Intervention de Catherine Morin-Desailly

Réunion du 8 juillet 2009 à 14h30
Protection pénale de la propriété littéraire et artistique sur internet — Discussion d'un projet de loi en procédure accélérée

Photo de Catherine Morin-DesaillyCatherine Morin-Desailly :

Monsieur le président, madame le ministre d’État, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes aujourd’hui réunis pour mener à bien, je l’espère, la dernière étape d’un processus législatif long et pour le moins mouvementé.

Après avoir donné lieu à un événement rare, à savoir le rejet par l’Assemblée nationale des conclusions d’une commission mixte paritaire, le projet de loi « Création et internet » devait finalement être censuré partiellement par le Conseil constitutionnel.

J’avais évoqué, à l’issue de la CMP, les réserves de plusieurs membres de notre groupe sur certains aspects du projet de loi.

J’avais également souligné qu’il nous fallait rester humbles dans le traitement de ce sujet tout à la fois complexe, sensible et très évolutif.

La décision des sages du Palais-Royal n’a pas remis en question ce qui a toujours été pour nous une dimension essentielle du texte, à savoir son volet pédagogique et préventif, dimension qui, il faut bien le reconnaître, faisait défaut dans la loi DADVSI.

La décision des Sages nous permet d’affiner le délicat équilibre à atteindre, respectueux des parties. La loi « Création et internet », promulguée le 12 juin 2009, a marqué l’entrée en vigueur des premières étapes de la « riposte graduée ». Pour le volet répressif, dernier échelon de cette riposte, un nouveau texte était nécessaire afin de tenir compte de la décision du Conseil constitutionnel.

Le nouveau projet de loi que nous examinons aujourd’hui corrige le principal grief formulé à l’encontre du texte « Création et internet » : la décision de suspension de l’abonnement en cas de téléchargement illégal d’œuvres protégées ne peut être du ressort d’une autorité administrative indépendante et doit nécessairement être prononcée par un magistrat.

Le présent projet de loi vise donc à instaurer une nouvelle procédure. La Haute autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet joue toujours un rôle central puisqu’elle reste chargée de rassembler l’ensemble des éléments qui seront fournis au juge afin qu’il puisse rendre sa décision.

Mais ce sera désormais un juge, et non plus la HADOPI, qui prononcera une coupure de l’abonnement à internet. Cette suspension pourra être décidée pour des durées maximales de un an en cas de délit de contrefaçon et de un mois en cas de manquement à l’obligation de surveillance de l’accès à internet.

L’intervention d’un magistrat de l’ordre judiciaire permettra de renforcer la légitimité de cette décision de suspension et garantira une impartialité et une indépendance supérieures.

La procédure que le projet de loi vise à instaurer devrait certes être rapide, mais nous restons néanmoins quelque peu dubitatifs sur l’applicabilité à long terme du dispositif. Nous redoutons, je le répète, les risques de saturation des tribunaux. Mais peut-être, madame le ministre d’État, avez-vous des précisions à nous apporter à cet égard ?

Ces observations étant faites, j’exprimerai ici deux regrets.

Tout d’abord, le calendrier d’examen de ce projet de loi n’a pas donné à la Haute Assemblée la possibilité matérielle d’organiser des auditions au sein des différents groupes. J’aurais souhaité, par exemple, pouvoir interroger des magistrats ou d’autres praticiens du droit afin de mieux mesurer l’impact de la nouvelle procédure. Nous n’avons que trop peu de temps pour analyser les enjeux de ce texte.

Ensuite, compte tenu de la nature de ce projet de loi, qui est présenté par Mme le garde des sceaux, je déplore que la commission des lois du Sénat n’ait pas été saisie pour avis. Il serait en tout cas logique que la commission de la culture, de l’éducation et de la communication ait un droit de suite sur l’examen de ce texte.

Les débats « passionnés et chaotiques », pour reprendre les termes que M. Michel Thiollière utilise dans son rapport, autour de ce projet de loi et du projet de loi HADOPI, aussi bien au sein des deux assemblées que dans l’opinion publique, ont montré à quel point ces sujets sont sensibles et nous concernent tous.

