Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, d’un côté, 8 300 élèves supplémentaires sont inscrits dans l’enseignement primaire en cette rentrée 2011 et 80 000 dans l’enseignement secondaire ; de l’autre, en quatre ans, 66 000 postes ont été supprimés dans l’éducation nationale. Le simple rappel de ces chiffres, parfaitement officiels, publiés par les services de votre collègue Luc Chatel, madame la ministre, résume parfaitement ce qui s’est passé dans ce pays depuis le jour de mai 2007 où Nicolas Sarkozy est devenu Président de la République.
Depuis quatre ans, prolongeant en cela les orientations prises par la majorité de droite au pouvoir entre 2002 et 2007, le Gouvernement s’est attaché à procéder à une vaste opération de restriction de la dépense publique et de distribution aux grands intérêts privés. Les événements des dernières semaines et la présentation de ce projet de loi ayant remis cette question au premier plan, il est temps de faire tomber les masques et de dire de quoi il s’agit !
Première illustration de votre langue de bois : la crise aurait commencé en 2008, nous en étions à peine sortis en cette année 2011, mais voilà qu’une nouvelle réplique du séisme contraindrait à présenter ce projet de loi et, par voie de conséquence, la facture aux Français.
Ainsi donc, avant ce mois d’août 2008 où Lehman Brothers a déposé le bilan sans que les sages et instruites agences de notation ne s’en rendent compte, vu qu’elles notaient parfaitement ladite banque américaine quatre mois auparavant, nous n’avions pas quatre millions de chômeurs, huit millions de travailleurs pauvres et plus d’un million de mal-logés et d’allocataires du RSA !
Nous n’étions pas dans un pays où 150 000 jeunes sortent de l’école sans diplôme ni, souvent, sans maîtriser les outils élémentaires de communication orale et écrite, où la moitié des ménages salariés ne partent pas en vacances en été, où 15 % des habitants vivent sous le seuil de pauvreté...
Il n’y avait rien de tout cela et nous avancions, guidés par la sagesse des décisions gouvernementales, vers le progrès et la satisfaction des besoins collectifs…
Eh bien non, mes chers collègues, madame la ministre, la crise est là depuis longtemps, depuis si longtemps qu’on ne saurait presque dire le moment où elle a commencé...
On ne le sait plus mais...
La vérité, c’est que, depuis 1973, nous n’avons plus connu de loi de finances dont le solde définitif ait présenté un caractère positif.
Et les dernières années ont battu des records en la matière, puisqu’il s’est agi, à un moment donné, d’engager l’argent public pour venir au secours des banques qui avaient commencé à se méfier d’elles-mêmes.
Cela fait aussi de longues années que nous consacrons des sommes toujours plus considérables à l’allégement des impôts, singulièrement ceux des entreprises et des ménages les plus riches, au motif qu’en leur laissant plus de ressources financières à disposition, on créerait les conditions de la croissance et de la prospérité, ce qui, vous le savez, est faux.
J’ai fait procéder à une estimation du coût, pour les finances publiques, de la seule baisse du taux de l’impôt sur les sociétés, des exonérations de cotisations sociales et des réformes successives de la taxe professionnelle depuis 1985.
Le résultat s’élève à 700 milliards d’euros, mes chers collègues ! L’État a consacré à ces mesures et donc renoncé à 700 milliards d’euros…
C’est bizarre, nous ne vous entendons jamais, mes chers collègues, parler de ce gaspillage-là des deniers publics.
Je vous donnerai un exemple.
Ainsi mène-t-on une politique qui consiste à réduire continuellement les cotisations sociales appliquées aux bas salaires pour faciliter, prétendument, la création d’emplois.
Première observation : les cotisations sociales, ce n’est pas le « coût du travail », mes chers collègues, comme disent les économistes bien en cour et certains éditorialistes qui, bien sûr, leur font écho.
Non, les cotisations sociales, c’est une forme de salaire socialisé, partagé entre tous les acteurs de la vie économique, tous les salariés et leur famille pour faire face aux événements de la vie que peuvent être la maladie, la vieillesse – ce devrait être aussi le cas pour le grand âge et ce que l’on appelle la dépendance – ou encore la constitution de la famille.
