Intervention de Michel Thiollière

Réunion du 8 juillet 2009 à 14h30
Protection pénale de la propriété littéraire et artistique sur internet — Discussion d'un projet de loi en procédure accélérée

Photo de Michel ThiollièreMichel Thiollière, rapporteur de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication :

Monsieur le président, madame le garde des sceaux, monsieur le ministre, mes chers collègues, au moment où nous nous retrouvons pour évoquer, une nouvelle fois, le problème de la création sur internet, je ne crois pas inutile de rappeler les raisons qui ont présidé à l’élaboration de ce texte et celles qui me conduisent à penser que nous sommes engagés dans un processus législatif d’envergure.

Il me semble tout d’abord nécessaire de souligner que nous sommes tous porteurs d’une tradition française qui se traduit, et depuis de nombreuses décennies, par un attachement viscéral aux valeurs de la création, et donc au droit d’auteur.

Nous sommes également attachés à la diversité culturelle, une autre exigence française.

Dans le monde globalisé d’aujourd’hui, nous devons également soutenir l’économie de la création. Sans vouloir alourdir le débat par un excès de chiffres, je voudrais rappeler qu’aujourd’hui, pour un titre musical téléchargé légalement, quatorze sont téléchargés illégalement. Quant au chiffre d’affaires des éditeurs de musique, il a diminué de 53 % en cinq ans.

Alors, si double peine il y a, puisque l’expression a été utilisée à propos de ce texte, elle frappe surtout la filière de la création, qui subit à la fois la crise économique et le piratage. Nous devons donc nous efforcer de trouver des solutions susceptibles de remédier à une telle situation.

Le constat étant posé, et très largement partagé, pourquoi est-ce si difficile d’agir ?

Tout d’abord, le consommateur comme l’artiste se défient en permanence de tout ce qui peut apparaître comme contraignant. Or internet donne précisément l’illusion inverse, celle de la liberté et de la gratuité.

Ensuite, la technologie contribue à faire évoluer en permanence les usages. Ainsi, de nouvelles pratiques s’installent qui, même si elles constituent une autre forme de « vivre ensemble » sur la toile, se jouent des codes républicains auxquels nous sommes attachés.

Il faut bien reconnaître aussi que le temps de l’action publique est démesurément long dans notre pays. À cet égard, nous ne pouvons que déplorer le délai qui s’est écoulé entre l’adoption de ce texte en première lecture par le Sénat, le 30 octobre 2008, et son examen par l'Assemblée nationale. Selon moi, c’est autant de temps perdu, et cela nuit aussi bien à la bonne compréhension de nos intentions qu’à l’effectivité de la législation que nous sommes en train d’élaborer.

Mais ce constat ne saurait pour autant nous inciter à renoncer.

Même si le Conseil constitutionnel a invalidé une partie du texte que nous avions voté, il faut aussi reconnaître, comme vous l’avez fait, madame le garde des sceaux, qu’il a consolidé la partie pédagogique de la loi, et n’a nullement remis en question le processus que nous avons élaboré aux côtés du Gouvernement.

Puisque l’on parle de pédagogie, il n’est pas inutile de rappeler le contenu de la décision.

Le Conseil constitutionnel a validé l’ensemble des avancées prévues en faveur du développement et du renforcement de l’offre légale d’œuvres culturelles. Le Sénat avait d’ailleurs contribué à enrichir de façon substantielle ce volet en première lecture, à l’automne dernier.

Le Conseil a également validé le dispositif pédagogique et préventif de lutte contre le piratage de masse confié à la HADOPI, dont le nom nous est désormais familier, en considérant, notamment, qu’il ne méconnaissait pas les exigences constitutionnelles liées au respect de la vie privée, parce qu’il était fondé sur les signalements des actes de téléchargement illégal réalisés par les agents assermentés des sociétés d’ayants droit. S’il était encore besoin de le rappeler, ce texte n’organise en rien une « surveillance généralisée » des réseaux numériques, contrairement à ce que d’aucuns ont pu dénoncer ou regretter. Ainsi, sur la base de ces signalements, la HADOPI pourra adresser des messages d’avertissement aux internautes contrevenants.

Qu’a donc censuré le Conseil constitutionnel ? Vous l’avez rappelé, madame le garde des sceaux : le « volet sanction » de la loi, qui prévoyait notamment la possibilité pour la HADOPI, en cas de récidive de l’internaute, de suspendre son accès à internet pour une durée allant de deux mois à un an. Le Conseil constitutionnel a considéré qu’une autorité administrative comme la HADOPI, en dépit des garanties entourant sa composition et son fonctionnement, ne pouvait prononcer une sanction de cette nature, estimant qu’« en l’état actuel », le droit à la liberté d’expression et de communication « implique » la liberté d’accès à internet, compte tenu notamment de son « développement généralisé ». En conséquence, seule une juridiction peut être habilitée à prononcer une sanction de cette nature.

