Intervention de Éliane Assassi

Réunion du 11 février 2010 à 15h00
Lutte contre les violences de groupes — Adoption définitive d'une proposition de loi en deuxième lecture

Photo de Éliane AssassiÉliane Assassi :

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous sommes de nouveau réunis pour examiner, en deuxième lecture, une énième loi sécuritaire qui vise, selon ses promoteurs, à régler la question des violences de groupes.

Ce texte a été rédigé dans la précipitation, comme bien d’autres, pour répondre à l’émotion suscitée par un fait divers. Il rejoint la longue liste des lois, adoptées depuis 2002, qui n’ont aucunement fait baisser la délinquance, malgré vos paroles rassurantes et votre interprétation des chiffres, qui est bien évidemment toujours à votre avantage.

Notre arsenal pénal devrait être en mesure de répondre au phénomène des violences commises en groupes. C’est le cas des dispositions relatives aux bandes organisées, à l’association de malfaiteurs, aux violences en réunion, ou encore aux attroupements. Ce phénomène n’est donc pas nouveau, malgré vos déclarations alarmistes.

Parler de gang peut effectivement faire peur, et c’est d’ailleurs sûrement le but recherché. Mais on ne peut pas comparer sérieusement la situation française à celle des États-Unis, pays dans lequel existent des gangs structurés en véritables organisations criminelles.

Cela étant dit, je suis surprise que ce texte nous revienne si rapidement après sa première lecture, alors que des textes importants, tels que le projet de loi de réforme des collectivités territoriales, mettent beaucoup de temps à nous revenir en deuxième lecture. Faut-il y voir le signe d’une certaine fébrilité dans les rangs de la droite, qui a peut-être besoin de lancer des signaux à son électorat, déçu par la politique gouvernementale et qu’il faut contenter à quelques jours des élections régionales ?

Avec ce texte, vous ne misez, une nouvelle fois, que sur l’aspect répressif pour lutter contre cette forme de délinquance, alors que l’échec patent de votre politique en la matière devrait vous faire réfléchir sur la méthode à suivre. Il est pourtant indispensable que le volet répressif soit le pendant de la mise en place d’une véritable politique de prévention pour pouvoir lutter, sur le long terme, contre la délinquance.

Ce phénomène trouve souvent son origine dans l’échec scolaire de jeunes qui se retournent vers les bandes pour y trouver un semblant de socialisation. À ce titre, je salue la mobilisation des enseignants, soutenus par des parents et des élèves, dans mon département comme dans d’autres de la région parisienne, qui rappellent fort justement que la suppression de postes d’enseignants ou de personnels de surveillance favorise la violence dans les établissements scolaires. Il est urgent de les entendre et de répondre à leurs revendications, qui reposent sur des réalités vécues au quotidien et qui, à l’inverse de vos choix, tendent à produire des propositions en matière de prévention.

L’aggravation de ce phénomène est aussi à rechercher dans la fin des aides aux réseaux associatifs de prévention de la délinquance et la suppression de la police de proximité.

Vos lois sont contreproductives pour une raison simple : elles sont concentrées sur l’aspect répressif – comme nous le verrons sans doute à l’occasion de l’examen de la LOPPSI 2. – et elles ne s’attaquent jamais aux causes qui engendrent des comportements violents.

Cependant, plus qu’une quelconque loi d’affichage, comme en est friand le Gouvernement, cette proposition de loi, si elle est adoptée, portera très gravement atteinte aux libertés publiques.

La création d’une infraction sur la base de la notion d’intentionnalité permettra d’arrêter des individus sans que des infractions aient été commises, ce qui laisse la porte ouverte à un très grand arbitraire. On nage là en pleine science-fiction : on préjuge les actes des personnes, ce qui est attentatoire aux libertés individuelles !

Les forces de l’ordre devront prouver qu’un groupement avait l’intention de commettre une infraction. Or on sait bien qu’il s’agit souvent, en l’occurrence, d’actes impulsifs, d’opportunité. Comment une loi pourrait-elle prévenir des actes imprévisibles par nature ?

