Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’organisation de ce débat marque l’aboutissement de plusieurs mois de travail et de réflexion sur les orientations de notre politique de coopération.
Monsieur le ministre, vous avez souhaité entamer une réflexion sur le sens de notre effort au service du développement des pays du Sud. Nous pensons que ce travail est particulièrement utile et bienvenu.
En effet, il faut expliquer à nos concitoyens ce que fait la France quand elle finance le réseau d’adduction d’eau de Bamako ou quand elle intervient, avec le Japon, pour soutenir le programme indonésien de lutte contre la déforestation. Il faut aussi savoir dire à nos partenaires ce que sont nos objectifs, nos zones prioritaires et nos moyens d’intervention. Monsieur le ministre, vous avez eu l’intelligence d’associer la société civile et le Parlement à cette réflexion, et nous vous en remercions.
La commission des affaires étrangères, son président Josselin de Rohan et ses rapporteurs ont apporté leur contribution à ce travail. Nous avons multiplié les auditions, organisé un débat et publié un rapport étayé et critique sur les premières orientations de ce document. Ce long processus a abouti à l’adoption du document-cadre de coopération, qui fixe les grandes orientations de la politique d’aide au développement de la France pour les dix années à venir.
Ce document établit un diagnostic que je voudrais commenter, laissant à notre collègue André Vantomme le soin d’évoquer les objectifs de cette politique.
Avant tout, je soulignerai qu’il faudra prendre l’habitude de ces rendez-vous, monsieur le ministre. Le temps où l’aide au développement était, dans le prolongement de la politique africaine, le monopole de l’exécutif est manifestement révolu. Nous estimons que ce débat doit constituer une première étape vers l’adoption par le Parlement, à échéance régulière, d’une loi d’orientation sur le développement, comme c’est du reste le cas au Royaume-Uni ou en Espagne.
Voilà pour la méthode. Venons-en au fond : si le monde bouge, il faut dessiner un visage nouveau à la coopération.
À travers ce document, l’aide au développement ne relève plus seulement d’une démarche caritative. Nous croyons que l’idéal humaniste demeure. C’est parce qu’un homme vaut un autre homme, qu’il soit né ici ou ailleurs, qu’il faut lutter contre la faim et se battre pour qu’un enfant né au Mali n’ait pas cinquante fois plus de risques de mourir avant cinq ans qu’un enfant né en France.
Toutefois, il faut aussi expliquer à nos concitoyens que la coopération est un moyen de régulation de la mondialisation, une contribution à un monde plus sûr.
Les attentats de septembre 2001, la résurgence de la piraterie, le retour des pandémies ont bien montré que le sous-développement constituait un terreau favorable à des menaces, qui touchent aussi bien les pays du Sud que ceux du Nord.
Notre façon de penser notre coopération doit évoluer, parce que les pays en développement ont connu des trajectoires divergentes. Il faut formaliser la fin d’une politique indifférenciée. Notre coopération n’a pas le même sens, ne vise pas les mêmes objectifs, n’utilise pas les mêmes instruments à Nouakchott et à Nankin.
Notre vision de l’aide au développement doit changer parce que notre coopération doit toujours se penser désormais sous la forme de partenariats. En effet, la France n’agit plus jamais seule.
Même dans le cadre de notre aide bilatérale, la coopération consiste à lancer des actions et à trouver des partenaires pour financer, ensemble, des projets de développement. Même dans des pays comme le Mali, la France n’apporte plus que 10 % de l’aide totale reçue. On peut le regretter, mais il faut regarder la réalité en face.
Nos actions sont aujourd’hui presque toujours conduites en partenariat avec d’autres bailleurs de fonds ou avec des institutions multilatérales. Je pense même que nous gagnerions en efficacité si nous établissions plus fréquemment des programmations conjointes au sein de l’Union européenne.
Dans le contexte budgétaire que nous évoquions hier soir, lors de la réunion de la commission, monsieur le ministre, il nous faut plus que jamais trouver des synergies au sein de l’Union, pour bâtir ensemble, à vingt-sept pays – je sais que ce n’est pas simple, compte tenu de nos différences –, une véritable politique de développement européenne.
Il nous faut enfin inventer pour demain – votre réflexion le souligne également – une coopération qui dépasse le socle exclusif des souverainetés nationales pour inventer des politiques globales.
