Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de budget pour 2006 de la mission « Culture », dont nous débattons aujourd'hui, est d'une importance cruciale.
Nous sommes conscients que la situation budgétaire difficile, marquée par la nécessaire maîtrise de nos dépenses publiques, ne permet pas de satisfaire l'ensemble des besoins, immenses, en matière d'investissements culturels. Nous savons bien, monsieur le ministre, que vous êtes un « éternel mendiant » auprès de votre collègue chargé des finances ! Nous saluons donc un budget qui représente 1, 11 % du budget de l'État, avec 2, 886 milliards d'euros de crédits de paiement.
Nous souscrivons aussi aux deux priorités fixées pour 2006 : la sauvegarde du patrimoine et le soutien à la création.
Nous savons également que vous essayez de préserver votre budget des coupes claires. Cependant, malgré des crédits en hausse, la culture nous semble être dans une situation fragile.
C'est, en effet, une période difficile que nous vivons : l'été dernier, nous connaissions, en tant qu'élus locaux, la crise du patrimoine monumental ; voilà deux semaines, les DRAC voyaient leurs crédits amputés ; aujourd'hui, nous sommes inquiets quant aux négociations relatives au régime des intermittents.
Un autre motif d'inquiétude tient au fait que plusieurs mesures fiscales en faveur de la vie artistique et culturelle - je pense au dispositif de la loi Malraux pour les secteurs sauvegardés, ou aux sociétés pour le financement de l'industrie cinématographique et audiovisuelle, les SOFICA - sont remises en cause par le plafonnement des avantages fiscaux prévu à l'article 61 du projet de loi de finances. Si nous sommes favorables, dans l'absolu, à la réduction de ceux-ci, il nous semble que, en cette période de « vaches maigres », il n'est pas opportun de supprimer des dépenses fiscales qui contribuent grandement au financement de notre politique culturelle.
Notre inquiétude s'accroît encore devant la proposition de la commission des finances d'amputer les crédits de la mission « Culture » de près de 40 millions d'euros.
Si nous comprenons la nécessité de maîtriser nos dépenses publiques et les exigences comptables de la LOLF, il nous semble excessif de réduire les crédits d'une mission qui représente à peine plus de 1 % du budget de l'État. Derrière les chiffres, ce sont des actions concrètes, essentielles pour les acteurs culturels et les publics concernés, qui sont susceptibles d'être supprimées. Ce sont donc les collectivités territoriales qui devront compenser, ne pouvant abandonner des dispositifs existants.
Comme le président de la commission des affaires culturelles, nous nous inquiétons des conséquences qu'aurait l'adoption de ces amendements de rigueur comptable de la commission des finances : le bon fonctionnement du ministère pourrait-il être assuré ?
Enfin, comment ne pas être inquiets devant les difficultés récentes des DRAC ? Confirmez-vous, monsieur le ministre, les amputations de crédits budgétaires qu'elles subissent en cette fin d'année, à hauteur de 2, 6 % de leur budget, soit 7 millions d'euros supprimés lors du versement, avec deux mois de retard, de la deuxième fraction ? Concrètement, cela signifie des réductions de crédits pour des actions nécessaires dans les écoles, pour les ateliers dans les quartiers sensibles, pour le financement des bibliothèques, des conservatoires et des écoles d'art.
Toutefois, le secteur le plus atteint reste celui de l'acquisition des oeuvres d'art, comme l'a rappelé M. Nicolas Perruchot, rapporteur des crédits du programme « Patrimoines » à l'Assemblée nationale, qui estime à 26 % la baisse des crédits correspondants en 2006. Si vous avez raison, monsieur le ministre, de dire que le mécénat doit prendre son essor, il faut que, à chaque échelon territorial, nous continuions à assumer nos responsabilités.
Concernant la répartition des crédits entre les trois programmes de la mission, je formulerai quelques observations.
