Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi de finances rectificative dont nous débattons aujourd’hui ne comptait, à l’origine, que deux articles.
Le premier indiquait que rien ne changeait, ni les prévisions ni le cadrage de la loi de finances pour 2011. Le second visait à adapter la situation de notre pays à la mise en œuvre de la seconde tranche du plan européen destiné à la Grèce.
Avec ce nouveau plan, l’État va de nouveau endosser la responsabilité des banques et ajouter 15 milliards d’euros au montant de la dette publique.
À la fin de l’année 2001, la dette de l’État s’élevait à 653 milliards d’euros, largement détenue, à plus de 61 %, par les investisseurs domestiques. À la fin du mois de juillet 2011, elle atteignait 1 319 milliards d’euros, dont 65 % détenus par des non-résidents.
Ainsi, ce sont dix ans de gouvernements de droite, dix années de modération salariale dans la fonction publique, de réduction des dotations aux collectivités locales, dix années de cadeaux fiscaux, de baisses de l’ISF, de défiscalisation des heures supplémentaires qui ont conduit au doublement de la dette publique et au doublement de la part de cette dette détenue par les non-résidents. Et c’est la facture de cette politique que vous vous préparez à présenter aux Français avec votre nouveau plan d’austérité !
Comme en Espagne, en Italie ou en Grèce, vos éternelles recettes, qui ont déjà prouvé leur inefficacité, vont étouffer un peu plus la croissance, déjà atone, et détruire de très nombreux emplois.
Cette approche, par laquelle vous prétendez réduire les déficits en renforçant l’austérité, en contractant les dépenses publiques et les salaires et en privilégiant le remboursement de la dette, va conduire à des catastrophes économiques et sociales.
Les solidarités collectives sont attaquées, les services publics menacés, notamment ceux de l’éducation et de la santé. Et le présent projet de loi de finances rectificative vise tout simplement à continuer cette opération de démolition engagée voilà dix ans et qui sera à mettre au compte de votre bilan le moment venu, notamment au printemps 2012.
La dette n’a pas grand-chose à voir avec une crise qui a commencé bien avant l’été 2008 et qui atteint aujourd’hui un niveau exceptionnel. La Cour des comptes elle-même estime que seulement un tiers de la dette publique est lié à la crise.
En vérité, nombre des choix opérés dans un passé très récent ont accru la vulnérabilité de la France face aux pressions des marchés financiers.
Par ailleurs, il ne fait pas de doute que le rôle de la Banque centrale européenne dans le processus de création monétaire et de financement de l’économie a joué dans le sens de l’aggravation de la crise et d’un durcissement de ses effets.
Ainsi, dette et déficits seraient d’une importance telle qu’il vous a semblé nécessaire d’ajouter par lettre rectificative au présent projet de loi les premières mesures fiscales illustrant vos choix d’austérité, choix que vous confirmerez sans doute lors de la discussion du projet de loi de finances pour 2012.
Pourtant, la hausse de la TVA sur les parcs de loisirs est désormais abandonnée et la mesure tendant à accroître la taxation des plus-values de cession de biens immobiliers est revue à la baisse. Pour ma part, je regrette que, depuis plusieurs années, le Gouvernement, plutôt que de répondre aux problèmes des 1 300 000 demandeurs de logement, préfère se préoccuper des intérêts des 300 000 foyers fiscaux déclarant de telles plus-values.
Pis, cette mesure, présentée comme la « taxation des résidences secondaires », a été repensée de manière à surtout épargner les investisseurs et propriétaires possédant plus d’un appartement. Et elle ne consiste qu’à accroître l’assiette de l’imposition, dont le taux demeure par ailleurs inchangé !
Nul ne peut comprendre que vous vous contentiez, quand il s’agit de biens immobiliers, de modifier le montant de la plus-value à raison de l’érosion monétaire et de l’inflation, alors même que c’est une véritable « zone franche » qui est créée autour des plus-values mobilières !
