : « Quand une idée est mauvaise, il faut savoir le reconnaître. » Il vous aura fallu quatre ans pour admettre ce que des millions de personnes avaient compris tout de suite !

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Domeizel

C’est, de la part d’un gouvernement, une attitude inquiétante.

Désormais, la journée de solidarité devient un temps de travail supplémentaire de sept heures qui pourra, le cas échéant, être fractionné.

Certes, devant la confusion totale réitérée plusieurs années, vous vous rendez enfin à l’évidence et vous redonnez au lundi de Pentecôte son caractère férié. Mais, ne nous y trompons pas, vous ne revenez pas sur le principe de base de la journée de solidarité, la journée de travail gratuit. Vous avez inventé le travail non rémunéré, portant ainsi atteinte aux fondements du droit du travail. J’avais même cité, au cours de l’une de mes interventions, la définition du mot « corvée », qui correspondait tout à fait à ce jour de solidarité : « travail gratuit qui était dû par le paysan à son seigneur ».

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Domeizel

Je ne m’étendrai pas sur cette façon encore inélégante d’attaquer les 35 heures, de modifier la durée légale du travail en relevant insidieusement le seuil de déclenchement des heures supplémentaires. Non, le plus grave, c’est que, arguant de la solidarité nationale et jouant de la culpabilisation, vous avez institué un impôt déguisé, qui plus est, réservé aux seuls salariés. C’est encore à eux qu’il revient de supporter exclusivement l’effort.

Vous évoquez avec solennité l’absolue nécessité de mettre en œuvre la solidarité nationale, mais cette solidarité ne s’applique pas à tous les revenus. Pourquoi ? Vous faites porter l’effort sur les seuls salariés, c'est-à-dire une partie de la population active.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Domeizel

En voulant imposer une mesure de solidarité ciblée, vous mettez à mal le principe de l’égalité des citoyens. Si vraiment solidarité nationale il doit y avoir, tout le monde doit y participer, et la contribution doit également concerner les revenus des placements et du patrimoine, des stock-options.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Domeizel

Vous connaissez la situation d’aujourd’hui et de demain : le nombre de personnes âgées de plus de 85 ans va doubler d’ici à 2015. Il serait peut-être temps de proposer un texte qui soit à la hauteur des enjeux.

Cette journée de solidarité, où, curieusement, tout le monde n’est pas tenu à la même solidarité, présente paradoxalement un caractère d’iniquité.

Pourtant, le contexte économique et politique aurait pu influer sur les décisions. Or ces salariés, à qui on demande de participer, sont précisément ceux qui affrontent aujourd’hui une baisse notoire du pouvoir d’achat avec la stagnation des salaires et l’inflation. Partout, il est possible d’entendre des témoignages de foyers qui n’y arrivent plus.

Je lis dans la presse que même dans vos rangs, à droite, madame la secrétaire d'État, des députés de la majorité affirment : « Les réformes sont indispensables, mais elles doivent être justes ! » Eux-mêmes reconnaissent que le paquet fiscal de 15 milliards d’euros est injuste, que la défiscalisation des heures supplémentaires n’a rien réglé, pas plus que la déductibilité des intérêts d’emprunts. Ils réclament une meilleure répartition de l’effort fiscal en proposant que les niches fiscales soient plafonnées. Ils se plaignent de l’effet symbolique du paquet fiscal pendant les élections municipales et font remarquer que dix millions d’électeurs ne sont pas allés voter. Il faut lire, disent-ils, dans ce refus de voter, exaspération et lassitude. On croit rêver : vous avez même réussi, par une politique arrogante et antisociale, à semer le trouble au sein de vos troupes !

« Les caisses sont vides », nous a dit avec désinvolture M. le Président de la République. Il s’attache à trouver, avec le Gouvernement, quelques milliards d’économies pour enrayer la dérive du déficit. Peut-il encore trouver quelques milliards ? Oui, en commençant par revenir sur les mesures du paquet fiscal, le cadeau fiscal de 15 milliards d’euros contenu dans la loi TEPA.

M. Patrice Gélard s’exclame.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Domeizel

Évidemment, nous sommes dubitatifs sur la portée des 166 mesures annoncées. Nous espérons vraiment que ce ne seront pas nos concitoyens les plus modestes qui en feront les frais, au travers de reculs dans les domaines de l’éducation, de la santé, du logement. Le mauvais exemple des franchises médicales est toujours présent dans nos mémoires.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Domeizel

Voilà, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, dans quel contexte vous tentez de rattraper une erreur grossière, mais rien en vue pour la cause de la dépendance. Aucun débat de fond à l’horizon !

Prenons l’exemple du financement de l’allocation personnalisée d’autonomie, l’APA, dont il serait nécessaire de faire, aujourd’hui, le bilan. La gestion de l’APA par les départements apparaît positive. Mais reste le point noir de l’insuffisance de sa prise en charge financière par l’État.

Debut de section - Permalien
Plusieurs sénateurs de l’Ump

Qui l’a créée ?

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Domeizel

M. Claude Domeizel. Mais, bien sûr, c’est nous ! Et c’est bien de l’avoir instaurée !

M. Paul Blanc s’exclame.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Domeizel

Je vous rappelle, mes chers collègues, que le financement de cette allocation devait être partagé pour moitié entre l’État et les départements. Or aujourd’hui les départements y participent pour plus de trois milliards d’euros, soit 71 % de la dépense totale, contre 1, 4 milliard d’euros pour l’État.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Domeizel

M. Claude Domeizel. Autant dire que vous auriez mieux fait de ne pas m’interpeller !

Oh ! sur les travées de l ’ UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Domeizel

Par ailleurs, je vous rappelle que les fonctions publiques, qui, comme l’a dit notre collègue Détraigne, n’ont pas vocation à engranger des bénéfices, sont tenues de verser la contribution de 0, 3 % de la masse salariale. Compte tenu de la conjoncture, autant pour les collectivités locales que pour les hôpitaux, cette situation aggrave les difficultés financières déjà rencontrées. Cela se traduit finalement par un nouveau transfert de charges, ou, dit autrement, une augmentation masquée de la fiscalité. Ce faisant, les salariés sont doublement taxés : une première fois par la journée de travail non rémunérée, une deuxième fois par l’impôt local.

Je suis navré de vous affirmer que les sénateurs socialistes ne voteront pas cette proposition de loi, qui ne vise qu’à rectifier la forme d’une disposition fondamentalement injuste sans évoquer les vrais problèmes liés à la dépendance et au handicap, …

Debut de section - PermalienPhoto de André Lardeux

Si vous ne votez pas ce texte, cela veut dire que vous approuviez la mouture précédente !

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Domeizel

…c’est-à-dire le manque de médecins, d’infirmiers et de personnel soignant, la mise à mal des hôpitaux de proximité, le gel de certains crédits de santé, l’augmentation du coût des soins et des tarifs appliqués au sein des établissements d’hébergement de personnes dépendantes, lesquels laissent à la charge de celui qui est hébergé ou de sa famille des sommes importantes. Prétendre financer la dépendance par un jour de travail non payé est une aussi grande tromperie que laisser croire que le plan Alzheimer pourra être financé par les franchises médicales.

Après avoir relu le compte rendu intégral des débats du Sénat de la séance du 25 mai 2004, je me contenterai d’en citer quelques phrases :

« Faire reposer l’essentiel de l’effort une nouvelle fois sur le travail est contestable, dans le contexte actuel de concurrence économique internationale exacerbée que nous connaissons. Exonérer les professions libérales, les commerçants, les artisans, les agriculteurs, les retraités de tout effort, est-ce juste ? Je ne le crois pas.

« C’est d’autant plus regrettable que notre nouveau gouvernement avait annoncé son intention de mettre la justice sociale au cœur de ses politiques. Comment les Français pourront-ils adhérer à l’effort nouveau que vous leur demandez, monsieur le ministre, s’ils ont le sentiment que cet effort n’est pas partagé équitablement ? » Je vous laisse le soin, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, de vous reporter à cette intervention. Celle-ci reflète ce que nous pensions alors, avec bien d’autres sénatrices et sénateurs, et que nous pensons toujours aujourd’hui.

Non, décidément, pour toutes les raisons évoquées, nous ne pouvons adhérer à la journée de solidarité, même avec les aménagements qui nous sont proposés.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – Mme Annie David applaudit également.

Applaudissements sur les travées de l ’ UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Louis Souvet

M. Louis Souvet. Cher collègue Domeizel, je ne résiste pas au plaisir de vous répondre. Nous connaissons tous votre sensibilité aux problèmes sociaux. Vous avez dit : « Je ne vais pas bouder mon plaisir », mais si nous n’avions pas fait ce que vous avez appelé une « erreur grossière », vous auriez été privé de ce plaisir.

Sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de Louis Souvet

…et que nous avons mis longtemps à réparer.

La canicule de l’été 2003 a révélé les insuffisances de notre prise en charge de la dépendance. Elle a joué un rôle d’électrochoc dans le grand public, mettant au grand jour la situation d’isolement dans laquelle se trouvaient, et se trouvent encore, certains de nos aînés.

Je rappellerai que nous avons comptabilisé au cours de l’été 2003 quelque 15 000 morts. Or 15 000 morts, dans un pays que l’on dit « riche », dans une France bien organisée, c’est une ville moyenne qui disparaît en quelques semaines, ou en quelques mois, à la suite d’un incident climatique. Il s’agit là d’un événement qui interpelle, ou qui, en tout cas, devrait interpeller notre conscience collective, mais le monde est ainsi fait qu’il oublie vite, très vite !

L’espérance de vie s’accroît et la population vieillit. Si cette évolution est le résultat des progrès sociaux et de ceux de la médecine, elle multiplie malheureusement les situations de dépendance des individus et crée une charge supplémentaire pour les familles et pour la société. À l’heure actuelle, 20 % des adultes ont déjà, dans leur entourage proche, un parent qui ne peut vivre seul.

Notre pays ne s’est, hélas ! pas suffisamment préparé à cette réalité : nous sommes en retard dans notre prise en charge des personnes âgées, que ce soit à domicile ou en établissement.

La loi du 30 juin 2004, en posant le principe de la journée de solidarité, a apporté un embryon de réponse à la nécessité de renforcer les moyens disponibles.

Sont ainsi visés non seulement la dépendance liée au grand âge, mais également le handicap.

La journée de solidarité ne constitue pas une nouvelle imposition. En effet, étant donné qu’elle repose sur une augmentation du temps de travail, elle n’entraîne pas de perte de salaire. Elle exige des salariés une présence supplémentaire de sept heures par an. Il s’agissait là de la seule solution possible pour éviter une augmentation de la pression fiscale qui risquait, au contraire, d’être mal ressentie.

La solidarité est l’un des fondements de notre société. Il est rassurant, je pense, de voir cette solidarité s’exprimer à un moment où les liens familiaux se distendent et où, malheureusement, l’indifférence et l’égoïsme se banalisent.

Les études d’opinion effectuées à la suite du drame de la canicule ont montré que les Français, à une large majorité, acceptent de travailler une journée supplémentaire en faveur de leurs aînés et des personnes handicapées.

L’idée n’est pas inédite. Elle est, en effet, expérimentée avec succès par l’Allemagne depuis plusieurs années. Notre voisine a ainsi supprimé la journée nommée Buss und Bettag, fête protestante connue.

En France, la loi de 2004 a créé un organisme bien identifié pour la gestion des fonds : la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie ou CNSA. L’État n’a pas voulu que les fonds soient dilués dans son budget ou dans les comptes de la sécurité sociale. Il a créé cet établissement public en le dotant d’un organe de surveillance associant les élus, les parlementaires, les partenaires sociaux et le milieu associatif.

La transparence et la lisibilité de ce dispositif ont été assurées afin de ne pas renouveler l’expérience passée de la vignette automobile qui – chacun s’en souvient – a largement été détournée de sa vocation originelle.

Dans les faits, le produit de la journée de solidarité a bien été affecté à des actions en faveur des personnes dépendantes. La Cour des comptes l’a confirmé dans un rapport en juillet 2006. Il n’y a pas non plus eu d’« effet de substitution », car l’État et la sécurité sociale n’ont pas diminué leur contribution en la matière.

L’efficacité de la journée de solidarité est indéniable : comme vous l’avez rappelé, madame la secrétaire d’État, elle a généré plus de deux milliards d’euros. Elle a permis la médicalisation de 110 000 places en maisons de retraite ; en outre, 14 000 places médicalisées pour les personnes âgées dépendantes ont été créées à domicile ou en établissement et 7 000 places pour les personnes handicapées. Le financement de l’allocation personnalisée d’autonomie, l’APA, a été complété au travers d’une contribution de plus de 400 millions d’euros en 2007, allouée aux départements.

Cette journée devrait, en outre, favoriser l’esprit de fraternité répondant ainsi à une trilogie qui, selon moi, a résisté à l’épreuve du temps : « liberté, égalité, fraternité ».

Nous devons donc nous réjouir que le Gouvernement ait souhaité maintenir le principe de la journée de solidarité.

Cela étant dit, il convenait de prendre en compte les difficultés qui ont été relevées dès son application.

Lors du vote de la loi du 30 juin 2004, nous avons longuement débattu des modalités pratiques de mise en œuvre de la journée de solidarité.

Le choix retenu permettait une certaine souplesse, puisque les accords de branche ou d’entreprises étaient privilégiés. Cependant, sur le terrain, la dynamique de négociation nécessaire ne s’est pas enclenchée. À défaut de choix, la loi avait fixé le lundi de Pentecôte comme journée travaillée, ce qui a donné lieu à des situations les plus diverses.

Ce manque de lisibilité a contribué à l’insatisfaction de la population et de l’opinion, alors même que l’idée d’une journée de solidarité avait été bien perçue.

En 2007, 70 % des entreprises étaient ouvertes ce jour-là, mais elles comptaient moins de la moitié de leurs salariés, essentiellement parce que ceux-ci devaient pallier le problème de la garde de leurs enfants. En effet, les établissements scolaires et les garderies publiques étaient fermés, laissant plus de quatre millions d’enfants de moins de douze ans sans accueil.

Par ailleurs, les jours fériés font partie des traditions de notre société et entraînent une activité économique non négligeable. Le lundi de Pentecôte, notamment, est réservé à des fêtes locales ou religieuses chez les protestants par exemple, qui suscitent des investissements importants. À cet égard, il est à noter la diminution de 60 % de la fréquentation du Mont-Saint-Michel en 2005 ou les problèmes posés à la Feria de Nîmes, point qui a été évoqué par M. Domeizel.

Enfin, il a été relevé un problème spécifique au transport routier, car, pour des raisons de sécurité routière, les transporteurs routiers travaillant le lundi de Pentecôte ne peuvent faire circuler les poids lourds de plus de 7, 5 tonnes.

Les difficultés de mise en place de la journée de solidarité ne sont, certes, pas insurmontables, mais elles nécessitent une modification législative.

La solution de bon sens réside, bien sûr, dans la souplesse. Tel est le sens des modifications contenues dans la présente proposition de loi.

Le texte retient l’une des solutions suggérées dans le rapport de M. le secrétaire d’État Éric Besson et aboutit à une grande liberté dans le choix des modalités de mise en œuvre de la journée de solidarité.

Ainsi est respecté l’esprit de la loi du 30 juin 2004 privilégiant le dialogue social et la responsabilisation des acteurs.

L’aménagement des horaires de travail que l’on a connu ces dernières années permet plusieurs types de choix : le travail d’une journée de RTT, le travail d’un jour férié, ou toute autre modalité aboutissant à l’apport de sept heures au pot commun – ce qui ne signifie tout de même pas, comme vous l’avez signalé, une minute par jour !

Parallèlement, le caractère férié du lundi de Pentecôte est rétabli, ce qui satisfera la plupart des familles ainsi que les acteurs locaux organisateurs de festivités ce jour-là.

En votant cette proposition de loi, nous permettrons le retour à une situation saine dès cette année. Nous éviterons ainsi des désordres qui, je pense, auraient été encore amplifiés par les hasards du calendrier, puisque le lundi de Pentecôte succédera, cette année, au « pont » de la commémoration du 8 mai 1945.

Aujourd’hui, alors que la création d’un « cinquième risque » de protection sociale est envisagée, la journée de solidarité représente un puissant symbole. Notre groupe salue la détermination du Gouvernement car nous voulons tous offrir à nos parents, nos proches, nos aînés en général, plus de soins, plus d’attention et des conditions d’existence plus dignes.

Dès lors, bien évidemment, notre groupe votera en faveur de cette proposition de loi.

Applaudissements sur les travées de l ’ UMP et de l ’ UC-UDF.

Debut de section - PermalienPhoto de Annie David

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi qui nous est soumise aujourd’hui ne représente qu’une adaptation technique, destinée à répondre à la demande pressante du patronat, notamment à l’industrie du tourisme, et j’ai bien entendu les derniers commentaires de M. Louis Souvet concernant la Feria de Nîmes ou le transport routier.

Elle prévoit de donner toute liberté aux partenaires sociaux, particulièrement au MEDEF, pour ajuster les modalités de cette journée de travail supplémentaire.

À ce titre, elle n’appelle guère de commentaires de notre part sur le texte lui-même. Je soulignerai simplement que notre collègue André Lardeux, dans son rapport, nous présente une réforme – la création de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie et son pendant, la journée de travail non rémunérée – comme un succès qui serait une œuvre de solidarité nationale largement approuvée par nos concitoyens, alors qu’elle apparaît, au mieux, comme un coup d’épée dans l’eau.

M. le rapporteur omet également, en tentant de justifier cette taxation des seuls salariés, de rappeler que cette invention provient de ceux-là mêmes qui ont instauré les franchises médicales pour faire payer aux malades le prix de leur maladie, qui veulent porter atteinte à la prise en charge à 100 % des affections de longue durée, qui ont préféré taxer les préretraites plutôt que les stock-options et, enfin, qui ont voté, en juillet dernier, 15 milliards d’euros de cadeaux fiscaux pour les plus nantis.

Comment s’étonner aujourd’hui que les caisses soient vides et qu’il faille encore rechercher des économies – plusieurs milliards d’euros – toujours dans les poches des mêmes personnes à travers la « modernisation des politiques publiques » ? Tout se tient, mais le Gouvernement se situe dans une logique et nous dans une autre ! C’est pourquoi je crois bon de vous rafraîchir la mémoire.

Cette proposition de loi nous ramène, à l’occasion d’un débat comme toujours tronqué, à des questions fondamentales sans cesse éludées par le gouvernement actuel et par ceux qui l’ont précédé.

Je suis, pour ma part, convaincue que la spectaculaire croissance de l’espérance de vie – vous avez rappelé tout à l’heure, madame la secrétaire d’État, que le nombre de personnes âgées de plus de quatre-vingt-cinq ans s’élèvera à deux millions en 2015 – appelle une réflexion et des mesures à la hauteur d’un enjeu fondamental, à savoir la place que notre société veut attribuer à chacun de nous et tout au long de la vie, avec, bien sûr, les moyens permettant de répondre à la sous-estimation des besoins des personnes âgées dans notre pays.

Déjà, la loi du 21 juillet 2001 créant l’APA avait suscité au sein de mon groupe des objections qui se révèlent aujourd’hui encore fondées. Même si elle constituait un progrès par rapport au dispositif précédent, à savoir la très inégalitaire PSD, ou prestation solidarité dépendance, l’APA maintenait, avec ses conventions tripartites instaurées, une forte inégalité de traitement entre domiciles et établissements.

Le financement « à tuyauterie » – passez-moi l’expression, mes chers collègues – avait très rapidement été insuffisant. Nous avions également déploré que le Gouvernement ne prenne pas d’engagement quant au nombre d’établissements à créer ou à l’augmentation significative des personnels formés. Enfin, la condition d’âge de soixante ans était maintenue.

À l’époque, nous étions déjà convaincus qu’il fallait créer un cinquième risque – on en a beaucoup parlé aujourd'hui – afin que la dépendance relève de la solidarité nationale.

En mai 2004, lorsque le Sénat examina le projet de loi relatif à la solidarité pour l’autonomie des personnes âgées et handicapées, nous affirmions assister à une régression sociale sans précédent, ainsi qu’à une décentralisation à haut risque des questions liées à la dépendance et au handicap, avec pour conséquence que l’égalité des droits ne serait assurée ni sur l’ensemble du territoire ni selon le degré de dépendance. C’est pourquoi mes collègues du groupe communiste républicain et citoyen et moi-même nous étions prononcés contre un texte qui n’était que de la poudre aux yeux.

