Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j'évoquerai dans mon propos la place de la culture dans la LOLF, l'emploi, et une autre façon de soutenir le spectacle vivant.
Dès les premières discussions, qui concernaient les missions « Enseignement scolaire » et « Recherche et enseignement supérieur », nous avons compris que le cru 2006 de la LOLF ne nous apporterait ni l'anticipation ni la transparence promises.
Pour votre budget, monsieur le ministre, l'apport inopiné - bienvenu - des privatisations - regrettables - ne nous a pas permis un suivi précis des affectations.
Au moins la LOLF oblige-t-elle à la publication d'objectifs, et l'on ne peut qu'adhérer aux soucis manifestés de diversité culturelle, de recherche de fréquentation et de diffusion accrues, de quête de consolidation économique et d'emplois.
L'orientation des moyens est une tout autre question.
Souvenez-vous : le 12 octobre dernier, je m'interrogeais ici sur l'efficacité en matière de dépense culturelle vue par Bercy, pour mieux rappeler que l'échec se ressentirait en agressions, en replis identitaires et en conflits ; fin octobre, les voitures commençaient à brûler, preuve que votre budget devrait être une priorité, ce qui n'est pas encore suffisamment le cas.
La justice territoriale et la démocratisation éternellement annoncées ne décollent pas. L'accès de tous à la culture est handicapé dès le départ par une mauvaise loi d'orientation pour l'avenir de l'école qui recentre sur un socle sclérosant le projet éducatif.
Nous connaissions déjà l'étiolement des projets artistiques et culturels dans les classes. En affichant le pauvre ratio de 13 % comme ambition pour la part des jeunes devant bénéficier d'une action aidée par le ministère de la culture dans le programme « Transmission des savoirs et démocratisation de la culture », indicateur 1 de l'objectif 2, vous affichez un bien maigre objectif : 165 millions d'euros de crédits d'impôt en dix-neuf mesures ne peuvent que nous interroger sur les poids respectifs de certains programmes de l'État stratège et de certains investissements réalisés par ceux qui peuvent se le permettre.
Parallèlement, on cherche en vain une volonté en faveur de l'accès des populations des territoires en difficulté. Il n'y a pas de prévision pour 2006 dans vos tableaux, et un ratio de 1, 5 est annoncé pour 2010 dans les territoires prioritaires, indicateur 1 de l'objectif 5, où la population est éloignée de l'offre culturelle.
Les banlieues, les campagnes reculées ne verront pas grand-chose ! Pourtant, ce matin, Xavier Emmanuelli affirmait combien le manque d'accès à la culture, le manque d'outils pour créer du lien étaient déterminants dans le mal-vivre des banlieues.
En matière de décentralisation, le budget est encore jacobin, les ratios énoncés dans l'action 1 - « Soutien à la création, à la production et à la diffusion du spectacle vivant » - sont édifiants : les collectivités s'engagent deux fois plus que l'État !
Au moins cela mériterait-il que cesse le discours démagogique du Gouvernement sur la baisse des impôts : c'est trop facile quand on laisse les missions aux autres !
Il faudrait aussi que les DRAC soient plus attentives aux bonnes pratiques comme le conventionnement, ou que la maigre action internationale de l'État se cale sur les cibles de coopération décentralisée, ou encore que l'on veille à nos spécificités : vos choix patrimoniaux de donjons, de remparts et de cathédrales laissent sur leur faim ceux dont la mémoire collective passe aussi par le patrimoine industriel, peu apparent dans ce budget.
Un sénateur soucieux de la francophonie rappelait la spécificité de la Grande Guerre dans le Nord-Pas-de-Calais. Ses propos m'ont beaucoup plu, d'autant que, le 11 novembre 1992, son groupe avait quitté la salle du conseil régional au motif que nous avions évoqué les fraternisations, qui font aujourd'hui l'objet d'un film salué par tous.
J'attire votre attention sur trois points, monsieur le ministre.
D'abord, il est fait un sort inique aux citoyens qui n'habitent pas à Paris en matière de culture scientifique. Certes, la Cité des sciences et de l'industrie a besoin de 3 millions d'euros de plus pour se rénover et elle élabore des outils de diffusion - payants, il faut le préciser -, mais oublier dans la mission interministérielle « Recherche et enseignement supérieur », la MIRES, les autres opérateurs et baisser de 0, 2 % leurs moyens est inacceptable. C'est aussi de la culture !