J’ajoute que l’arrestation, dans la pratique, d’un groupe supposé violent, qui peut très bien être composé de plusieurs dizaines d’individus, est simplement impossible tant les moyens humains et matériels des forces de l’ordre sont insuffisants, la révision générale des politiques publiques, la RGPP, ayant fait son œuvre. Pour que les nombreuses mesures que vous proposez soient applicables, encore faudrait-il que les personnes chargées de leur application aient les moyens d’agir !

Cette proposition de loi va donc envoyer des personnes devant la justice pour des faits qu’elles n’ont pas commis, mais qu’elles avaient sûrement l’intention de commettre ! Il s’agit d’un grand recul pour notre système judiciaire.

Par ailleurs, la fameuse disposition visant à punir une personne qui dissimule « volontairement en tout ou partie son visage afin de ne pas être identifiée » est également symptomatique de cette proposition de loi, que le syndicat de la magistrature qualifie d’« inutile et dangereuse ».

Il est en effet assez illusoire de penser qu’un tel dispositif puisse fonctionner. Définir la dissimulation comme une circonstance n’est pas tenable juridiquement. Il s’agit bien d’une pure disposition de communication, car il est évident qu’elle n’aura aucun effet dissuasif : les personnes qui commettent des infractions continueront à le faire en dissimulant leur visage.

Mais l’un des aspects les plus graves de ce texte, c’est qu’il vise insidieusement à réprimer un phénomène bien plus inquiétant pour vous : les mouvements sociaux. La rédaction de certains articles fait craindre, en effet, que ces dispositions serviront en fait à réprimer les syndicalistes. Cette idée, qui peut vous sembler farfelue, ne l’est pas tant que cela, puisque des policiers affirment que ce texte ne pourra s’appliquer que lors de manifestations !

Cette proposition de loi va encore plus loin dans l’atteinte portée à l’action militante : sous le prétexte de « sanctuariser » les établissements scolaires, victimes au cours de ces derniers mois de nombreuses intrusions ayant donné lieu à des violences, elle vise à sanctionner d’un an d’emprisonnement « le fait de pénétrer ou de se maintenir dans l’enceinte d’un établissement d’enseignement scolaire ». Ce dispositif vise assez explicitement la faculté de manifester à l’intérieur de ces lieux, comme lors des derniers conflits sociaux qui ont vu les manifestants occuper leurs établissements. On ne peut pas penser un seul instant qu’il vise les bandes venues en découdre, car celles-ci n’ont aucun intérêt à se maintenir dans l’établissement, sauf à vouloir attendre gentiment les forces de l’ordre !

Comme je l’ai dit précédemment, ce texte ne permettra pas de mettre un terme aux violences qui affectent périodiquement nos établissements scolaires. La suppression de postes dans l’éducation nationale, qu’il convient de mettre en relation avec l’application de la RGPP, rend bien plus difficile la canalisation de cette violence.

De plus, votre refus de lever nos doutes sur l’éventuelle utilisation de cette disposition contre les manifestants apparaît comme un véritable aveu de votre part.

En résumé, sous prétexte de lutter contre les violences de groupes, vous allez réprimer l’action syndicale.

Nous devons aussi souligner que cette proposition de loi ressemble à un condensé de nombreuses mesures répressives, qui y sont opportunément insérées et qui vont de l’usage de la vidéosurveillance à la réécriture de la fameuse loi sur le délit d’occupation des halls d’immeuble.

Ce texte, je le répète, est inutile pour lutter efficacement contre le véritable problème que constituent les violences de groupes, dans la mesure où l’arsenal législatif existant est largement suffisant, comme le rappellent les magistrats. En revanche, il est très dangereux pour les libertés publiques, notamment pour le mouvement social, qui est clairement visé par certains dispositifs.

Par cohérence avec la position que nous avons prise en première lecture, nous voterons contre cette proposition de loi. §

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