Notre groupe a toujours montré son attachement à la prévention et à un système mesuré de gradation des sanctions.

Un système de riposte graduée intégrant une suspension de l’accès à internet n’est pas, il faut le rappeler, une exception française. La spécificité française est d’avoir confié à une autorité publique indépendante le soin de mettre en œuvre une politique d’avertissements préalables qui, dans d’autres pays, est assurée par les fournisseurs d’accès à internet dans un cadre purement contractuel.

Dans l’étude d’impact du projet de loi que nous examinons sont d’ailleurs cités plusieurs exemples de pays qui viennent d’adopter des procédures similaires, notamment l’Irlande, la Corée du Sud ou encore Taïwan.

Nous sommes conscients que cette loi, qui s’inscrit dans le prolongement de celle du 12 juin dernier, ne règle pas définitivement la question du téléchargement illégal. Ce dernier sera, nous l’espérons, fortement limité mais pas éradiqué, nous en sommes tous conscients.

La question du piratage numérique en général reste posée. En effet, les technologies évolueront toujours plus vite que le droit. Il faudra sans doute s’adapter et le législateur devra, à la lumière des travaux de la HADOPI, qui est chargée tout à la fois de limiter les mauvaises pratiques et de susciter les bonnes, réfléchir à des améliorations, voire à des évolutions futures.

Il existe déjà des lieux d’observation sur lesquels nous pouvons nous appuyer. Je pense à l’Observatoire de l’offre de la vidéo à la demande, qui a été mis en place en 2005 par le Centre national de la cinématographie, le CNC. Cette initiative innovante permet de contribuer à l’analyse des tendances du marché mais aussi des comportements et à alimenter les échanges entre les professionnels.

Nous devrons encore approfondir le débat, notamment autour de la manière dont les droits de la propriété intellectuelle peuvent être garantis en dépit des évolutions technologiques. Il est nécessaire de réfléchir aussi sur l’économie de la diffusion culturelle, qui est forcément remise en cause par les nouveaux supports.

Il faudra apporter des réponses aux auteurs et à l’ensemble des acteurs du monde culturel si la piraterie devait perdurer, ce que je ne souhaite pas.

Bien entendu, il ne saurait être question de remettre en cause la juste rémunération due aux auteurs et aux créateurs, ni même le financement de la création, mais il conviendra certainement, nous en sommes tous conscients, d’ouvrir de nouvelles pistes et de continuer à explorer celles qui existent déjà.

Cette réflexion pourrait, par exemple, monsieur le président de la commission, prendre la forme d’une table ronde qui réunirait l’ensemble des acteurs culturels et économiques, qui doivent désormais travailler main dans la main avec les parlementaires pour prolonger la réflexion.

On peut regretter le retard qui a été pris dans la mise en place de cette fameuse riposte graduée, quand on connaît l’urgence de trouver une réponse plus adaptée aux artistes et aux créateurs confrontés au développement du téléchargement illégal. Comme l’a rappelé M. le rapporteur, un milliard de fichiers d’œuvres seraient illégalement échangés chaque année en France.

Ce phénomène d’atteinte massive à la propriété intellectuelle et à la création met chaque jour un peu plus en péril les industries culturelles, musicales et cinématographiques.

Contrairement à ce que l’on a pu entendre, il s’agit ici non pas d’enrichir les grandes majors, mais bien plutôt, et surtout, d’enrayer la destruction massive d’emplois qu’entraîne ce phénomène : on estime à près de 5 000 le nombre d’emplois détruits du fait du piratage numérique en 2007 et, au cours des cinq dernières années, on évalue à 30 % la baisse de l’emploi dans les maisons de production, sachant que cela concerne très majoritairement de petites structures, de moins de vingt salariés.

Sur un autre plan, le préjudice pour les comptes de l’État s’élève à près de 200 millions d’euros par an !