Depuis lors, cette orientation s’est malheureusement confirmée. La création, dans le texte précité, d’une Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie, au statut incertain et au périmètre grossièrement défini, constituait déjà, selon nous, l’amorce d’une protection séparée pour les personnes âgées et les personnes handicapées, en contradiction avec les principes de l’assurance maladie, qui a vocation à couvrir tous les besoins de toutes les catégories de la population.

Les associations comme les organismes de sécurité sociale n’avaient d’ailleurs pas été dupes : ils ont rejeté massivement cette rupture du pacte de solidarité. Je vous rappelle, en effet, madame la secrétaire d'État, que l’ACOSS, l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale, la CNAF, la Caisse nationale d’allocations familiales, et la CNAM, la Caisse nationale d’assurance maladie, avaient repoussé unanimement ce dispositif.

Cette volonté de « mettre à part » les personnes âgées et handicapées représentait, en effet, une remise en cause de la solidarité entre les bien portants et les malades, entre les cotisants et les autres. Voilà qui nous rappelle les franchises médicales ! La logique suivie est toujours la même.

La réflexion qui avait présidé à la création de cette caisse signifiait clairement que le vieillissement et la dépendance n’auraient plus vocation à être pris en charge par la solidarité nationale.

Dans le même esprit, il existe, selon moi, un risque de privatisation de la prise en charge de la dépendance, en raison de la volonté clairement affichée par le Gouvernement de privilégier la prévoyance individuelle et assurantielle en matière d’autonomie. Les grandes compagnies d’assurance sont d’ailleurs bien conscientes du marché qui leur est ouvert.

De la même façon, la loi pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées a institué une prestation de compensation dont le financement reste des plus flous, puisqu’il émarge, lui aussi, à la CNSA, la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie.

Je n’aurai garde d’oublier, dans cette « panoplie », la loi relative aux libertés et responsabilités locales, qui, je le rappelle, a transféré aux départements l’entière responsabilité des trois grandes allocations de solidarité, à savoir le RMI, l’APA et la PCH, la prestation de compensation du handicap, sans avoir l’assurance qu’une dotation couvrirait intégralement les charges transférées.

En effet, le problème de ces prestations demeure, plus que jamais, la répartition de leur financement entre l’État, via la CNSA, et les départements.

Alors qu’une répartition équitable était prévue à l’origine, la participation de l’État a chuté, ce qui suscite des disparités importantes entre les départements. Or l’APA, comme la PCH ou le RMI, constitue une prestation sociale universelle dont les conditions d’attribution sont fixées nationalement par l’État.

Pour dégager des ressources nouvelles, les conseils généraux ne peuvent donc qu’alourdir la fiscalité qui pèse sur les ménages via la taxe d’habitation. Tout se tient : on prend toujours dans les mêmes poches !

Finalement, le débat de fond, que les gouvernements ont sans cesse éludé, concerne bien la définition d’un droit à compensation universel et son financement, fondé sur l’expression d’une réelle solidarité, comme celle qui présida en 1945 à la création de la sécurité sociale sous l’égide du Conseil national de la Résistance.

A contrario, à l’époque, nous avions proposé de créer un cinquième risque de sécurité sociale, portant sur la dépendance, l’incapacité ou la perte d’autonomie, sans discrimination quant à l’âge de la personne ou l’origine de son handicap. En effet, il ne doit pas y avoir de morcellement des mesures séparant les personnes âgées et les personnes handicapées ; ainsi pourrons-nous répondre aux besoins de nos concitoyens les plus fragilisés, de façon plus cohérente, plus universelle et plus solidaire et sans instituer des barrières d’âge, comme il en existe actuellement.

Quant au fond, la question est bien celle-ci : quelle solidarité souhaitons-nous pour la France du XXIe siècle ? Nous, nous voulons continuer de nous fier à la prise en charge collective, qui se trouve au fondement de notre protection sociale depuis 1945 ; vous, madame la secrétaire d'État, vous entendez nous faire croire que ces questions doivent désormais relever de l’initiative privée, de la couverture individuelle d’un risque, comme pour l’assurance automobile.

Pour toutes ces raisons, et surtout parce que notre conception de la solidarité est bien différente de la vôtre, nous voterons contre ce texte.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Roland du Luart

Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…

La discussion générale est close.

La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Debut de section - Permalien
Valérie Létard, secrétaire d'État

Monsieur le rapporteur, vous avez rappelé l’historique de cette journée de solidarité, qui fut instaurée en 2004. Comme les Allemands, nous avons choisi de travailler un jour de plus, mais à leur différence, nous n’avons pas décidé de supprimer un jour férié, puisque le lundi de Pentecôte est toujours resté légalement chômé.

Aujourd'hui, toutefois, il nous faut apporter plus de souplesse et plus de lisibilité à ce dispositif original, pour que chaque entreprise puisse se l’approprier ; c’est la raison pour laquelle il nous fallait revenir devant le Parlement.

Vous avez soulevé, à juste titre, la question de la place des partenaires sociaux dans le dispositif. Peu d’accords de branche – dix-sept exactement – ont été conclus, qui couvrent deux millions de salariés, mais un grand nombre d’accords d’entreprises ont pu être négociés. Avec cette proposition de loi, nous souhaitons renforcer le rôle des partenaires sociaux dans la mise en œuvre de la journée de solidarité.

Vous exprimez également une crainte légitime quant au dévoiement du principe de solidarité. Certes, cette journée de solidarité devient moins visible, mais donner plus de souplesse aux salariés pour leur permettre de travailler sept heures de plus au profit des personnes âgées et handicapées, c’est rendre la solidarité concrète et effective.

Monsieur Détraigne, vous soulignez que la présente proposition de loi permet un nécessaire assouplissement du dispositif, et je ne puis que partager votre analyse.

S'agissant de la fonction publique, l’ensemble des salariés du secteur public seront concernés. Cette mesure se traduira, selon les experts, par une augmentation de dix millions d’heures de travail pour les fonctionnaires de l’État, soit l’équivalent de 6 000 emplois ; pour la fonction publique hospitalière, elle représentera quelque 3600 emplois. Il s'agit donc non pas de charges nouvelles, mais d’un geste de solidarité à l’égard de nos concitoyens, par un accroissement des services publics qui leur seront rendus.

Monsieur Domeizel, vous avez souligné que la mise en œuvre de l’APA était un succès grâce à l’action résolue des départements. La journée de solidarité, qui repose sur un effort de tous en faveur des personnes âgées, se trouvera confortée par ce texte, car les partenaires sociaux disposeront de davantage de souplesse pour la mettre en œuvre.

Pour ce qui est du financement de la dépendance, je vous rappellerai que le produit de la journée de solidarité ne constitue qu’une partie des financements de l’ONDAM médico-social, qui représente quant à lui 13 milliards d'euros supplémentaires. Par ailleurs, je tiens à souligner que les revenus du patrimoine et des placements sont soumis à une cotisation de 0, 3 % au titre de la contribution de solidarité pour l’autonomie.

Enfin, conformément à l’engagement du Président de la République, Xavier Bertrand et moi-même avons lancé la semaine dernière le chantier du cinquième risque. Nous avons reçu l’ensemble des partenaires sociaux, afin de recueillir leurs propositions, de même que, hier matin, les représentants de l’ADF, l’Assemblée des départements de France.

Mesdames, messieurs les sénateurs, dans quelques mois, lorsque le projet de loi relatif au cinquième risque sera soumis à votre assemblée, nous verrons qui, sur ces travées, souhaite réellement améliorer la situation des personnes les plus en difficulté, et de quelle façon !

Debut de section - Permalien
Valérie Létard, secrétaire d'État

Ce sera aussi l’occasion de déterminer quelle est la meilleure, la plus juste et la plus équitable manière de mobiliser les moyens nécessaires à la mise en œuvre de cette réforme. Enfin, ce débat permettra d’en définir le contenu. Faut-il augmenter le nombre de places dans les établissements de retraite ? Et quels types de places ? Faut-il prendre en compte la question du reste à charge pour les personnes qui sont tenues aujourd'hui, en raison de leur état de grande dépendance, d’entrer en établissement ?

Toutes ces questions doivent être abordées et nous avons commencé de le faire avec les partenaires sociaux. Il nous faut conforter cette démarche en venant devant le Parlement, afin d’enrichir au maximum ce débat, qui répond à un véritable enjeu de société.

Monsieur Souvet, vous avez, vous aussi, évoqué le bien-fondé de la journée de la solidarité, des moyens qu’elle permettait de mobiliser et des actions qu’elle rendait possible. Vous avez également rappelé pourquoi nous avions décidé cette mesure : comme vous l’avez souligné, lors de la canicule de 2003, ce sont 15 000 personnes, soit l’équivalent de la population d’une ville moyenne, qui ont perdu la vie en quelques semaines. Il nous fallait donc agir !

Grâce à cette journée de solidarité, nous n’avons pas seulement mobilisé des moyens supplémentaires ; nous avons aussi engagé une véritable politique de prévention, en multipliant les mesures d’accompagnement et en développant les bonnes pratiques professionnelles, ce qui nous a permis d’avancer très rapidement dans la bonne direction.

Vous l’avez également rappelé, la présente proposition de loi introduit dans ce dispositif une souplesse qui est tout à fait nécessaire et qui sera effective dès cette année. Vous avez raison d’insister sur ce point : les entreprises seront libres de travailler, ou non, dès le lundi de Pentecôte de 2008, c’est-à-dire le 12 mai prochain.

Comme cette échéance est très proche, l’Assemblée nationale a souhaité introduire une disposition transitoire permettant aux employeurs de fixer des modalités d’accomplissement de la journée de solidarité dès les toutes prochaines semaines, après consultation du comité d’entreprise ou des délégués du personnel. Avec Xavier Bertrand, j’ai demandé au directeur général du travail de diffuser dans les jours prochains une instruction afin d’en informer les entreprises.

Enfin, madame David, vous avez raison de souligner que la présente proposition de loi constitue une adaptation technique destinée à introduire davantage de souplesse dans la mise en œuvre de la journée de solidarité : tel est bien l’objectif que nous visons aujourd'hui.

De ce point de vue, je me réjouis que ce texte n’appelle guère de remarques de votre part. Pour le reste, comme je l’ai précisé en répondant à M. Domeizel, les questions que vous soulevez seront débattues dans le cadre du chantier du cinquième risque.

Je suis tout à fait désireuse de connaître les contributions que votre groupe pourra, sans esprit partisan, apporter à ce débat, de même que j’attends les propositions qui émaneront de l’ensemble des forces politiques. Je vous donne donc rendez-vous ici-même dans quelque mois, afin de pouvoir encore enrichir notre réflexion commune.

Applaudissements sur les travées de l ’ UC-UDF et de l ’ UMP.

I. - Le code du travail, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2007-329 du 12 mars 2007 relative au code du travail (partie législative), est ainsi modifié :

1° Dans le 2° de l'article L. 3133-7, la référence : « article 11 de la loi n° 2004-626 du 30 juin 2004 relative à la solidarité pour l'autonomie des personnes âgées et des personnes handicapées » est remplacée par la référence : « article L. 14-10-4 du code de l'action sociale et des familles » ;

2° L'article L. 3133-8 est ainsi rédigé :

« Art. L. 3133-8. - Les modalités d'accomplissement de la journée de solidarité sont fixées par accord d'entreprise ou d'établissement ou, à défaut, par accord de branche.

« L'accord peut prévoir :

« 1° Soit le travail d'un jour férié précédemment chômé autre que le 1er mai ;

« 2° Soit le travail d'un jour de réduction du temps de travail tel que prévu aux articles L. 3122-6 et L. 3122-19 ;

« 3° Soit toute autre modalité permettant le travail de sept heures précédemment non travaillées en application de dispositions conventionnelles ou des modalités d'organisation des entreprises.

« À défaut d'accord collectif, les modalités d'accomplissement de la journée de solidarité sont définies par l'employeur, après consultation du comité d'entreprise ou, à défaut, des délégués du personnel s'ils existent.

« Toutefois, dans les départements de la Moselle, du Haut-Rhin et du Bas-Rhin, l'accord ou, à défaut, la décision de l'employeur ne peut déterminer ni le premier et le second jour de Noël ni, indépendamment de la présence d'un temple protestant ou d'une église mixte dans les communes, le Vendredi Saint comme la date de la journée de solidarité. » ;

3° L'article L. 3133-9 est abrogé.

II. - 1. À compter de la publication de la présente loi et à titre exceptionnel pour l'année 2008, à défaut d'accord collectif, l'employeur peut définir unilatéralement les modalités d'accomplissement de la journée de solidarité après consultation du comité d'entreprise ou, à défaut, des délégués du personnel s'ils existent.

2. Le cinquième alinéa de l'article L. 212-16 du code du travail est supprimé.

Debut de section - PermalienPhoto de Roland du Luart

L'amendement n° 1, présenté par M. Lardeux, au nom de la commission, est ainsi libellé :

Compléter le cinquième alinéa () du texte proposé par le 2° du I de cet article pour l'article L. 3133-8 du code du travail, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2007-329 du 12 mars 2007, par les mots :

, sans possibilité de fractionner cette durée sur plus de deux jours

La parole est à M. le rapporteur.

Debut de section - PermalienPhoto de André Lardeux

2, car ils ont le même objet.

Mme la secrétaire d'État souhaite que la solidarité pour l’autonomie des personnes âgées et des personnes handicapées soit effective et concrète. Or la commission s’est interrogée sur le caractère concret de cette solidarité.

Debut de section - PermalienPhoto de André Lardeux

Certes, monsieur le président de la commission, mais on peut espérer que les financements dégagés garantissent cette effectivité !

Ce qui nous pose problème, c’est le morcellement de la journée de solidarité, certaines entreprises publiques constituant à cet égard des cas extrêmes. On nous affirme que ce n’est pas exact et que l’interprétation de la commission n’est pas la bonne. Toutefois, lorsque je lis la note interne de la SNCF sur le fractionnement de la journée de solidarité, qui figure dans le rapport de la commission, le scepticisme me gagne, je dois l’avouer : d'abord, ce texte est difficile à comprendre ; ensuite, il n’est pas transparent ; enfin, j’ai l’impression que le temps de travail supplémentaire prévu par la SNCF – une minute et onze ou douze secondes – n’existe même pas !

C'est pourquoi, mes chers collègues, la commission vous propose d’encadrer la journée de solidarité, en faisant en sorte que celle-ci soit répartie sur deux jours au maximum dans l’année, au choix bien sûr des partenaires sociaux ou des entreprises concernées.

J'ajoute que je suis sceptique aussi s'agissant du dialogue social, car les accords de branche sont très rares et les accords d’entreprises ne semblent guère plus nombreux, comme l’a souligné M. Besson dans son rapport.

Debut de section - Permalien
Valérie Létard, secrétaire d'État

En visant à empêcher le fractionnement de la journée de solidarité au-delà de deux demi-journées, cet amendement contrevient à l’esprit de la proposition de loi, dont l’objet est avant tout de répondre au besoin de souplesse mis en évidence par le rapport Besson.

La réforme proposée doit en effet permettre que l’accomplissement de la journée de solidarité soit réalisé de la manière la plus souple possible, afin que les modalités de mise en œuvre s’adaptent au plus près des besoins de notre pays, des entreprises et des salariés.

Instaurer en amont des limites de principe à la possibilité de fractionner la journée de solidarité apparaîtrait comme une rigidité inutile, nuisant dans les faits au bon déroulement de celle-ci. De surcroît, cela risquerait de remettre en cause des accords collectifs déjà conclus prévoyant un fractionnement plus important et qui étaient basés, au moment de leur conclusion, sur des souplesses antérieurement permises par le législateur.

Dans l’esprit du texte, il revient donc aux partenaires sociaux, en aval, de mettre en place un fractionnement plus important, s’ils l’estiment utile compte tenu des contraintes auxquelles ils sont confrontés. La souplesse et l’adaptation restent les clefs du bon déroulement de la journée de solidarité nationale. C’est pourquoi le Gouvernement demande le retrait de cet amendement.

Pour les entreprises qui ont fait certains choix, toute modification rendra difficile la mise en place de la journée de solidarité. Monsieur le rapporteur, vous avez mentionné la SNCF. Cette entreprise n’a pas pris en considération de façon uniforme l’articulation que vous avez décrite : d’autres schémas ont été trouvés et mis en œuvre. Il faut permettre aux entreprises de tenir compte des réalités du terrain.

Debut de section - PermalienPhoto de Nicolas About

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Madame la secrétaire d'État, vous avez l’art de présenter les choses !

Sourires

Debut de section - PermalienPhoto de Nicolas About

Pour reprendre l’exemple de la SNCF, celle-ci a adopté cette mesure de façon très hétérogène, à tel point que, sur un grand nombre de sites, l’accomplissement de la journée de solidarité équivaut à une minute quarante ou deux minutes de travail supplémentaire par jour.

Debut de section - PermalienPhoto de Nicolas About

C’est à peine le temps de se laver sérieusement les mains ! Est-ce l’image que nous voulons donner de la solidarité, en particulier quand il s’agit d’une entreprise qui coûte si cher à la nation ? La mesure importante que nous avons voulu mettre en place mérite notre respect.

Je ne peux retirer cet amendement, parce qu’il a été adopté par la commission. Je m’en remets donc à la sagesse de notre assemblée.

Applaudissements sur les travées de l ’ UC-UDF et de l ’ UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Roland du Luart

La parole est à M. Claude Domeizel, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Domeizel

J’ai écouté avec attention M. le rapporteur et Mme la secrétaire d'État. Pour ma part, j’avancerai au moins deux autres arguments pour justifier notre opposition à cet amendement.

Tout d’abord, l’adoption de cette mesure aurait pour effet de remettre en cause tous les accords qui ont déjà été conclus.

Pour ne prendre que l’exemple de la fonction publique territoriale, de tels accords doivent être soumis au comité technique paritaire. Je préside un comité technique paritaire départemental : les deux cents communes ont proposé le fractionnement de la journée de solidarité. Si cet amendement était voté, il faudrait que ces communes saisissent leur conseil municipal, négocient et soumettent une nouvelle proposition au comité technique paritaire départemental.

Ensuite, si l’accomplissement de la journée de solidarité doit être réparti sur deux jours, cela suppose au moins trois heures et demie de travail quotidien supplémentaires. Dans certains cas, cela peut entraîner un dépassement de la durée légale de la journée de travail, qui est de dix heures, ou celle de la semaine, qui est en moyenne de quarante-quatre heures sur douze semaines ou de quarante-huit heures sur une semaine. En outre, dans un certain nombre de professions, ce maximum est déjà atteint.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Domeizel

Cela pourrait mettre certains employeurs en difficulté.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Domeizel

C'est la raison pour laquelle, ne souhaitant pas ajouter le ridicule au ridicule, nous voterons contre cet amendement.

Debut de section - PermalienPhoto de Roland du Luart

La parole est à M. Yves Détraigne, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Yves Détraigne

Lors de la discussion générale, j’ai formulé le vœu que les employeurs utilisent intelligemment la souplesse que leur accordera cette proposition de loi et qu’ils ne recréent pas de vraies fausses journées de solidarité, comme c’est le cas depuis trois ans.

Certes, l'amendement proposé par la commission des affaires sociales n’est peut-être pas parfait, mais il vise à empêcher ces vraies fausses journées de solidarité, telles qu’elles peuvent être organisées dans certains services de la SNCF, pour reprendre ce fameux exemple cité à de multiples reprises. Il s’agit donc, me semble-t-il, d’un bon amendement.

Applaudissements sur les travées de l ’ UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Roland du Luart

La parole est à Mme Catherine Procaccia, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Procaccia

L'amendement de la commission tend à répondre au souhait de ne pas voir la journée de solidarité trop morcelée, par exemple en travaillant dix minutes de plus par jour. Pour un certain nombre d’entre nous, monsieur Domeizel, la solidarité n’est pas une corvée !

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Domeizel

Nous n’avons pas de leçons de solidarité à recevoir de votre part !

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Procaccia

C’est un geste généreux ! Je suis encore salariée, même si mon contrat de travail est actuellement suspendu, et je ne me considère pas comme un serf : c’est avec plaisir que je participerai à cette journée de solidarité, car la dépendance et les personnes âgées, c’est important.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Procaccia

Puisque nous cherchons, avec ce débat, à rendre plus facile l’accomplissement de la journée de solidarité, je profite de cette explication de vote pour évoquer une difficulté concernant la compatibilité de celle-ci avec une journée de RTT. La proposition de loi prévoit que la journée de solidarité peut revêtir trois formes différentes : soit un jour férié précédemment chômé, soit un jour de réduction du temps de travail, soit toute autre modalité permettant le travail de sept heures précédemment non travaillées.

