L’objectif de cet article est de permettre de beaucoup réprimer, à moindre coût. C’est ce qui ressort de l’exposé des motifs du projet de loi : il y est en effet indiqué que, si le législateur a décidé de recourir à la procédure du juge unique et aux ordonnances pénales en matière de délits de contrefaçon, c’est non parce que la nature des délits permettrait le recours à ce type de procédure, mais parce que les atteintes aux droits d’auteur et aux droits voisins, lorsqu’elles sont commises par l’intermédiaire d’internet, sont très répandues. L’important est non pas de garantir les conditions d’une justice équitable, mais de faire de l’abattage.
Pourtant, l’adoption de ce projet de loi entraînera un surcroît de travail pour des magistrats déjà bien souvent surmenés. C’est ce que révèle l’étude d’impact demandée par le Gouvernement sur la mise en œuvre du nouveau texte anti-piratage.
Les chiffres ont effectivement de quoi donner le tournis aux magistrats. Le rapport prévoit que la justice traitera chaque année 50 000 cas, ce qui nécessitera 109 postes supplémentaires, dont 26 de magistrats. Selon l’étude, le temps consacré à chaque dossier sera d’environ 35 minutes : 5 minutes pour le traitement de l’ordonnance pénale et 30 minutes comprenant la préparation de l’audience, le temps d’audience et la rédaction de la décision. En cas d’appel, il faudra compter 50 minutes de plus. L’étude prévoit que la moitié des internautes feront appel : en effet, « le taux d’opposition peut être important dans la mesure où la peine de suspension de l’accès à l’internet aura des conséquences pratiques évidentes pour les condamnés ».
Pour combler les brèches ouvertes par le Conseil constitutionnel, vous avez cru bon de transférer le volet répressif de la commission de protection des droits au juge, mais cela ne fait que déplacer le problème. En effet, malgré les efforts du Gouvernement, avec un tel dispositif, le risque d’inconstitutionnalité n’est toujours pas écarté. Le Conseil constitutionnel a déjà eu l’occasion en 2002, avec la loi Perben I, de se prononcer sur la procédure simplifiée appliquée aux délits : cette dernière doit être réservée aux cas où sont « assurées aux justiciables des garanties égales, notamment quant au respect du principe des droits de la défense, qui implique en particulier l’existence d’une procédure juste et équitable » et où « il résulte de l’enquête de police judiciaire que les faits reprochés au prévenu sont établis et que les renseignements concernant la personnalité de celui-ci, et notamment ses charges et ses ressources, sont suffisants pour permettre la détermination de la peine ».
Or, en l’espèce, il n’y aura pas d’enquête de police judiciaire puisque c’est une autorité administrative qui réunira les preuves. Alors qu’une adresse IP est très largement insuffisante pour savoir qui utilise l’ordinateur en question, comment connaître la personnalité et les ressources de l’abonné ?
La justice est engorgée et fonctionne à flux tendus. Lui confier un contentieux de masse crée une menace d’asphyxie, ou suppose l’abandon de poursuites dans d’autres domaines ; mais lesquels ? Les violences conjugales ? Le trafic de stupéfiants ?
Le Gouvernement exclut de fournir à la justice les moyens dont elle a besoin ; il préfère étendre plus encore le champ d’action des procédures les plus bureaucratiques et expéditives au détriment du vrai travail des magistrats, celui de l’enquête, de l’investigation et de la justice.