Dans son commentaire de cette décision, le Conseil constitutionnel souligne que cette interprétation ne revient pas pour autant à affirmer que l’accès à internet est un droit fondamental. Il estime en effet qu’« affirmer la liberté d’accéder à internet ne revient pas à garantir à chacun un droit de caractère général et absolu d’y être connecté ».

Par ailleurs, le Conseil a validé le principe d’une obligation de surveillance de l’accès à internet par l’abonné, laquelle sert de fondement au mécanisme d’avertissement. Il a toutefois considéré que le dispositif prévu introduisait une présomption de culpabilité à l’encontre du titulaire de l’accès à internet, notamment parce que ce dernier devait apporter la preuve de l’utilisation frauduleuse de son accès par un tiers pour échapper à une sanction.

Au final, la HADOPI pourra donc continuer à adresser des messages d’avertissement aux abonnés, mais cette action préventive ne pourra plus déboucher, compte tenu des dispositions censurées par le Conseil constitutionnel, sur une sanction, laquelle avait l’avantage de conférer au dispositif un caractère dissuasif et pédagogique.

Les seules sanctions possibles sont donc celles encourues sur le fondement du délit de contrefaçon, à savoir, comme vous l’avez rappelé, madame le garde des sceaux, des peines maximales de trois ans d’emprisonnement et de 300 000 euros d’amende. Nous avions relevé, lors des débats sur le projet de loi favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet, le caractère manifestement disproportionné de cette sanction pénale, qui nous semblait inadaptée et inefficace pour prévenir le « piratage de masse ».

Entre, d’une part, les conclusions du Conseil constitutionnel et, d’autre part, l’action préventive de la HADOPI, qui s’ajoute à la voie pénale existante, on voit bien qu’il faut trouver une articulation, une sorte de nouveau maillon dans la chaîne allant de la prévention jusqu’à, éventuellement, la répression.

Comment donc articuler au mieux l’action préventive et d’éventuelles sanctions adaptées, et ce dans le respect renforcé des droits de la défense et de la proportionnalité de la peine ?

C’est inspirée par cette question que la commission a travaillé, et je voudrais très sincèrement remercier son président, Jacques Legendre, ses membres ainsi que vous-mêmes, madame le garde des sceaux, monsieur le ministre, qui avez été particulièrement à l’écoute durant nos travaux.

La commission a souhaité améliorer le projet de loi initial sur quatre points, pour garantir la lisibilité et l’intelligibilité de la loi, renforcer son caractère pédagogique et dissuasif, mieux garantir le respect des libertés publiques et des principes constitutionnels et, enfin, permettre aux ayants droit de faire valoir le cas échéant leurs droits auprès des autorités judiciaires.

En premier lieu, donc, la commission a cherché à améliorer la lisibilité et l’intelligibilité du texte, en en renforçant la cohérence et, par différentes dispositions de coordination, son articulation avec la loi, aujourd'hui promulguée, favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet du 12 juin 2009.

À l’article 3 bis nouveau, elle a clarifié le dispositif prévu par le dernier alinéa de l’article 3 du projet de loi initial, qui concerne le « piratage de masse ».

Rappelons que cet alinéa tend à conférer un fondement législatif à la création, par décret, d’une sanction contraventionnelle visant le titulaire d’un abonnement à internet qui, sans être lui-même contrefacteur, aura néanmoins fait preuve d’une négligence caractérisée dans le contrôle de son accès à internet. Contrairement à ce que nous avons parfois pu lire ou entendre, la commission n’a pas créé cette nouvelle sanction, mais a complété et clarifié le dispositif proposé.

L’article 3 bis du texte que nous avons adopté à cette fin rend donc la loi beaucoup plus compréhensible par tout un chacun, ce qui est fondamental pour un texte qui se veut pédagogique.

Tout d’abord, la commission a prévu que ce dispositif fera l’objet d’un article spécifique du code de la propriété intellectuelle, afin de distinguer clairement le délit de contrefaçon de la contravention pour négligence caractérisée visant le titulaire de l’abonnement à internet.

Ensuite, la commission a mieux caractérisé l’infraction, sachant qu’il appartiendra bien entendu au pouvoir réglementaire d’apporter les précisions nécessaires. Le fondement de l’amende de la cinquième classe, qui pourra, si le juge en décide ainsi, être assortie d’une suspension de l’accès à internet d’une durée maximale de un mois, repose sur la négligence caractérisée du titulaire de l’accès à un service de communication au public en ligne ou de communications électroniques préalablement averti au moyen d’une lettre recommandée, ou d’un autre moyen équivalent, par la commission de protection des droits de la HADOPI.