Or la durée d’un jour férié peut être de sept heures, de huit heures, ou même de dix heures, c’est-à-dire la durée maximale d’une journée de travail. Mais, s’agissant des jours de RTT, leur durée dépend des conventions d’entreprise : celle-ci peut être de sept heures six minutes, sept heures dix-huit minutes, sept heures vingt-quatre minutes…

Un certain nombre de directeurs des ressources humaines se demandent comment cette journée de solidarité, dont la durée n’avait pas été précisée dans le texte initial, mais qui a été ensuite fixée à sept heures, pourra prendre la forme d’un jour de RTT. Ainsi, si une convention d’entreprise prévoit que la journée de RTT correspond à sept heures six minutes de travail – sa durée est donc supérieure à celle de la journée de solidarité – il faudra élaborer un mécanisme extraordinairement compliqué pour payer ces six minutes supplémentaires.

Si l'amendement est voté et que le texte est examiné en commission mixte paritaire, je souhaite que ce point soit précisé – Mme la secrétaire d'État a évoqué des directives émanant des services de Xavier Bertrand – pour éviter de rendre la situation plus complexe encore.

Debut de section - Permalien
Valérie Létard, secrétaire d'État

Le souhait du Gouvernement est de laisser aux entreprises et aux partenaires sociaux la possibilité de discuter, de négocier et de trouver des accords, afin de s’adapter à la réalité de chaque entreprise.

Madame Procaccia, je m’engage à apporter très rapidement une réponse précise à la question plus technique que vous venez de me poser. Notre souci premier est de favoriser la simplicité et la lisibilité de cette mesure.

À ce titre, en 2004, pour permettre aux entreprises de mettre en œuvre la journée de solidarité a été réalisé un document de type « questions-réponses » mis en ligne sur Internet, qui est régulièrement actualisé. Le problème que vous soulevez et qui ne nous avait jamais été soumis à ce jour y trouvera sa place, ainsi qu’une réponse très précise, ce qui intéressera les directeurs des ressources humaines de toutes les entreprises.

Debut de section - PermalienPhoto de Roland du Luart

La parole est à M. Jean-Pierre Godefroy, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Godefroy

Je souhaite établir un parallèle.

Mes chers collègues, en votant cet amendement, vous remettez en cause un principe que vous voulez appliquer dans d’autres textes. Nous examinerons prochainement le projet de loi portant modernisation du marché du travail. À ce titre, il nous est demandé de respecter les accords déjà passés entre les partenaires sociaux. Avec cette proposition de loi, nous ne sommes pas en terrain vierge : des accords ont été conclus dans les entreprises, qu’ils soient formalisés ou tacites. Or vous prenez aujourd'hui le risque de les remettre en question !

M. Dominique Leclerc rit.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Godefroy

Je comprends bien que l’on puisse être agacé par certains procédés ; pour ma part, je ne porte pas de jugement sur les modalités mises en place par la SNCF. Toutefois, je crains fort que ce type d’amendements ne maintienne le désordre que vous cherchiez justement à supprimer avec ce texte.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Roland du Luart

La parole est à M. Dominique Leclerc, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique Leclerc

J’ai essayé de prendre un peu de recul en écoutant cet échange. Pourtant, sans être ironique, quand j’entends parler de remise en cause des accords des partenaires sociaux ou de directeurs des ressources humaines qui s’arracheront les cheveux pour mettre en place cette journée de solidarité, je ne peux m’empêcher de m’interroger : qui connaît la réalité du travail dans cet hémicycle ? La France au travail, ce n’est pas que la SNCF, et heureusement !

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique Leclerc

Cela marcherait moins bien !

La France au travail, ce sont les PME, les PMI, les artisans, les commerçants, ...

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique Leclerc

...qui emploient un, deux ou trois salariés.

Je peux modestement vous faire part de mon expérience : avec dix salariés, j’ai mis en œuvre la journée de solidarité la première année, mais, au bout de deux ans, ce n’était plus possible ! Ces salariés ont des conjoints, et quand vous laissez libres les modalités d’accomplissement de la journée de solidarité, celle-ci devient inapplicable !

Pour la majorité des PME et des PMI, la journée de solidarité se résume à une contribution supplémentaire.

Faisons preuve de réalisme, mes chers collègues ! Si une trop grande liberté est laissée, la journée de solidarité sera un échec !

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique Leclerc

Nous sommes vraiment loin de l’esprit qui a prévalu quand a été créée cette journée de solidarité !

Debut de section - PermalienPhoto de André Lardeux

Il est bien difficile, dans ce pays, d’encourager les gens à travailler. Une fois de plus, nous sommes en train de faire la démonstration qu’en France il faut absolument bannir le travail...

Debut de section - PermalienPhoto de André Lardeux

...et le réserver aux Chinois et à quelques autres peuples !

Debut de section - PermalienPhoto de André Lardeux

Vous ne l’avez pas énoncé sous cette forme, mais j’ai cru comprendre que, pour vous, il convenait de supprimer le travail, ou au moins de le réduire le plus possible. Peu importe la façon dont sera financée cette journée de solidarité !

Pour ce qui est des modalités d’application, il nous est reproché de vouloir remettre en cause le dialogue social. Je constate, et le rapport Besson le confirme, que, s’agissant de la journée de solidarité, le dialogue social n’a jamais existé, sauf de façon ponctuelle. Nous sommes d’ailleurs tout à fait d’accord sur ce point, mes chers collègues, contrairement à ce que vous affirmez. Donc, ne nous abritons pas derrière le dialogue social !

Par ailleurs, j’ai entendu des discours sur la revalorisation du rôle du Parlement, notamment sur le dialogue entre les deux assemblées. Or je m’aperçois que, une fois de plus, on veut museler le Parlement. Mes chers collègues, tirons-en les conclusions : à l’avenir, il sera inutile de voter certaines réformes !

Debut de section - PermalienPhoto de Roland du Luart

J’informe le Sénat que j’ai été saisi, par le Gouvernement, d’une demande de scrutin public sur l’amendement n° 1.

La parole est à M. le président de la commission.

Debut de section - PermalienPhoto de Nicolas About

Je veux simplement faire remarquer que l’urgence n’a pas été déclarée sur ce texte, dont nous sommes saisis en première lecture. Nous avons l’audace de formuler une proposition… Celle-ci pourra être modifiée lors de la navette ou de la CMP. Entre-temps, des éléments plus complets relatifs aux modalités de mise en œuvre de la journée de solidarité nous seront peut-être communiqués. Je ne comprends donc pas les raisons pour lesquelles il serait urgent d’obtenir un vote conforme sur ce texte.

Debut de section - PermalienPhoto de Nicolas About

Si la disposition n’est pas applicable cette année, elle le sera peut-être l’année prochaine !

Quoi qu’il en soit, je m’associe aux propos de M. le rapporteur.

Debut de section - PermalienPhoto de Roland du Luart

Je mets aux voix l'amendement n° 1.

Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant du Gouvernement.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.

Le scrutin a lieu.

Debut de section - PermalienPhoto de Roland du Luart

Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

Il est procédé au comptage des votes.

Debut de section - PermalienPhoto de Roland du Luart

Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 87 :

Nombre de votants327Nombre de suffrages exprimés320Majorité absolue des suffrages exprimés161Pour l’adoption 40Contre 280Le Sénat n'a pas adopté.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Roland du Luart

La parole est à M. Paul Blanc, pour explication de vote sur l’article 1er.

Debut de section - PermalienPhoto de Paul Blanc

Bien entendu, je voterai en faveur de cet article 1er. Je considère en effet que c’est un premier pas vers le règlement définitif du problème du financement de la solidarité.

Au cours de la discussion, nous avons beaucoup parlé de la solidarité pour l’autonomie des personnes âgées. Je tiens à rappeler que la loi du 11 février 2005 – à l’élaboration de laquelle le Sénat a pris une part prépondérante – dispose que la solidarité nationale doit financer la compensation du handicap. Par conséquent, je ne voudrais pas que ce financement soit oublié.

Au départ, lorsque la loi a instauré cette journée de solidarité, la destination des fonds a été quelque peu déviée en raison de la canicule de l’été 2003 et un effort important a été accompli en faveur des personnes âgées dépendantes.

Il aurait fallu déterminer la façon de financer la solidarité à l’égard des handicapés. Lors de la discussion de la loi du 11 février 2005, notre assemblée avait particulièrement insisté sur la nécessaire solidarité vis-à-vis des personnes handicapées.

Par ailleurs, j’estime que la solidarité doit s’exprimer différemment selon qu’il s’agit de la dépendance des personnes âgées ou du handicap. Qu’on le veuille ou non, chacun d’entre nous à vocation à devenir dépendant. Cette affirmation peut paraître simpliste à certains, mais elle correspond à la réalité. Je m’explique : lorsque vous achetez une voiture, vous avez vocation, si vous permettez l’expression, à avoir un jour un accident. C’est la raison pour laquelle la loi vous oblige à souscrire une assurance. A partir d’un certain âge, on a aussi vocation, malheureusement, à devenir un jour dépendant. Il faudra donc étudier cette problématique, qui est totalement différente de la solidarité nationale à l’égard des personnes handicapées.

Debut de section - PermalienPhoto de Paul Blanc

Nous aurons sans doute l’occasion de discuter à nouveau de la façon de financer la solidarité nationale.

L'article 1 er est adopté.

I. - L'article 6 de la loi n° 2004-626 du 30 juin 2004 relative à la solidarité pour l'autonomie des personnes âgées et des personnes handicapées est ainsi rédigé :

« Art. 6. - Pour les fonctionnaires et agents non titulaires relevant de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'État, de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale et de la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière ainsi que pour les praticiens mentionnés à l'article L. 6152-1 du code de la santé publique, la journée de solidarité mentionnée à l'article L. 3133-7 du code du travail est fixée dans les conditions suivantes :

« - dans la fonction publique territoriale, par une délibération de l'organe exécutif de l'assemblée territoriale compétente, après avis du comité technique paritaire concerné ;

« - dans la fonction publique hospitalière ainsi que pour les praticiens mentionnés à l'article L. 6152-1 du code de la santé publique, par une décision des directeurs des établissements, après avis des instances concernées ;

« - dans la fonction publique de l'État, par un arrêté du ministre compétent pris après avis du comité technique paritaire ministériel concerné.

« Dans le respect des procédures énoncées aux alinéas précédents, la journée de solidarité peut être accomplie selon les modalités suivantes :

« 1° Le travail d'un jour férié précédemment chômé autre que le 1er mai ;

« 2° Le travail d'un jour de réduction du temps de travail tel que prévu par les règles en vigueur ;

« 3° Toute autre modalité permettant le travail de sept heures précédemment non travaillées, à l'exclusion des jours de congé annuel. »

II. - Les dispositifs d'application de l'article 6 de la loi n° 2004-626 du 30 juin 2004 précitée en vigueur à la date de publication de la présente loi et qui sont conformes au I du présent article, demeurent en vigueur.

Toutefois, dans les départements de la Moselle, du Haut-Rhin et du Bas-Rhin, la journée de solidarité ne peut être accomplie ni les premier et second jours de Noël ni, indépendamment de la présence d'un temple protestant ou d'une église mixte dans les communes, le Vendredi Saint.

Debut de section - PermalienPhoto de Roland du Luart

L'amendement n° 2, présenté par M. Lardeux, au nom de la commission, est ainsi libellé :

Compléter le dernier alinéa () du texte proposé par le I de cet article pour l'article 6 de la loi n° 2004-626 du 30 juin 2004 par les mots :

et sans possibilité de fractionner cette durée sur plus de deux jours

Cet amendement n’a plus d’objet.

Je mets aux voix l'article 2.

L'article 2 est adopté.

Debut de section - PermalienPhoto de Roland du Luart

Avant de mettre aux voix l'ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à Mme Annie David, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Annie David

Madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, cette proposition de loi ne nous convient pas du tout, vous l’aurez compris, car elle ne répond en rien aux attentes de nos concitoyens. Elle ne supprime pas la règle inacceptable selon laquelle seuls les salariés doivent contribuer au financement de la solidarité. Elle se contente de la modifier ; c’est ce que vous m’avez répondu, madame la secrétaire d’État.

En 2003, la réponse de M. Raffarin à la meurtrière canicule, que chaque orateur a rappelée, a été de légiférer dans l’urgence, sans concertation. Votre majorité en a alors profité pour lancer une nouvelle phase de privatisation de la sécurité sociale.

Les propos que vient de tenir M. Paul Blanc m’inquiètent. En effet, la création de la CNSA, financée par les seuls salariés, reposait sur le postulat idéologique selon lequel la dépendance et le handicap ne devaient plus relever de la solidarité nationale…

Debut de section - PermalienPhoto de Annie David

… organisée au sein de la sécurité sociale : elles devaient dépendre d’une structure ad hoc. Dépendance et handicap ne relèvent donc plus de l’assurance maladie.

Comme je l’ai indiqué, telle n’est pas notre conception de la solidarité ; je l’affirme à nouveau. Je ne partage absolument pas votre point de vue à ce sujet, monsieur Blanc.

D’ailleurs, la création de la CNSA n’a pas répondu aux besoins. Aujourd’hui, de réels investissements manquent. À ce propos, nous nous souvenons tous d’avoir entendu, lors de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale de 2008, les représentants des Établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes, les EHPAD, nous décrire les difficultés qu’ils rencontraient pour mettre leurs établissements aux normes. C’est donc bien d’investissements en personnels et en matériels que ces établissements ont besoin.

Chacun se souvient qu’une grande partie des décès provoqués par la canicule de 2003 ont malheureusement eu lieu dans ces établissements spécialisés.

La création de la CNSA ne répond pas non plus aux difficultés financières des personnes handicapées et des personnes dépendantes. Les manifestants étaient d’ailleurs 30 000, le 29 mars dernier, dans les rues de Paris – mes collègues Guy Fischer et Michelle Demessine, notamment, défilaient parmi eux – pour exiger que ces personnes touchent le SMIC. En effet, la réalité est brutale : la seule APA ne leur permet pas de survivre.

« Aujourd’hui, des centaines de milliers de personnes en situation de handicap ou atteintes de maladies invalidantes, qui ne peuvent pas ou plus travailler, sont condamnées à vivre toute leur vie sous le seuil de pauvreté. Le mouvement “Ni pauvre, ni soumis” défend un revenu d’existence égal au SMIC brut. » : tel est le texte de lancement de la campagne du collectif « Ni pauvre, ni soumis ». Avec ces quelques mots, tout est dit, me semble-t-il !

Que répond le Gouvernement ? Encore moins de solidarité ! Il prône un retour à la solidarité passée, préférant la solidarité familiale à la solidarité nationale. La récente tentative de récupération de l’APA sur succession en est un témoignage. Il renvoie à la structure familiale, à l’individu, en somme, quand, justement, les familles attendent et exigent une solidarité nationale, un geste collectif.

Le Gouvernement a l’intention de demander à chaque Français de se constituer une « épargne dépendance », de la même façon qu’il voudrait les voir se constituer seuls une cagnotte « risque chômage » ou bien cotiser individuellement pour leur retraite.

La commission a pourtant entendu, lors des auditions organisées par la mission « Dépendance », les associations demander en chœur un financement solidaire. Or la seule réponse de la majorité a été l’instauration des franchises médicales.

L’allongement de la durée de la vie est une avancée indéniable, nous en sommes tous d’accord. Encore faut-il que notre pays prenne la mesure de l’enjeu que représente cette évolution.

Je doute fort que l’aménagement de la journée de solidarité constitue la réponse adaptée, pas plus que le projet de loi en préparation sur le financement assurantiel de la dépendance.

Je vous ai entendue tout à l’heure, madame la secrétaire d’État, annoncer qu’une négociation était en cours. Mon groupe, comme à son habitude, prendra toute sa part dans le débat parlementaire à venir.

Je tiens à dire, en conclusion, que certains propos tenus dans cet hémicycle sur le monde du travail m’ont profondément heurtée : il serait très difficile de mettre la France au travail. Je trouve cette affirmation insultante pour les femmes et les hommes qui se lèvent chaque jour pour travailler, quelquefois dans des conditions très pénibles.

C’est également insultant pour celles et ceux d’entre eux qui, ayant perdu leur emploi, se retrouvent au chômage et « galèrent » – car est le mot qu’il faut employer ! – entre les ASSEDIC, l’UNEDIC, tous ces organismes au fonctionnement desquels personne ne comprend plus rien, pour, au bout du compte, être méprisés.

J’entends parfois, dans cet hémicycle, des propos profondément choquants sur ces personnes-là. Je n’ai pas l’habitude d’insulter le MEDEF, le patronat, ou je ne sais qui d’autre.

Debut de section - PermalienPhoto de Annie David

Mme Annie David. En tout cas, pas de la manière dont certains l’ont fait aujourd’hui ! Chacun doit savoir mesurer ses propos. Les travailleurs sont tout à fait respectables et doivent être respectés.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Roland du Luart

Personne ne demande plus la parole ?...

Je mets aux voix l'ensemble de la proposition de loi.

La proposition de loi est adoptée définitivement.

Debut de section - PermalienPhoto de Roland du Luart

Je rappelle que la commission des affaires économiques et la commission des affaires culturelles ont proposé des candidatures pour deux organismes extraparlementaires.

La présidence n’a reçu aucune opposition dans le délai d’une heure prévu par l’article 9 du règlement.

En conséquence, ces candidatures sont ratifiées et je proclame :

- M. Francis Grignon membre du Conseil national de la sécurité routière ;

- Mme Catherine Dumas membre de la commission du dividende numérique.

Debut de section - PermalienPhoto de Roland du Luart

L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, après déclaration d’urgence, portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations (nos 241, 253 et 252).

Debut de section - PermalienPhoto de Roland du Luart

La parole est à Mme Annie David, pour un rappel au règlement.

Debut de section - PermalienPhoto de Annie David

Monsieur le président, mon rappel au règlement se fonde sur l’article 36, alinéa 3, de notre règlement et concerne la tenue de nos débats.

Madame la secrétaire d’État, lors de l’examen du présent projet de loi à l’Assemblée nationale, vous avez affirmé disposer d’un document de la Commission européenne approuvant, dans son ensemble, le projet de transposition que vous nous présentez aujourd’hui.

Vous avez précisément dit, en réponse au député Georges Pau-Langevin : « Je veux préciser que la Commission européenne a émis un avis favorable à un avant-projet que nous lui avons envoyé ».

Je dois vous dire toute ma surprise, au moins pour deux raisons.

D’une part, lorsque l’on compare les textes des différentes directives, particulièrement celui de la directive 2002/73 CE et le projet de loi, on se rend bien compte qu’ils ne sont pas similaires et que, d’ailleurs, la transposition, dans sa rédaction actuelle, ne suit pas toutes les recommandations formulées par la Commission, notamment celles qui concernent l’assistance aux victimes et leur représentation par les associations.

Cette nouvelle transposition, incomplète à plus d’un égard, pourrait donc déboucher, selon de nombreuses associations, sur une nouvelle injonction européenne.

D’autre part, si vous disposez d’un document de cette nature, dont vos propos laissent à penser qu’il serait de nature à éclairer les travaux parlementaires, je regrette que vous ne nous l’ayez pas présenté, préférant « communiquer cet avis par écrit », donc après les débats.

Je demande, par conséquent, une suspension de séance de quinze minutes, ou du temps qu’il semblera nécessaire à Mme la secrétaire d’État et à son cabinet pour nous donner connaissance dudit document avant le début de nos travaux.

Debut de section - Permalien
Valérie Létard, secrétaire d'État chargée de la solidarité

Comme je l’ai expliqué lors du débat à l’Assemblée nationale, le travail avec la Commission va bien au-delà du document officiel que vous avez tous à votre disposition : les discussions continuent et nous travaillons toujours à l’amélioration de ces textes.

Nous attendons la communication du classement sans suite de cette mesure, qui doit nous parvenir incessamment. Nous ne pouvons donc pas vous remettre aujourd’hui ce document, qui est en cours d’élaboration ; il vous sera adressé dès que le projet de loi sera adopté.

Debut de section - Permalien
Valérie Létard, secrétaire d'État

Non ! J’ai dit que je le demanderai à la Commission et que je vous le transmettrai dès que cette dernière me le fera parvenir.

