Séance en hémicycle du 4 novembre 2010 à 9h30

Résumé de la séance

Les mots clés de cette séance

  • délinquance
  • l’afrique
  • l’aide

La séance

Source

La séance est ouverte à neuf heures trente.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

M. le Premier ministre a communiqué au Sénat, en application de l’article 11 de la loi n° 2009-967 du 3 août 2009 de programmation relative à la mise en œuvre du Grenelle de l’environnement, le rapport portant sur l’interdiction de la circulation sur les lignes électrifiées des trains utilisant un mode de propulsion autre qu’électrique.

Acte est donné du dépôt de ce document.

Il a été transmis à la commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire et sera disponible au bureau de la distribution.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

L’ordre du jour appelle le débat sur la politique de coopération et de développement de la France.

La parole est à M. Christian Cambon, au nom de la commission des affaires étrangères.

Applaudissements sur les travées de l ’ UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Cambon

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’organisation de ce débat marque l’aboutissement de plusieurs mois de travail et de réflexion sur les orientations de notre politique de coopération.

Monsieur le ministre, vous avez souhaité entamer une réflexion sur le sens de notre effort au service du développement des pays du Sud. Nous pensons que ce travail est particulièrement utile et bienvenu.

En effet, il faut expliquer à nos concitoyens ce que fait la France quand elle finance le réseau d’adduction d’eau de Bamako ou quand elle intervient, avec le Japon, pour soutenir le programme indonésien de lutte contre la déforestation. Il faut aussi savoir dire à nos partenaires ce que sont nos objectifs, nos zones prioritaires et nos moyens d’intervention. Monsieur le ministre, vous avez eu l’intelligence d’associer la société civile et le Parlement à cette réflexion, et nous vous en remercions.

La commission des affaires étrangères, son président Josselin de Rohan et ses rapporteurs ont apporté leur contribution à ce travail. Nous avons multiplié les auditions, organisé un débat et publié un rapport étayé et critique sur les premières orientations de ce document. Ce long processus a abouti à l’adoption du document-cadre de coopération, qui fixe les grandes orientations de la politique d’aide au développement de la France pour les dix années à venir.

Ce document établit un diagnostic que je voudrais commenter, laissant à notre collègue André Vantomme le soin d’évoquer les objectifs de cette politique.

Avant tout, je soulignerai qu’il faudra prendre l’habitude de ces rendez-vous, monsieur le ministre. Le temps où l’aide au développement était, dans le prolongement de la politique africaine, le monopole de l’exécutif est manifestement révolu. Nous estimons que ce débat doit constituer une première étape vers l’adoption par le Parlement, à échéance régulière, d’une loi d’orientation sur le développement, comme c’est du reste le cas au Royaume-Uni ou en Espagne.

Voilà pour la méthode. Venons-en au fond : si le monde bouge, il faut dessiner un visage nouveau à la coopération.

À travers ce document, l’aide au développement ne relève plus seulement d’une démarche caritative. Nous croyons que l’idéal humaniste demeure. C’est parce qu’un homme vaut un autre homme, qu’il soit né ici ou ailleurs, qu’il faut lutter contre la faim et se battre pour qu’un enfant né au Mali n’ait pas cinquante fois plus de risques de mourir avant cinq ans qu’un enfant né en France.

Toutefois, il faut aussi expliquer à nos concitoyens que la coopération est un moyen de régulation de la mondialisation, une contribution à un monde plus sûr.

Les attentats de septembre 2001, la résurgence de la piraterie, le retour des pandémies ont bien montré que le sous-développement constituait un terreau favorable à des menaces, qui touchent aussi bien les pays du Sud que ceux du Nord.

Notre façon de penser notre coopération doit évoluer, parce que les pays en développement ont connu des trajectoires divergentes. Il faut formaliser la fin d’une politique indifférenciée. Notre coopération n’a pas le même sens, ne vise pas les mêmes objectifs, n’utilise pas les mêmes instruments à Nouakchott et à Nankin.

Notre vision de l’aide au développement doit changer parce que notre coopération doit toujours se penser désormais sous la forme de partenariats. En effet, la France n’agit plus jamais seule.

Même dans le cadre de notre aide bilatérale, la coopération consiste à lancer des actions et à trouver des partenaires pour financer, ensemble, des projets de développement. Même dans des pays comme le Mali, la France n’apporte plus que 10 % de l’aide totale reçue. On peut le regretter, mais il faut regarder la réalité en face.

Nos actions sont aujourd’hui presque toujours conduites en partenariat avec d’autres bailleurs de fonds ou avec des institutions multilatérales. Je pense même que nous gagnerions en efficacité si nous établissions plus fréquemment des programmations conjointes au sein de l’Union européenne.

Dans le contexte budgétaire que nous évoquions hier soir, lors de la réunion de la commission, monsieur le ministre, il nous faut plus que jamais trouver des synergies au sein de l’Union, pour bâtir ensemble, à vingt-sept pays – je sais que ce n’est pas simple, compte tenu de nos différences –, une véritable politique de développement européenne.

Il nous faut enfin inventer pour demain – votre réflexion le souligne également – une coopération qui dépasse le socle exclusif des souverainetés nationales pour inventer des politiques globales.

Avec la lutte contre le changement climatique ou les pandémies mondiales, l’aide au développement doit trouver des modes de gouvernance qui dépassent la coopération intergouvernementale. On l’a bien vu lors de l’échec de la conférence de Copenhague : les défis du XXIe siècle exigeront, pour gérer l’intérêt commun de la planète, des solutions collectives, une gouvernance internationale qu’il nous reste à inventer.

Il nous faut sortir d’une vision binaire du monde, car nous vivons, avec l’essor des pays émergents, la fin de la dichotomie Nord-Sud. En ce sens, le document-cadre nous parait juste et utile : il introduit une vision nouvelle de l’aide au développement et permet de mieux comprendre une politique complexe, dont on oublie, derrière des batailles de chiffres, la signification très actuelle.

Monsieur le ministre, nous émettons cependant quelques réserves sur ce diagnostic, qui dessine un tableau mais ne présente pas un bilan, et encore moins une évaluation.

En effet, nous ne retrouvons pas dans ce document, comme nous l’aurions souhaité, un bilan suffisant des objectifs fixés par les derniers comités interministériels de la coopération internationale et du développement et ce parti pris nous semble critiquable. Il serait souhaitable que la définition de cette nouvelle stratégie puisse s’appuyer sur un bilan des précédentes. Comme trop souvent, on élabore une nouvelle stratégie sans tirer tous les enseignements de celle qui l’a précédée.

De même, nous ne retrouvons pas dans ce document une évaluation des différents instruments de notre coopération. Dans un contexte où les crédits consacrés aux subventions risquent d’être de plus en plus contraints, il convient de nous fixer une ligne de conduite et de déterminer où ces financements sont les plus efficaces et les plus nécessaires.

Nous ne trouvons pas non plus un bilan des réformes des structures administratives de l’aide au développement opérées depuis 2004, qui permettrait pourtant de définir les objectifs assignés à chacun des organismes concernés et au réseau de coopération dans son ensemble.

La France possède le deuxième réseau diplomatique du monde. Qu’attendons-nous de ce réseau en matière de pilotage de l’aide au développement ? Qu’attendons-nous de nos instituts de recherche sur le développement ? Les responsables de l’OCDE, l’Organisation de la coopération et du développement économiques, affirment que notre organisation est trop éclatée entre différents ministères et administrations : je crois qu’ils n’ont pas tort.

