Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, entre le flop magistral du débat sur l’identité nationale et le scandale de la garde à vue, nous continuons à être submergés de textes sécuritaires qui sont tout sauf la définition d’une vraie politique de la justice et des libertés.
Le débat de mardi dernier sur la garde à vue fut, je crois, d’une bonne tenue, sans polémique, mais il a illustré les contradictions fondamentales de votre politique, monsieur le secrétaire d'État, car il est pour le moins stupéfiant de se déclarer choqué du nombre de gardes à vue et de multiplier les textes de circonstance en partie à l’origine de leur augmentation.
En avant-goût du projet de loi sur la récidive que nous examinerons la semaine prochaine, la Haute Assemblée est aujourd'hui saisie en deuxième lecture de cette proposition de loi certainement très opportune pour la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, mais qui, pour tout dire, laisse un arrière-goût toujours aussi désagréable qu’en première lecture à ceux qui, comme nous, considèrent que l’accumulation de textes dits sécuritaires est à la fois contraire aux libertés publiques et au souci légitime du respect de la loi et de l’ordre républicain.
En fait, ce texte constitue un dérapage par rapport aux principes généraux de notre droit. Ainsi, son article 1er contrevient au principe de la responsabilité pénale individuelle, et Jean-Pierre Sueur vient de rappeler les difficultés que soulève son article 2.
Monsieur le secrétaire d'État, j’en viens à penser que la lecture de la rubrique « faits divers » de la presse est la principale source d’inspiration des auteurs de ce texte, avec celle des courbes de sondage. Le tragique meurtre d’un couple de personnes âgées a fourni ad nauseam le prétexte à votre collègue de l’intérieur pour annoncer un nouveau texte – peut-être le dix-septième ou le dix-huitième texte sécuritaire depuis 2002 – pour durcir les sanctions punissant les crimes commis contre les personnes âgées.
Je veux d’ailleurs à rendre hommage au garde des sceaux d’avoir rappelé fort à propos que le Parlement pouvait créer toutes les incriminations qu’il voulait mais que les juges restaient libres de les utiliser ou non.
Au demeurant, nous le savons tous, 40 % des incriminations existantes ne sont pas utilisées. En créer de nouvelles est le plus souvent superfétatoire. Comme de nombreux magistrats et praticiens du droit, nous vous demandons d’arrêter la multiplication des textes d’opportunité : moins il y a de textes, mieux ils sont appliqués. En étant brouillé avec la codification, vous vous brouillez avec le droit.
Vous corroborez, monsieur le secrétaire d'État, l’existence de la tendance quasi obsessionnelle que nous avions déjà dénoncée en première lecture à faire voter un nouveau texte pénal à chaque fois que survient un fait divers. Comme s’il suffisait d’agiter un projet de loi dans les médias pour justifier l’insuffisance de résultats dans la lutte contre la délinquance, alors que la vraie question est celle des moyens mis à la disposition de ceux qui sont chargés d’appliquer les innombrables textes déjà en vigueur !
Comment croire que l’on permet aux magistrats d’effectuer leur dur travail dans les meilleures conditions alors que notre droit pénal subit une instabilité sans commune mesure dans notre histoire ? Est-ce ainsi que vous allez apaiser le profond malaise qui touche la justice et que ressentent tant les professionnels que nos concitoyens ?
Mettons les choses au clair : nul dans cet hémicycle ne peut revendiquer le monopole de la défense des victimes. La République concilie la liberté et l’ordre, qu’elle doit tous deux défendre, et il nous insupporte que le second tende de plus en plus à s’imposer à la première, au détriment des principes fondateurs qui guident notre conception de l’État de droit.
Ce texte, parmi de nombreux autres, illustre la frénésie sécuritaire qui prend forme dans ce qu’il faut appeler une logorrhée législative. N’oublions pas que la délinquance et la criminalité frappent d’abord les plus modestes de nos compatriotes, ce qui rend le malheur qui les touche d’autant moins supportable.
De ce point de vue, nous n’avons naturellement pas changé notre appréciation sur ce texte, malgré les améliorations apportées par notre commission des lois en première lecture.
Face à un phénomène protéiforme comme les violences commises en bande, cette proposition de loi, par trop schématique, ne règle pas les problèmes qu’elle prétend résoudre. Pis, elle complexifie encore un peu plus un droit pénal déjà devenu illisible et donc de moins en moins applicable.
On l’a dit, nombre des dispositions qu’elle introduit existent en réalité déjà dans nos textes, textes que je ne citerai pas comme je l’avais fait en première lecture, mais plusieurs de ses articles sont donc redondants et de nature à complexifier notre droit.
Ainsi, l’article 6 est parfaitement redondant avec la protection dont bénéficient en tant que « personnes chargées d’une mission de service public » les personnels des établissements scolaires.
S’agissant au contraire des nouvelles dispositions, Jean-Pierre Sueur a justement rappelé les problèmes que soulève l’institution de la circonstance aggravante constituée par les atteintes volontaires à la personne commises en groupe.
Par ailleurs, nous nous inquiétons toujours des conséquences de l’article 3, malheureusement adopté conforme en première lecture, qui vise à aggraver les peines encourues pour un certain nombre d’infractions lorsqu’elles ont été commises avec le visage en tout ou en partie dissimulé.
Ce dispositif sera non seulement inapplicable, sujet à des difficultés d’interprétation sans fin pour les magistrats, mais encore source d’une surenchère sur le terrain par des personnes qui s’en serviront par provocation. Aujourd’hui la cagoule, demain la burqa, après-demain les lunettes Ray-Ban ! Pourquoi pas, monsieur le secrétaire d'État, le retour à l’arrêté du 10 septembre 1900 du maire du Kremlin-Bicêtre interdisant le port de la soutane sur le territoire de sa commune, document extrêmement intéressant que je ne manquerai pas de vous faire parvenir ?
Les députés ont eu l’heureuse idée de ne pas rétablir le funeste article 2. Ils n’ont pas eu la main aussi heureuse, en revanche, en rétablissant deux autres dispositions, tout aussi oiseuses que l’ensemble du texte : l’aggravation des peines encourues lorsque le délit d’intrusion dans un établissement scolaire est commis en réunion, et l’incrimination spécifique visant le fait, pour une personne habilitée à pénétrer dans un établissement scolaire, d’y entrer avec une arme sans motif légitime. Comme s’il n’existait pas déjà de dispositions spécifiques dans le code pénal pour réprimer le port d’armes prohibé !
En conclusion, vous l’aurez compris, la très grande majorité des membres du RDSE s’opposera à ce texte, comme en première lecture. Cette proposition de loi de circonstance, j’ose le dire, est la énième incarnation de la dérive de la fonction de législation.
Nos collègues députés ont commencé à débattre de la LOPPSI 2, qui procède du même esprit, mais à plus grande ampleur et de façon encore plus inquiétante. Il s’agit pour vous d’occuper l’espace médiatique de la sécurité pour des considérations largement électoralistes. Nous nous y opposons car, comme l’écrivait Camus dans ses Carnets, « si l’homme échoue à concilier la justice et la liberté, alors il échoue à tout ».