Intervention de Françoise Laborde

Réunion du 8 juillet 2009 à 14h30
Protection pénale de la propriété littéraire et artistique sur internet — Discussion d'un projet de loi en procédure accélérée

Photo de Françoise LabordeFrançoise Laborde :

Monsieur le président, madame le ministre d’État, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous voici rassemblés une fois de plus pour légiférer en matière de téléchargement d’œuvres culturelles sur internet.

Aujourd’hui, deux nouveaux ministres sont chargés du dossier avec pour mission de régler ce problème une bonne fois pour toutes...

Le 13 mai dernier, le Sénat adoptait la loi désormais dite « HADOPI 1 ». Avec la majorité des membres de mon groupe, je l’avais votée pour les raisons que j’avais eu l’occasion de préciser à maintes reprises.

Nous étions parvenus à l’accord de principe selon lequel informer et responsabiliser ceux que l’on nomme, parfois injustement, les « pirates », éduquer les plus jeunes de nos concitoyens, était la voie la plus noble pour parvenir à nos fins. Cette sensibilisation des consommateurs à la notion de droit d’auteur sera, à l’avenir, l’une des clés de la réussite du sauvetage de la production culturelle.

Le principe de riposte graduée, adopté dans la loi « Création et internet », me semblait l’outil parfaitement efficace et réaliste dont nous avions besoin. Il consistait en une démarche consensuelle, pédagogique et novatrice pour lutter contre le piratage.

La décision éclairée du Conseil constitutionnel nous a permis de hisser clairement au rang de liberté fondamentale l’accès aux services de communication en ligne. Je m’en réjouis d’autant plus vivement que c’est aussi la position du Parlement européen. Cependant, le Conseil des Sages a censuré, je pourrais même dire décapité le dispositif de « riposte graduée ».

En réponse, le Gouvernement nous propose la voie des sanctions pénales. Non seulement ce choix est disproportionné, mais, je le répète, il va à l’encontre des dispositions votées par le Parlement européen en ce domaine. De surcroît, dans les modalités de sa mise en œuvre, il fait fi de la réalité, celle des contournements rendus possibles par le streaming, technologie de plus en plus sophistiquée et répandue.

Plus grave, dans son principe, ce texte est purement et simplement inapproprié en matière de libertés publiques et d’économie globale à long terme.

Pourtant, en 2007, face à la gravité de la crise du secteur culturel, le Président de la République avait mis en place une mission de « sauvetage » de l’industrie culturelle qui avait abouti au rapport Olivennes. Ce dernier a inspiré la loi HADOPI 1. Ses maîtres mots étaient : lutte contre le téléchargement sauvage, notamment par la pédagogie, et mesures en faveur de l’épanouissement de l’offre légale.

Il est regrettable que cette montagne ait accouché d’un arsenal disproportionné en matière pénale et d’une souris en matière de politique culturelle relative aux technologies de l’internet. Nous avons d’autres leviers que la peur du gendarme pour relancer l’économie de la culture sur internet et promouvoir la création artistique !

Comment garantir la juste rémunération des auteurs, en particulier celle des indépendants ? Le projet de loi ne répond pas à ce défi, et je regrette, vous l’avez compris, qu’il ne crée pas de véritable économie de la culture internet.

Combien de temps le Gouvernement laissera-t-il les artistes s’appauvrir ? Combien de temps encore avant la mise en place d’une licence globale, seule solution « gagnant-gagnant » tant pour les libertés publiques que pour la rémunération des artistes et l’économie en général ?

Ce nouveau système de rémunération est le seul qui puisse satisfaire à la fois les auteurs, les artistes, les éditeurs, les producteurs et les diffuseurs, et c’est pour cette raison qu’il doit inspirer le Gouvernement et les professionnels pour trouver une solution de sortie de crise, avant la faillite complète de notre si chère exception culturelle française.

Le texte que nous allons examiner prévoit une procédure pénale simplifiée, à juge unique, sans débat contradictoire, sans enquête préalable, celle de l’ordonnance pénale, la même qui est prévue en matière de contraventions au code de la route ou encore de consommation de produits stupéfiants... Cette loi, une fois votée, instituera l’infraction aux droits d’auteurs !

Ces solutions ne sont donc pas satisfaisantes.

D’une part, nous avons déjà eu l’occasion de tester l’efficacité du recours à un arsenal juridique sévère : trois ans après l’adoption de la loi DADVSI, le délit de contrefaçon, jugé excessif, n’a toujours pas été appliqué, et c’est tant mieux. D’autre part, le pouvoir d’appréciation du juge sera entaché par une procédure peu respectueuse des droits de la défense.

Ce texte retire à la Haute autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet le pouvoir de sanction pour le rendre à l’autorité judiciaire. Mais quel sera le rôle de cette dernière si le dossier préparé par la Haute autorité ne laisse au juge qu’une marge de manœuvre ténue ?

Pour toutes ces raisons, il y a fort à parier que le texte que nous examinons aujourd’hui ne passera pas, lui non plus, le barrage du Conseil constitutionnel, qui invoquera certainement les principes de séparation des pouvoirs et de proportionnalité des peines, sans oublier le respect des droits de la défense.

Madame le ministre d’État, monsieur le ministre, vous nous proposez un texte pénal, alors que nous voulions seulement instituer la responsabilisation des utilisateurs d’internet par la riposte graduée tout en redonnant du souffle à l’économie de la filière culturelle.

S’entêter à considérer les jeunes qui échangent des fichiers comme d’épouvantables criminels en puissance, c’est l’inverse de la philosophie qui nous avait inspirés jusqu’à maintenant. Pourquoi choisir de faire glisser le Parlement sur la pente répressive ?

Comment redonner du souffle en faveur des artistes et de leur rémunération ? Car, ne nous leurrons pas, à l’instar de la musique, ni le cinéma, ni la littérature, ni aucun pan de la création culturelle ne sera épargné par ces problématiques. La question qui reste en suspens est bien celle de l’économie globale du secteur culturel.

Monsieur le ministre, ce nouveau projet de loi ne mettra pas un point final à la saga législative du numérique. Il est urgent d’envisager, comme les États-Unis sont déjà en train de le faire, la mise en place d’un système de licence globale.

Rien dans ce projet de loi ne permet pour l’instant d’envisager l’avenir de la culture avec optimisme. C’est pourquoi je m’abstiendrai.

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