Tout d'abord, la situation du patrimoine monumental ne cesse d'inquiéter les élus locaux. Une progression de 13, 4 % des crédits est certes affichée, grâce aux 29 millions d'euros alloués par le biais de la dotation exceptionnelle. Sans refaire l'historique de la crise qui touche ce secteur depuis 2003, il faut cependant rappeler que le plan pour le patrimoine prévoyait, au-delà de mesures législatives et réglementaires utiles, un effort budgétaire important et durable.
Or force est de constater que tel n'est pas le cas : devant l'ampleur des travaux à réaliser, les crédits ouverts pour 2005 se sont révélés insuffisants, malgré des ouvertures de crédits en cours d'année et des redéploiements, opérés cet été à concurrence de 10 millions d'euros, pour parer au plus urgent. Ils n'ont permis de couvrir qu'environ 55 % des besoins des DRAC ; 55 chantiers ont dû être interrompus, et 170 différés.
La conséquence de cette situation, pour le budget de 2006, ce sont 38 millions d'euros de reports de charges. Avec 274 millions d'euros inscrits pour 2006, on peut d'ores et déjà se demander si nous ne revivrons pas des arrêts de chantiers en cours d'année, puisque le groupement français des entreprises de restauration de monuments historiques estime à 400 millions d'euros la somme nécessaire pour effectuer l'ensemble des travaux.
En outre, le même organisme évoque l'affectation de 29 millions d'euros à la province, le reste étant alloué aux grands chantiers parisiens. Un rééquilibrage des crédits n'est-il pas nécessaire, surtout quand on sait que ce sont dans les petites communes que se trouvent le plus grand nombre de monuments en péril ?
Dans ce contexte, il est heureux que le Gouvernement ait décidé d'exclure du champ de la mesure de plafonnement des avantages fiscaux le dispositif relatif aux monuments historiques.
Tel n'est malheureusement pas le cas pour le dispositif « Malraux » intéressant les secteurs sauvegardés. Pourtant, vu la modicité des subventions accordées - 5 millions d'euros -, les mécanismes d'incitation fiscale relatifs aux secteurs sauvegardés et aux zones de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager sont indispensables au financement de la rénovation des centres-villes historiques.
C'est pourquoi nous partageons l'inquiétude du rapporteur pour avis Philippe Nachbar, et nous présenterons un amendement visant à exclure le dispositif « Malraux » du champ de la mesure de plafonnement prévue à l'article 61 du projet de loi de finances.
S'agissant du programme « Création », j'ai bien noté que le spectacle vivant reste une priorité de l'action du ministère, puisque, à lui seul, il représente les deux tiers des crédits, qui connaissent eux-mêmes une légère progression.
Toutefois, cette progression sera-t-elle suffisante ? En effet, les établissements culturels et les compagnies ont besoin de moyens pour poursuivre leurs activités de création, et les collectivités et les établissements culturels auront eux aussi des difficultés à participer à la mise en oeuvre de la politique de structuration de l'emploi culturel que vous avez élaborée s'ils ne disposent pas des crédits nécessaires à la transformation des emplois d'intermittent en contrats à durée indéterminée, à la mutualisation des postes et à la pérennisation des structures.
Cette politique, que nous approuvons, a un coût, et il est nécessaire que l'État accompagne les collectivités territoriales dans leurs efforts. J'insiste aujourd'hui, comme je l'avais fait lors du débat sur le spectacle vivant, sur l'importance qu'il y a à définir les partenariats entre les collectivités territoriales et l'État, afin d'éviter que les nouvelles répartitions de compétences en matière culturelle soient vécues comme un désengagement de la puissance publique, et pour que les régions s'étant le plus récemment investies dans les politiques culturelles s'impliquent véritablement.
Par ailleurs, si nous comprenons la nécessité du financement des grands établissements publics à l'échelon national, nous constatons la faiblesse des financements apportés en régions : le projet de budget confirme, encore une fois, que les collectivités territoriales contribuent largement au financement du spectacle vivant, à hauteur de 70 % pour les scènes nationales et de 86 % pour les scènes conventionnées.