Certains s’interrogent sur le respect de la présomption d’innocence. Je crois que nous pouvons les rassurer sur ce point : les dispositions censurées par le Conseil constitutionnel dans sa récente décision, en ce qu’elles opéraient un « renversement de la charge de la preuve », étaient d’une nature différente ; dans le cas présent, l’abonné est présumé innocent et il reviendra au juge de rassembler des éléments de preuve caractérisant sa négligence.

La commission propose, en outre, que la sanction encourue en cas de réabonnement par la personne condamnée dans le cadre contraventionnel soit moins sévère que lorsque le non-respect de cette interdiction est réalisé dans le cadre d’une sanction pour délit de contrefaçon.

Ainsi, dans le premier cas, la sanction serait une peine d’amende de 3 750 euros, et non une peine de prison, comme cela résultait de l’article 4 du projet de loi initial. En effet, ce dernier renvoie à l’article 434–41 du code pénal, qui punit de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende la violation, par une personne condamnée par le juge, d’obligations ou d’interdictions résultant de certaines peines.

Enfin, toujours dans un but de lisibilité du droit, la commission a procédé à une renumérotation du code de la propriété intellectuelle, rendue nécessaire à la suite de l’invalidation par le Conseil constitutionnel d’une partie du texte de la loi « Création et internet » votée par le Parlement.

La commission a également souhaité renforcer le caractère pédagogique et dissuasif du dispositif de lutte contre le piratage. À cette fin, elle a prévu, à l’article 1er ter, de renforcer l’information des abonnés sur les sanctions encourues en vertu du présent projet de loi, à la fois dans les contrats passés avec les fournisseurs d’accès à internet et au stade des avertissements envoyés par la HADOPI.

À l’article 3, elle a aligné le montant de l’amende encourue par le fournisseur d’accès à internet qui ne mettrait pas en œuvre la peine de suspension à lui notifiée sur le montant qui avait été voté par le Parlement dans le texte « Création et internet », soit 5 000 euros au maximum, au lieu des 3 750 euros prévus dans le présent projet de loi.

Toujours à l’article 3, elle a prévu que la sanction de suspension de l’accès à internet, lorsqu’elle est prononcée dans le cadre de l’infraction contraventionnelle de négligence caractérisée, ne figurera pas au bulletin n° 3 du casier judiciaire. L’objectif est que le caractère pédagogique et dissuasif du nouveau dispositif proposé, avec la création d’une sanction de suspension d’accès à internet, n’emporte pas de conséquences fâcheuses pour les personnes en recherche d’emploi ou souhaitant se présenter à un concours administratif. Cela se comprend d’autant plus pour les plus jeunes de nos concitoyens.

Par ailleurs, la commission a souhaité mieux garantir le respect des libertés publiques et des principes constitutionnels. Elle a adopté un article 1er quater visant à garantir que la Haute autorité ne conservera pas les données à caractère personnel relatives à l’abonné plus longtemps que la procédure ne l’exige. Le fournisseur d’accès devra informer la HADOPI du début et de la fin de la suspension. À l’issue de la période de suspension fixée par le juge, la Haute autorité devra procéder à l’effacement des données à caractère personnel.

Cette disposition a aussi pour avantage de permettre le contrôle du respect de son obligation de suspension par le fournisseur d’accès à internet.

À l’article 3, la commission a également précisé le délai dans lequel le FAI doit mettre en œuvre la suspension, afin d’encadrer l’appréciation du juge et de respecter ainsi pleinement le principe constitutionnel de légalité des délits et des peines. Un délai de quinze jours semble suffisant aux fournisseurs d’accès pour procéder à la suspension de l’accès à internet.

Enfin, la commission a souhaité permettre aux ayants droit de faire valoir leurs droits auprès des autorités judiciaires ; à cette fin, elle a adopté un article 1er quinquies.

En effet, les représentants des ayants droit ont exprimé certaines préoccupations. Ils craignent notamment de ne plus pouvoir se constituer parties civiles et solliciter des dommages et intérêts auprès du juge, à partir du moment où les autorités judiciaires, une fois saisies par la Haute autorité, pourraient recourir à la procédure accélérée de l’ordonnance pénale.

Rappelons que les ayants droit peuvent toujours saisir directement le juge pénal, le recours à la HADOPI ne leur étant bien entendu pas imposé. Tel ne devrait pas être le cas, néanmoins, en cas de « petit piratage de masse ».