Nous avons essayé de limiter les divergences grâce à un organe de coordination, le CICID, le Comité interministériel de la coopération internationale et du développement. J’ai la faiblesse de penser que ces efforts ne sont pas toujours couronnés de succès.

Monsieur le ministre, le CICID s’est réuni pour la dernière fois il y a plus d’un an et demi : il n’a même pas été convoqué pour adopter ce document-cadre. Cela montre combien il est important de nous attarder sur ce point.

Enfin, le document-cadre gagnerait à s’appuyer sur une évaluation des résultats, comme nous vous l’avons indiqué hier soir. Vous soulignez évidemment toute la complexité de ce problème, et nous le comprenons, car vous avez raison.

Toutefois, l’aide au développement ne détient pas le monopole de la complexité. La coopération ne peut être la seule politique publique qui ne soit pas évaluée : elle consomme quand même plus de huit milliards d’euros de crédits par an, dont nous sommes comptables devant les citoyens et les contribuables ! Des outils, des organismes, des évaluations existent. En fait, la difficulté est tout autant d’évaluer que de prendre en compte le résultat de cette évaluation dans la stratégie politique.

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en conclusion sur ce diagnostic, j’aurai plaisir à vous lire une citation de la leçon inaugurale prononcée au Collège de France par l’économiste Esther Duflo sur l’aide au développement : « Les erreurs de diagnostic des économistes, des organisations internationales et des gouvernements sont fréquentes. Elles ne sauraient justifier l’inactivité, mais rendent au contraire les évaluations rigoureuses nécessaires. Celles-ci permettent de tirer des leçons des expériences passées. Or force est de constater qu’aujourd’hui encore la grande majorité des interventions ne sont pas évaluées, soit que leurs promoteurs craignent la révélation d’effets nuls ou moins importants que ce qu’ils escomptaient, soit que la mise en œuvre d’évaluations rigoureuses soit perçue comme trop difficile. » Voilà un beau défi qui nous est proposé pour les mois et les années qui viennent !

Applaudissements sur les travées de l ’ UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

La parole est à M. André Vantomme, au nom de la commission des affaires étrangères.

Debut de section - PermalienPhoto de André Vantomme

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je souscris pleinement aux propos de Christian Cambon, avec lequel j’ai le plaisir d’être rapporteur pour avis sur les crédits de la mission « Aide au développement », au nom de la commission des affaires étrangères. Notre association, alors que nous sommes issus de partis concurrents, illustre d’ailleurs combien ces questions dépassent les clivages politiques, même s’il nous arrive d’avoir des divergences sur les méthodes ou sur les moyens mis en œuvre.

Monsieur le ministre, les objectifs majeurs que vous fixez à notre coopération, à savoir la prévention des crises et des conflits, la lutte contre la pauvreté, le défi de la croissance et la préservation des biens publics mondiaux, forment un programme ambitieux au regard des moyens qui sont les nôtres.

Sans surprise, ces objectifs sont communs à la communauté internationale, et il est donc important, au moment où notre pays va prendre la présidence du G8 et du G20, de formuler la conception que nous nous en faisons.

Par rapport au relevé de conclusions de la précédente réunion du CICID, la principale nouveauté consiste dans le classement de la prévention des crises et des conflits comme premier objectif. Les crises se nourrissent presque toujours d’un contexte de forte pauvreté, sur des territoires où les États sont en difficulté. C’était le cas en Afghanistan et on le constate aussi dans le Sahel. Je crois que nous sommes tous d’accord pour dire que l’aide au développement doit jouer un rôle de prévention.

La lutte contre la pauvreté est le deuxième objectif, elle est au cœur de l’aide au développement.

Le troisième objectif consiste à relever le défi de la croissance. On n’aidera pas ces pays seulement en encourageant le développement des services publics de base. Le soutien à la croissance passe par la mise en place d’infrastructures, mais aussi par l’engagement de l’Agence française de développement, l’AFD, dans des fonds d’investissements et des systèmes de garanties aux réseaux bancaires africains, qui permettent de favoriser la création d’entreprises.

Le soutien à la croissance, c’est aussi l’amélioration des régimes préférentiels pour les exportations des pays d’Afrique subsaharienne à bas revenus. Ne serait-il pas plus efficace et plus conforme à la dignité des pays africains de leur permettre d’affermir leur croissance par le développement des échanges ? Nous devons respecter un impératif de cohérence dans ce domaine ; or vous l’évoquez sans vraiment en décliner les nombreuses conséquences. On dépense beaucoup d’argent pour des projets agricoles africains, mais le meilleur service à rendre à ces pays ne serait-il pas d’accueillir leurs produits ?

Le quatrième objectif est la préservation des biens publics mondiaux, la préservation du climat ou de la biodiversité. Cet objectif concerne au premier chef les pays émergents qui, vous le savez, seront responsables, dans les trente ans à venir, de 80 % de l’augmentation de la consommation d’énergie. Il concerne également l’Afrique qui sera, demain, la première victime du réchauffement climatique.

L’une des leçons de la conférence de Copenhague est que le ralliement des pays en développement aux préoccupations des pays développés passe par un engagement renouvelé de ces derniers sur les questions de développement et d’environnement.

Vous proposez une application différenciée de ces objectifs selon les zones concernées.

Notre première priorité géographique est l’Afrique subsaharienne qui comptera 1, 8 milliard d’habitants en 2050, soit trois fois plus que l’Europe. Je ne crois pas que l’on mesure à quel point ce chiffre est important.

La deuxième zone prioritaire est la Méditerranée. Vous proposez de faire de l’aide au développement un instrument majeur pour relancer le cadre politique de l’Union pour la Méditerranée. Nous pensons, comme vous, que des projets concrets de dépollution de la Méditerranée, de gestion durable de l’eau, permettront de créer une solidarité régionale essentielle à la stabilité de l’Europe, même si nous n’oublions pas l’existence de contentieux persistants entre certains pays qu’il va falloir régler.

La troisième priorité géographique concerne les pays émergents, à l’égard desquels nous poursuivons deux objectifs : d’une part, les inciter à adopter un modèle de croissance plus respectueux de l’environnement et, d’autre part, créer un partenariat avec les grands pays qui façonneront le monde de demain.

Nous partageons vos intentions, mais nous nous interrogeons sur les moyens utilisés pour y parvenir. Dans un contexte budgétaire tendu, les subventions budgétaires et les prêts concessionnels sont de plus en plus rares. Alors que la Chine dispose de réserves suffisantes pour financer des fonds souverains qui achètent nos bons du Trésor, il nous semble que nous devrions réserver nos prêts concessionnels aux pays les moins avancés.

La dernière priorité géographique concerne les pays en crise. Il s’agit de la région du Sahel, du Moyen-Orient, de l’Afghanistan et du Pakistan.

J’en viens rapidement aux modalités de mise en œuvre de cette stratégie. En effet, là comme ailleurs, la politique est un art d’exécution et nous pouvons constater tous les jours, dans nos collectivités territoriales, que les idées ne valent qu’à raison des moyens qui leur sont consacrés.

De ce point de vue, monsieur le ministre, la commission des affaires étrangères ne peut que déplorer l’insuffisance des perspectives budgétaires figurant dans ce document, même si vous y mentionnez des pourcentages, comme elle l’avait souhaité.

Il faut bien concéder que, pour définir les objectifs de notre coopération pour les dix ans à venir, il fallait prendre du champ par rapport aux négociations budgétaires. Mais la question est de savoir si, à force de prendre du champ, on tient toujours effectivement compte de la réalité.