Debut de section - PermalienPhoto de Annie David

Vous avez dit que la Commission avait donné un avis favorable !

Debut de section - Permalien
Valérie Létard, secrétaire d'État

Oui, elle a émis un avis favorable après les échanges qui ont eu lieu entre le Gouvernement et la Commission.

Debut de section - Permalien
Valérie Létard, secrétaire d'État

Il s’agit d’un avis oral !

En effet, les choses ne sont pas figées : le travail entre le Gouvernement et la Commission ne s’arrête pas à un instant T ; la Commission émet un avis ; le Gouvernement travaille, fait progresser les discussions, explique ses positions et la rédaction proposée, argumente. Dans le cas présent, les positions du Gouvernement ayant évolué, la Commission a émis un avis favorable oral, qui donnera lieu à un classement sans suite sur cette recommandation. Vous disposerez de ce document dès l’adoption du projet de loi.

Debut de section - PermalienPhoto de Roland du Luart

Dans la discussion générale, la parole est à Mme la secrétaire d'État.

Debut de section - Permalien
Valérie Létard, secrétaire d'État chargée de la solidarité

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, j’ai l’honneur et le grand plaisir de vous présenter ce projet de loi adopté en première lecture par l’Assemblée nationale, qui a pour objet de poursuivre la mise en conformité du droit français avec le droit communautaire relatif à l’égalité de traitement et à la lutte contre les discriminations.

Il s’agit, d’une part, de compléter la transposition de trois directives communautaires relatives à l’égalité de traitement, dont la Commission estime qu’elle a été insuffisante.

Il s’agit, d’autre part, de transposer la directive 2004/113/CE du Conseil du 13 décembre 2004 mettant en œuvre le principe de l’égalité de traitement entre les femmes et les hommes dans l’accès à des biens et services et la fourniture de biens et services.

Je veux d’emblée souligner que, dans la perspective de la présidence française de l’Union européenne, le Gouvernement a engagé des efforts très importants pour réduire le nombre de directives qui connaissent un retard de transposition dans le droit français.

Ces efforts commencent à porter leurs fruits puisque, selon les dernières estimations de la Commission, au 10 novembre 2007, seul 1, 1 % des directives communautaires serait en retard de transposition en France. Nous atteignons donc, pour la troisième année consécutive, l’objectif fixé par le Conseil européen de Stockholm d’un taux de directives en retard de transposition inférieur à 1, 5 % du total des textes à transposer.

Après avoir longtemps été parmi les « lanternes rouges » de l’Europe, notre pays se situait ainsi, au second semestre de l’année 2007, au dixième rang, sur vingt-sept, des États les plus rapides à assurer la transposition des directives communautaires. Ce résultat n’est bien sûr pas un acquis, et nos efforts doivent se poursuivre.

L’adoption du projet de loi qui vous est soumis participe de ces efforts.

Il vise avant tout à mettre un terme à trois procédures d’action en manquement qui ont été lancées par la Commission à l’encontre de la France pour transposition insuffisante de directives ; j’y reviendrai.

Il anticipe également sur le travail de transposition qu’il nous faudra mener à l’avenir, puisqu’il permet l’introduction, en droit français, d’une large part des dispositions contenues dans la directive 2006/54/CE du Parlement européen et du Conseil du 5 juillet 2006, relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité de traitement entre hommes et femmes en matière d’emploi et de travail, qui procède à la refonte de directives antérieures et qui doit être transposée avant le 15 août 2008.

Le projet de loi qui vous est présenté a pour objet d’introduire trois séries de nouvelles dispositions dans le droit français.

En premier lieu, il tend à préciser, à la demande de la Commission, un certain nombre de définitions : celle de la discrimination directe et indirecte, mais aussi celle des faits constitutifs de harcèlement, au sens non pas pénal mais civil du terme. Il vise, par ailleurs, à assimiler à une discrimination le fait d’enjoindre à quelqu’un de pratiquer une discrimination, ce qui permettra de donner à ces deux comportements les mêmes conséquences juridiques.

Tenu par le délai de mise en conformité imposé par la Commission, le Gouvernement a opéré une transposition littérale de ces définitions.

En deuxième lieu, le projet de loi qui vous est présenté tend à affirmer de manière explicite qu’un certain nombre de discriminations sont interdites, en reprenant précisément, là encore, les termes des directives communautaires : interdiction des discriminations fondées sur la race ou l’origine ethnique en matière de biens et services, de protection sociale, de santé, d’avantages sociaux et d’éducation ; interdiction des discriminations fondées sur le sexe, l’appartenance ou la non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie ou une race, la religion, l’âge, le handicap, l’orientation sexuelle ou les convictions en matière de travail et d’emploi ; interdiction des discriminations pratiquées en raison de la maternité ou de la grossesse, sauf à ce qu’il s’agisse d’en assurer la protection ; interdiction, enfin, des discriminations fondées sur le sexe en matière d’accès aux biens et services et de fourniture de biens et services.

Tout en posant ces principes, le projet de loi précise, dans le strict respect des directives transposées, les dérogations qui sont autorisées au principe d’égalité de traitement. Il en va ainsi, notamment, des différences qui sont faites pour répondre à une exigence professionnelle essentielle et déterminante, pour autant que l’objectif soit légitime et l’exigence proportionnée.

Enfin, en troisième et dernier lieu, le projet de loi vise à renforcer les garanties qui sont accordées aux personnes victimes de discriminations. En particulier, il tend à instaurer une protection contre les mesures de rétorsion qui peuvent frapper les personnes témoignant d’une discrimination. Il a, en outre, pour objet d’aménager les règles de la charge de la preuve au profit des personnes qui engagent une action en justice pour faire reconnaître une discrimination. En effet, nous le savons bien, rien n’est plus difficile à prouver devant un juge que l’existence d’une discrimination.

L’ensemble des dispositions introduites sera d’application générale et immédiate. Celles-ci s’imposeront tant aux personnes privées qu’aux collectivités publiques. Dans le domaine professionnel, elles vaudront donc de la même manière pour les personnes qui sont employées en vertu d’un contrat de droit privé que pour les fonctionnaires, y compris les magistrats, les militaires et les fonctionnaires des assemblées parlementaires.

Vous l’aurez constaté, le texte qui vous est soumis a pour seul objet la transposition d’un certain nombre de dispositions communautaires. Je sais, pour en avoir discuté avec les membres de la commission des affaires sociales et de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les femmes et les hommes, que cet exercice de transposition peut paraître insatisfaisant du point de vue de sa rédaction.

Je précise toutefois qu’il ne s’agit en aucun cas de revenir sur des acquis.

Le Gouvernement n’a pas choisi de faire de ce projet de loi de transposition un instrument d’approfondissement ou de réorientation de la politique de lutte contre les discriminations en France. Les délais imposés par les échéances de transposition et les procédures en cours ne nous en laissaient pas le temps, alors que, précisément, l’amplitude des champs couverts est immense et que la matière, moins qu’aucune autre, ne supporte l’approximation.

Mais nous allons continuer à agir avec force, car le combat pour l’égalité des chances est un combat que le Gouvernement auquel j’appartiens veut mener.

Nous reviendrons bientôt devant vous avec un projet de loi sur le statut des beaux-parents. Nous vous présenterons également un texte sur l’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes, qui se situera dans le prolongement de la conférence organisée le 26 novembre dernier, à la demande du Président de la République, en concertation étroite avec les partenaires sociaux. Par ailleurs, nous vous proposerons prochainement de ratifier, à l’instar de la Communauté européenne, la Convention des Nations unies sur les droits des personnes handicapées. Nous veillerons aussi, bien sûr, à la mise en œuvre de la loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, qui nous impose, d’ici à l’année 2015, des efforts sans précédent en faveur de la lutte contre les discriminations fondées sur le handicap.

En matière de lutte contre les violences faites aux femmes, un nouveau plan a été adopté pour la période 2008-2010 et, dans ce cadre, un groupe de travail commun au ministère de la justice et au secrétariat d’État chargé de la solidarité se met en place pour travailler à une meilleure articulation entre notre droit civil et notre droit pénal. À ma demande, ce groupe de travail élargira son périmètre à la question du harcèlement sexuel. Cette demande a été largement relayée par les associations.

Je veux enfin vous dire que notre engagement en faveur de l’égalité des chances sera au cœur de la Présidence française de l’Union européenne. Si nous avons été mobilisés contre les discriminations en 2007, année européenne de l’égalité des chances, nous le serons aussi en 2008. Nous avons d’ailleurs prévu d’organiser, à la fin du mois de septembre 2008, un sommet européen pour l’égalité des chances qui fera écho à la manifestation du même type organisée en 2007.

Par ailleurs, nous apporterons à la Commission européenne le soutien qu’elle peut attendre de la présidence en exercice pour la mise en œuvre des mesures qu’elle devrait proposer, au cours du second semestre 2008, dans une communication sur l’égalité des chances.

Après vous avoir présenté l’architecture du projet de loi, il me semble utile d’aborder devant vous un certain nombre de points soulevés à la fois par Mme le rapporteur de la commission des affaires sociales, Muguette Dini, dont je souhaite saluer le travail tout à fait remarquable, et par Mme le rapporteur de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, Christiane Hummel. Les avis de la délégation constituent toujours des références appréciables, qui nous aident à faire progresser la législation vers une meilleure prise en compte de la situation des femmes, et je tiens à souligner ici l’action déterminée de sa présidente, Mme Gisèle Gautier.

Les deux rapports se sont rejoints sur un constat commun, à savoir la difficulté de concilier la logique du droit communautaire avec celle du droit français, ce qui explique, madame le rapporteur, le dépôt de plusieurs amendements visant à rectifier les définitions transposées littéralement du droit communautaire.

Vous le savez bien, il sera difficile, voire impossible pour le Gouvernement d’entrer dans un tel débat, même si, sur le plan intellectuel, on peut sans difficulté concevoir les réticences engendrées par telle ou telle formulation.

Cependant, sur le fond, lorsqu’elle a adopté le premier texte entérinant ces définitions, la France s’est engagée à respecter les directives qui s’imposent désormais à son droit interne. On peut juger cela insatisfaisant, et j’entends bien vos remarques et vos analyses. Mais la seule conclusion que je me permettrai de tirer de ce travail est que notre vigilance, lors de l’adoption des textes communautaires, doit être forte, de la part du Gouvernement comme du Parlement, et que nous devons apprendre à davantage influer sur la construction des directives.

Mesdames les rapporteurs, vous vous êtes interrogées sur l’obligation d’une transcription « mot à mot ». Je voudrais simplement souligner que la Commission européenne a relevé dans ses mises en demeure et avis motivés que la « formulation adoptée dans la directive est importante afin de déterminer les situations de discrimination à travers la méthode comparative […] dans le passé, le présent ou le futur ».

La France ne pourra pas s’abstenir de reprendre cet aspect essentiel de la définition de la discrimination directe en droit communautaire, qui constitue une garantie importante de la protection ainsi recherchée contre les discriminations directes. En l’espèce, il est fort probable que, si cette temporalité n’était pas reprise dans le projet de loi, la Commission n’hésiterait guère à saisir la Cour de justice des communautés européennes d’un recours en manquement.

Enfin, on peut noter que d’autres États européens tels que le Luxembourg, l’Espagne et l’Italie ont été conduits à intégrer le conditionnel dans leur définition de la discrimination directe.

Fallait-il choisir d’étendre le champ de la définition de la discrimination à l’article 2 ?

Je sais que certaines associations nous reprochent de ne pas avoir fait le choix d’aller au-delà de nos obligations communautaires afin d’élargir le nombre de motifs visés pour chaque champ. Je souhaiterais exprimer ici ma conviction profonde, qui me conduit à rejeter toute discrimination, qu’elle soit fondée sur le sexe, le handicap, l’origine ethnique, l’orientation sexuelle, l’âge ou la religion. Mais, de fait, la rédaction retenue à l’article 2 prend en compte les discriminations fondées sur la religion, l’âge, le handicap et l’orientation sexuelle uniquement lorsqu’elles s’exercent dans le champ du travail et de l’emploi.

Ce choix s’explique de deux manières.

D’une part, dans la mesure où la Commission européenne envisage de refondre l’ensemble des directives, le Gouvernement n’a pas jugé souhaitable d’aller au-delà de nos obligations communautaires sans avoir procédé à une consultation préalable de nos partenaires européens. Agir différemment aurait abouti à anticiper sur le résultat de ces travaux à l’échelon européen.

D’autre part, si nous constations qu’au niveau européen de réels blocages ne permettent pas d’avancer de manière significative, il serait alors temps pour le Gouvernement d’aller plus loin. Mais, pour ce faire, nous devrions procéder à une étude d’impact approfondie qui nous assurerait que l’extension du champ de la non-discrimination ne se traduirait pas par des effets pervers ou inattendus. De fait, et c’est d’ailleurs le cas de la présente loi, pour les femmes, l’interdiction d’une discrimination peut parfois être assortie d’exceptions limitées, juridiquement justifiées et qui doivent être expertisées soigneusement, ce qui n’a pu être le cas pour d’autres motifs dans le cadre du texte qui vous est présenté aujourd’hui.

Je souhaite donc rassurer complètement votre assemblée sur ce point : l’exercice volontairement circonscrit auquel se prête le Gouvernement ne préjuge pas d’autres avancées, s’il se vérifie, à l’issue de la présidence française, qu’il ne nous aura pas été possible de défendre suffisamment ce dossier au niveau communautaire

Faut-il prendre en compte la paternité au même titre que la maternité ?

Les directives transposées ont clairement posé le principe d’une asymétrie entre les principes de non-discrimination posés en raison de la maternité et ceux qui sont posés en raison de la paternité. Revenir sur cette asymétrie, ce serait affaiblir la force du principe posé par les directives selon lequel des mesures de faveur peuvent être prises en raison de la maternité.

Car l’objet des directives, ce n’est pas tant de traiter les mères plus favorablement que les femmes qui ne sont pas mères : c’est de traiter les mères plus favorablement que les pères. La transposition de ces directives par la France ne peut pas aller contre cette volonté, sous peine de s’exposer au risque de nouvelles procédures d’infraction.

Je ne voudrais pas terminer cet exposé sans avoir dit quelques mots des conditions dans lesquelles s’inscrit le projet de loi qui vous est proposé.

La reprise des termes mêmes des directives en ce qui concerne, notamment, la définition des notions de discrimination ou de harcèlement doit nous permettre de mettre fin à des procédures d’infraction actuellement en cours. Une interprétation trop libre par rapport aux observations de la Commission pourrait ouvrir la voie à de nouvelles mises en demeure. Vous comprendrez sans peine que le Gouvernement ne souhaite pas exposer notre pays à ce risque. Je mesure bien combien, pour les législateurs que vous êtes, cet exercice peut paraître contraint.

Notre débat permettra, je le souhaite, un échange fructueux et constructif, et j’espère qu’à son terme vous pourrez mieux appréhender la logique qui a prévalu dans l’élaboration de ce projet de loi portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire.

Applaudissements sur les travées de l ’ UC-UDF et de l ’ UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Muguette Dini

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le projet de loi qui nous est soumis transpose partiellement ou intégralement cinq directives communautaires dans le domaine de la lutte contre les discriminations.

Alors que les deux dernières directives, qui datent de 2004 et 2006, n’ont pas encore été transposées, les trois premières, qui remontent à 2000 et 2002, ont déjà fait l’objet d’une transposition. Mais la Commission européenne a estimé que celle-ci était incomplète et a engagé trois actions en manquement contre l’État français. Il nous est proposé, aujourd’hui, de régulariser les trois premières directives et de transposer partiellement les deux dernières.

On peut comprendre et approuver le Gouvernement, qui souhaite soigner l’image européenne de la France trois mois avant de prendre la présidence de l’Union. Son objectif, au travers de ce projet de loi, est de mettre la France à l’abri de toute procédure judiciaire en répondant un à un aux griefs de la Commission européenne.

Cet objectif est parfaitement légitime, madame la secrétaire d’État, mais il ne doit pas conduire les parlementaires que nous sommes à fermer les yeux sur le contenu du texte. Il est en effet de notre devoir et de notre responsabilité de vérifier que le projet de loi est conforme à l’intérêt général et ne pose pas de problème particulier.

Or certains points du texte soulèvent des interrogations ; les différents entretiens que j’ai pu avoir avec des professeurs de droit ou des membres de la Cour de cassation me l’ont confirmé. Les circonstances de cette transposition de directives en sont une preuve supplémentaire : voilà huit ans que les deux premières directives ont été adressées à la France et cinq ans qu’elles auraient dû être entièrement transposées ; pourtant, c’est dans l’urgence qu’une telle transposition nous est soumise.

On comprend bien que la France souhaite être irréprochable avant d’assurer la présidence de l’Union européenne. Mais on se demande aussi pour quelles raisons ces directives n’ont pas été transposées correctement et dans les bons délais.

Quels sont les éléments qui ont gêné les gouvernements précédents, lesquels n’ont pas transposé l’intégralité des directives ? Y a-t-il dans ces dernières des points qui ne sont pas compatibles avec notre justice et notre droit ? Madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, il ne faut sans doute pas chercher les réponses ailleurs que dans le contenu, difficilement adaptable à notre droit, de certains points de ces directives.

J’aborderai donc maintenant le fond du débat.

Le projet de loi comporte quatre éléments nouveaux. Il redéfinit les notions de discrimination et de harcèlement en reprenant les définitions communautaires. Il interdit les discriminations fondées sur le sexe en matière d’accès aux biens et services. Il généralise l’aménagement de la charge de la preuve à tous les contentieux qui concernent les discriminations. Il prévoit, enfin, que les interdictions en matière de discrimination s’appliquent à toutes les personnes publiques ou privées, y compris celles qui exercent une activité professionnelle indépendante.

L’Assemblée nationale a, par ailleurs, prévu que les cinq premiers articles du projet de loi et les articles du code du travail correspondants seront affichés dans les lieux de travail.

En apparence, donc, le texte constitue un progrès, car il renforce les moyens de la lutte contre toutes les discriminations, ce qui ne peut qu’appeler notre total soutien. Si j’emploie les termes « en apparence », c’est parce que, comme je vais essayer de vous le montrer maintenant, le projet de loi soulève plusieurs problèmes préoccupants.

D’abord, et c’est le point le plus important, le texte pratique l’amalgame entre l’inégalité de traitement et la discrimination. La définition de la discrimination directe, reprise des directives, est la suivante : « Constitue une discrimination directe la situation dans laquelle, sur le fondement de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie ou à une race, sa religion, ses convictions, son âge, son handicap, son orientation sexuelle ou son sexe, une personne est traitée de manière moins favorable qu’une autre ne l’est, ne l’a été ou ne le serait dans une situation comparable. ». Le texte laisse ainsi penser qu’une inégalité de traitement est toujours due à une discrimination.

Or le droit français, au contraire, veille à distinguer clairement les deux notions, la Cour de cassation rappelant régulièrement qu’« une différence de traitement entre plusieurs salariés d’une même entreprise ne constitue pas nécessairement une discrimination ». La distinction peut paraître subtile, mais elle comporte un enjeu fondamental.

Je vais illustrer cette remarque par un exemple : deux secrétaires – une femme et un homme – travaillent dans la même entreprise. Il se trouve qu’ils effectuent les mêmes tâches et ont le même niveau de compétence. Pourtant, la femme est moins bien payée. Deux voies juridiques s’offrent alors à elle pour obtenir l’égalité de traitement, et c’est ici qu’intervient la différence fondamentale que j’évoquais.

Soit elle choisit d’insister sur le fait qu’elle est une femme et, en tant que telle, victime d’une discrimination, et c’est la voie du droit communautaire ; soit, au contraire, elle n’invoque pas le fait qu’elle est une femme et elle s’appuie sur le principe d’égalité de traitement, en vertu duquel les salariés placés dans une situation identique doivent être payés de façon identique.

À l’arrivée, le résultat sera identique, certes, mais l’état d’esprit qui sous-tend la démarche sera profondément différent et ses effets sur les rapports sociaux ne seront pas les mêmes. D’un côté, le droit vous conduit à insister sur vos différences, vos caractéristiques particulières – le sexe, l’origine ethnique, l’orientation sexuelle – et à vous placer en victime pour réclamer l’égalité. De l’autre, il vous encourage à invoquer un principe commun à tous, l’égalité de traitement, et vous conforte de ce fait dans une posture positive et constructive.

