Mes chers collègues, je vous invite à réfléchir sur les implications concrètes des eurobonds. Il faut bien peser ce que signifierait le recours à cette formule. En admettant que l’on parvienne à un accord de principe entre les États sur ce sujet, il faudrait des mois, voire des années avant de parvenir à un accord sur le dispositif technique, surtout si l’on raisonne à l’aune de l’accord du 11 mars, de portée purement technique et qui, six mois après sa conclusion, n’est toujours pas entré en vigueur. Par conséquent, si l’on en décidait le principe, les eurobonds arriveraient certainement après la bataille.
Sur le fond, et c’est plus grave, il faut comprendre que les eurobonds signifient une mutualisation permanente, et pas seulement en période de crise, de la dette souveraine. Cela revient à instituer une fédération budgétaire que l’Allemagne ne pourrait politiquement accepter qu’à la condition qu’elle dicte la politique budgétaire de l’ensemble de la zone euro. Mais encore faudrait-il qu’elle en ait la possibilité juridique. Or l’arrêt rendu par la Cour constitutionnelle de Karlsruhe, dont nous avons pu prendre connaissance hier matin, signifie que l’Allemagne ne saurait s’engager dans une construction qui aliénerait sa liberté de décision sur le plan national.
En tout état de cause, peut-on raisonnablement penser que l’Allemagne ou même la France accepteraient d’être conjointement responsables de l’ensemble de la dette souveraine de tous les autres membres de la zone euro ? Bien sûr que non ! Or, sans garantie conjointe, il est possible que les eurobonds obtiennent une notation plus proche de celle des maillons faibles de la zone que de celle des maillons forts, à savoir l’Allemagne, la France et les États bénéficiant aujourd’hui du « triple A ».
La commission des finances suggère, dans le rapport écrit auquel je vous renvoie, une piste qui nous semble plus prometteuse.
De quoi a-t-on besoin ? Nous avons besoin d’un instrument qui empêche les États de la zone euro de diverger sur le plan budgétaire et qui dissuade les investisseurs d’utiliser le risque de défaut comme un facteur de différenciation entre les économies de pays partageant la même monnaie. Autrement dit, nous avons besoin d’un instrument qui rende confiance. Il y a certes des obstacles politiques à éviter, notamment que les contribuables des pays du cœur de l’Europe aient le sentiment de payer pour renflouer les États les moins vertueux.
Pour éviter cela, on peut se référer à une proposition de création d’un Fonds monétaire européen ayant lui-même le statut de banque, fonctionnant non pas à partir de garanties apportées par les États, comme l’actuel Fonds européen de stabilité financière ou le futur Mécanisme européen de stabilité, mais grâce au financement de la Banque centrale européenne. Le Fonds monétaire européen pourrait imposer aux États une conditionnalité en toute transparence, sortant ainsi la Banque centrale européenne des ambiguïtés dans lesquelles la placent ses interventions actuelles.
La commission des finances estime qu’une telle option est porteuse d’avenir, qu’elle ferait évoluer utilement la politique monétaire dans la zone euro, qu’elle est parfaitement compatible avec le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, qu’elle ne nécessite pas de révision de celui-ci à l’unanimité des États.