Les objectifs et les moyens sont en effet intimement liés. Je voudrais vous en donner une illustration : de 2006 à 2009, les dons bilatéraux au sein de l’OCDE ont diminué de 30 % ; dès lors, nos administrations, l’AFD en tête, ont accordé des prêts. Le choix de cet instrument les a naturellement conduites à se tourner vers des pays ou des secteurs solvables, c’est-à-dire à se détourner de l’Afrique subsaharienne et des services publics de base.

Il est bien sûr difficile d’anticiper un budget à l’échéance de dix ans. C’est si vrai que, même pour l’année 2011, à quelques jours du débat budgétaire, nous ne disposons toujours pas du document de politique transversale ! Nous souhaiterions néanmoins que soient définis des pourcentages pour chaque priorité. Un cadre stratégique ne peut pas tout, mais il peut fixer des lignes directrices.

C’est en particulier le cas pour les priorités géographiques, puisque le document-cadre indique que la France consacrera 60 % de son effort budgétaire à l’Afrique subsaharienne. Dans la version qui a servi à la consultation, les cibles nous paraissaient peu engageantes. Ainsi, l’affirmation que 50 % des dons de l’aide bilatérale doivent aller aux quatorze pays pauvres prioritaires serait tout à fait louable si elle n’était pas assortie d’un codicille selon lequel seules sont prises en compte, en fait, les subventions destinées aux Objectifs du millénaire pour le développement, hors interventions de sortie de crise et subventions ventilables. En adoptant ce critère, le pourcentage atteint aujourd’hui déjà 76 % : il est donc ainsi moins difficile de promettre 50 % !

La commission des affaires étrangères a souhaité que le ciblage soit renforcé sur l’Afrique et qu’un pourcentage plafond soit défini pour nos interventions dans les pays émergents. Ce vœu a bien été pris en compte dans le document final que vous nous avez remis hier soir. Fallait-il aller au-delà ? Il nous a semblé qu’il était assez difficile de définir un chiffre en valeur absolue qui puisse rester valable pendant dix ans.

Aussi la commission des affaires étrangères s’est-elle contentée, en adoptant à l’unanimité une cinquantaine de recommandations, de définir les grandes orientations qu’elle souhaite voir retenir. Je n’en citerai que quelques-unes.

La commission a demandé, en premier lieu, la restauration d’une capacité d’initiative commune de nos instruments bilatéraux de coopération. La capacité d’initiative de nos services est en effet aujourd’hui très réduite. On a pu le constater dans la situation des postes à l’étranger : il manque parfois quelques dizaines de milliers d’euros pour pouvoir soutenir des projets. Même notre capacité à entraîner des acteurs multilatéraux est aujourd’hui mise à mal par la réduction de nos moyens bilatéraux. J’espère que ce redressement est à l’œuvre dans le projet de loi de finances pour 2011. Vous pourrez peut-être nous le confirmer, monsieur le ministre.

S’agissant de l’aide multilatérale, il faut souligner que les institutions qui en assument la charge sont à la fois légitimes et compétentes pour intervenir dans les pays en développement. La question porte plutôt, me semble-t-il, sur la qualité de notre partenariat avec ces organisations multilatérales. La commission insiste donc pour que chaque reconstitution des fonds multilatéraux soit systématiquement précédée d’une évaluation de ce partenariat.

Je pense en particulier au Fonds européen de développement, le FED, auquel nous contribuons chaque année à hauteur de 800 millions d’euros. A-t-on procédé, monsieur le ministre, à une évaluation de notre contribution à ce fonds avant de s’engager à hauteur de 1, 6 milliard d’euros pour les trois prochaines années ? Pas à notre connaissance ! La commission se demande, à cet égard, pourquoi le document stratégique sur la politique européenne de développement n’a pas fait l’objet d’une consultation du Parlement, au même titre que le document-cadre.

L’aide au développement a naturellement vocation à devenir un domaine de souveraineté partagée au sein de l’Union européenne, mais, pour avancer, il faut sans doute que le FED soit autre chose sur le terrain qu’un vingt-huitième bailleur de fonds.

En ce qui concerne l’architecture internationale de l’aide au développement, la commission ne voit pas de propositions allant dans le sens d’une plus grande simplification ni d’une plus grande cohérence. Aujourd’hui, le monde du développement, au niveau international, ressemble à un écosystème dans lequel il y aurait toujours plus de naissances et jamais aucun mort ! C’est ainsi que 365 organismes sont habilités à recevoir des fonds d’aide au développement. C’est trop, et c’est trop complexe ! Il est donc souhaitable que la France, dans un document stratégique à l’horizon de dix ans, exprime sa vision d’une architecture plus cohérente.

En conclusion, sous réserve des observations précédentes et d’une stratégie budgétaire adaptée, la commission des affaires étrangères estime que le projet de document-cadre que vous lui proposez est un document de qualité.

Elle pense que les priorités thématiques et géographiques qui sont évoquées devraient être traduites en indicateurs de performances, intégrés dans le document de politique transversale annexé au projet de loi de finances, afin qu’elle puisse ainsi suivre ces priorités et confronter la réalité aux ambitions.

Je ne voudrais pas achever mon intervention sans vous remercier, monsieur le ministre, d’avoir sollicité le Parlement pour recueillir son avis sur ces questions majeures. Avec Christian Cambon, nous avons beaucoup travaillé, rencontré, écouté et entendu celles et ceux qui se préoccupent de ces problèmes. À l’unanimité de ses membres, la commission des affaires étrangères a adopté son rapport, assorti d’une cinquantaine de propositions que nous vous avons présentées.

Je n’ai pas pu, depuis hier soir, étudier dans tous ses détails le document-cadre définitif dont nous discutons aujourd’hui, mais j’ai noté avec plaisir que, tous les deux ans, un rapport d’ensemble sur la mise en œuvre de la politique française de coopération et de développement sera présenté au Parlement. Cette nouvelle est excellente dans la mesure où ce rapport permettra, je l’espère, de constater les progrès accomplis au regard d’une tâche qui reste immense et nécessite l’engagement de tous.

Pour autant, nous resterons attentifs aux préoccupations de nos partenaires que sont les ONG et les collectivités locales, ainsi, bien sûr, qu’au montant des efforts budgétaires que consentira le Gouvernement.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.

Debut de section - PermalienPhoto de Yvon Collin

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le débat d’aujourd’hui m’intéresse tout particulièrement, en tant que rapporteur spécial de la mission budgétaire « Aide publique au développement ».

À ce titre, je salue l’initiative de la commission des affaires étrangères, qui permet à la Haute Assemblée de s’interroger sur le document-cadre réalisé par le Comité interministériel de la coopération internationale et du développement et nous donne ainsi l’occasion d’associer le Parlement à la définition de la politique de coopération.

Sur ce point, comme l’ont souligné nos collègues Christian Cambon et André Vantomme dans leur excellent rapport, il me semblerait également souhaitable, compte tenu des sommes mobilisées, qu’une loi d’orientation sur le développement soit adoptée à échéance régulière.

J’ajouterai que l’évolution des enjeux de notre politique de coopération impose ce rendez-vous périodique. En effet, le monde change, le monde bouge : les pays du Sud connaissent des trajectoires de développement très diverses ; les économies sont devenues interdépendantes ; les risques en matière d’environnement, de santé ou de sécurité sont désormais globaux ; nous vivons au sein du village mondial. Nous ne pouvons donc pas rester indifférents aux situations difficiles que connaissent certaines régions du monde, car elles ne peuvent plus être sans effets sur nos politiques et notre propre développement.

