Le nouveau ? Comme disait Don Léopold Auguste dans le Soulier de satin : « On ne peut pas rester éternellement confit dans la même confiture. Qu'on me donne du nouveau. Mais quel nouveau ? Du nouveau qui soit exactement semblable à l'ancien ».
C'est la question fondamentale dans notre pays, c'est toujours une tension vibrante. Mais, aujourd'hui, bien qu'il y ait eu vote pour la diversité culturelle à l'UNESCO - et je sais le rôle que vous y avez tenu, monsieur le ministre -, c'est beaucoup plus préoccupant, et la nouvelle écriture budgétaire, oblitérant de plus en plus le sens parce que soumise aux règles de la rentabilité, va y contribuer.
Autre chose aussi pousse dans cette direction. Il en est ainsi de l'actuelle apologie de l'individu, au centre de la doctrine de la majorité qui institue la responsabilisation sous contrat menant à la culpabilisation. La saturation du terrain idéologique, de ce point de vue, est évidente : en témoigne l'équité préférée à l'égalité par M. Sarkozy, comme en témoigne le « Je ne suis pas le ministre de l'égalité des chances mais des opportunités » de M. Begag ! Et, selon un proche de M. de Villepin, « les nuits de violence ont ouvert une fenêtre de tir ».
Que reste-t-il de la culture dans ce paysage, où elle tient davantage de la force du marché que de sa force à se déployer en civilisation ?
Participant à plusieurs conseils d'administration d'équipements culturels, je vous assure de la permanence toujours plus forte d'un vocabulaire d'entreprise : c'est l'économie, les comptables qui prévalent. Leur vocabulaire blesse l'imaginaire, le blesse profondément, complétant face aux oeuvres ce qu'ils font face aux hommes au travail. Le cercle s'est refermé, voilà tout ! Tout doit être recommandable et recommandé en ces temps de critères de gestion, d'évaluation, d'expertise du risque, d'indicateurs de performance et de consommation immédiate pour empêcher l'assaut.
Vous comprendrez que, pour toutes ces raisons le groupe CRC ne peut voter le projet de budget de la culture pour 2006.
Je voudrais cependant ajouter un post-scriptum.
J'ai conscience de ne pas être allé jusqu'au bout de la réflexion. Le puis-je, d'ailleurs ? Aussi, je vous demanderai de joindre à ce propos celui que j'ai tenu à cette même tribune le 16 novembre, lors du débat sur les banlieues.
Ces deux interventions s'épaulent, rejettent la peur si mauvaise conseillère, et ont beaucoup à voir avec ce très court extrait de Péguy, tiré de son journal Les cahiers de la quinzaine : « A nos amis, à nos abonnés, nul aujourd'hui, nul homme vivant ne nie, nul ne conteste, nul ne songe même à dissimuler qu'il y a un désordre ; un désordre croissant et extrêmement inquiétant ; non point en effet un désordre apparent, un trouble de fécondité, qui recouvre un ordre à venir, mais un réel désordre d'impuissance et de stérilité ; nul ne nie plus ce désordre, le désarroi des esprits et des coeurs, la détresse qui vient, le désastre menaçant. Une débâcle. C'est peut-être cette situation de désarroi et de détresse qui nous créé plus impérieusement que jamais le devoir de ne pas capituler. Il ne faut jamais capituler ! »
Oui, ne pas capituler, y compris face à des mots comme ce mot que je retiens parce qu'il est cardinal et qu'il n'est pas sans opérativité dans le dossier qui doit coûte que coûte être réglé, et bien réglé, celui des intermittents du spectacle : « précaire » !