« Le seuil de tolérance à l’endettement est dépassé » : les mots du Premier ministre François Fillon sont pesés et ils sont lourds de sens. Notre pays vit au-dessus de ses moyens. Un endettement excessif compromet l’avenir de nos enfants.
Nous sommes désormais contraints de faire des économies, et des décisions difficiles doivent être prises. Ceux qui l’ignorent ne sont ni responsables ni courageux.
Madame la ministre, monsieur le ministre, le Gouvernement a été responsable en allégeant le bouclier fiscal et en proposant une taxe sur les très hauts revenus. Il a été courageux en proposant, par exemple, de relever les prélèvements sociaux sur le capital et de taxer le prix du tabac, des boissons et des sodas.
Néanmoins, si les Français ont le sentiment que ces efforts sont inéquitablement partagés, ces sacrifices ne seront pas acceptés. C'est pourquoi l’équité fiscale doit être une priorité. Il nous faut à cet égard annoncer des gestes forts. Ils permettront de démontrer une véritable volonté politique, même si leur mise en œuvre, qui nécessite un travail préparatoire cher au rapporteur général, sera traitée dans le projet de loi de finances pour 2012.
Première proposition : abaisser le seuil, par exemple à 200 000 euros, de la taxe exceptionnelle sur les très hauts revenus. Il ne semble pas choquant de ramener le seuil retenu à un niveau plus raisonnable.
Deuxième proposition : créer une nouvelle tranche d’impôt sur les hauts revenus, d’un taux de 46 % par exemple, qui pourrait porter sur la fraction de revenus supérieure à 100 000 euros.
Michel Piron, soutenu par quatre-vingts députés, à l’Assemblée nationale, ainsi que le président Jean Arthuis et moi-même, au Sénat, avions proposé des amendements en ce sens lors de l’examen du projet de loi de finances rectificative au mois de juin.
La crise en cours depuis l’été impose de trouver des ressources supplémentaires. C'est la raison pour laquelle je soutiens une troisième proposition : la mise en place rapide d’une taxe sur les transactions financières. La crise appelle des décisions fortes, et je voudrais brièvement plaider pour cette mesure.
Cette idée n’est pas neuve. En 1972, elle est proposée par le libéral James Tobin pour « limiter l’instabilité excessive du marché monétaire mondial due à la spéculation », au lendemain de la suppression de la parité or-dollar. Cette bonne idée ne s’est jamais concrétisée, ni à l’échelon européen, ni à l’échelle mondiale.
Aux esprits chagrins qui argueraient que sa mise en œuvre est impossible, les flux financiers pouvant s’organiser aux îles Caïmans, aux Bermudes, voire, plus proche de nous, en Irlande ou au Luxembourg, je répondrais qu’il en allait de même pour l’interdiction des ventes à découvert, pourtant décidée le 12 août dernier par la France et l’Allemagne, et mise en œuvre depuis. Ce qui semblait techniquement impossible hier peut être décidé dans les circonstances de crise actuelles.
Je citerai trois arguments en faveur de la mise en place rapide de cette taxe sur les transactions financières.
Il s’agit, d’abord, d’une nécessité budgétaire.
Il nous faut poursuivre avec énergie les économies, mais les réductions de déficit qui en résultent ne sont pas à la hauteur de l’enjeu, notre déficit s’établissant à quelque 95 milliards d’euros.
L’application de la règle du non-renouvellement d’un fonctionnaire sur deux commence à toucher ses limites, notamment dans le secteur de l’éducation, et la réduction de chaque niche fiscale est difficile.
Tout le monde s’intéresse aux recettes d’une taxe européenne sur les transactions. Celles-ci devront sûrement être partagées entre les budgets nationaux, le budget de l’Union européenne – le Parlement européen a déjà adopté le principe de cette taxe, défendue par le commissaire Algirdas Semeta –, les objectifs de rééquilibrage Nord-Sud et le financement de la transition climatique.
Il s’agit, ensuite, d’une nécessité morale.
Le volume des transactions financières a atteint des niveaux considérables, sans rapport avec les besoins de l’économie réelle ou les besoins de gestion de risques et de couverture, pour atteindre soixante-dix fois le PIB nominal mondial.
Une telle taxe, en créant un « frottement », permettrait de limiter les transactions reposant uniquement sur la spéculation et de réduire ainsi les mouvements erratiques des marchés, bref, de créer un signal-prix.
Il serait par ailleurs juste et équitable, je le dis solennellement, que la sphère financière, qui nous a mis dans cette situation de crise, contribue à payer une partie du coût collectif de ses propres excès.
Cette taxe est, enfin, une nécessité politique. La Commission et le Parlement européens l’ont bien compris. Par ailleurs, la France et l’Allemagne, par la voix d’Angela Merkel et de Nicolas Sarkozy, se sont engagées en faveur de sa mise en œuvre rapide.
Les circonstances nous l’imposent. Les lignes sont en train de bouger. Passons à l’acte ! Même les divergences avec les Anglo-Saxons ne sont pas insurmontables. Depuis la chute de Lehman Brothers et la crise des subprimes, la régulation devient un impératif. Elle n’a pas été mise en place depuis 2008 ; elle s’impose à nous aujourd'hui.
Je conclus : pour conserver le lien avec les Français, les efforts qui sont demandés au peuple aujourd'hui doivent être équitablement répartis et des sources de financements innovantes doivent être trouvées. C’est un impératif.
Madame, monsieur le ministre, je salue la détermination du Gouvernement dans cette situation à la fois exceptionnelle et répétitive, ce qui lui confère une force particulière et affaiblit les réponses que nous pouvons y apporter.
En tout état de cause, et je terminerai sur une phrase du marquis de Vauvenargues, « la nécessité nous délivre de l’embarras du choix ».