Dans ce nouveau contexte, le document-cadre qui nous est soumis propose une refondation de la doctrine française d’aide au développement. Comme cela a été excellemment dit, il refuse de réduire l’aide publique au développement à une démarche caritative ou compassionnelle. Cette aide s’inscrit désormais dans une stratégie géopolitique, qui prend en compte non seulement la nécessité de soulager la misère, mais également les intérêts de la France dans le monde, qu’il s’agisse d’enjeux économiques, migratoires, environnementaux ou de sécurité. Toutes ces problématiques sont désormais liées, vous l’aurez compris.

S’agissant des objectifs de l’aide publique au développement, on ne peut bien sûr qu’y souscrire, puisqu’ils sont communs à ceux qu’a définis la communauté internationale.

Oui, bien sûr, nos efforts doivent porter sur la promotion de l’État de droit dans le monde, car le sous-développement contribue à bloquer, ou du moins à ralentir, l’installation de régimes démocratiques partout dans le monde.

Oui, nous devons encourager la rechercher d’une croissance soutenue, car elle permet de fournir, à terme, des biens et des services publics aux populations les plus vulnérables.

Oui, bien entendu, la lutte contre la pauvreté et les inégalités doit demeurer le « cœur de cible » de l’aide.

Oui, enfin, la préservation des biens publics mondiaux est primordiale, et il ne faut surtout pas laisser perdurer le décalage entre l’échelle globale des problèmes, à commencer d’ailleurs par celui du réchauffement climatique, et le niveau étatique des décisions.

Tous ces objectifs, mes chers collègues, sont très ambitieux, et les risques de dispersion, mais aussi de saupoudrage, sont bien réels. C’est pourquoi la France doit se fixer des priorités géographiques d’intervention. Le choix de l’Afrique subsaharienne, sur la base d’une implication rénovée, me paraît d’autant plus nécessaire que, désormais, la croissance africaine attire les investissements de pays comme la Chine, l’Inde ou le Brésil. J’ajouterai aussi que l’espace culturel de la francophonie doit demeurer l’une de nos priorités d’intervention. Lors de nos déplacements dans un certain nombre de pays, nous constatons trop souvent, pour le regretter, hélas ! que l’usage du français recule.

En revanche, s’agissant des pays émergents, on peut s’interroger sur la pertinence de certaines de nos interventions engagées sous le label « aide au développement » et sur le fait que, par les montants engagés, la Turquie et la Chine ont respectivement occupé, en 2008, les quatrième et cinquième rangs des pays bénéficiaires de l’aide française. Voilà qui est surprenant !

Mes chers collègues, le Gouvernement a incontestablement entrepris un travail important de modernisation de la politique de coopération. Pour autant, je serai plus critique sur les aspects financiers de cette démarche et sur la manière dont le futur document-cadre les aborde, ou, d’ailleurs, ne les aborde pas !

Seuls les instruments financiers sont évoqués dans le document-cadre. Sur ce volet, je formulerai une seule remarque. Elle porte sur le soutien de la France à l’essor des financements dits « innovants », assurés par la taxation d’activités économiques internationales. On peut souligner le rôle pionnier de notre pays en ce domaine, avec l’instauration en 2006 de la contribution de solidarité sur les billets d’avion.

Dans cet esprit, je rappelle que le groupe du RDSE plaide pour une contribution assise sur les transactions financières internationales. Bien plus qu’un problème technique, c’est avant tout une question de volonté politique. Je suis persuadé que, lors du G20, la France avancera une proposition forte en ce sens. Cette idée, qui n’avait pas recueilli un écho favorable dans cet hémicycle, ne manquera sans doute pas d’être reconnue comme excellente !

J’évoquerai également la question de la complémentarité et de l’équilibre à trouver entre les actions bilatérales, européennes et multilatérales. Sur le terrain, l’aide bilatérale française a pratiquement disparu, en partie victime des régulations budgétaires : cette aide ne représente plus que 175 millions d’euros environ par an. Or c’est avec ce montant qu’il faut faire face aux urgences : je pense, par exemple, à Haïti. Dans le même temps, il en résulte un sous-engagement financier dans certains autres pays où notre intervention serait pourtant tout à fait nécessaire.

Il y va de notre rayonnement international : avec l’aide bilatérale en effet, la France « se voit » et « se donne à voir » à l’étranger ; avec l’aide multilatérale, elle passe souvent inaperçue.

Au-delà des instruments de financement, le projet de document-cadre se révèle lacunaire sur la question, pourtant cruciale, des moyens alloués à cette politique. D’un document d’une telle nature, on attendrait pourtant qu’il comprenne un cadrage budgétaire ou, à tout le moins, les critères d’une répartition proportionnée des crédits, selon les priorités définies en termes tant de géographie que de secteurs.

Par ailleurs, cette politique est-elle soutenable ? En 2009, nous aurons consacré 0, 44 % de notre revenu national brut à l’aide publique au développement. Or la France s’est engagée à atteindre, à l’horizon 2015, quelque 0, 7 % du revenu national brut. Mon prédécesseur dans les fonctions de rapporteur spécial de la mission « Aide au développement », notre ancien collègue Michel Charasse, avait indiqué dans son dernier rapport budgétaire que cet engagement n’était malheureusement pas tenable. Il est donc dommage que l’élaboration du document-cadre n’ait pas été l’occasion pour le Gouvernement d’arrêter des objectifs budgétaires plus réalistes.

Enfin, monsieur le ministre, comment ne pas évoquer la question de l’évaluation de notre politique d’aide au développement ? Forcer nos engagements financiers implique aussi de s’interroger sur l’efficacité et l’effectivité de l’aide publique au développement.

À cet égard, il est regrettable que le document-cadre n’ait pas été l’occasion de procéder à une ample évaluation de la politique que nous avons jusqu’à présent menée en la matière. De fait, pour l’avenir, la mise en place d’indicateurs de résultat est prévue, mais nous avons besoin d’indicateurs de performance, dans la logique de la LOLF, car les indicateurs existants au sein de la documentation budgétaire ne sauraient suffire. C’est donc un point sur lequel il convient de faire porter un effort tout particulier.

Mes chers collègues, parlant du développement, François Mitterrand déclarait : « Et, moins que jamais, il ne faut céder à la tentation du découragement, ni à celle du chacun pour soi, du repli sur soi. » Mêmes si nos finances publiques sont contraintes, n’oublions pas que l’aide publique au développement est un instrument fondamental de l’équilibre politique du monde. De ce point de vue, elle reste un investissement de première importance dans le monde actuel, fragile et instable.

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je vous prie de bien vouloir m’excuser de ne pouvoir rester parmi vous ce matin. Je dois en effet rejoindre l’AFD, qui tient en ce moment même son conseil d’administration, au sein duquel je représente la Haute Assemblée.

Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées de l ’ UMP.

Sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de Robert Hue

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous appuyant sur l’excellent rapport de Christian Cambon et André Vantomme, nous débattons ce matin des grandes orientations d’un document interne à l’exécutif, dont – cela a été rappelé – la commission des affaires étrangères n’a eu connaissance qu’hier soir, à dix-neuf heures.

Debut de section - PermalienPhoto de Josselin de Rohan

M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères. Mieux vaut tard que jamais !

Sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de Robert Hue

Nous y avons consacré quelques heures cette nuit, mais cela n’a pas suffi pour analyser finement ce document-cadre qui définit, pour dix ans, la stratégie de la France pour l’aide au développement des pays pauvres.

J’avoue que je m’interroge sur la véritable portée de ce document-cadre, quand on sait que la politique étrangère de notre pays, en particulier l’aide au développement et la politique africaine, n’a peut-être jamais autant fait partie du « domaine réservé » du chef de l’État, voire de son conseiller diplomatique ou du secrétaire général de l’Élysée !

Monsieur le ministre, je m’interroge également sur l’avenir d’un tel texte. Après avoir réformé, au prix de nombreuses difficultés, l’action culturelle extérieure, vous vous attaquez maintenant à une réforme de la politique d’aide au développement. Accordez-moi que l’avenir de votre démarche est fortement hypothéqué par une conjoncture politique dont les perspectives à court terme apparaissent pour le locataire, présent ou futur, du Quai d’Orsay pour le moins instables. Ce contexte défavorable ne fait que souligner votre engagement personnel.

Toutefois, mes doutes sur le crédit à accorder à ce document se fondent essentiellement sur l’absence de chiffrage et de perspectives budgétaires, soulignée avec pertinence par nos deux rapporteurs. Je ne m’en étonne qu’à moitié, si l’on en juge par le flou et l’opacité des documents préparatoires à la discussion budgétaire.

Pourtant, il est bien nécessaire de réfléchir aujourd’hui à une redéfinition des objectifs, des enjeux et des moyens de notre politique de coopération et d’aide au développement, et ce non seulement parce que le contexte et les enjeux ont considérablement évolué en une dizaine d’années et que l’aide au développement a elle-même changé de nature, mais aussi parce que notre politique en la matière manque de clarté, de cohérence, de pilote et de stratégie.

Il est également significatif que, après la démission forcée du secrétaire d’État chargé de la coopération et de la francophonie, celui-ci n’ait pas été remplacé.

Debut de section - Permalien
Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes

Je suis là !

Debut de section - PermalienPhoto de Robert Hue

Cela dit, je partage globalement les objectifs généraux que vous proposez et les priorités thématiques et géographiques que vous avez retenues.

Ainsi, la priorité accordée à l’Afrique subsaharienne en lui réservant l’essentiel de nos subventions et de nos prêts me semble impérative. Espérons que les actes suivront et qu’ils permettront d’effacer les effets dévastateurs du discours méprisant que le Président de la République a prononcé à Dakar.

Je crains que ce ne soit malheureusement pas le cas.

Le déroulement, au mois de juin dernier, du dernier sommet Afrique-France a montré combien le Président de la République avait du mal à convaincre qu’il avait tourné la page des relations ambiguës avec nos ex-colonies. Il est avéré que les pratiques de la Françafrique ont toujours cours en coulisses.

En effet, bien que le Président de la République ait proclamé sa volonté de rompre avec l’image d’une France pilleuse des richesses minières ou pétrolières de l’Afrique en nouant des partenariats « gagnant-gagnant », son combat contre la perte du pré carré au bénéfice des Chinois ou des Américains a tout simplement donné l’impression qu’il voulait uniquement préserver les marchés de la France, à savoir notre accès à l’uranium et au pétrole.

À cet égard, je m’inquiète du nouveau rôle dévolu au « bras séculier » de la politique d’aide au développement qu’est l’Agence française de développement. Depuis sa reprise en main par un proche du Président de la République, cet établissement public qui fonctionne comme une banque n’a, par exemple, toujours pas clairement arrêté sa politique concernant la distinction entre les prêts et les dons accordés aux États. Nous avons reçu récemment le directeur général de l’AFD, dont les propos ne m’ont absolument pas convaincu de la clarté des ambitions annoncées.

En outre, je crains que l’AFD ne continue d’échapper au Quai d’Orsay, car, à mon sens, ce document-cadre ne tranche pas clairement la question de l’autorité des ambassadeurs sur les responsables locaux de cet organisme.

Enfin, je suis en total désaccord avec la notion de « vision globale du financement ». Celle-ci mélange des données de natures différentes, puisqu’elle englobe l’aide publique au développement, mais aussi les investissements directs des entreprises, les flux financiers des migrants et les recettes fiscales des pays en développement.

Je soupçonne qu’elle possède surtout aux yeux du Gouvernement la grande vertu de masquer la diminution de notre aide publique et l’accès débridé du marché africain à des entreprises dont le souci majeur sera la rentabilité financière, à mille lieues du développement et de la coopération. En cela, monsieur le ministre, cette « vision globale » se retrouve dans la présentation de vos documents budgétaires.

L’aide publique au développement représente officiellement près de 9 milliards d’euros, mais 4 milliards d’euros sont pur habillage statistique, puisque ce montant comprend les remises de dette. Par ailleurs, au moins 3 milliards d’euros sont versés à divers fonds multilatéraux à travers lesquels l’image de la France disparaît totalement.

Quant à la part de l’aide bilatérale aux pays les plus pauvres proprement dite, elle n’est que de 200 millions d’euros sous forme de subventions.

Voilà pourquoi, s’agissant de ce que l’on appelle « l’architecture internationale de l’aide au développement », je m’associe tout à fait à la proposition de simplification et de plus grande cohérence formulée par Christian Cambon et André Vantomme dans leur rapport d’information.

En définitive, la conception française de l’aide publique au développement, qui est aussi celle d’autres grands pays, explique largement que les Objectifs du millénaire pour le développement, fixés par l’ONU, non seulement ne soient pas encore atteints, mais restent tristement limités à 0, 47 % en 2011 contre les 0, 51 % promis. Notons que les Britanniques, cela a été dit hier, ont atteint leur objectif.

Le non-respect de l’engagement de consacrer 0, 7 % de notre revenu national brut à l’aide publique au développement est révélateur de l’absence de volonté politique du Gouvernement de se donner les moyens de relever le défi du développement.

Fondamentalement, il faudrait mettre en œuvre des stratégies économiques débarrassées de l’exigence de la rentabilité à court terme, afin que les économies des pays les plus pauvres ne soient plus dépendantes de l’aide internationale.

Je doute pourtant qu’à la veille de la présidence française du G20 le Président de la République ait cette volonté d’agir et qu’il saisisse cette occasion pour affirmer la nécessité d’un nouvel ordre économique et monétaire international qui refonderait aussi la politique de coopération Nord-Sud. Je crains que, comme d’habitude, nous n’assistions à des discours jamais suivis d’effet.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

M. le président. La parole est à Mme Catherine Tasca.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Tasca

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je concentrerai mon propos sur l’Afrique, priorité de notre coopération. C’est à juste titre que vous la désignez ainsi, monsieur le ministre.

En effet, ce continent connaît une mutation sans précédent.

Aujourd’hui, au sud du Sahara, deux Africains sur trois ont moins de 25 ans. En 2050, avec 1, 8 milliard d’habitants, l’Afrique comptera plus d’habitants que la Chine et trois fois plus que l’Europe.

La mutation est tout autant démographique qu’urbaine. Les populations des villes d’Afrique subsaharienne seront multipliées par deux d’ici à 2050, passant de 300 millions à 600 millions d’individus.