Derrière cette question juridique se profile donc une interrogation de fond : au travers du combat contre les discriminations, veut-on inciter au repli sur soi, à la mise en exergue des identités particulières, à l’appartenance à une communauté, ou veut-on insister sur les valeurs et les principes communs ? Veut-on nous engager dans une politique d’encouragement au communautarisme promu dans les pays anglo-saxons, ou veut-on rester fidèle à notre conception latine du vivre ensemble ?

Je crains, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, que le projet de loi ne nous entraîne sur le chemin du communautarisme, et je le regrette. Il est vraiment dommage que nos principes n’aient pas été mieux défendus lors de la négociation des directives à Bruxelles. Cela étant, nous avons des marges de manœuvre pour limiter les effets négatifs du texte ; j’y reviendrai.

Le deuxième problème que soulève le projet de loi est l’insécurité juridique qu’il risque de provoquer. En effet, le texte comporte plusieurs définitions communautaires, qui se caractérisent par une grande confusion ; je sais que cette analyse est partagée par la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes.

Par exemple, la définition de la discrimination directe se termine par les mots suivants : « une personne est traitée de manière moins favorable qu’une autre ne l’est, ne l’a été ou ne le serait ».

La dimension fictive de la comparaison, dont témoigne l’emploi du conditionnel « ne serait », est inquiétante, car elle ouvre la porte à des condamnations fondées sur des hypothèses invérifiables : comment prouver qu’il y a discrimination si des éléments de comparaison objectifs n’existent pas ?

Le même problème se pose avec la définition de la discrimination indirecte, définition qui évoque « une disposition, un critère ou une pratique neutre en apparence, mais susceptible d’entraîner [...] un désavantage particulier pour des personnes par rapport à d’autres personnes ».

Là encore, le texte risque de conduire à des condamnations fondées sur de simples suppositions : une personne pourrait être sanctionnée pour avoir instauré une disposition, un critère ou une pratique ne créant pas de discrimination, mais « susceptible », d’après le juge, de la créer. On frôle ici le procès d’intention et cette disposition me paraît très contestable.

La manière de traiter le harcèlement sexuel dans le projet de loi mérite également toute notre attention : le texte reprend la définition communautaire sans supprimer celle qui est déjà en vigueur en droit français. Nous aurons donc deux définitions distinctes du harcèlement sexuel en matière civile, ce qui pose, bien sûr, un problème d’égalité devant la loi : des individus placés dans des situations semblables pourront se voir appliquer un jugement différent selon que l’une ou l’autre définition sera invoquée par l’avocat et retenue par les magistrats.

Par ailleurs, la définition communautaire du harcèlement sexuel est extrêmement large : « tout agissement… – au singulier –… à connotation sexuelle subi par une personne et ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte à sa dignité ou de créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant ; ». On voit bien qu’une définition aussi vague revient à transférer au juge le soin de la préciser, donc de dire la loi. En l’état actuel, ce texte ne nous semble pas satisfaisant.

Vous nous avez confié, madame la secrétaire d'État, que nous n’avions pas le choix, parce que les points que nous évoquons sont des points durs pour la Commission européenne, des points sur lesquels elle ne veut rien entendre et qui la conduiraient à poursuivre son action en manquement si nous y touchions.

Je ne suis pas du tout insensible à cet argument et je souhaite évidemment, comme tous les Français, que la France aborde la présidence de l’Union dans les meilleures conditions possibles. Mais je veux revenir sur les prétendus risques que nous prenons en essayant de concilier au mieux les directives européennes et notre droit.

D’abord, l’avis de la Commission européenne n’est pas celui de la Cour de justice des communautés européennes. La Commission européenne peut tout à fait soutenir une thèse, la France en plaider une autre et la Cour de justice trancher en faveur de la France.

Or, en l’espèce, je crois vraiment que la position de la Commission européenne n’est pas très respectueuse du traité européen et que le droit est plutôt de notre côté.

L’article 249 de ce traité dispose, en effet : « la directive lie tout État membre destinataire quant au résultat à atteindre, tout en laissant aux instances nationales la compétence quant à la forme et aux moyens ».

Le résultat à atteindre ici, c’est le recul des discriminations dans les domaines où les directives les interdisent. Nous ne pouvons qu’être d’accord sur cette dimension positive du projet de loi : l’élargissement du champ d’interdiction des discriminations.

Mais, s’agissant de la forme et des moyens qui sont laissés aux États membres, notre devoir est d’y réfléchir ; il est de notre responsabilité d’en débattre pour qu’ils soient les plus appropriés à notre histoire et à notre droit.

Or, comme il me semble l’avoir montré, la tonalité communautariste du projet de loi et le pouvoir considérable qu’il confie au juge sont très éloignés de notre tradition historique et juridique. Il n’est donc pas du tout certain que, en l’état actuel, le texte contribuera à un combat plus efficace contre les discriminations.

Si, donc, en toute bonne foi, nous amendons, comme nous y invite le traité européen, la forme et les moyens proposés par la directive pour renforcer le résultat à atteindre, c’est-à-dire une lutte plus énergique contre les discriminations, je ne vois réellement pas ce que la Commission européenne, si elle est aussi de bonne foi, pourra nous reprocher.

De toute façon, quand bien même la Commission persisterait dans une interprétation restrictive de l’article 249 et maintiendrait son recours en manquement, son attitude ne porterait pas atteinte à l’image de la France pendant la présidence de l’Union, puisque le temps de la procédure judiciaire européenne conduirait la Cour de justice à rendre sa décision au plus tôt au début de l’année 2010. Et encore une fois, au vu du traité européen, je pense vraiment que la Cour nous donnerait raison.

Enfin, je veux souligner que cette exigence, qui nous pousse à adapter le mieux possible le droit communautaire aux valeurs de notre pays et à ne pas céder aux objections de la Commission européenne quand elles ne nous paraissent pas fondées, sera utile au Gouvernement lui-même lorsqu’il négociera les prochaines directives sur les discriminations ou sur d’autres sujets.

Debut de section - PermalienPhoto de Muguette Dini

Madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, les modifications que nous allons proposer vont peut-être compliquer un peu, sur le moment, les relations du Gouvernement avec la Commission européenne, …

Debut de section - PermalienPhoto de Muguette Dini

…mais je suis convaincue qu’elles ne feront aucun tort à la présidence française de l’Union. En outre, et surtout, elles donneront au Gouvernement plus de force pour défendre en Europe, lors des négociations à venir, les valeurs universalistes de notre pays dans la lutte contre les discriminations.

C’est pourquoi, tout aussi soucieuse de soutenir le Gouvernement dans sa préparation de la présidence de l’Union que de défendre nos principes les plus fondamentaux, la commission des affaires sociales vous propose, mes chers collègues, d’adopter ce projet de loi, sous réserve des amendements qu’elle a approuvés à l’unanimité.

Applaudissements sur les travées de l ’ UC-UDF et de l ’ UMP, ainsi que sur des travées du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Christiane Hummel

conséquences pour les droits des femmes et pour l’égalité des chances entre les hommes et les femmes du projet de loi dont nous discutons cet après-midi.

Debut de section - PermalienPhoto de Christiane Hummel

Au cours de la réunion qu’elle a

D’abord, un double constat s’impose :

Dès lors, le Gouvernement a fait le choix d’opérer

Certes, cette démarche présente l’avantage d’être inattaquable au

Cette complexité nous paraît particulièrement regrettable dans uncompréhensible.

Au demeurant, et c’est notres’attacher à en améliorer l’application, car la France doit veiller particulièrement à ne plus encourir le reproche d’être le pays des réformes symboliques.

Notre délégation a examiné attentivement les effets attendus de l’introduction en droit français des définitions données par les directives des notions de « discrimination directe » et de « discrimination indirecte ». Celles-ci peuvent constituer des leviers bien adaptés à la promotion d’une égalité réelle entre les hommes et les femmes.

Ainsi, la définition de la discrimination directe, en permettant des comparaisons hypothétiques, peut contribuer à assouplir le recours à des procédures dites de « test de discrimination », dont le président de la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité nous a indiqué, au cours de son audition, qu’elles étaient actuellement trop strictement encadrées par la jurisprudence des tribunaux français.

Quant à la définition de la discrimination indirecte, elle peut permettre au juge de dépasser les apparences d’une égalité de traitement pour mesurer l’effet concret d’une disposition.

La consécration, par le projet de loi, de ces définitions est donc appréciable, mais leur application devra être bien encadrée, car leur caractère est extrêmement large : comme l’a dit Mme le rapporteur de la commission, nous devrons veiller à ce que certaines expressions, par exemple l’emploi du conditionnel « ne le serait », ne puissent entraîner des dérives et alimenter des procès d’intention dont nous ne voulons pas.

Telle est la préoccupation que nous exprimons dans notre troisième recommandation.

Dans notre quatrième recommandation, nous préconisons une simplification du dispositif, qui n’autorise, actuellement, dans le code du travail, les différences de traitement fondées sur le sexe en matière d’emploi que pour les professions de comédien, de mannequin ou de modèle. Ce dispositif est sans doute trop rigide.

Plutôt que de chercher à actualiser, profession par profession, la liste des dérogations autorisées, nous pensons qu’il vaut mieux s’appuyer sur la combinaison des deux critères proposés dans le projet de loi : celui de l’objectif légitime et celui de l’exigence proportionnée. Nous nous réjouissons donc que l’amendement n° 5 de la commission des affaires sociales donne une traduction législative à cette recommandation.

J’insisterai, pour finir, sur deux dispositions qui nous paraissent appeler des réserves, voire des objections.

La première d’entre elles vise à ce que l’égalité entre les sexes pour l’accès aux biens et services n’interdise pas d’organiser des enseignements en regroupant les élèves en fonction de leur sexe. Certes, une application trop absolue du principe d’égalité entre les sexes pour l’accès au « service » que constitue l’enseignement aurait pu entraîner des effets indésirables, par exemple sur le maintien d’établissements privés non mixtes ou sur la constitution d’équipes masculines ou féminines dans les compétitions sportives en milieu scolaire et universitaire. La loi devait donc sans doute prévoir une dérogation à ce principe, mais notre délégation souhaite, dans une cinquième recommandation, rappeler notre attachement à l’objectif de mixité inscrit à l’article L. 121–1 du code de l’éducation et inciter le Gouvernement à la vigilance.

Il ne faudrait pas que cette dérogation soit utilisée pour remettre en question, pour des motifs culturels ou religieux, la bonne intégration des jeunes filles aux activités, notamment sportives, des établissements d’enseignement.

Nous nous élevons contre l’organisation d’enseignements distincts qui reproduiraient des stéréotypes sexués contre lesquels il convient, au contraire, de lutter.

Enfin, nous nous interrogeons sur la portée de la seconde disposition qui semble devoir dispenser « le contenu des médias et de la publicité » de toute obligation en matière de discrimination en raison de l’appartenance à un sexe. Son sens ne nous paraît pas clair, et l’on peut craindre que cette mesure n’ait pour objet, plus ou moins avoué, d’autoriser des représentations discriminatoires de la femme et, pourquoi pas, de l’homme dans les médias et la publicité.

Nous exprimons donc nos plus expresses réserves à l’égard de cette disposition qui prend le contre-pied des conclusions de nos récents travaux consacrés à l’image de la femme dans les médias, dans le prolongement desquels s’inscrit justement la réflexion confiée par le Gouvernement à la commission présidée par Michèle Reiser.

Conformément à notre sixième recommandation, j’ai déposé, avec la présidente de notre délégation, Gisèle Gautier, et plusieurs de nos collègues, un amendement visant à la suppression de cette mesure.

Sous réserve de l’adoption de ces six recommandations, et sous le bénéfice des observations que je vous ai présentées, la délégation s’est déclarée favorable à l’adoption du projet de loi, car, malgré ses défauts, il devrait contribuer à faire avancer la cause de l’égalité entre les hommes et les femmes, cause à laquelle nous savons, madame la secrétaire d’État, que vous êtes particulièrement attachée.

Applaudissements sur les travées de l ’ UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Roland du Luart

La parole est à Mme la présidente de la délégation aux droits des femmes.

Debut de section - PermalienPhoto de Gisèle Gautier

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, parmi les cinq directives européennes devant être transposées dans notre droit interne, trois d’entre elles concernent spécifiquement la mise en œuvre du principe d’égalité de traitement entre les femmes et les hommes.

Il s’agit là d’un sujet qui se trouve au cœur des préoccupations de notre délégation.

Je parlerai, dans un premier temps, des discriminations fondées sur le genre. Celles-ci sont fréquentes, même si les femmes elles-mêmes n’en ont pas forcément conscience et n’osent pas toujours s’en plaindre. Ainsi, au cours de son audition devant notre délégation, Louis Schweitzer, président de la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité, a fait état de sondages selon lesquels de nombreuses femmes avaient le sentiment d’être « moins bien traitées » que les hommes, sans pour autant parler de « discriminations ».

De fait, les saisines de la HALDE par des femmes s’estimant défavorisées pour des raisons liées à leur sexe sont actuellement très peu nombreuses. Elles n’osent pas, en définitive, se plaindre de ces inégalités de traitement, pourtant bien réelles.

D’après les chiffres avancés par le Gouvernement lors de la Conférence sur l’égalité professionnelle et salariale du 26 novembre 2007, à laquelle vous-même, madame la secrétaire d’État, et M. Bertrand avez bien voulu m’inviter, dans la vie professionnelle, l’écart entre les salaires mensuels moyens des hommes et des femmes était de l’ordre de 25 % en 2002 – en légère baisse –, 5 à 11 % ne pouvant être expliqués par aucun facteur structurel et constituant donc une véritable discrimination salariale.

Les nombreux travaux de notre délégation sur ce sujet l’ont montré : les inégalités salariales persistent malgré un imposant arsenal législatif.

Je me félicite donc de la volonté du Gouvernement de passer au stade des sanctions à l’égard des entreprises qui n’auraient pas pris de mesures pour résorber les inégalités salariales avant la fin de l’année 2009 ; cela devrait faire l’objet d’un prochain projet de loi. Jusqu’à présent, les différents textes de loi sur les inégalités salariales que nous avons votés se contentaient de menaces ; il faut maintenant agir.

Pour l’heure, le projet de loi qui nous est soumis a pour seul objet de transposer des directives européennes, ce qui ne laisse qu’une faible marge de manœuvre au législateur, ainsi que vous l’avez rappelé, madame la secrétaire d’État.

Les définitions européennes de la discrimination directe et de la discrimination indirecte peuvent s’avérer intéressantes pour la promotion d’une égalité réelle entre les hommes et les femmes, car elles permettent de viser des formes de discrimination insidieuse ne se traduisant pas toujours par des mesures directement défavorables.

Permettez-moi cependant de regretter qu’en superposant les définitions retenues dans les directives aux dispositions déjà prévues dans nos différents codes, ce projet de loi aboutisse à alourdir et à complexifier le droit applicable, au détriment de sa clarté et de sa lisibilité pour les victimes de discriminations.

Tel est le cas, par exemple, en matière de harcèlement sexuel. Il faudra bien, un jour, madame la secrétaire d’État, remettre l’ouvrage sur le métier pour parvenir à une meilleure cohérence d’ensemble et à une harmonisation des dispositions existant dans les différentes branches de notre droit.

C’est là l’une des principales recommandations de la délégation aux droits des femmes, qui a également insisté, dans ce domaine comme dans d’autres, sur la nécessité de ne pas se contenter « d’empiler les lois » : il faut veiller davantage à leur application concrète.

Je souhaiterais en outre évoquer plus particulièrement deux dispositions du texte qui me paraissent préoccupantes quant à leurs conséquences potentielles sur le droit des femmes.

D’une part, la disposition autorisant l’organisation d’enseignements en regroupant les élèves en fonction de leur sexe ne doit pas remettre en cause le principe fondamental de la mixité dans notre système d’éducation ni permettre la reproduction de stéréotypes sexués contre lesquels nous cherchons justement à lutter.

D’autre part, et je voudrais exprimer ma vive préoccupation à cet égard, la mesure prévoyant une exception au principe de l’interdiction des discriminations fondées sur le sexe en matière de contenu des médias et de publicité laisse à penser que des représentations sexistes et discriminatoires de la femme pourraient être autorisées.

Cette disposition est d’autant plus inquiétante que la délégation a justement dénoncé, dans son dernier rapport d’activité, de fréquentes dérives dans l’utilisation de l’image de la femme dans les médias, avec des atteintes persistantes et récurrentes à la dignité de la personne humaine dans de nombreuses publicités choquantes et dévalorisantes pour la femme.

La délégation a donc recommandé la suppression de cette mesure, qui nous paraît, à vrai dire, incompréhensible. Avec Mme Hummel et d’autres collègues, j’ai cosigné un amendement en ce sens. Nous y reviendrons donc au cours de la discussion des articles.

Enfin, madame la secrétaire d’État, si vous le permettez, je souhaiterais saisir l’occasion de votre présence dans cet hémicycle pour exprimer mon inquiétude devant les perspectives de réorganisation administrative des délégations régionales aux droits des femmes et à l’égalité. Bien sûr, cette question n’a pas de lien direct avec le sujet que nous traitons aujourd’hui, mais mon devoir était de la soulever, car ces délégations constituent un instrument essentiel de la politique en faveur de l’égalité entre les hommes et les femmes. Les nombreux appels que j’ai reçus attestent cette crainte.

Nous n’ignorons pas que la révision générale des politiques publiques engagée depuis près d’un an fait actuellement l’objet d’arbitrages ministériels et de décisions de programmation définitives. Les délégations régionales et départementales aux droits des femmes et à l’égalité des chances paraissent menacées puisqu’elles feraient l’objet d’une absorption par les directions régionales des affaires sanitaires et sociales et les directions de la jeunesse et des sports. Une telle orientation ne risquerait-elle pas de rendre moins visible l’action de ces délégations ? Jusqu’à ce jour, celles-ci étaient rattachées aux préfets de région. Leur mission était donc soutenue et reconnue et donnait à leurs interventions une légitimité pour défendre le droit des femmes sur le plan départemental et régional.

Le manque de visibilité de ces délégations dans une organisation intégrée regroupant la jeunesse et les sports ainsi que les affaires sociales et l’absence de prise en compte de la spécificité de leur action au titre, par exemple, de l’égalité professionnelle, reviendrait à occulter l’ampleur des difficultés dont souffre la population féminine de notre pays.

Sur ce chapitre, j’aimerais savoir, madame la secrétaire d’État, ce que prévoit le Gouvernement en la matière.

Applaudissements sur les travées de l ’ UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Roland du Luart

La parole est à M. le président de la commission des lois.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Hyest

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Je vais essayer de rétablir un peu de parité à cette tribune !

Sourires

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Hyest

Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, la commission des lois n’a pas examiné ces projets de directive. Néanmoins, force est de reconnaître que la détermination des préjudices liés aux discriminations se heurtant à la multiplicité des définitions qu’en donne notre droit, tant pénal que civil, en matière de réparations, notre œuvre législative facilitera certainement le travail des tribunaux et enrichira sans doute les conclusions de certains défenseurs.

Cette situation pose un vrai problème dans notre législation, alors que nous avons délibéré pendant des heures sur ce qu’est, en particulier, le harcèlement.

D’ailleurs, je ne comprends pas que la France ait pu faire l’objet d’un recours en manquement de la part de la Commission européenne, dans la mesure où notre législation est, nous semble-t-il, extrêmement élaborée. S’il faut aller jusqu’à détailler les termes, cela relève non pas des directives, mais des règlements, que l’on pourra appliquer directement. Ce sera beaucoup plus simple !

Dans ces matières sensibles, il est délicat d’obtenir, en droit européen, une véritable cohérence dans les termes. Cela étant, madame la secrétaire d’État, ce n’est pas pour vous dire cela que je suis monté à la tribune aujourd’hui, vous le savez bien !

Le 21 novembre dernier, je le rappelle, le Sénat a adopté une proposition de loi prévoyant une réforme d’ensemble des règles de prescription en matière civile.

Ces règles s’avèrent en effet à la fois pléthoriques, complexes et inadaptées. Elles sont source d’insécurité juridique, de contentieux et de malaise en raison de l’impression d’arbitraire qu’elles peuvent donner. La technicité du sujet ne doit pas masquer son importance pour la vie de nos concitoyens et la compétitivité de notre droit.