C’est donc un choix collectif, consenti par celui qui travaille pour celui qui est malade, qui est âgé ou pour faciliter l’éducation de ses enfants ou des enfants des autres.
C’est l’expression d’un choix de solidarité collective, d’abord et avant tout, et en dernière instance !
Exonérer les entreprises du versement de ces cotisations, comme on le fait aujourd’hui, c’est tout simplement priver les salariés d’une partie du fruit de leur travail.
Mais ce premier hold-up se double d’un deuxième, celui qui veut que, pour faire face au financement des prestations ainsi désocialisées, on ait transféré des impôts, souvent des droits indirects d’ailleurs, pour alimenter les organismes sociaux et compenser la déperdition des ressources solidaires. Après avoir confisqué aux salariés le produit de leur travail, pour une partie, on leur a demandé de payer la facture par des impôts nouveaux ou maintenus...
Et, pour faire bonne mesure, est arrivé le troisième hold-up, celui qui veut qu’année après année on a rendu la couverture collective, fondée sur la solidarité et la mutualisation, de plus en plus mince en réduisant sans cesse le niveau des prestations sociales servies.
Il y a quelques instants, madame la ministre, vous avez dit ne pas vouloir faire peser ces mesures sur les Français. Mais le forfait hospitalier, le ticket modérateur, le parcours de soins, l’indexation des retraites ou des prestations familiales sur les prix, tout cela participe à cette mise en cause des garanties collectives et sociales.
Demandez-vous d’ailleurs, mes chers collègues, ce que cette mise en cause de la sécurité sociale a pu coûter à la croissance d’un pays où les salariés les plus modestes hésitent aujourd'hui de plus en plus à se faire soigner quand ils sont malades, où le pouvoir d’achat des retraités s’est réduit de 20 % depuis 1993, sans parler de la réforme Balladur sur les retraites !
En concentrant des sommes considérables à ainsi « alléger le coût du travail », la France crée de plus en plus d’emplois sous-qualifiés, de faible valeur ajoutée, et, en vertu de cela, nous perdons de plus en plus de compétitivité économique.
Autre exemple tout à fait instructif : cela fait quelques semaines que, au milieu du déferlement d’informations sur les agences de notation, la crise financière, les marchés boursiers et l’inexorable poids de la dette publique, toutes informations destinées à la fois à créer l’angoisse et à justifier l’austérité pour répondre aux défis posés, nous avons été abreuvés de discours et de controverses sur les niches fiscales. Il serait sans doute fastidieux de parler de tous les articles de presse qui ont porté sur la question.
Les paris, bien sûr, étaient ouverts : à quoi allait-on toucher ?
Allait-on supprimer la baisse de la TVA dans la restauration, dont l’efficacité sociale et économique semble assez faible ?
Allait-on revenir sur la niche des « emplois à domicile » ?
Seulement voilà, avant que nous ne parlions des mesures finalement contenues dans ce texte, disons qu’il y avait quelques oublis…
Jean-François Copé a imprudemment laissé paraître, le 5 août dernier, sur le site national de l’UMP un long article expliquant, avec force formules chocs, que la France avait mieux résisté à la crise que les autres pays, ce qu’ont d’ailleurs répété tout à l’heure le ministre de l’économie et le ministre du budget.
Ce discours consternant, faisant fi des 800 000 chômeurs de catégorie 1 que compte la France depuis 2007, est d’ailleurs confirmé par le Président de la République lui-même !
Mais le 5 août, manque de chance, fut le jour où les places boursières ont commencé à dévisser de nouveau, entraînant le CAC 40 à proximité des 3 000 points !
Jean-François Copé est, en revanche, plus discret sur sa propre niche fiscale, qui permet aux grands groupes financiers et industriels de jouer au Monopoly avec leurs titres et leurs actions sans devoir payer la moindre taxation sur les plus-values qu’ils en retirent.
En trois ans, la niche Copé nous aura coûté pas moins de 22 milliards d’euros !