Enfin, s'agissant de l'éducation artistique et culturelle, essentielle pour constituer les publics de demain, nous nous interrogeons sur la concrétisation budgétaire du plan de relance pour l'éducation artistique, et nous souhaitons donc que les crédits inscrits à ce titre dans le budget soient suffisants pour traduire cette volonté. À cet égard, nous ne pouvons que soutenir vos propositions, monsieur le ministre, car elles rejoignent les nôtres : jumeler chaque établissement scolaire avec une équipe artistique, une structure ou un lieu culturel, améliorer la présence des artistes dans les écoles.
Je relève également l'évolution de la position du Gouvernement, puisque l'idée d'intégrer l'éducation artistique et culturelle au socle fondamental des connaissances est aujourd'hui reprise, alors que, en mars dernier, lors de l'examen du projet de loi d'orientation pour l'avenir de l'école, l'amendement que j'avais défendu en ce sens avait été rejeté par le ministre de l'éducation nationale d'alors.
L'éducation artistique et culturelle, au même titre que tout type d'actions en faveur de la transmission des savoirs et de la démocratisation de la culture, apparaît encore plus nécessaire aujourd'hui au regard de la crise récente que nous avons vécue dans ce que l'on a coutume d'appeler les « banlieues » ou les « cités ».
Les violences urbaines, dont les acteurs ne sont, je tiens à le dire, en rien excusables, ont rappelé l'importance de l'action culturelle, facteur de cohésion sociale, d'ouverture, d'apprentissage de la citoyenneté pour les jeunes et de structuration de l'identité nationale. Il y a, dans ces zones concernées par la politique de la ville, un immense travail de désenclavement à poursuivre, aussi bien territorial que culturel. Ce n'est que par un travail soutenu et inscrit dans la durée, au travers de dispositifs pérennes et non par une superposition de mesures s'annulant les unes les autres, que l'on parviendra à un résultat tangible.
Les élus locaux que nous sommes, soucieux de culture, vivent très concrètement le risque de fragilisation, au profit du tout-logement - dimension certes nécessaire - de l'ensemble des mesures d'accompagnement social : il en est ainsi, par exemple, à Rouen, de l'action d'équipes de médiation du livre s'appuyant sur les bibliothèques de quartier, du financement d'une heure d'éducation musicale et de chant choral par semaine dans les écoles maternelles et élémentaires, de la création de résidences d'artistes en liaison avec les habitants...
Aujourd'hui, le résultat de tout le patient travail « tricoté » au cours des dernières années risque de s'effilocher. Le Gouvernement a lui-même pris conscience de ce danger et décidé de rétablir les subventions aux associations oeuvrant dans ce domaine. Pour votre part, monsieur le ministre, vous avez récemment rappelé l'objectif consistant à développer la pratique artistique dans les quartiers les plus défavorisés, dans le cadre de la mise en oeuvre du plan de cohésion sociale, pour autant que cela s'appuie sur ce qui existe déjà et sur ce qui donne de bons résultats.
J'évoquerai brièvement, pour terminer, le financement de la production cinématographique et audiovisuelle.
Comme d'autres collègues, je défendrai un amendement visant à préserver la spécificité de l'avantage fiscal lié aux souscriptions de parts de SOFICA, qui viennent pallier l'affaiblissement des ressources disponibles pour financer la production cinématographique et audiovisuelle et soutenir le dynamisme et la créativité du cinéma français.
En conclusion, j'indiquerai que le groupe de l'Union centriste-UDF votera votre projet de budget, monsieur le ministre, car il préserve pour l'essentiel les crédits alloués à la culture. S'il est bien sûr toujours tentant de demander plus, étant donné le retard accumulé et les besoins immenses dans ce secteur, il faut aussi savoir reconnaître les avancées obtenues, en particulier dans un contexte budgétaire contraint.
Comme vous, monsieur le ministre, nous plaçons l'art au coeur de nos politiques, d'un art qui est utile ne serait-ce que, ainsi que le souligne la sociologue Ève Chiapello, « pour contrebalancer le désenchantement du monde lié à la sécularisation et la rationalisation de la société. Face au matérialisme de la société industrielle, il affirme l'importance et le besoin de vie spirituelle sous toutes ses formes. »