La réforme que nous avons adoptée voilà déjà plus de quatre mois s’articule autour de trois axes : la réduction du nombre et de la durée des délais de la prescription extinctive, le délai de droit commun passant de trente ans à cinq ans ; la simplification de leur décompte ; enfin, l’autorisation encadrée de leur aménagement contractuel.

Cette réforme avait été soigneusement préparée.

Tout d’abord, une mission d’information conduite par Richard Yung, Hugues Portelli et moi-même a réalisé, entre les mois de février et de juin 2007, plus de trente auditions, qui lui ont permis de formuler de nombreuses recommandations. J’ai ensuite pris l’initiative, au cours de l’été, de traduire ces recommandations en une proposition de loi. Enfin, le contenu de cette proposition de loi a été enrichi non seulement par son rapporteur, Laurent Béteille, mais aussi par plusieurs de nos collègues – je pense notamment à Michel Dreyfus-Schmidt – et par le Gouvernement.

Telles sont sans doute les raisons pour lesquelles cette réforme a fait l’objet d’un large consensus : personne ne s’y est opposé, elle a été adoptée par tous les groupes de notre assemblée, seuls nos collègues du groupe communiste républicain et citoyen s’étant abstenus. On peut même parler, sur le plan réglementaire, d’unanimité, puisque « qui ne dit mot consent » !

Pourtant, le travail du Sénat a été violemment mis en cause dans la presse. Se faisant l’écho des inquiétudes d’un collectif comprenant notamment des syndicats de salariés, de magistrats et d’avocats, certains journalistes et certaines personnalités ont fait grief à notre assemblée de « s’en prendre discrètement à tous les discriminés », singulièrement aux victimes de discriminations au travail.

Avec la réduction de trente ans à cinq ans du délai de droit commun de la prescription extinctive, « les victimes n’auraient plus que cinq ans pour porter plainte et, si le préjudice est reconnu, les indemnités ne porteraient plus que sur les cinq dernières années ». Je ne cite ici que les phrases les plus convenables ; celles qui concernaient la commission des lois du Sénat et son président étaient encore plus assassines !

Madame la secrétaire d’État, plusieurs députés ont relayé ces inquiétudes lors de l’examen par l’Assemblée nationale du projet de loi dont nous débattons aujourd’hui. Nous sommes tombés des nues !

Bien évidemment, l’intention des nombreux sénateurs qui ont voté la proposition de loi n’était pas de réduire les droits des victimes de discriminations, et nous n’avons pas travaillé en catimini. Les débats au sein de notre assemblée ne suscitent aucune réaction pendant quatre ou cinq mois, puis c’est une explosion de critiques, sans aucun dialogue !

Je tiens d’ailleurs à souligner que les incidences de la proposition de loi sur les délais pour agir et le droit à réparation des victimes ne sont pas celles qui ont été décrites dans la presse.

Si la durée du délai de droit commun de la prescription extinctive est effectivement réduite de trente ans à cinq ans, encore convient-il d’observer que ce délai ne commencerait à courir qu’à compter du jour où « le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer ».

Or, en la matière, le point de départ de la prescription importe plus que sa durée. Un salarié victime d’une discrimination pourrait ainsi invoquer des faits remontant à plusieurs dizaines d’années en arrière, dès lors qu’il en aurait eu connaissance tardivement sans avoir commis de faute. Je vous rappelle que nous avions beaucoup insisté sur la jurisprudence existante en matière d’accidents corporels ou de maladies professionnelles.

En outre, comme l’a indiqué la Cour de cassation, l’action devant le conseil de prud’hommes est une action non pas en paiement de salaires – nous avons veillé à maintenir les délais dans ce cas –, mais en réparation du préjudice résultant d’une discrimination. Il s’agit donc d’une question d’évaluation du montant des dommages et intérêts, indépendante de celle de la recevabilité de la demande. Or, en la matière – nous n’avons pas remis en cause la jurisprudence, qui est constante –, le principe est celui de la réparation intégrale du préjudice, quels que soient les délais pour agir.

Nous ne pouvions pas en rester là, puisqu’il y avait apparemment incompréhension totale. Certains, qui s’érigent en meilleurs juristes que nous, ont même affirmé des choses qui ne figuraient pas dans le texte ! Par souci d’apaisement, Laurent Béteille, Richard Yung et moi-même nous sommes entretenus avec des représentants du collectif qui s’était constitué à cette occasion.

À la suite de ces échanges qui ont, je le pense, permis de dissiper tout malentendu sur les intentions du Sénat, nous nous sommes engagés à proposer une rédaction permettant de garantir les droits des victimes de discriminations au travail sans ambiguïté.

Tel est l’objet des deux amendements identiques n° 8 et 22 que Laurent Béteille et Richard Yung vous présenteront lors de la discussion des articles.

Madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, si la proposition de loi portant réforme de la prescription en matière civile avait dû être examinée très rapidement à l’Assemblée nationale, nous aurions pu attendre. Cependant, son inscription à l’ordre du jour de cette dernière n’ayant pas été prévue, nous attachons la plus grande importance à ces amendements, compte tenu du climat qui s’est instauré. Nous devons apaiser la situation le plus rapidement possible, sans attendre un éventuel examen du texte par l’Assemblée nationale.

Le Sénat a été injustement mis en cause. Nous souhaitons ardemment qu’il lui soit donné acte de sa bonne foi. Nous souhaitons non moins ardemment que la réforme d’ensemble du droit de la prescription en matière civile puisse être définitivement adoptée avant la fin de l’été. Elle s’avère en effet nécessaire, consensuelle et urgente, si le Gouvernement souhaite toujours, comme l’avait souligné Mme le garde des sceaux, qu’elle constitue la première étape d’une réforme prochaine du droit des obligations.

Plusieurs propositions de loi déposées par des députés et dont l’utilité n’est pas toujours aussi évidente, reconnaissons-le, que celle de la réforme des règles de prescription en matière civile ont été ou sont sur le point d’être adoptées définitivement. Nous aimerions que les initiatives du Sénat puissent, elles aussi, aboutir rapidement.

Je tiens à votre disposition, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la liste des propositions de loi émanant de l’Assemblée nationale que nous allons examiner au Sénat. Nous souhaiterions que la réciproque fût vraie : lorsque nous proposons une réforme d’ensemble des prescriptions ou une refonte de la législation funéraire, que nous avions elle aussi adoptée à l’unanimité, il me semble que ces travaux méritent une certaine considération.

Applaudissements sur les travées de l ’ UMP et de l ’ UC-UDF.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacqueline Alquier

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le projet de loi dont nous débattons aujourd’hui a pour objet de mettre en conformité le droit français avec le droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations.

Il s’agit de transposer la directive mettant en œuvre le principe de l’égalité de traitement entre les femmes et les hommes en matière de fourniture de biens et services et d’accès à ceux-ci, ainsi que de compléter la transposition déjà opérée, mais estimée insuffisante par la Commission européenne, de trois directives relatives à l’égalité de traitement.

Cela étant, une nouvelle fois, c’est dans l’urgence et sans véritable concertation avec les associations, en particulier les syndicats, que nous devons travailler. C’est visiblement le mode de fonctionnement de ce gouvernement, qui, depuis qu’il est au pouvoir, fait passer tous les textes importants en urgence, empile des lois qui ne s’appliquent finalement pas faute des moyens ou des décrets nécessaires.

Cela ne nous convient pas. Nous travaillons dans l’urgence, donc, et sous la pression de l’Europe. En effet, il aura fallu pas moins de trois procédures d’action en manquement lancées par la Commission européenne à l’encontre de la France pour aboutir enfin à l’examen de ce projet de loi. C’est dire l’empressement du Gouvernement et sa volonté d’agir dans ce domaine !

Pourtant, la situation montre qu’il reste bien du chemin à parcourir pour que l’égalité de traitement entre dans les mœurs et n’ait plus besoin de faire l’objet de lois, règlements ou conventions.

Je citerai quelques chiffres à cet égard.

La Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité a enregistré 6 222 réclamations en 2007, contre 4 058 l’année précédente, soit une progression de plus de 50 %.

L’emploi est le premier domaine concerné, avec plus de la moitié des réclamations, devant le fonctionnement des services publics, l’accès aux biens et services privés, le logement et l’éducation.

L’origine est le critère de discrimination le plus souvent évoqué, suivi de près par la santé et le handicap. L’âge est l’un des premiers critères retenus en matière d’embauche. Alors comment faire quand le Gouvernement nous oblige à travailler plus, plus longtemps, pour gagner plus, mais aussi pour avoir droit à nos retraites ? Les entreprises veulent des salariés jeunes !

Une enquête du Bureau international du travail sur « les discriminations à partir de “l’origine” dans les embauches en France » effectuée par testing montre que seulement 10 % des employeurs ont respecté tout au long du processus de recrutement une égalité de traitement entre les candidats. Dans plus de 85 % des cas, la discrimination intervient avant même que le postulant ait pu obtenir un entretien.

Globalement, la HALDE dénonce le défaut d’accords anti-discrimination dans les entreprises. Elle constate que, dans 76 % des cas, l’action de l’employeur se limite à une information des salariés, et que 8 % seulement des employeurs associent les syndicats à une politique d’égalité des chances, ce qui est particulièrement décevant alors que l’accord interprofessionnel sur la diversité de 2006 avait fait l’unanimité.

Par ailleurs, les testings réalisés dans le secteur du logement ont révélé une forte prégnance des pratiques discriminatoires de la part des agences immobilières, 38 % des victimes ne parlant pas des discriminations qu’elles peuvent subir. On peut s’étonner de la persistance de ces comportements dans nos sociétés modernes.

En Europe, les situations sont très différentes d’un État à l’autre, mais force est de constater que la France ne fait pas vraiment figure d’exemple !

Pourquoi une telle résistance alors que les dispositions auxquelles on nous demande de nous adapter, depuis 2005 pour certaines d’entre elles, vont plutôt dans le sens d’une meilleure protection de nos concitoyens ?

On sent là encore l’existence d’une mauvaise volonté, celle-là même que le Gouvernement met à publier le décret relatif au CV anonyme alors que la disposition législative correspondante a été votée en 2006, à donner les moyens d’application à la loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, à faire appliquer celle du 16 novembre 2001 relative à la lutte contre les discriminations ou celle du 23 mars 2006 concernant l’égalité salariale entre les femmes et les hommes.

En effet, des textes, il y en a eu de nombreux depuis celui, fondateur, de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789, qui affirme, rappelons-le, que « les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits » !

Si, en ce domaine, l’Union européenne s’est engagée depuis l’année 2000 de manière plus prononcée dans des actions en faveur de l’égalité de traitement, qui se traduisent dans les directives, alors la France doit réagir et se donner les moyens d’être un État moteur dans la lutte contre les discriminations, et non l’État qu’il faut rappeler à l’ordre et qui « traîne les pieds ».

C’est pourquoi l’occasion était belle de faire le point sur notre politique en matière de discriminations, de chercher à comprendre pourquoi la situation reste aussi préoccupante alors que nous nous sommes dotés d’outils, de réfléchir à ce problème de société, reflet d’un état d’esprit et de pratiques encore bien peu sanctionnés, en un mot d’avoir un véritable débat et non cette transposition a minima, dans l’urgence, presque en catimini.

Il s’agit d’une transcription a minima, donc, mais qui n’est pas sans soulever des difficultés, tant sur la forme que sur le fond !

En effet, si, à première vue, le texte semble se conformer aux exigences européennes, il présente cependant des insuffisances, voire une remise en cause d’une partie de notre droit du travail. Ce projet de loi a d’abord été mal rédigé : à l’Assemblée nationale, la rapporteur a dû présenter de nombreux amendements pour l’améliorer. Ensuite, il est imprécis et ne correspond pas toujours à ce que les directives prévoient. Si l’on veut transcrire a minima, autant transcrire au plus près des directives !

Un premier problème tient à ce que ce texte nous semble ajouter de la complexité et de la confusion au droit existant. Il aurait été souhaitable qu’un travail d’harmonisation donne de la cohérence à un ensemble dans lequel persisteront des critères différents entre, par exemple, le code pénal et le code du travail.

Nous pouvons reprendre, à cet égard, l’illustration donnée par M. Louis Schweitzer, président de la HALDE, lors de son audition devant la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes. Il a cité l’apparence physique, qui constitue un motif de discrimination prohibé par le droit français, mais non par les directives européennes. Estimant qu’un effort d’harmonisation et de codification aurait été le bienvenu, il a déploré la complexité d’un système dans lequel les règles applicables varieraient en fonction du motif de la discrimination, au risque de dérouter les justiciables.

Ce texte, en raison sans doute d’une rédaction trop rapide, ne précise pas certaines notions juridiques dans les différents codes auxquels il renvoie et omet d’intégrer certaines avancées de la directive dans le code pénal. Ainsi, certaines définitions continueront à coexister dans notre droit, ce qui entraînera diverses possibilités d’interprétation.

Ce projet de loi donne le sentiment d’avoir été élaboré uniquement pour rattraper un retard dérangeant en matière de transposition de directives à la veille de la prochaine présidence française de l’Union européenne, et non pour définir un droit lisible et accessible, dans l’intérêt des victimes.

Le deuxième problème majeur est que ce texte reste en deçà des exigences européennes.

En effet, il « oublie » d’ouvrir aux associations de lutte contre les discriminations la possibilité d’agir auprès des tribunaux si la victime est un agent de la fonction publique. C’est pourtant une exigence expresse posée par la directive. Nous souhaitons que l’accord qui s’est dégagé sur ce point au sein de la commission des affaires sociales soit pris en compte par le Gouvernement.

Si, à la demande des victimes, les associations peuvent agir au pénal ou devant les conseils de prud’hommes, elles ne peuvent toujours pas le faire devant la justice administrative. Cette lacune de la législation française a été soulignée explicitement, mais rien dans le texte ne vient y remédier.

Le troisième problème est que, dans certains domaines, le présent projet de loi va au contraire au-delà des exigences européennes et introduit des régressions inadmissibles, sous couvert de la transposition des directives.

Il est pourtant bien clair que la mise en œuvre des directives ne peut « en aucun cas constituer un motif d’abaissement du niveau de protection contre la discrimination déjà accordé par les États membres ». Or, dans ses articles 2 et 8, le projet de loi transpose un certain nombre de limitations nouvelles au principe d’égalité de traitement. Pourtant, notre droit du travail limite strictement les dérogations au principe d’égalité en matière d’embauche. Il est plus protecteur que les normes minimales retenues dans les directives.

En outre, l’article 2 tend à permettre la ségrégation sexuelle à l’école. Jamais la Commission européenne n’a demandé à la France, qui pratique la mixité depuis longtemps, de transposer cette disposition qui ouvre une faille risquant d’être exploitée par les communautaristes, les intégristes et les réactionnaires les plus misogynes !

De la même façon, les deux définitions de la discrimination données par les deux directives n’ont pas été synthétisées. On a ainsi séparé les discriminations liées à l’origine et à la race, d’un côté, et les autres discriminations, de l’autre. Le champ d’application des premières est large, puisqu’il couvre tous les domaines de la vie courante, alors que celui des secondes se restreint aux domaines de l’emploi et du travail.

S’agit-il d’une précipitation irréfléchie ou d’une volonté de mettre en concurrence les victimes ? Le résultat est là : on introduit une hiérarchie dans les discriminations !

À l’article 3, l’ajout de la notion « de bonne foi » au texte protégeant d’actes de représailles les personnes ayant témoigné en justice en réduit la portée et risque d’induire des contentieux portant sur cette notion plutôt que sur les faits.

Le projet de loi prévoit également d’autoriser les différences de traitement dans le contenu des médias et de la publicité, considérés comme des exceptions en matière de fourniture de biens et de services et d’accès à ceux-ci. Or il nous semble que c’est souvent bien là que les stéréotypes culturels relatifs à l’image de la femme sont relayés, stéréotypes qui constituent un frein important à l’évolution des femmes, notamment en matière professionnelle.

Ainsi ce texte laisse la plupart d’entre nous insatisfaits, et ce au-delà même des clivages politiques.

La rapporteur du projet de loi pour la commission des affaires sociales, Mme Dini, nous a fait part des difficultés de fond qu’il soulève : amalgame entre inégalité de traitement et discrimination, insécurité juridique.

Les recommandations faites par la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes vont également dans le sens de nos réserves en ce qui concerne la nécessité de renforcer la cohérence des régimes juridiques, d’améliorer l’application concrète des lois existantes ou d’abroger les dispositions précitées qui nous font régresser dans un domaine où, déjà, bien du retard s’est accumulé.

Nous présenterons donc des amendements visant à pallier les lacunes et insuffisances de ce texte, à lui donner plus de cohérence, à en retirer ce qui ne nous paraît pas aller dans le bon sens.

Nous abordons ces débats dans l’idée qu’une transposition plus satisfaisante des directives est possible ; nous espérons y contribuer par le biais de nos propositions. Il va sans dire que notre vote tiendra compte du sort qui sera réservé à nos amendements.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.

Debut de section - PermalienPhoto de Françoise Henneron

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, messieurs les présidents de la commission des affaires sociales et de la commission des lois, mesdames les rapporteurs, mes chers collègues, l’Union européenne est le fer de lance de la lutte contre les discriminations. Dès le traité de Rome, le principe général d’égalité ou de non-discrimination a été posé comme pierre angulaire de l’ordre juridique européen. Depuis, les outils juridiques se sont multipliés. Ainsi, de multiples textes sont venus fixer un niveau minimal de protection contre un nombre important de discriminations.

Ce qui nous réunit aujourd’hui, c’est la nécessité de poursuivre la lutte contre les discriminations en assurant le respect des règles communautaires en la matière.

La Commission européenne a souligné notre retard dans la transposition de plusieurs directives et nous a reproché le caractère incomplet de la transposition de certaines dispositions. Je tiens cependant à souligner les efforts accomplis par notre pays ces dernières années et à saluer la détermination du gouvernement actuel à rattraper notre retard.

Notre société repose sur des valeurs de tolérance qui imposent le respect des origines, de l’identité et des choix de vie de chacun. Ce respect trouve sa source dans le principe d’égalité, principe consacré par notre devise nationale et par les textes fondateurs de notre droit.

Plusieurs lois emblématiques ont été adoptées récemment.

Les lois du 9 mai 2001 et du 23 mars 2006 traitent de l’égalité professionnelle et salariale entre les hommes et les femmes.

La loi du 16 novembre 2001, texte de portée générale contre les discriminations, a notamment introduit la possibilité, pour les organisations syndicales et les associations de lutte contre les discriminations, d’ester en justice. Elle constitue un progrès indéniable en matière de lutte contre les discriminations à l’emploi.

La loi du 30 décembre 2004 a créé la HALDE, haute autorité qui accompagne les victimes de discriminations et formule des recommandations à l’adresse de l’État. Elle nous permet de disposer de données annuelles et de prendre ainsi la mesure de l’importance des discriminations en France.

La loi du 11 février 2005 vise notamment à protéger les personnes handicapées contre les discriminations dans le travail.

Je citerai enfin la loi du 31 mars 2006, relative à l’égalité des chances.

Malheureusement, dans notre « patrie des droits de l’homme », la bataille pour l’égalité est toujours à poursuivre.

J’ai évoqué à l’instant le rôle important de la HALDE dans l’estimation de l’ampleur du phénomène de la discrimination.

Ainsi, la haute autorité a dressé, en 2006, une liste des discriminations classées selon leur fréquence. Vient au premier rang des facteurs de discrimination l’origine, puis la santé ou le handicap, l’âge, le sexe, l’activité syndicale, la situation de famille, l’orientation sexuelle, les opinions politiques, la religion et l’apparence physique.

La HALDE a également pu estimer dans quels domaines les discriminations se manifestaient le plus souvent. C’est l’emploi qui cristallise le plus grand nombre de pratiques discriminatoires, mais les discriminations concernent également les biens et les services privés, l’éducation ou le logement. Elles se manifestent dans tous les domaines de la vie.

Quel triste tableau ! Les publics les plus fragiles sont précisément ceux qui cumulent les risques de discrimination sur le marché de l’emploi, dans l’accès au logement ou aux loisirs et dans toutes les composantes de leur vie quotidienne.

Les inégalités de traitement entre les individus compromettent notre cohésion sociale et sont à l’origine, chacun le sait, d’un sentiment d’exclusion qui s’exprime dangereusement dans les communautarismes.

En effet, les jeunes Français issus de l’immigration sont les premiers concernés par les discriminations : 11 % de ceux d’entre eux qui sont titulaires d’un diplôme de second cycle sont au chômage, contre 5 % en moyenne nationale pour la même catégorie de diplômés.