Ces chiffres une fois rappelés, il faut, certes, garantir les libertés individuelles, mais on ne peut pas laisser dire que le fait d’encadrer l’utilisation des œuvres est une atteinte aux droits essentiels de l’homme revêtant un caractère liberticide. C’est pourtant la thèse qu’accréditent à tort certains de nos collègues, adoptant une posture que je trouve bien coupable.

Il est donc essentiel que cette loi, qui sera certainement transitoire car elle devra être améliorée, marque une étape importante dans une prise de conscience collective.

Cette prise de conscience doit tout d’abord être celle des internautes. Il est indispensable de leur faire passer un double message clair : la culture a un coût, la gratuité n’existe pas, et les droits de propriété intellectuelle doivent être respectés. Je l’ai dit, à quoi bon multiplier les canaux de diffusion si, à terme, la diversité des contenus disparaît ou, pis, s’il n’y a plus de contenu du tout ?

Une prise de conscience est également nécessaire de la part des créateurs. En effet, ils doivent, eux aussi, être force de proposition et chercher à trouver de nouveaux modèles économiques plus adaptés à l’ère du net. Cette nouvelle loi, sur laquelle ils comptent beaucoup, ne résoudra pas tous les problèmes. Il faut aussi qu’ils se rendent compte des évolutions et qu’ils aient conscience que le phénomène internet n’est pas temporaire ; c’est une réalité durable qu’il faut transformer en atout plutôt que de chercher à la combattre.

Pour finir, je tenais à revenir sur les avancées obtenues grâce à l’adoption en commission de plusieurs amendements de notre rapporteur. Ces amendements visent à renforcer la portée dissuasive et pédagogique du dispositif.

Tout d’abord, le texte prévoit maintenant que les abonnés seront informés des sanctions encourues dans les contrats passés avec leurs fournisseurs d’accès à internet et dans les messages d’avertissement envoyés par la Haute autorité.

Ensuite, la sanction de suspension de l’accès à internet ne sera pas inscrite au casier judiciaire, ce qui est très important. Les condamnations ne seront inscrites qu’au bulletin n° 1 du casier judiciaire, accessible aux seules autorités judiciaires. Elles ne figureront ni dans le bulletin n° 2, accessible aux administrations, ni dans le bulletin n° 3, dont l’intéressé peut demander un extrait pour le communiquer à son employeur.

Introduite par la loi DADVSI de 2006, l’obligation de surveillance de l’accès à internet par l’abonné a été rappelée par la loi du 12 juin 2009. Le manquement à cette obligation sert désormais de fondement juridique au dispositif pédagogique d’avertissement mis en œuvre par la Haute autorité.

Afin de souligner clairement l’indépendance des deux voies administrative – sous l’égide de la Haute autorité – et pénale – avec le délit de contrefaçon –, je me félicite qu’un amendement ait permis de bien préciser que le manquement à cette obligation de surveillance n’aurait pas pour effet d’engager la responsabilité pénale de l’abonné.

Enfin, la Haute autorité devra détruire les données personnelles de l’internaute sanctionné, une fois son accès à internet rétabli.

L’ensemble de ces amendements permet à la fois de renforcer le caractère pédagogique et dissuasif du dispositif, mais aussi de mieux garantir le respect des libertés publiques et des principes constitutionnels.

Avant de conclure, je tiens à saluer le travail de chacun, et plus particulièrement celui qui a été réalisé par M. le rapporteur.

Une majorité des membres du groupe de l’Union centriste votera ce texte. Il ne faut pas perdre de vue que l’enjeu de ce projet de loi est de garantir l’équilibre entre les droits légitimes des auteurs, sans lesquels il ne saurait y avoir de création artistique et culturelle, et les droits des citoyens à l’accès, au partage et à la diffusion de la culture, des savoirs et de l’information que permet ce formidable espace de liberté qu’est internet.

Comme tout espace de vie partagé, internet doit malgré tout respecter un certain nombre de valeurs fondatrices de notre République, qui garantissent le « vivre ensemble », le « bien vivre ensemble », le respect de l’autre ainsi que les droits et devoirs de chacun.

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