La mutation est également d’ordre économique. Contre toute attente, l’Afrique connaît depuis une décennie une croissance supérieure à celle de l’Europe ou des États-Unis. Celle-ci s’appuie non pas seulement sur des économies rentières, mais également sur la naissance d’un marché intérieur : il y a aussi une Afrique émergente, une Afrique de la téléphonie et d’Internet, une Afrique dynamique qui attire les investisseurs des pays émergents.

Enfin, ce continent vit une mutation géopolitique : hier terre de colonisation européenne, l’Afrique indépendante est aujourd’hui courtisée par la Chine et l’Inde.

L’Afrique change d’échelle et de cap, et le regard que la France et l’Europe portent sur ce continent semble figé.

L’Afrique est encore trop souvent perçue comme un objet de compassion, qui appelle, au mieux, la charité, une charité bien ordonnée, c’est-à-dire celle qui commence par nos propres intérêts. Cette aide a été largement sous-traitée aux organisations multilatérales et européennes, alors que se mettait en place une politique migratoire toujours plus restrictive.

De ce point de vue, le document-cadre français de coopération au développement, que vous nous avez présenté au mois de juin, monsieur le ministre, et qui n’a été finalisé qu’hier soir, a le mérite d’abandonner le discours misérabiliste et compassionnel et de regarder en face les risques et les possibilités d’un continent de plus en plus contrasté.

En tout état de cause, vous avez raison de le dire, monsieur le ministre, notre avenir se joue en partie en Afrique.

À partir de 2030, ce continent s’apprête à accueillir 27 millions de jeunes actifs de plus chaque année. Si l’Afrique ne trouve pas le chemin d’une croissance durable, si ses enfants doivent partir pour mieux vivre, où iront-ils sinon en Europe ? Nous connaîtrons alors une pression migratoire sans précédent dans l’histoire européenne.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Tasca

Il s’agit d’anticiper pour ne pas subir, ni devoir prendre, dans l’urgence, des décisions peu humaines.

L’Afrique est au cœur des nouveaux enjeux de la planète, les intervenants précédents l’ont déjà évoqué.

En matière de réchauffement climatique, on pense souvent aux pays émergents, mais on oublie que l’Afrique sera la première victime du réchauffement de la planète. Aujourd’hui, 250 millions d’Africains vivent le long des côtes. En quarante ans, les précipitations enregistrées au Sahel ont diminué de plus de 40 %.

Victime, l’Afrique peut aussi devenir une source majeure de pollution.

M. le ministre acquiesce.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Tasca

Aujourd’hui, 10 % seulement des Africains ont accès à une électricité continue. Les pays d’Afrique subsaharienne ont une production électrique qui est, à la fois, la plus chère du monde et celle dont le contenu en carbone est le plus élevé. Imaginez la situation lorsque le continent comptera près de 2 milliards d’habitants ! Mais des progrès considérables peuvent être faits, car l’Afrique mobilise moins de 10 % de son potentiel hydroélectrique et seulement 1, 5 % de son potentiel de géothermie.

Enfin, l’Afrique est un enjeu pour notre sécurité. Pensons à ce qui se passe actuellement au Sahel où cinq de nos ressortissants sont détenus comme otages. Cette zone de non-droit représente un risque majeur pour l’Europe et pour l’Afrique en termes de prolifération du terrorisme et des trafics et constitue inévitablement un obstacle au développement de ces pays.

Votre diagnostic des enjeux africains est juste, monsieur le ministre. Cependant, nous nous demandons si la réponse de la France et de l’Europe est à la hauteur de ces enjeux.

Au-delà des discours enthousiastes, des célébrations et des promesses, on assiste, sur le long terme, à un recul de la France et de l’Europe en Afrique. Depuis la chute du mur de Berlin, nous avons su offrir aux pays de l’Est un partenariat que nous ne savons pas proposer à l’Afrique.

Certes, il revient aux Africains de décider pour eux-mêmes. Les mieux intentionnés de leurs amis ne pourront se substituer à leurs choix d’épargne, de migration, d’investissements, à leur combat pour la démocratie, l’intégration régionale ou la croissance.

Mais nous devons procéder nous-mêmes à des choix.

Le premier de ces choix concerne les moyens que nous sommes prêts à mettre en œuvre. Sur ce point, votre document-cadre de coopération au développement est silencieux. Non seulement il est dépourvu de tout cadre budgétaire sérieux, mais force est de constater, au vu des chiffres de ces dernières années, que la part de l’Afrique stagne et, parfois, régresse. Ainsi, la part de l’Afrique subsaharienne dans l’aide publique au développement nette française est passée, de 2005 à 2008, de 54 % à 40 %. La part des pays les moins avancés a baissé, quant à elle, de 41 % à 28 %.

La diminution des subventions de l’aide bilatérale en est la principale raison, comme mon collègue André Vantomme l’a souligné. L’aide bilatérale nette aux quatorze pays prioritaires a été divisée par deux de 2004 à 2008. De ce point de vue, je ne pourrai que me réjouir de ce qui contribuera à une plus forte concentration de notre aide sur les pays d’Afrique subsaharienne qui en ont le plus besoin.

Je veux rappeler que, si nous sommes capables d’orienter la programmation de la Banque mondiale ou du Fonds européen de développement vers l’Afrique, c’est que nous disposons d’une expertise reconnue en Afrique. La diminution de notre aide bilatérale sur ce continent est en train de mettre à mal cette expertise.

Le choix porte aussi sur les modalités de notre partenariat.

Il nous faut construire un partenariat avec l’Afrique et non pas seulement avec ses dirigeants, un partenariat avec des pays, des peuples, des économies.

De ce point de vue, les accords de gestion concertée des flux migratoires que la France souhaite signer avec l’ensemble des pays africains sont trop déséquilibrés au profit du contrôle des migrations pour apparaître comme des accords de partenariat. À ce jour, huit accords ont été signés depuis 2008, mais avec des pays qui ne sont que faiblement sources d’émigration vers notre territoire. Il est important de noter à ce propos que le Mali s’est refusé jusqu’à présent à conclure un accord de cette nature.

La tentative d’articuler les politiques de l’immigration et du développement constituait en soi une piste prometteuse. Ces accords, portés par le ministère de l’immigration, de l’intégration, de l’identité nationale et du développement solidaire, devraient reposer sur un double équilibre : l’équilibre entre la facilitation de l’immigration légale et la lutte contre l’immigration clandestine, d’une part, et l’équilibre entre la maîtrise des flux migratoires et le co-développement, d’autre part.

Or, l’étroitesse des crédits du co-développement, désormais dénommé « développement solidaire », destinés à conforter les initiatives prises par les migrants pour soutenir des projets de développement dans leur pays d’origine ne permet pas à cette politique de dépasser le stade des expérimentations ponctuelles.

Ainsi, pour 2010, les crédits du budget général de l’État consacrés au développement solidaire s’élèvent seulement à 35 millions d’euros, soit 1 % des 3, 5 milliards d’euros de crédits de l’aide publique au développement.

Par ailleurs, certains dispositifs, comme les cartes compétences et talents, les visas circulaires ou le compte épargne co-développement, peinent à se concrétiser et restent très marginaux. Face à la modestie des moyens, quel peut être l’avenir de ces accords et en quoi peuvent-ils transformer notre partenariat avec ces pays ?

De son histoire africaine, la France a hérité une intimité avec l’Afrique. Mais saurons-nous prendre le tournant d’une Afrique qui avance à toute vitesse ? J’en doute.

Nos atouts pour bâtir ce partenariat sont pourtant nombreux.

Il y a cette histoire commune, qui est un atout autant qu’un handicap. Il y a la géographie et cette diaspora africaine que nous ne savons pas accueillir dignement sur notre territoire.