Selon une étude récente du Bureau international du travail, 70 % des employeurs français favoriseraient un candidat portant un nom français par rapport à un candidat portant un nom à consonance étrangère. Le lieu même de résidence devient un élément discriminant. Des enquêtes avec envois de CV factices ont montré ce que beaucoup de nos concitoyens vivent au quotidien. Les personnes en situation de handicap et les personnes issues de l’immigration sont les premières victimes des discriminations à l’embauche.

Je suis membre de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, et vous ne vous étonnerez donc pas que je cite quelques chiffres concernant l’égalité professionnelle.

Les écarts de salaire entre les hommes et les femmes se situent, en moyenne, autour de 26 %, en défaveur de ces dernières ; 31 % des femmes actives occupent un emploi à temps partiel ; le taux de chômage féminin est plus élevé que celui des hommes ; le « plafond de verre » est bien une réalité, et l’ascension des femmes dans la hiérarchie reste plus difficile que celle de leurs homologues masculins, d’où leur sous-représentation chronique dans les fonctions de direction. Le chemin est encore long pour parvenir à l’égalité.

En tant qu’élus, nous avons tous eu connaissance d’inégalités subies par des femmes en matière d’emploi et de déroulement de carrière.

Le harcèlement moral, défini par le présent projet de loi, devient de plus en plus fréquent sur le lieu du travail, comme la HALDE a également pu le constater. Le durcissement des possibilités d’embauche et la peur du chômage ne sont guère propices à ce que les victimes fassent valoir leurs droits.

Il revient aux pouvoirs publics de désigner et de sanctionner efficacement les comportements et les infractions discriminatoires.

Aujourd’hui comme hier, la nécessité de transposer certaines directives communautaires constitue un aiguillon dans la poursuite de la lutte contre les discriminations en France.

Le présent projet de loi, en respectant les exigences de la Commission européenne, donne des définitions précises des discriminations directes et indirectes, ainsi que du harcèlement. Il étend le champ des discriminations interdites en en fixant la liste. Il instaure une protection contre les mesures de rétorsion et renforce les garanties données aux victimes.

Je souhaite ajouter que le groupe de l’UMP soutient ce projet de loi, dont l’adoption s’impose au moment où la France s’apprête à exercer la présidence de l’Union européenne.

Madame le secrétaire d’État, si elle est consciente des contraintes qui sont les vôtres en matière de transposition, la commission des affaires sociales, à laquelle j’appartiens, s’inquiète de possibles dérives à partir de ce texte très protecteur. Nous souhaitons donc connaître votre sentiment à ce sujet.

Je conclurai en soulignant que si la répression des actes de discrimination est indispensable, il serait naïf de ne compter que sur son effet dissuasif pour les éradiquer : c’est également en amont qu’il faut intervenir. Parce qu’il s’agit surtout de changer les mentalités, la lutte contre les discriminations est une action de longue haleine. Elle doit relever d’autres politiques publiques, telles que les politiques relatives à l’école et à l’enseignement. §

Debut de section - PermalienPhoto de Annie David

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la discussion du présent projet de loi aurait pu être un grand moment pour notre pays.

Nous aurions pu, enfin, nous doter d’outils juridiques performants pour répondre à l’attente de milliers de nos concitoyennes et concitoyens exclus, rejetés, discriminés pour des raisons diverses mais toujours douloureuses.

Elles ou ils sont chaque jour des dizaines à se voir refuser un poste en raison de leurs origines, des dizaines encore à rencontrer les plus grandes difficultés à se loger parce qu’ils n’ont pas le « bon » nom de famille, des dizaines à se voir refuser l’accès aux lieux de festivités, par exemple aux « boîtes de nuit », en raison de la couleur de leur peau, des centaines à ne pas progresser dans l’entreprise à cause de leur engagement syndical.

Elles ou ils sont nombreux encore à s’entendre dire : « désolé, mais l’expérience que vous avez acquise au cours de ces quinze dernières années est incompatible avec le poste que nous proposons », ou à ne pas parvenir, en raison de leur état de santé, à bénéficier d’un prêt.

Elles sont nombreuses à ne pas être embauchées parce qu’elles sont « femmes », à subir des salaires inférieurs à ceux de leurs collègues « hommes », ou bien à devoir répondre à des questions sur leurs projets de maternité. Et quand elles sont à la fois femmes et syndicalistes, …

Debut de section - PermalienPhoto de Annie David

… elles connaissent parfaitement l’inégalité de traitement !

Aussi, doit-on parler de discrimination, d’inégalité de traitement ? C’est sur ce point, madame Dini, que je ne pourrai vous suivre : pour moi, la cause est bien la discrimination, et le résultat l’inégalité de traitement !

Ce débat aurait pu être aussi l’occasion de présenter un bilan de l’application des textes existants en matière d’emploi. La persistance manifeste des inégalités, notamment professionnelles et salariales, entre les femmes et les hommes devrait inciter le Gouvernement à ne pas borner son ambition au perfectionnement de l’arsenal juridique de lutte contre les discriminations déjà existant, mais à s’attacher dorénavant à en améliorer l’application concrète. C’est d’ailleurs l’objet de l’une des recommandations que Mme Hummel a formulées au nom de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, recommandation que j’ai votée.

La liste des discriminations possibles est malheureusement bien longue, d’autant plus longue que l’État lui-même participe à ce mouvement discriminatoire.

Je pense par exemple au maintien de la non-équivalence pour certains diplômes de médecine, d’ailleurs dénoncé par la HALDE, situation à laquelle le Gouvernement a refusé de mettre un terme durant l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2008, alors que nous en faisions la proposition.

Je pense encore au droit de vote pour les résidents extracommunautaires. Elles, ils sont des milliers, régulièrement installés en France, à être exclus du processus démocratique. Ils participent, dans les associations de quartier ou de parents d’élèves, dans les organisations politiques et syndicales, à la démocratie locale, à l’enrichissement des idées et des projets, mais lorsqu’il s’agit de se doter de l’exécutif local et du projet municipal pour les appliquer, on leur retire tout droit ! Je me souviens pourtant avoir entendu un candidat à l’élection présidentielle se déclarer favorable au droit de vote pour les étrangers. Ce même candidat affirmait : « Je dis ce que je fais, et je fais ce que je dis. » Voilà encore une promesse que, une fois élu, il aura bien vite oubliée !

Les situations que je viens de décrire ne sont pas issues de mon imagination, d’autres avant moi s’y sont d’ailleurs référés : elles se retrouvent dans les résultats d’une enquête menée en France de fin 2005 à mi-2006 sous l’égide du Bureau international du travail et de la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques, la DARES, qui a mis au jour ce que nous savions déjà mais dont la dimension devrait tous nous alerter.

Les conclusions de cette enquête, remises en mars 2007, nous apprennent que « près de quatre fois sur cinq, un candidat à l’embauche d’origine hexagonale ancienne sera préféré à un candidat d’origine maghrébine ou noire ». Cette étude publique a suscité la rédaction commune de recommandations par la HALDE et le Bureau international du travail, dont on peut regretter qu’elles n’aient pas toutes été suivies par le Gouvernement.

La Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité a par ailleurs reçu, en 2006, plus de 4 000 réclamations. Le chiffre est important, mais sans doute en deçà de la réalité. Comment pourrait-il en être autrement, quand on sait l’ambiance qui règne dans certaines entreprises, mais également dans la fonction publique ? Comment pourrait-il en être autrement, quand l’existence de la HALDE est trop souvent méconnue, quand les missions, les compétences, les moyens et l’organisation de cette autorité sont insuffisants pour qu’elle puisse répondre aux attentes ?

Ainsi, on découvre dans le rapport remis par la HALDE pour l’année 2006 que 35 % des réclamations étaient fondées sur des motifs liés à l’origine du requérant, près de 16 % sur son état de santé, 6 % sur son âge, 5 % sur son sexe, 3 % sur son activité syndicale. On le voit, le champ des discriminations est large ! Il est important et évolutif, du fait de l’émergence de nouvelles formes de discrimination ou de l’expansion de plus anciennes, comme celles qui sont liées au harcèlement au travail. Cette évolution a d’ailleurs été remarquée par M. Louis Schweitzer, président de la HALDE, qui constate « l’importance des réclamations portant sur le harcèlement au travail » et précise que ce dernier « est pratiqué par l’employeur, ou bien par les collègues des salariés ».

Pour autant, et malgré la reconnaissance – unanime dans cette enceinte, je dois le souligner – dont jouit la HALDE, le projet de loi ne répond pas aux recommandations que celle-ci a émises à son sujet !

Puisque les discriminations évoluent, il semble clair que notre législation doit en faire autant. Tel n’est pas suffisamment le cas avec ce texte, nul ici ne peut le nier, et les actions lancées par la Commission européenne à l’encontre de la France sont là pour nous le rappeler : deux mises en demeure, un avis motivé, un ultimatum pour la mi-août. Mme Dini, dans son rapport, en fait état : « À trois mois de la présidence française de l’Union, le texte vise donc avant tout, de l’aveu même du Gouvernement, à mettre la France à l’abri de ces procédures judiciaires. »

Si je veux bien admettre que, en soi, cet objectif n’est pas contestable, il ne peut être le seul. Au regard de la transposition, dont chacun s’accorde à dire qu’elle est minimaliste et manque d’ambition, cet argument est à mes yeux irrecevable : le projet de loi est la conséquence de l’ultimatum européen plus que d’une réelle volonté de faire avancer la lutte contre toutes les discriminations.

Par ailleurs, lorsque je vous ai interrogée en commission, madame la secrétaire d’État, sur le caractère quelque peu précipité de cette transposition, vous avez répondu que la France voulait éviter d’être une nouvelle fois sanctionnée, et ce d’autant plus qu’elle s’apprête à assurer la présidence de l’Union européenne. Il faut donc sauvegarder les apparences d’une France qui répond aux exigences européennes.

Peu importe si les transpositions ont huit ans de retard : ce qui compte, c’est que le jour « J », le jour où tous les regards seront braqués sur la France, nous soyons à jour de cette transposition.

Peu importe alors si les associations, les organisations syndicales, n’ont pas été consultées.

Peu importe si les représentants de celles et ceux qui subissent au quotidien les discriminations n’ont pas été associés. Ils auraient pourtant pu apporter aux rédacteurs du projet de loi un peu du vécu des milliers de nos concitoyennes et concitoyens pour qui la discrimination est non pas un vain mot, mais une souffrance au quotidien. Je crois sincèrement que, si l’on avait procédé ainsi, le texte qui nous est présenté aujourd’hui n’en aurait été que meilleur.

Peu importe si les dispositions de ce projet de transposition ne sont pas codifiées et viennent se superposer aux textes existants. On passe ainsi outre à une autre des recommandations de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, qui « déplore que le dispositif proposé par le projet de loi risque d’ajouter à la complexité du droit français dans un domaine où il est pourtant indispensable que le droit puisse être bien compris par les justiciables. Elle invite donc le Gouvernement à améliorer la cohérence des régimes juridiques applicables et, notamment, à rechercher une meilleure harmonisation des différents critères de discrimination utilisés dans le droit français, qu’ils soient ou non issus du droit européen. »

Dans ces conditions, je fais miens les propos de Mme Hummel : même si la solution retenue par le Gouvernement constitue sans doute la voie la plus rapide et la plus prudente, j’estime que des progrès restent à accomplir pour rendre le dispositif de lutte contre les discriminations plus accessible et plus compréhensible par les victimes de celles-ci.

Que ce soit en raison de l’urgence ou à cause du manque de concertation, force est de constater que le Gouvernement se cantonne à une transposition qui se veut stricte, mais ne l’est même pas toujours. En effet, si je veux bien admettre, là encore, l’argument selon lequel vous avez voulu transposer la directive en des termes identiques, pourquoi, alors, avoir refusé de transposer dans son intégralité la définition européenne du harcèlement sexuel ? Cet exemple, que je déplore d’ailleurs, est la preuve que « transposition » ne signifie pas « stricte reproduction » de la directive européenne !

Les gouvernements nationaux, vous le savez bien, disposent d’une certaine latitude pour modifier le texte initial. Je rappelle à ce propos les termes du premier alinéa de l’article 6 de la directive 2000/43 : « Les États membres peuvent adopter ou maintenir des dispositions plus favorables à la protection du principe de l'égalité de traitement que celles prévues dans la présente directive. » On peut donc faire mieux !

Qui plus est, quelques mois nous séparant encore de la date d’échéance pour la transposition de la dernière directive, vous auriez pu mettre ce délai à profit pour enrichir votre projet de loi. Vous auriez pu, par exemple, réfléchir au renforcement de la HALDE par l’extension de ses missions, par l’augmentation de ses ressources, ou encore par l’établissement d’un représentant dans chacune des régions. Je regrette à ce propos que la commission des finances ait invoqué l’article 40 de la Constitution contre un amendement que j’avais déposé et qui visait à créer des délégations régionales de la HALDE. Je ne pourrai donc pas le défendre tout à l’heure, ce que je déplore vivement.

Rien non plus ne figure dans le projet de loi sur la question des négociations triennales obligatoires sur l’égalité professionnelle, alors qu’on sait qu’elles ne sont pas toujours menées et qu’elles ne conduisent que rarement à des évolutions concrètes, se limitant presque toujours à de simples constats. Pourtant, l’accablant rapport publié il y a peu sur ce thème par le Conseil économique et social aurait dû vous alerter : non seulement les femmes demeurent moins bien payées que les hommes, mais les emplois qu’elles occupent sont aussi plus « flexibles » et plus précaires.

Je regrette également que vous ayez eu recours au mot « race », dont l’utilisation dans la formule « discriminer à raison de la race » laisse supposer qu’il y aurait plusieurs races. Avec mes collègues, je m’inscris en faux contre cette idée qui, de fait, renvoie à une possible différence non fondée en droit mais permettant la survivance de thèses des plus révisionnistes, des plus xénophobes, au nom desquelles tant de crimes ont déjà été commis.

Pour conclure, j’indiquerai que, s’il reste en l’état, ce texte, attendu par les associations, ne résoudra pas la majorité des difficultés que rencontrent nos concitoyens, d’autant que, ici même, la majorité gouvernementale a décidé d’abaisser de trente ans à cinq ans les délais de prescription en matière civile.

Ainsi, la période durant laquelle un de nos concitoyens ou une de nos concitoyennes victime de discrimination pourra faire valoir ses droits devant la juridiction civile se trouvera considérablement réduite. J’ai bien entendu les propos de M. Hyest et pris connaissance de l’amendement qu’il a déposé à ce sujet, j’ai bien compris que, pour la réparation, il serait tenu compte de la durée totale de la discrimination subie, mais un délai de cinq ans me paraît malgré tout trop court. J’y reviendrai lorsque cet amendement sera examiné.

De plus, il me semble que la conjonction du présent projet de loi et du texte réaménageant les délais de prescription pourrait se résumer par cette expression : « Ce que je donne d’une main, je le reprends de l’autre. » Cela est d’autant plus vrai que l’article 1er du projet de loi que nous examinons aujourd’hui organise de fait une hiérarchisation des discriminations. Là encore, j’y reviendrai lors de la discussion des articles.

En d’autres termes, ce projet de loi n’est pas réellement créateur de droits. C’est la raison pour laquelle mes collègues du groupe communiste républicain et citoyen et moi-même avons déposé un certain nombre d’amendements visant à l’améliorer. Vous comprendrez donc, mes chers collègues, que du sort que vous leur réserverez dépende la position de mon groupe sur l’ensemble du texte.

Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Bariza Khiari

Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, je voudrais tout d’abord remercier Mme Dini de la qualité de son rapport, car il donne à réfléchir.

En effet, au-delà du droit, madame le rapporteur, et dépassant la dimension « subliminale » du sujet qui nous occupe, vous posez la question de notre modèle, de ses limites, voire de sa dissolution dans l’espace européen. Je vous remercie par conséquent d’être allée au fond des choses. Au-delà de nos divergences sur un certain nombre de points, il était important, me semble-t-il, de marquer ainsi l’importance de notre modèle républicain.

Depuis quelques années, les études, les publications, les colloques portant sur la lutte contre les discriminations se succèdent à un rythme de plus en plus soutenu. Cette problématique, autrefois évacuée, s’est imposée à tous les acteurs de notre société : les entreprises au travers de la charte de la diversité, les partis politiques au travers de la promotion de la diversité dans leur offre politique.

Devant ce foisonnement d’initiatives, il y a quelque chose de surprenant et de paradoxal à constater la timidité, voire l’ambiguïté, des avancées législatives nationales. J’en veux pour preuve l’adoption par voie parlementaire du CV anonyme, disposition introduite dans la loi pour l’égalité des chances.

Debut de section - PermalienPhoto de Bariza Khiari

Est-il utile de le rappeler, les discriminations sont, pour ceux qui en sont victimes, de vraies morts sociales.

La disposition que j’évoquais à l’instant, dont l’introduction résulte de l’adoption d’un amendement de M. About et que j’ai défendue avec d’autres dans cet hémicycle, n’a toujours pas de portée réelle, faute de décret d’application !

Debut de section - PermalienPhoto de Bariza Khiari

J’espère, madame la secrétaire d’État, que vous pourrez nous répondre sur ce point.

Voilà donc un domaine où le Gouvernement a fait preuve de timidité, pour ne pas dire d’absence de volontarisme, auprès des partenaires sociaux, alors même que le CV anonyme est un outil de promotion de l’égalité républicaine qui trouverait toute sa place dans notre tradition méritocratique.

L’ambiguïté du Gouvernement a été manifeste quand, à l’occasion de l’examen du projet de loi relatif à la maîtrise de l’immigration, à l’intégration et à l’asile, et au motif de lutter contre les discriminations, il a proposé la création de statistiques ethnoraciales. C’était en quelque sorte faire porter la responsabilité des inégalités sur des considérations ethniques et créer ainsi les conditions de l’ « ethnicisation » de la question sociale.

M. le président de la commission des affaires sociales acquiesce.

Debut de section - PermalienPhoto de Bariza Khiari

Cette initiative, heureusement écartée par le Conseil constitutionnel, est la caricature d’une certaine pensée en matière de lutte contre les discriminations.

Toutefois, cette mauvaise volonté nationale manifeste doit néanmoins s’accommoder des obligations européennes. Ainsi, la création de la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité, qui s’est imposée comme un instrument majeur de lutte contre les discriminations, est issue d’une obligation européenne et non pas d’une volonté politique nationale.

C’est donc à coup d’éperons européens, et non en conséquence d’une mobilisation nationale, que nous sommes amenés à débattre de cette question. Le souci de ne pas risquer de faire l’objet d’une procédure judiciaire pendant la présidence française de l’Union européenne explique le dépôt de ce projet de loi de transposition.

C’est dans ces circonstances, madame la secrétaire d’État, que le Parlement hérite d’un projet de loi élaboré à la hâte et qu’il lui revient de discuter en urgence. Or, étant donné les difficultés de forme et de fond posées par ce texte, une navette parlementaire complète aurait été nécessaire.

Depuis la loi de 2001 relative à la lutte contre les discriminations et la création de la HALDE, notre droit s’était appliqué à uniformiser les dispositifs, mettant au même niveau les peines encourues et les procédures à suivre, quel que soit le motif de la discrimination.

Ainsi, la présente transposition pose non seulement un problème de lisibilité, mais aussi un problème de principe : la hiérarchisation et la différenciation des discriminations vont à l’encontre de la tradition de notre droit, qui fait de l’égalité un principe commun d’unité. Ce point est d’ailleurs fortement souligné par Mme le rapporteur, qui évoque même des dérives communautaristes possibles.

À titre d’exemple, en première lecture à l’Assemblée nationale, une disposition autorisant l’organisation d’enseignements non mixtes a été adoptée et inscrite à l’article 2. Or cette disposition, en soi si contraire à nos pratiques et à nos valeurs, ne figure dans aucune des directives européennes à transposer ! Nous demanderons donc la suppression de cette disposition, mais cela en dit long sur la logique qui sous-tend ce projet de loi.

De même, toujours à l’article 2, il est rappelé que le texte ne fait pas obstacle à la possibilité, pour les sociétés d’assurance, de mettre en place des tarifs différenciés selon le sexe et en fonction des prestations.

Cette disposition a déjà été transposée dans notre droit interne en décembre 2007, sans susciter davantage de débat. Or il convient de rappeler que cette exception du tarif différencié au principe de l’égalité de traitement ne devait pas figurer dans la directive et que ce n’est qu’après un intense lobbying des assureurs qu’elle y a été intégrée.

