Intervention de Jean-Pierre Sueur

Réunion du 11 février 2010 à 15h00
Lutte contre les violences de groupes — Adoption définitive d'une proposition de loi en deuxième lecture

Photo de Jean-Pierre SueurJean-Pierre Sueur :

Le scénario est toujours le même, monsieur le secrétaire d'État. Vous le connaissez : il se produit des faits divers crapuleux qui suscitent, à juste titre, l’indignation de la population. Puis le Président de la République apparaît sur le perron de l’Élysée pour annoncer une nouvelle loi.

Simplement, mes chers collègues, il ne suffit pas, tout le monde le sait, de faire une nouvelle loi pour régler les problèmes ! S’occuper vraiment de donner les moyens nécessaires à la justice, à la police, à celles et à ceux qui font œuvre d’éducation est plus efficace et bien préférable à l’abondance, à la surabondance de projets de loi !

D’ailleurs, monsieur le secrétaire d'État, il ne vous a pas échappé qu’en cette séquence préparatoire aux élections régionales l’examen de cette proposition de loi visant à lutter plus efficacement contre les violences de groupes précède celui, dans cette même enceinte, du nouveau projet de loi sur la récidive, cependant que l’Assemblée nationale débat en ce moment même du projet de loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure, dite « LOPPSI 2 ». Une succession qui ne vous a certainement pas échappé !

Du texte qui nous est soumis en deuxième lecture, je voudrais souligner devant vous, mes chers collègues, les nombreux aspects inconstitutionnels.

Je m’appuierai, à ce propos, sur les travaux de M. Hubert Lesaffre qui, dans un très remarquable article publié dans lesen août 2009, a démontré l’inconstitutionnalité du texte initial. Or il se trouve que les arguments qu’il a employés sont toujours d’actualité, même après les modifications apportées par le Sénat et certaines améliorations de votre propre fait, monsieur le rapporteur, que je tiens à saluer.

J’en viens à l’article 1er, qui dispose : « Le fait pour une personne de participer sciemment à un groupement, même formé de façon temporaire, en vue de la préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits matériels, de violences volontaires contre les personnes ou de destructions ou dégradations de biens est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende. »

Il est un premier problème important que vous n’avez pas évoqué tout à l’heure, monsieur le secrétaire d'État : cet article est-il nécessaire et conforme au principe de proportionnalité des peines ?

Je me dois de vous faire remarquer que cette disposition est en quelque sorte superfétatoire, car elle ne vient combler aucune lacune, aucun vide juridique dans l’arsenal répressif déjà en vigueur.

S’il s’agit de viser les bandes de délinquants, en quoi l’article 132-71 du code pénal, qui fait de la participation à une bande organisée une circonstance aggravante, est-il inopérant ?

De même, « l’association de malfaiteurs » est déjà incriminée lorsqu’elle vise la commission de délits punis d’au moins cinq ans d’emprisonnement par l’article 450-1 du code pénal. Pourquoi faudrait-il en rajouter ? L’exposé des motifs de la proposition de loi indique justement qu’il s’agit de combler « une lacune de notre système répressif résultant de la définition du délit d’association de malfaiteurs ». En effet, l’article 450-1 précité vise uniquement l’association qui a pour objet la préparation des délits punis d’au moins cinq ans d’emprisonnement. Cette proposition de loi serait alors rendue nécessaire par le fait que les violences en réunion ayant entraîné une interruption du temps de travail de moins de huit jours ne seraient punies que d’une peine de trois ans d’emprisonnement. Mais dans ce cas, monsieur le secrétaire d'État, pourquoi n’avez-vous pas proposé de modifier le seuil retenu pour définir l’association de malfaiteurs ?

S’il s’agit de viser des groupements spontanés, vous remarquerez, mes chers collègues, qu’ils peuvent déjà être poursuivis sur le fondement du délit d’ « attroupement », armé ou non, en vertu des articles 431-3 à 431-5 du code pénal, sans compter la circonstance aggravante de guet-apens – prévue par l’article 132-71-1 du code pénal – et le délit d’occupation-réunion de hall d’immeuble – visé par l’article L.126-3 du code de la construction et de l’habitation.

Monsieur le secrétaire d'État, dans la mesure où, de surcroît, la circonstance de réunion constitue toujours un motif d’aggravation des délits, ce texte n’est en rien nécessaire. Il existe d’ores et déjà toutes les dispositions qui permettent d’atteindre l’objectif visé.

Vous créez, en outre, un grave problème. Il ne saurait en effet vous avoir échappé, monsieur le secrétaire d'État, que vous créez, avec cet article 1er, une peine unique. Or, en prévoyant une peine identique d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende, sans faire la moindre distinction selon la gravité des violences ou des dégradations, vous rompez avec l’exigence de proportionnalité entre la peine et le délit. Et vous restez en deçà de la compétence dévolue au législateur puisque nous n’exercerons pas pleinement la compétence qui nous est confiée par l’article 34 de la Constitution.

En quoi les textes que je viens de citer ne sont-ils pas suffisants pour répondre à l’objet de la présente proposition de loi ? Monsieur le secrétaire d'État, je serais très heureux de vous entendre répondre à mes interrogations.

En outre – et j’insiste sur ce point –, comment pouvez-vous justifier l’existence d’une seule sanction, battant ainsi totalement en brèche l’un de nos grands principes constitutionnels, je veux parler de la proportionnalité de la peine au délit ?

Cet article 1er est également problématique au regard du principe de légalité et de l’article VIII de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, dont le Conseil constitutionnel a déduit la nécessité pour le législateur de définir les infractions en termes suffisamment clairs et précis. Or votre texte n’est ni clair ni précis !

Certes, j’ai noté, monsieur le rapporteur, l’apparition de l’adverbe « sciemment ». Mais le texte tel qu’il est rédigé et tel que vous prévoyez de le faire adopter, sans modification, si j’ai bien compris vos intentions, est beaucoup trop flou.

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