Avec la lutte contre le changement climatique ou les pandémies mondiales, l’aide au développement doit trouver des modes de gouvernance qui dépassent la coopération intergouvernementale. On l’a bien vu lors de l’échec de la conférence de Copenhague : les défis du XXIe siècle exigeront, pour gérer l’intérêt commun de la planète, des solutions collectives, une gouvernance internationale qu’il nous reste à inventer.
Il nous faut sortir d’une vision binaire du monde, car nous vivons, avec l’essor des pays émergents, la fin de la dichotomie Nord-Sud. En ce sens, le document-cadre nous parait juste et utile : il introduit une vision nouvelle de l’aide au développement et permet de mieux comprendre une politique complexe, dont on oublie, derrière des batailles de chiffres, la signification très actuelle.
Monsieur le ministre, nous émettons cependant quelques réserves sur ce diagnostic, qui dessine un tableau mais ne présente pas un bilan, et encore moins une évaluation.
En effet, nous ne retrouvons pas dans ce document, comme nous l’aurions souhaité, un bilan suffisant des objectifs fixés par les derniers comités interministériels de la coopération internationale et du développement et ce parti pris nous semble critiquable. Il serait souhaitable que la définition de cette nouvelle stratégie puisse s’appuyer sur un bilan des précédentes. Comme trop souvent, on élabore une nouvelle stratégie sans tirer tous les enseignements de celle qui l’a précédée.
De même, nous ne retrouvons pas dans ce document une évaluation des différents instruments de notre coopération. Dans un contexte où les crédits consacrés aux subventions risquent d’être de plus en plus contraints, il convient de nous fixer une ligne de conduite et de déterminer où ces financements sont les plus efficaces et les plus nécessaires.
Nous ne trouvons pas non plus un bilan des réformes des structures administratives de l’aide au développement opérées depuis 2004, qui permettrait pourtant de définir les objectifs assignés à chacun des organismes concernés et au réseau de coopération dans son ensemble.
La France possède le deuxième réseau diplomatique du monde. Qu’attendons-nous de ce réseau en matière de pilotage de l’aide au développement ? Qu’attendons-nous de nos instituts de recherche sur le développement ? Les responsables de l’OCDE, l’Organisation de la coopération et du développement économiques, affirment que notre organisation est trop éclatée entre différents ministères et administrations : je crois qu’ils n’ont pas tort.
Nous avons essayé de limiter les divergences grâce à un organe de coordination, le CICID, le Comité interministériel de la coopération internationale et du développement. J’ai la faiblesse de penser que ces efforts ne sont pas toujours couronnés de succès.
Monsieur le ministre, le CICID s’est réuni pour la dernière fois il y a plus d’un an et demi : il n’a même pas été convoqué pour adopter ce document-cadre. Cela montre combien il est important de nous attarder sur ce point.
Enfin, le document-cadre gagnerait à s’appuyer sur une évaluation des résultats, comme nous vous l’avons indiqué hier soir. Vous soulignez évidemment toute la complexité de ce problème, et nous le comprenons, car vous avez raison.
Toutefois, l’aide au développement ne détient pas le monopole de la complexité. La coopération ne peut être la seule politique publique qui ne soit pas évaluée : elle consomme quand même plus de huit milliards d’euros de crédits par an, dont nous sommes comptables devant les citoyens et les contribuables ! Des outils, des organismes, des évaluations existent. En fait, la difficulté est tout autant d’évaluer que de prendre en compte le résultat de cette évaluation dans la stratégie politique.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en conclusion sur ce diagnostic, j’aurai plaisir à vous lire une citation de la leçon inaugurale prononcée au Collège de France par l’économiste Esther Duflo sur l’aide au développement : « Les erreurs de diagnostic des économistes, des organisations internationales et des gouvernements sont fréquentes. Elles ne sauraient justifier l’inactivité, mais rendent au contraire les évaluations rigoureuses nécessaires. Celles-ci permettent de tirer des leçons des expériences passées. Or force est de constater qu’aujourd’hui encore la grande majorité des interventions ne sont pas évaluées, soit que leurs promoteurs craignent la révélation d’effets nuls ou moins importants que ce qu’ils escomptaient, soit que la mise en œuvre d’évaluations rigoureuses soit perçue comme trop difficile. » Voilà un beau défi qui nous est proposé pour les mois et les années qui viennent !