Ensuite, la formation en architecture est en grande difficulté et mérite un soutien accru. Votre récente préoccupation sur le sujet devra s'étendre à la diversification en compétences paysagères, afin que celle-ci se fasse en bonne intelligence avec les écoles de paysagistes.
Enfin, votre budget relatif à l'économie des professions et des industries culturelles est entamé de 10, 7 millions d'euros versés au titre du droit de prêt en bibliothèque. Une attention rigoureuse à la gestion et au devenir de ce fonds est indispensable.
Vous seriez surpris si je n'évoquais pas l'intermittence !
Au travail inédit et porteur d'avancées concrètes du comité de suivi créé à la suite de la crise des festivals, a succédé une mise en oeuvre difficile de palliatifs provisoires.
Vous avez, monsieur le ministre, retrouvé des interlocuteurs plus classiques, dont les partenaires sociaux. Leur légitimité est incontestable, mais l'on ne saurait oublier que certains partenaires ne sont pas représentés, dont les employeurs des scènes nationales, que le syndicat majoritaire n'avait pas signé le protocole de 2003 et que ceux qui tiennent la main ont de curieuses analyses. Permettez-moi à cet égard de vous rappeler les mots de Laurence Parisot : « La vie, la santé, l'amour sont précaires, pourquoi le travail échapperait-il à cette loi ? » Eh bien, madame, parce que la vie, la santé et même parfois le vécu de l'amour, dépendent du travail...
Il me faut donc vous rappeler d'autres légitimités : celle de l'usage, de la pratique de milliers d'artistes, de techniciens et de réalisateurs ; celle du Gouvernement, qui ratifie ou non ; celle du Parlement, dont 470 membres demandent qu'on légifère si, au 31 décembre 2005, une solution satisfaisante n'est pas arrêtée.
Mon dernier point portera sur les conditions du soutien à la création. Je veux insister sur l'importance de la proximité, pour la démocratisation, et du conventionnement, pour donner des perspectives durables, en particulier aux compagnies indépendantes.
Ce ne sont pas 5 millions d'euros, mais 10 millions d'euros de mesures nouvelles qui sont nécessaires.
La pluriannualité, des liens plus affirmés - et équitables - avec les lieux institutionnels, la précision du partage des rôles et des moyens dans les coopérations, un seuil minimal d'appui aux projets, une réflexion accrue sur l'aide à l'articulation entre les compagnies et l'éducation artistique : tout cela pourrait concourir à un meilleur développement culturel des territoires, par une irrigation de proximité.
La démocratisation passe par le soutien à la diversité des pratiques, des approches, des cultures. Il en va autant de l'épanouissement de chacun que du tissage d'un maillage économique durable et porteur d'emploi.
Les artistes et techniciens doivent être associés à l'élaboration du conventionnement de leur compagnie, comme aux critères qui leur permettront de suivre leurs actions et de les faire valoir.
Le type de relation avec le public - et non le remplissage d'une salle -, le mode de travail avec le territoire, la structuration de l'emploi, du lieu, de ce qui s'y fabrique, l'ouverture vers les autres, la diffusion et la participation à des réseaux sont au coeur du projet durable et « efficace », pour reprendre le terme de Bercy.
Votre projet n'est pas assez attentif à ces conditions. Cette vitalité, ce foisonnement méritent autant d'attention qu'un nouveau musée comme le musée Branly. Chaque chef d'État veille à une augmentation durable par son gouvernement des crédits de fonctionnement de la culture, toujours majorés significativement par les choix du prince, mais pensons aux artistes : ils savent leur responsabilité dans l'utilisation de l'argent public, mais ils ont besoin de visibilité. La transparence concernant les attentes et les critères d'arbitrage est indispensable. Ils ont autre chose à faire que de remplir des dossiers !
Qu'au moins l'État parle d'une seule voix et que toutes les subventions, fussent-elles de la ville ou de la recherche, passent par un même interlocuteur : la culture. Cela aussi, la LOLF aurait dû le permettre.