Il y a ces générations de coopérants passionnés de l’Afrique, dont le nombre tend malheureusement à se réduire d’année en année.

Il y a aussi la francophonie. N’oublions pas que l’Afrique représente potentiellement 600 millions de locuteurs français en 2050. C’est un enjeu majeur pour l’avenir de notre langue, que nous délaissons quand nous délaissons les systèmes éducatifs africains.

Soyons clairs, dans un monde où le centre stratégique est en train de se déplacer vers l’Asie, l’Europe a autant besoin du développement de l’Afrique que l’Afrique a besoin de notre aide au développement. Quelle place la France compte-t-elle y tenir ?

Applaudissements

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Guerry

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, avant tout, je tiens à remercier le président de la commission des affaires étrangères, Josselin de Rohan, d’avoir demandé l’inscription de ce débat à l’ordre du jour. C’est la preuve que la révision constitutionnelle de 2008 permet à notre assemblée d’exercer pleinement son rôle de contrôle et d’initiative.

Ce débat intervient alors que s’achève la rédaction du futur document-cadre définissant la stratégie française en matière de politique de coopération et de développement.

Je me réjouis de la volonté du ministère des affaires étrangères de consulter le Parlement et les commissions concernées. Cette démarche était nécessaire, dans la mesure où ce document-cadre est à la politique de coopération et d’aide au développement ce que le Livre blanc est à la défense.

Au nom du groupe UMP, je forme le vœu que les justes recommandations du rapport de mes collègues Christian Cambon et André Vantomme soient prises en compte.

Je souhaite également saluer tout le travail préparatoire accompli dans cette assemblée et la méthode retenue. En effet, le 12 mai dernier, la commission des finances et la commission des affaires étrangères ont organisé conjointement une audition publique des principaux représentants des organismes et acteurs français de notre politique d’aide au développement et de coopération, notamment M. Séverino, ancien directeur général de l’Agence française de développement, et M. Vielajus, président de Coordination Sud, organisme regroupant cent trente organisations non gouvernementales françaises. Pour une fois, l’aide publique au développement, sujet primordial pour la planète, ne sera pas évoquée dans cet hémicycle à la seule occasion du débat budgétaire.

Il nous revient donc de nous interroger ce matin sur notre future politique de coopération et d’aide au développement. Il convient d’envisager les impulsions et les orientations à donner.

Cependant, avant de décider de ce que doit être notre politique de coopération, je profiterai de mon intervention pour lancer un appel. Oui, monsieur le ministre, il n’est plus possible ni soutenable que nous ne puissions disposer d’un véritable bilan de la politique de coopération que nous menons et dont nous votons les crédits chaque année ! Pour les élus que nous sommes, la politique de développement ne peut se limiter au sempiternel constat que les crédits accordés ne sont et ne seront jamais assez importants, en particulier dans une période de crise financière internationale.

S’il ne s’agit pas d’ouvrir avant l’heure le débat budgétaire, il me semble pourtant capital d’appréhender cette politique sous un autre angle, dans un contexte budgétaire des plus contraints qui nous enjoint de raisonner différemment, ce qui, après tout, n’est pas une mauvaise chose.

Certes, le projet de document-cadre fixe les priorités géographiques, telles que l’Afrique subsaharienne, et les axes prioritaires, tels que la prévention des crises et des conflits, la lutte contre la pauvreté, le défi de la croissance et la préservation des biens publics mondiaux.

Mais cela ne saurait suffire : l’élaboration de ce document nous offre une formidable occasion d’aller plus loin et de proposer enfin une évaluation chiffrée.

Pour cela, il est indispensable de redéfinir les indicateurs du développement, en retenant des critères plus précis, plus en adéquation avec la réalité. Bien sûr, à l’ONU, la France s’est positionnée sur ce point à l’occasion du sommet sur les Objectifs du millénaire pour le développement.

Il nous faut sortir du piège de certaines politiques d’affichage qui, au final, peuvent se révéler totalement contre-productives. Elles sont en effet inadmissibles, non pas tant au regard des comptes publics que du respect dû à toutes les personnes pour qui l’aide au développement ne doit plus être un substitut de survie, mais un levier de croissance.

Dans l’intérêt même des pays qui bénéficient de ces budgets, il me paraît indécent de ne pas procéder à une véritable autopsie, en engageant un examen approfondi de ce qui fonctionne et de ce qui ne fonctionne pas.

Si j’étais provocateur, je vous dirais qu’une bonne politique de coopération doit avoir pour objectif, à terme, de disparaître. Cela signifie qu’elle rime avec la mise en place de systèmes et d’outils de développement dans les pays qui n’en ont ni les moyens ni les structures.

Chacun sait que la pauvreté est mère nourricière des crises humanitaires, du terrorisme, de la piraterie et des conflits. Je pense en particulier à l’Afrique qui, ces dernières années, connaît une recrudescence dramatique des fléaux que je viens de mentionner. Face à ces fléaux, la France ne peut agir seule. L’impulsion ne peut venir que d’une meilleure gouvernance internationale, qui se doit d’être cohérente avant tout.

À cet égard, je citerai deux exemples.

Le premier concerne le cas du Soudan. La France s’implique pleinement pour restaurer le dialogue entre le Tchad et le Soudan et pour créer les conditions d’une sortie de crise au Darfour, et ce par la voie tant diplomatique – vos entretiens et déplacements à Khartoum l’ont démontré, monsieur le ministre – que militaire, avec l’opération Épervier.

La République populaire de Chine, au nom du respect de la sacro-sainte règle de non-ingérence, est parvenue à y implanter deux usines d’armements légers, ce qui conduit ni plus ni moins au contournement des embargos sur les ventes d’armes.

Les investissements chinois dans les champs pétrolifères au Soudan se chiffrent en milliards de dollars, au moment même où ce pays sert de refuge à des groupes appartenant à la nébuleuse Al-Qaïda.

Rappelons, par ailleurs, que la China National Petroleum Corporation a investi 8 milliards de dollars dans des opérations conjointes d’exploration et que, parallèlement, elle détient 40 % du principal consortium de forage pétrolier du pays.

Le 16 novembre 2009, s’est tenu à Rome le sommet de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture, la FAO. À l’issue de ce sommet, la sonnette d’alarme a été tirée pour la énième fois, comme en 2008, notamment, afin d’alerter les grandes puissances internationales sur la crise alimentaire mondiale.

L’Afrique, faut-il le rappeler, est déjà dramatiquement touchée par des années de famine et ne parvient que très difficilement à l’autosuffisance alimentaire.

Je prendrai, comme deuxième exemple, le cas du Niger, dont les surfaces cultivables sont très limitées et qui bénéficie très largement des programmes d’aide alimentaire mondiaux.

Les exportations de minerai d’uranium de ce pays, à un moment où le marché est au plus haut, devraient assurer sa sécurité alimentaire. Or ce n’est pas le cas : ses ressources naturelles permettent, en réalité, de gager des prêts concessionnels, accordés par la Chine et dont le remboursement s’effectuera en quantité et en temps. Il ne s’agit en aucun cas pour moi de stigmatiser la République populaire de Chine. Je souhaite simplement qu’il soit tiré des enseignements de cette situation, notamment à la lumière du taux de croissance de l’Afrique, qui s’élève à 5 % l’an.