Notre position de principe est la suivante : toutes les plus-values se valent et rien ne justifie que les opérations boursières spéculatives soient largement exonérées des efforts demandés aux propriétaires de biens immobiliers.
Or le Gouvernement déploie un arsenal de mesures destinées à répondre aux attentes des plus riches et des grands groupes, et il n’hésite pas à faire payer la facture aux couches moyennes et aux salariés.
Un gouvernement qui divise par deux le produit de l’impôt sur la fortune n’est pas qualifié pour parler de réduction des déficits et de la dette publique ! Un gouvernement qui, en 2009, a restitué 31 milliards d’euros aux entreprises, en vertu de dispositions exceptionnelles prétendument nécessitées par la crise, ne peut parler de bonne gestion des affaires publiques ni de réduction des déficits !
J’aborderai maintenant la question des dépenses.
À écouter les porte-parole du MEDEF, « les Français seraient prêts à entendre le langage de la vérité et sont convaincus de la nécessité de réduire les dépenses ». Les députés de la majorité ont confirmé cette appréciation : MM. Woerth et Mariton ont déclaré qu’il fallait « placer les dépenses publiques sur une trajectoire de réduction dès 2012 ».
Élu de l’Essonne, je peux vous décrire les conséquences de ce dogme de la réduction de la dépense publique dans mon département.
Les usagers des lignes B et C du RER risquent fort d’attendre encore quelque temps les investissements, en matériel comme en infrastructures, nécessaires à l’amélioration de la qualité d’un service de plus en plus mal rendu.
Les habitants des quartiers situés dans les zones dites « sensibles » du département vont voir les nécessaires opérations de rénovation du bâti repoussées.
Les efforts accomplis pour développer la vie sociale et culturelle, dont les habitants, les élus et les associations attendent légitimement qu’ils soient renforcés, seront quant à eux compromis.
Les patients de l’hôpital sud-francilien, comme de l’ensemble des hôpitaux essonniens, subiront une nouvelle détérioration des services rendus ainsi que l’insuffisance des moyens humains des établissements en regard des besoins.
La jeune population scolarisée de l’Essonne va voir se réduire l’« offre éducative », avec des écoles où l’on supprime les postes d’assistance administrative, avec des établissements scolaires où l’on ferme des classes, où l’on continue de supprimer des postes d’enseignants, comme le constatent en cette rentrée les parents et les enseignants de ma commune et de bien d’autres. Le suivi des élèves en difficulté et la prévention de l’échec scolaire, tout comme la qualité des services d’orientation, ne pourront que se détériorer.
Enfin, les participations de l’État pour la mise en œuvre du projet d’opération nationale du plateau de Saclay vont immanquablement se comprimer, au détriment de la recherche. Au final, ce sont les étudiants et les enseignants qui verront leurs conditions de travail et de transport se dégrader.
« Placer les dépenses publiques sur une trajectoire de réduction », c’est mettre à mal le sens même des politiques publiques, c’est-à-dire des contreparties que tous les contribuables sont en droit d’attendre des impôts et taxes qu’ils acquittent.
Il s’agit là d’un véritable hold-up, qui est accompli au détriment des contribuables de l’impôt sur le revenu, des consommateurs qui paient la TVA, des assurés sociaux qui acquittent des cotisations.
S’il faut réduire la dépense, que l’on commence donc par dégonfler la sphère sans cesse plus étendue des niches fiscales et des « modalités particulières d’imposition », qui engendrent par exemple une dépense de 106 milliards d’euros dans le cadre de l’allégement de l’impôt sur les sociétés. Or, mes chers collègues, 106 milliards d’euros, cela équivaut à la somme des deux budgets les plus importants de l’État, ceux de l’éducation nationale et de la défense.
Contrairement à vos affirmations, notre dépense publique n’est pas excessive.