Dès lors, et bien que l’article L. 111-7 du code des assurances encadre ces possibilités de dérogations, il faut s’interroger sur le bien-fondé de cette exception : on sait, par exemple, que les jeunes conductrices ont moins d’accidents de voiture que les jeunes conducteurs ; on pourrait justifier qu’elles puissent bénéficier d’un tarif inférieur. De ce point de vue, une telle inégalité de traitement serait plus juste qu’un tarif commun. Un raisonnement similaire peut être tenu concernant l’assurance-vie.

Cet exemple touche directement à la distinction délicate entre l’inégalité de traitement et la discrimination. On peut arguer que le tarif différencié, établi à partir de données actuarielles, de tables de risques et d’éléments étrangers au conducteur, constitue une discrimination dans la mesure où il méconnaît le comportement individuel de la personne. Par ailleurs, il faudra un jour s’interroger sur la prise en considération de données statistiques et prétendument prédictives dans la loi.

À l’inverse, d’autres soutiennent que le tarif différencié est non seulement juste, mais optimal, dans la mesure où il est légitimé par les calculs de risques. Selon ce raisonnement, l’inégalité de traitement n’est plus une discrimination, alors que l’égalité de traitement en serait une.

Il est vrai que la distinction est difficile à établir et que notre réflexion n’est pas complètement aboutie. Il est vrai également que l’introduction dans notre droit de la notion de discrimination ne va pas sans produire des tensions fortes avec notre conception de l’égalité républicaine.

Dans votre rapport, madame Dini, vous évoquez également les problèmes posés par l’absence de codification des définitions portant sur les discriminations directes et indirectes. C’est une préoccupation que je partage.

Je conteste, pour ma part, la logique de différenciation entre les discriminations : en instituant des régimes de protection différenciés, le projet de loi, qui se contente de « copier-coller » les directives, établit une hiérarchie entre les discriminations.

Notre code pénal retient, quant à lui, quinze motifs de discrimination. En matière civile, seuls sept critères de discrimination seront donc retenus. Cette dissymétrie sera source de confusion. On notera aussi l’absence du critère portant sur l’état de santé, qui représente aujourd’hui un motif important de saisine de la HALDE.

Je partage certaines de vos réserves, madame le rapporteur, sans toutefois vous suivre concernant l’aménagement de la charge de la preuve, que vous présentez comme la généralisation d’une présomption de culpabilité. Les études attestant de l’ampleur des pratiques discriminatoires sont légion, les dernières en date étant celle du Bureau international du travail de mai 2007 et celle de l’INSEE intitulée Femmes et hommes-Regards sur la parité, parue en février 2008.

Nous sommes dans une société où les pratiques discriminatoires sont massives et, en dépit de nos efforts, elles sont encore considérées comme naturelles. Il suffit, pour s’en convaincre, de compter, sur les doigts d’une main, les plaintes au pénal qui aboutissent en matière de discrimination, en dépit d’un arsenal juridique important.

C’est pourquoi la généralisation de l’aménagement de la charge de la preuve, quel que soit le motif de la discrimination, est une disposition qui constitue une avancée importante. Elle est, à mon sens, indispensable pour que les employeurs et les bailleurs réfléchissent à leurs façons de procéder et se départissent ainsi de leurs mauvaises pratiques.

C’est également dans cet esprit que je défendrai un amendement tendant à l’intégration d’un nouveau chapitre dans le bilan social des entreprises, portant sur la lutte contre les discriminations et la promotion de l’égalité.

J’avais souhaité déposer un amendement au code des marchés publics, afin que l’engagement d’une entreprise en faveur de la lutte contre les discriminations devienne, tout comme son engagement en matière de développement durable, l’un des critères d’attribution d’un marché. Or le code des marchés publics n’est plus modifiable par la voie parlementaire. Des dispositions autrefois législatives sont devenues réglementaires et le législateur, dont l’intervention serait pourtant opportune en la matière, n’a plus la possibilité d’agir.

Par ailleurs, nous avons déposé un amendement visant à supprimer du texte le mot « race ».

La notion de « race » est apparue pour la première fois dans notre droit sous le régime de Vichy. Utiliser ce terme, fût-ce pour prohiber les discriminations, concourt à légitimer son existence, alors même que des travaux récents de biologie et de génétique ont conclu à l’inexistence de toute race dans l’espèce humaine.

Debut de section - PermalienPhoto de Bariza Khiari

Cette contradiction entre le droit et la science n’est pas sans conséquence. Certes, la suppression dans le texte du mot « race » ne fera pas disparaître le racisme, mais notre droit cessera d’entretenir, dans l’imaginaire des individus, la force du préjugé.

Enfin, je défendrai un amendement qui s’inscrit dans une réflexion plus générale sur les emplois dits « fermés ».

(M. le président de la commission des affaires sociales sourit.) Il y eut même un parlementaire, dont je ne souhaite pas retenir le nom, qui déposa un amendement visant à interdire l’accès à ces emplois aux Français naturalisés de la quatrième génération !

M. Michel Dreyfus-Schmidt s’exclame.

Debut de section - PermalienPhoto de Bariza Khiari

Aujourd’hui, 600 000 emplois du secteur privé et libéral – je ne parle pas des emplois publics – sont, en droit, non accessibles aux étrangers extracommunautaires. Or ces réglementations restrictives datent des années trente, époque de fortes tensions xénophobes. Les médecins, les vétérinaires, les avocats, les pharmaciens, suivis des membres des autres ordres, étaient fort bien représentés au Parlement et ont obtenu le vote de ces mesures protectionnistes, au nom de l’intérêt général. §

Les fondements de ces restrictions législatives et réglementaires sont historiquement datés, économiquement obsolètes et moralement condamnables. Surtout, ces restrictions constituent des obstacles administratifs humiliants et inutiles : un étudiant étranger ayant obtenu son diplôme d’architecte en France doit s’engager dans une démarche dérogatoire pour obtenir son inscription à l’ordre. Il suffirait de supprimer la condition de nationalité, tout en préservant, bien sûr, la condition de détention d’un diplôme français, pour donner un nouveau souffle, un nouveau sens, une nouvelle orientation à notre politique de lutte contre les discriminations. Je reviendrai plus longuement dans le cours du débat sur cette proposition, soutenue par l’Ordre des architectes et qui, si elle était adoptée, ne modifierait en rien l’ordre du monde, mais ferait honneur au législateur.

Le Parlement devra un jour se pencher sur l’ensemble des emplois dits « fermés ». Il n’est pas normal qu’une sage-femme ou un géomètre disposant d’un diplôme français ne puissent pas, parce qu’ils sont étrangers, exercer leur métier dans notre pays. Les discriminations légales entraînant par effet de système les discriminations illégales, leur périmètre doit être restreint aux emplois touchant à la sécurité nationale.

(Mme la secrétaire d’État et M. le président de la commission des affaires sociales approuvent.) De ce fait, la vision anglo-saxonne libérale communautariste l’emporte sur une conception républicaine de l’égalité et des rapports sociaux.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Bariza Khiari

Pour conclure, je déplore comme vous, madame le rapporteur, que nous n’ayons pu faire valoir en amont nos valeurs lors des négociations communautaires. §

Debut de section - PermalienPhoto de Nicolas About

Nous le déplorons d’autant plus que c’est un gouvernement socialiste qui a conduit ces négociations !

Debut de section - PermalienPhoto de Roger Madec

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, notre assemblée est conduite à examiner cet après-midi un projet de loi portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations.

Si les objectifs visés au travers du projet de loi ne peuvent naturellement que recueillir le consensus de tous les groupes politiques, il convient, à mon sens, d’apporter à ce texte, qui apparaît en l’état actuel des choses inachevé, des améliorations par voie d’amendements.

En outre, si la Commission européenne a mis en demeure la France d’adapter son droit aux nouvelles dispositions européennes, cela ne doit pas être fait dans la précipitation et dans l’imprécision.

Je reviendrai sur quelques points qu’il me semble important de relever.

Tout d’abord, comme vient de le rappeler Bariza Khiari, il est particulièrement choquant que le projet de loi tende à rétablir une hiérarchie entre les discriminations, alors que le législateur s’est attaché, depuis 2001, à uniformiser les dispositifs tant pour les procédures judiciaires que pour les peines encourues. Par le biais d’une transposition a minima, ce texte introduit deux niveaux de protection selon la nature et le motif de discrimination.

Ainsi, l’article 2 du projet de loi vise à créer des protections supplémentaires pour les victimes de discriminations liées à la race, notamment en matière de protection sociale, de santé et d’éducation, domaines actuellement non explicitement couverts par les lois antidiscrimination, sans les étendre aux autres victimes de discriminations, notamment celles qui sont liées au handicap ou à l’orientation sexuelle. On peut donc s’interroger sur la constitutionnalité d’une telle disposition, qui permettrait une différence de traitement entre les victimes.

Je tiens également à rappeler que, en matière de discrimination liée à l’orientation sexuelle, les associations spécialisées indiquent que de nombreuses personnes homosexuelles, ainsi que la plupart des personnes séropositives, déclarent être victimes ou avoir été victimes d’un événement discriminatoire sur leur lieu de travail ou au cours de leur vie sociale ou privée.

Cette enquête est corroborée par une étude de la HALDE sur l’homophobie dans l’entreprise, réalisée auprès de 1 413 salariés se déclarant homosexuels et rendue publique au mois de mars dernier. Selon les conclusions de cette étude, 85 % des personnes interrogées affirment avoir déjà ressenti une homophobie implicite pouvant prendre différentes formes – rejet, dénigrement ou harcèlement –, et 40 % d’entre elles ont déjà été directement victimes d’insultes, de dégradations ou de violences physiques.

Par ailleurs, le projet de loi tel qu’il nous est présenté est inachevé, puisqu’il réduit la portée de la directive.

En effet, le droit communautaire impose aux États membres de permettre aux associations d’ester en justice. En l’état actuel du droit, les associations peuvent agir devant les juridictions pénales et prud’homales, mais pas devant le tribunal administratif. Ainsi, les agents de la fonction publique victimes de discrimination ne peuvent bénéficier de l’assistance juridique d’une association en cas de conflit devant la justice administrative. Le groupe socialiste a déposé des amendements visant à remédier à cette carence.

Enfin, je regrette que le projet de loi ne codifie que partiellement les dispositions nouvelles. Aujourd’hui, les mesures relatives à la lutte contre les discriminations sont disséminées dans différents textes de loi ou codes. Cette organisation de la loi rend notre droit peu lisible et peu accessible aux victimes de discriminations.

Comme l’ont indiqué mes collègues Jacqueline Alquier et Bariza Khiari, le groupe socialiste et apparentés défendra de nombreux amendements tendant à améliorer ce projet de loi qui donne, je le redis, l’impression d’être inachevé, et il sera attentif au sort qui leur sera réservé.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.

Debut de section - PermalienPhoto de Roland du Luart

La discussion générale est close.

La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Debut de section - Permalien
Valérie Létard, secrétaire d'État

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je commencerai par répondre à une question que m’a posée Mme le rapporteur à propos de nos chances de succès en cas de recours devant la Cour de justice des Communautés européennes, la CJCE.

S’agissant de la comparaison hypothétique et de l’emploi du conditionnel, la CJCE a déjà tranché dans un arrêt Dekker et un arrêt Perry.

D’une manière générale, il s’avère que la Commission européenne obtient gain de cause dans plus de 95 % des cas devant la CJCE. Les sanctions financières sont alors souvent assez lourdes, ce qui engage la responsabilité de l’État… Cela ne signifie pas pour autant qu’il faille occulter cette possibilité, dans la mesure où l’issue est positive dans 5 % des cas, mais, eu égard aux deux arrêts précités, le succès d’une telle démarche nous semble compromis.

S’agissant de la concertation, madame Alquier, nous avons soumis ce projet de loi à la HALDE, qui a pu présenter le point de vue des victimes de discriminations. Nous avons en outre consulté les partenaires sociaux, tels que la Commission nationale de la négociation collective ou le Conseil supérieur de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, et reçu plusieurs représentants d’associations.

Un travail de concertation a donc bel et bien été mené, et ce dans les délais qui nous étaient impartis. Certes, nous aurions pu consulter un nombre plus grand encore d’intervenants, mais nous en avons entendu beaucoup, en particulier les plus importants d’entre eux.

Vous avez eu raison, madame Dini, madame Hummel, de souligner que l’inégalité de traitement et la discrimination sont deux choses différentes. Le projet de loi fait bien la distinction et utilise les deux expressions à des fins différentes. À cet égard, nous n’abandonnons rien de notre tradition juridique et du principe d’égalité qui la sous-tend. Les directives et le projet de loi complètent le cadre juridique existant, mais ne s’y substituent pas.

Il est vrai que les comparaisons hypothétiques nous sont imposées par la directive ; nous n’avons pas le choix. Toutefois, je tiens à le dire, cela est sans conséquence sur la façon dont la HALDE pourra recourir au testing, une pratique précisée dans la loi du 30 décembre 2004, modifiée en 2006, et à laquelle nous ne touchons absolument pas.

Dans le droit français, nous procédons déjà par comparaisons hypothétiques, pour ce qui concerne les reconstitutions de carrière ou les indemnisations de la perte de chances en matière de responsabilité hospitalière, par exemple.

J’indiquerai à Mme Khiari que le mot « race » figure à l’article 1er de notre Constitution, ainsi que dans la loi du 30 décembre 2004. Au demeurant, les directives indiquent clairement que l’usage de ce terme ne signifie en aucun cas une quelconque adhésion à de sinistres théories à caractère raciste. Certes, cette situation peut paraître insatisfaisante, mais la logique de la transposition amène l’utilisation de certains termes.

Concernant l’enseignement, mesdames Khiari, Hummel et Gautier, le projet de loi ne remet pas en cause le principe de mixité dans l’éducation nationale ; il préserve la liberté d’organisation de tous les établissements d’enseignement. C’est la conséquence du principe de liberté d’enseignement, à valeur constitutionnelle. Notre pays a toujours réussi à concilier la mixité à l’école publique avec le principe de liberté d’enseignement. La disposition présentée vise à assurer la poursuite de cette conciliation et à préserver les libertés acquises, sans constituer un recul pour quiconque.

Mesdames Gautier et Hummel, le contenu des médias et de la publicité est explicitement laissé hors champ de la directive 2004/113/CE. Cette dérogation rend d’autant plus nécessaire, j’en conviens, un travail sur l’image de la femme dans les médias. Comme vous l’avez rappelé, mesdames les sénatrices, la commission Reiser, qui a été mise en place voilà quelques semaines, formulera des propositions concrètes pour progresser plus vite, en partenariat avec les experts, les associations, mais aussi les professionnels du monde des médias. L’objectif est d’élaborer de manière concertée des préconisations qui pourront, le cas échéant, s’inscrire dans une charte ou déboucher sur des dispositions législatives.

S’agissant du harcèlement sexuel et de sa définition, madame Dini, l’article L. 122-46 du code du travail n’a pas été modifié, car il a des conséquences pénales en vertu de l’article L. 152-1-1. Nous avons voulu maintenir une définition pénale autonome. Cela n’est pas illégitime, car les conséquences d’un procès pénal ne sont pas les mêmes que celles d’un procès civil. En revanche, fortement encouragés par les associations concernées, nous avons décidé de créer un groupe de travail sur les violences faites aux femmes, qui réfléchit à l’amélioration de la définition pénale du harcèlement sexuel.

En ce qui concerne les associations, madame Alquier, monsieur Madec, nous procéderons par décret sur ce sujet, qui relève du domaine réglementaire. La règle nouvelle s’appliquera aux fonctionnaires. Nous conservons le critère des cinq ans, que l’on retrouve en de multiples occurrences dans notre droit. Être assistées par des acteurs expérimentés et ayant fait leurs preuves constitue une garantie pour les victimes.

Monsieur Hyest, je comprends que vous souhaitiez lever un malentendu sur la portée de la proposition de loi prévoyant une réforme d’ensemble des règles de prescription en matière civile qui a été adoptée par le Sénat et dont vous êtes l’un des co-auteurs.

Il me semble cependant préférable d’engager ce débat à l’occasion de l’examen de cette proposition de loi par l'Assemblée nationale. Cela me paraît plus cohérent et plus satisfaisant. Pour garantir la lisibilité de la future réforme des règles de prescription, il serait souhaitable de ne pas en éparpiller le contenu.

Madame Henneron, vous avez raison de dire que la lutte contre les discriminations participe de la cohésion sociale. Vous avez souligné, avec Mme David, le rôle de la HALDE en matière de mesure de l’importance des discriminations ; pour ma part, je voudrais également rappeler son rôle en termes de prévention, par exemple lorsqu’elle diffuse les bonnes pratiques qu’elle a constatées.

L’accompagnement des entreprises constitue d’ailleurs un axe fort de l’action du Gouvernement. À cet égard, je signale que nous mettrons dès cet été à la disposition des employeurs un nouveau rapport de situation comparée, qui leur permettra de définir des plans d’action en faveur de l’égalité professionnelle et salariale entre les hommes et les femmes. Pour garantir l’adoption de tels plans, le Gouvernement proposera d’adopter le principe d’une sanction financière applicable aux entreprises qui n’auront rien fait d’ici au 31 décembre 2009.

Mme David a en outre insisté sur les discriminations liées à l’origine. Comme elle l’a rappelé, l’étude conjointe réalisée par le BIT et la DARES présente des chiffres alarmants sur ce plan. Je profite de l’occasion qui m’est donnée pour souligner la force des dispositions du projet de loi en la matière, car tous les domaines sont couverts, qu’il s’agisse de l’accès aux biens et aux services, de l’emploi, de l’éducation, de la santé ou de la protection sociale.

S’agissant du CV anonyme, mesdames Alquier et Khiari, les partenaires sociaux ont prévu, dans le cadre de l’accord national interprofessionnel sur la diversité dans l’entreprise signé le 19 octobre 2006, de dresser un bilan des expérimentations conduites en la matière. Le Gouvernement en tirera tous les enseignements utiles en vue de prendre les textes d’application de la loi instaurant le CV anonyme ; nous ne pouvons nous passer, dans ce domaine, de l’expertise des partenaires sociaux.

Enfin, Mme Gautier m’a interrogée sur la révision générale des politiques publiques et sur le Service des droits des femmes et de l’égalité, le SDFE.

La modification de l’organisation administrative de l’État a pour objet d’améliorer la qualité de nos administrations, qui devront toutes s’adapter aux exigences de modernisation. Elle nous incite à imaginer des solutions nouvelles, à réduire la mosaïque des petites structures pour en faciliter notamment le fonctionnement, avec une gestion mutualisée de leurs moyens.

À ce jour, rien n’est arrêté définitivement quant au positionnement du SDFE et de son réseau déconcentré. Il est impératif d’en conserver la spécificité et de préserver la lisibilité de son action à deux échelons, quelles que soient les configurations adoptées.

À l’échelon central, l’intégration de ce service dans une grande direction est envisagée, mais cette hypothèse n’est pas incompatible avec le maintien, voire le renforcement, d’une politique transversale et interministérielle de l’égalité entre les hommes et les femmes.

À l’échelon régional, la circulaire du Premier ministre du 19 mars dernier a prévu huit structures administratives. Des aménagements sont néanmoins possibles avec cette configuration, et nous suivons deux pistes de réflexion : le rattachement auprès du préfet, dans l’équipe du SGAR, le secrétariat général aux affaires régionales, ou l’intégration dans la direction régionale de la cohésion sociale, en maintenant une entité chargée des droits des femmes et de l’égalité qui soit visible et dont la mission serait de poursuivre l’approche intégrée de l’égalité dans toutes les politiques publiques.

Dans les départements, rien n’est arrêté, mais les mêmes préoccupations m’animent, et je m’attacherai à ce que la politique de l’égalité continue d’être menée par tous les départements ministériels, à l’échelon central et sur l’ensemble du territoire.

Je pense avoir répondu de manière exhaustive aux différents orateurs. Au fil de l’examen des articles, j’essaierai de répondre plus précisément encore à vos questions et à vos propositions, mesdames, messieurs les sénateurs.

Applaudissements sur les travées de l ’ UMP et de l ’ UC-UDF.

Debut de section - PermalienPhoto de Roland du Luart

Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.

La séance est suspendue.

La séance, suspendue à dix-neuf heures, est reprise à vingt-et-une heures trente-cinq, sous la présidence de M. Philippe Richert.