Intervention de Éric Woerth

Réunion du 12 novembre 2009 à 14h00
Financement de la sécurité sociale pour 2010 — Articles additionnels après l'article 17, amendement 89

Éric Woerth, ministre :

Le dossier des allégements de charges est très difficile.

D'abord, ce dispositif constitue-t-il une trappe à bas salaires ? Sans doute des entreprises privilégient-elles parfois les faibles rémunérations, au terme d’un calcul d’optimisation. Toutefois, mesdames, messieurs les sénateurs, il ne faudrait pas que, la trappe étant retirée, tout le monde se retrouve au fond de la cave ! Que ce soit une trappe à bas salaires, je le veux bien, mais, si on la supprime, quel sera le sort des salariés concernés ? La question mérite tout de même d’être posée !

Il est vrai que le Conseil des prélèvements obligatoires s’est prononcé sur ce point. Cependant, les dernières études économiques ont montré que des centaines de milliers d’emplois étaient protégés par ce dispositif d’allégements de charges, qui profite donc d'abord aux salariés.

Le mode de calcul peut poser problème. Le principe en est simple : à un niveau de salaire correspond un taux de réduction. Compte tenu du mode de calcul actuel, à rémunération annuelle égale, le montant des allégements peut varier d’une entreprise à l’autre. Un employeur qui verse des salaires d’un montant régulier sur douze mois bénéficie d’une moindre réduction de cotisations que celui qui verse des primes importantes sur un mois donné, ce qui le fait sortir du dispositif, avant d’y rentrer un peu plus tard.

Monsieur Jégou, cette politique salariale ne résulte pas systématiquement de comportements d’optimisation de la part des employeurs, même si ce que vous avez qualifié de « fraude », et qui est au fond de l’abus de droit, peut se produire. Elle n’est pas nécessairement déterminée par le mode de calcul des allégements de charges, car les employeurs peuvent tout de même verser un treizième mois à leurs salariés pour les motiver ou récompenser les plus performants d’entre eux ! Dans ce cas de figure, ils bénéficient certes du système, mais celui-ci n’est pas constitutif d’un abus de droit.

Nous devons vérifier que le mode de calcul des allégements de charges n’aboutit pas à des différences de taux d’exonération qui ne seraient pas justifiées. Ce sujet a été pointé, je le répète, par le Conseil des prélèvements obligatoires, auquel vous avez fait référence, monsieur Vasselle, mais aussi dans un rapport de la mission commune d’information des commissions des finances et des affaires sociales de l’Assemblée nationale, en juin 2008.

À la suite du point d’étape effectué par le Président de la République avec les organisations syndicales en juillet dernier, le Gouvernement a décidé de réexaminer de façon globale ce dossier, pour que le dispositif soit à la fois plus efficace et plus juste.

Nous avons missionné M. Jean-Luc Tavernier, inspecteur général des finances, pour travailler sur ce dossier. La solution de l’annualisation, que vous avez évoquée, messieurs les rapporteurs, et qui constitue l’objet de vos amendements identiques, fait partie des pistes qui seront explorées.

Toutefois, nous ne devons pas prendre de risques inconsidérés sur cette question. Mesdames, messieurs les sénateurs, je suis désolé de répéter, même si c’est un peu différemment, les arguments que j’ai employés au sujet de la CRDS, mais il s'agit de sujets très importants.

Supprimer les allégements de charges serait véritablement jouer avec le feu, car des milliers d’emplois sont en jeu. Nous ne pouvons donc prendre une telle décision sans étude préalable, et je sais que le Sénat est particulièrement attentif à la question de l’évaluation des politiques publiques.

Il est vrai que, si le chiffrage qui a été réalisé est exact, une telle mesure représenterait une économie de 2 à 3 milliards d'euros pour les finances de l’État, et ce n’est pas le ministre des comptes publics qui s’en plaindrait. Il n’en demeure pas moins qu’une charge équivalente serait facturée aux entreprises, au risque de susciter des licenciements qui, eux, coûteront cher.

Le ministère de l’économie estime à 85 000 le nombre des emplois qui seraient mis en cause par une telle réforme du dispositif. Il s'agit là d’un élément que je livre à votre réflexion, mesdames, messieurs les sénateurs.

Le contexte économique nous invite à la plus grande prudence sur ce point. Si la question du maintien des allégements de cotisations sociales est légitime, nous savons que leur suppression ne permettra pas de récupérer des dizaines de milliards d’euros, comme je l’entends ici ou là. Certes, c’est possible, mais à quel prix social !

Il nous faut être d’autant plus vigilants que les différences de charges sociales sont très importantes selon les pays : en Allemagne, elles n’atteignent que 16 %, alors qu’elles s’élèvent à 29 % en France. Revenir sur les dispositions en vigueur compliquerait encore davantage la situation.

Je ne ferme pas la porte, mais, compte tenu de ces explications et des effets qu’entraînerait l’adoption des dispositions proposées, le Gouvernement demande le retrait des amendements identiques n° 7 rectifié, 53 rectifié, ainsi que de l'amendement n° 89.

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