Depuis 1981, la part des dépenses de l’État dans le PIB est restée relativement stable : autour de 22 %. Autrement dit, l’Etat dépense depuis cette date la même proportion de la richesse produite.
Par conséquent, c’est la baisse des recettes, provoquée par la baisse des impôts des plus fortunés et les exonérations de charges sociales pour les entreprises, qui explique la dette de l’Etat. Depuis 1981, les recettes de l’État sont ainsi passées de 22 % à 18 % du PIB.
À force de venir au secours des entreprises, et en définitive à force de leur permettre de délocaliser leurs activités et de sous-payer leur personnel, vous avez accru le déficit, lequel s’accumule aujourd'hui.
Vous préférez toutefois cette option à celle qui consisterait à revenir sur ce qui a été accordé aux plus grands groupes ainsi qu’aux ménages les plus aisés.
La majorité sénatoriale, par ses votes, par ses choix, par les orientations qu’elle a imprimées aux débats que nous avons eus depuis 2002, est coauteur et responsable de la situation désastreuse des finances publiques.
Dans le même temps, le Président de la République relance le débat sur la « règle d’or » budgétaire, en vue de graver dans le marbre de la Constitution le principe selon lequel des politiques d’austérité devraient être menées dans notre pays. Nous sommes opposés à l’inscription de cette règle d’or dans la Constitution comme à sa mise en œuvre dans la droite ligne des critères de convergence des traités de Maastricht et de Lisbonne.
Alors, quelles mesures convient-il de prendre pour inverser la tendance et créer les conditions du redressement des comptes publics ?
Nous ne sortirons pas de la crise des finances publiques si nous ne décidons pas de rompre avec l’inflation des dépenses fiscales, qui sont mises en place notamment depuis dix ans, et si nous ne nous engageons pas dans un recyclage intensif de ces dépenses fiscales en dépenses budgétaires nouvelles.
Permettez-moi de mentionner quelques priorités.
Il me semble impératif qu’un effort particulier soit accompli dans le domaine de l’éducation et de la formation. L’éducation des jeunes et la formation continue des salariés en activité doit être une priorité absolue et pourrait s’articuler autour d’un plan national pluriannuel de lutte contre l’échec scolaire et d’un vaste effort de requalification des salariés en activité, passant notamment par la validation et la reconnaissance des acquis professionnels.
Une autre priorité réside dans la mise en œuvre du schéma national des infrastructures de transport. Notre pays est à un moment de sa vie économique qui nous oblige à concevoir et mettre en œuvre une réorganisation de nos flux de transport, allant notamment dans le sens d’un transfert de plus en plus important des marchandises vers le fret ferroviaire, la voie d’eau et l’intermodalité.
Là encore, il ne faut pas se contenter des déclarations consensuelles du Grenelle de l’environnement : il est temps de passer aux actes. C’est dès aujourd’hui qu’il faut lancer les études, les travaux, les programmes de mise en œuvre du schéma national. De plus, ces chantiers assureront, dans bien des domaines, les emplois de demain.
Enfin, il est urgent de réorienter l’action de la Banque centrale européenne. Au lieu de dicter à la Grèce des politiques d’austérité insupportables pour son peuple, au travers de plans de sauvetage totalement inefficaces, au lieu de se contenter de racheter les titres sur le marché secondaire, la BCE devrait accorder aux États membres des prêts à des taux proches de zéro ainsi que les moyens nécessaires à un retour de la croissance, une croissance favorable à un développement durable.
Aucun pays ne peut espérer redresser ses comptes publics par accumulation de mesures d’austérité, pas plus la Grèce que la France.
Il convient de faire de nouveau l’usage le plus vertueux de l’argent public, celui de la dépense au profit des besoins collectifs de la société, de la population, au service du développement du pays.
C'est la raison pour laquelle, mes chers collègues, je vous invite à adopter cette motion tendant à opposer la question préalable au projet de loi de finances rectificative qui nous est soumis.