Aussi, afin de répondre à leur souhait légitime, la commission a prévu que la Haute autorité puisse informer les représentants des ayants droit sur les éventuelles saisines de l’autorité judiciaire.

Ainsi, ceux-ci pourront décider s’ils souhaitent ou non se constituer parties civiles et, le cas échéant, se signaler auprès du procureur de la République. Il serait ainsi fait obstacle à la procédure de l’ordonnance pénale, au bénéfice d’une procédure classique. Les ayants droit doivent, en effet, pouvoir intervenir au cours de la procédure si la gravité des faits leur semble le justifier et s’ils souhaitent demander des dommages et intérêts, compte tenu du préjudice subi.

Au total, nous avons tout fait pour que la pédagogie soit encore renforcée. Nous avons travaillé pour concilier les droits des créateurs et des internautes. Nous avons aussi voulu une information plus approfondie de chacun d’entre eux et des abonnés.

Maintenant, il est légitime de se poser la question de savoir si la loi résoudra tous les problèmes.

Nous sommes français et, en tant que tels, nous adorons légiférer, mais, disons-le clairement, si la loi est en l’occurrence nécessaire, elle est loin d’être suffisante.

À travers ce projet de loi, qui entrera progressivement en application, nous adressons un signal très fort : arrêtons de détruire l’une de nos richesses nationales ! Dans le même temps, il faut envoyer un autre signal fort : accéder légalement aux œuvres doit être simple et bon marché.

Tous ceux qui ont signé les accords de l’Élysée, voilà près de vingt mois maintenant, nous ont dit : « Donnez-nous une loi et nous ferons les efforts qui conviennent ! »

Nous y sommes ! Il faut maintenant faire émerger une offre légale de biens culturels à un niveau à la fois économiquement raisonnable pour nos concitoyens et suffisamment rémunérateur pour les auteurs et artistes.

La commission a adopté une position équilibrée et on ne peut plus logique : elle a insisté tout autant sur la nécessité de payer un juste prix pour la « consommation » de biens culturels que sur l’obligation, pour l’industrie culturelle, d’améliorer l’offre légale disponible en ligne.

Il faut reconnaître que des efforts ont été faits, mais ils sont encore trop peu visibles, parce que le piratage de masse écrase tout.

Cela étant, des offres nouvelles existent. Il faut donc très vite qu’un nouveau modèle économique s’impose. À la fois pour favoriser l’émergence de nouveaux talents et pour renouveler les biens culturels, on doit pouvoir aller sur internet autant et aussi souvent qu’on le voudra pour puiser à leur source les œuvres culturelles.

Nous avons aussi le devoir de satisfaire un besoin de consommation culturelle croissant chez nos concitoyens. Chaque jour, en moyenne, les Français écoutent de la musique pendant cinquante-quatre minutes et regardent la télévision pendant plus de trois heures. C’est dire si nos concitoyens sont avides de consommation de musique et de tout ce qui peut apparaître sur nos écrans !

Il n’en demeure pas moins que les offres en ligne sont encore insuffisantes et trop peu visibles. Des efforts sont indispensables si l’on veut que l’effet de bascule joue à plein : il faut freiner le piratage pour accélérer le téléchargement légal.

C’est à ces conditions-là que nous pourrons évoluer vers des pratiques nouvelles qui, au lieu de tarir la création à la source, lui permettront de se renforcer.

Tel est l’enjeu des mois qui viennent.

À ceux qui considèrent que ces débats ont trop duré, je réponds qu’une cause noble comme celle que nous défendons peut exiger de remettre l’ouvrage sur le métier autant de fois que nécessaire.

Au moins depuis Beaumarchais, cette cause intéresse non seulement le législateur, mais encore le pays tout entier.

À d’autres qui observent et se demandent, assez goguenards, à quoi tout cela sert, je réponds qu’il faut bien prendre en compte cette double nécessité de garantir l’accès de tous à internet et le respect de la création. Ce n’est pas l’un ou l’autre ; ce sont bien l’un et l’autre !

À défaut, autant renoncer tout de suite à notre combat pour la diversité culturelle et pour une économie française de la création !

Mais, comme je n’entends pas renoncer - heureusement ! - et comme je ne vois aucune autre solution que celle que nous propose le Gouvernement, je suis confiant dans la sagesse, mais aussi et surtout dans la volonté sans cesse affirmée du Sénat de promouvoir une culture adaptée à notre temps.

C’est pourquoi la commission de la culture, de l’éducation et de la communication vous propose, mes chers collègues, d’adopter ce projet de loi tel qu’elle l’a modifié.

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