Aujourd’hui, la Chine est devenue l’un des premiers bailleurs de fonds au Soudan, au Nigeria, en Angola et en Égypte. Le montant total des prêts d’origine chinoise s’établissait, à la fin du premier semestre 2007, à 20 milliards de dollars. Cela doit nous conduire à repenser notre vision de l’aide au développement. Il faut que la France envisage sa politique de coopération sous l’angle d’un double partenariat avec les pays bénéficiaires, ceux avec lesquels elle collabore au sein des programmes multilatéraux.

Pour autant, la coopération intergouvernementale ne doit pas nous priver d’une juste évaluation. Ainsi pourrons-nous, à terme, mieux cibler notre action et mieux apprécier si tel projet multilatéral est plus efficace que tel autre projet bilatéral.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens enfin à attirer votre attention sur le fait que l’aide au développement doit répondre à de nouveaux défis. En notre qualité de pays développé, il nous appartient de créer les conditions d’un nouveau type de développement répondant à de nouvelles exigences. Les bouleversements climatiques et l’appauvrissement des ressources naturelles nous y obligent. Pour les pays en voie de développement, nous devons favoriser un nouveau modèle de croissance, celui d’une croissance « consciente ».

Cependant, comment éviter que ces pays ne nous reprochent de leur imposer des normes contraignantes, issues de nos propres erreurs ? Plus que jamais, il nous faut être imaginatifs et pragmatiques !

Pour conclure, je souhaiterais rappeler devant vous l’importance que représentent les programmes de scolarisation, pour les femmes en particulier. L’école et l’instruction demeurent le préambule incontestable de la paix, notamment dans les sociétés matriarcales.

Applaudissements sur les travées de l’UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

M. le président. La parole est à Mme Claudine Lepage.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Claudine Lepage

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, peut-on parler d’objectifs sans évoquer les moyens pour les atteindre ? Si la France respectait ses engagements, elle devrait consacrer, en 2011, 0, 51 % de son revenu national brut à l’aide publique au développement, l’APD. Or elle n’y contribuera vraisemblablement qu’à hauteur de 0, 47 %, soit un niveau égal à celui de 2006.

Dès aujourd’hui, on peut pressentir qu’il sera donc difficile, voire impossible, d’atteindre 0, 7 % du RNB en 2015, ce qui nous éloigne des engagements pris pour remplir les Objectifs du millénaire pour le développement, notamment sur la pauvreté, la faim, l’éducation primaire pour tous, l’égalité des sexes, l’autonomisation des femmes, la santé, l’environnement durable et la mise en place d’un partenariat pour le développement.

De plus, les chiffres de l’APD annoncés par la France à l’OCDE et la réalité de cette aide ne coïncident pas. Ainsi l’APD réelle, c’est-à-dire allégée des dépenses artificielles, ne représente que 70, 3 % de l’APD officielle en 2010.

En effet, la France prend en compte comme une part significative de son aide publique au développement des dépenses « artificielles », telles que l’accueil des étudiants étrangers, l’aide aux réfugiés, ainsi que les dépenses allouées aux territoires d’outre-mer, ce qui ramène l’APD réelle à 0, 31 % du RNB.

L’APD officielle intègre, en outre, la contribution de la France à l’allègement des dettes des pays en difficulté, comme j’ai pu m’en rendre compte récemment au Cameroun avec la mise en place du contrat de désendettement et de développement, ou C2D. L’allègement de la dette s’inscrit donc comme une part majeure de la contribution française à l’APD, ce qui renvoie, selon moi, a contrario, à la faiblesse des engagements français envers les pays les plus pauvres du continent africain.

Cet affichage officiel de l’aide publique au développement est donc trompeur et permet à l’État d’accroître, à moindre coût, le volume des crédits qui y sont comptabilisés. Les annulations de dette, lesquelles portent, d’ailleurs, sur des créances de toute façon impayables, relèvent, pour finir, davantage de l’exercice comptable que de l’aide française au financement du développement des pays concernés.

Contribuer efficacement à la lutte contre les inégalités et la pauvreté requiert une diversité d’instruments allant des dons, largement insuffisants aujourd’hui, destinés aux pays les plus pauvres, aux prêts octroyés à des pays émergents.

Le volume des prêts octroyés par l’AFD et comptabilisés dans l’APD a très fortement augmenté depuis 2008, contrairement aux dons. Accordés à des taux proches de ceux du marché, ces prêts ne peuvent évidemment s’adresser qu’aux pays émergents. Je ne citerai, à titre d’exemples, que la Chine, l’Inde, ce qui ne manque pas d’étonner parfois le Français moyen, et les pays de la zone Méditerranée-Moyen-Orient. Ce sont les seuls en mesure de s’endetter, contrairement aux pays les plus pauvres.

Il faut mentionner qu’une part importante de l’APD française est également allouée aux organisations européennes et multilatérales : elle représente 41 %, contre 59 % pour l’aide bilatérale. Il est, certes, normal que la France y ait sa place. Notre contribution ne cesse d’augmenter, sans répondre forcément à une vision stratégique de la coopération française au développement.

L’aide aux pays les plus pauvres, particulièrement en Afrique subsaharienne, est, en réalité, illusoire. Le volume de l’enveloppe « dons » consacrée au financement de projets dans les secteurs sociaux est en baisse de 46 % par rapport à 2006. Là encore, il serait intéressant de connaître les montants exacts affectés aux dons-projets de l’AFD pour 2011.

Pour souligner encore nos craintes, je précise que le volume des crédits publics transitant par les ONG reste mineur et bien en deçà des besoins. Les ONG, notamment de volontariat, s’inquiètent de ne disposer, pour l’instant, d’aucune information fiable sur les montants qui seront disponibles pour leurs projets en 2011.

Je dirai un mot encore sur les enjeux définis en matière de politique de coopération au développement de la France par le projet annuel de performance attaché au projet de loi de finances pour 2011. Je veux parler de « la prévention et la gestion des crises qui menacent à la fois le développement des pays concernés et la sécurité de notre pays ».

Ce dernier point établit un parallèle entre le développement des pays concernés et la sécurité de notre pays, laissant entrevoir une justification de notre coopération au développement perçue comme un moyen d’endiguer d’éventuels risques sécuritaires à nos frontières.

Je ne pense pas, quant à moi, que l’on puisse réduire la complexité du problème et expliquer la situation à nos concitoyens en ces seuls termes sécuritaires. Ceux-ci ne sont-ils pas à même de comprendre que la prévention des crises passe par la lutte contre la pauvreté ? Ne sont-ils pas à même de comprendre la nécessité de participer, par la contribution nationale, à l’émergence d’un monde plus solidaire, plus égalitaire et, finalement, plus sûr ? Selon deux sondages, l’un de l’IFOP, l’autre de BVA, publiés à l’automne 2009, les Français, malgré la crise, approuvent l’aide au développement et souhaitent mieux en connaître les résultats.

Non, monsieur le ministre, mes chers collègues, les questions de pauvreté, de santé, d’environnement et de démocratie, où qu’elles se posent, ne peuvent nous laisser indifférents ! Le développement des pays pauvres ou émergents n’est pas sans conséquence pour la France et l’Europe. Nous avons un devoir de solidarité, celui de mener une politique d’aide cohérente, juste et efficace.

Il nous faut définir, outre nos objectifs, les moyens réels mis en place pour les atteindre et présenter, ensuite, un bilan des actions menées. Comme le préconisent MM. Cambon et Vantomme dans leur rapport, il importe d’avoir « une vision claire du coût budgétaire de nos interventions dans les pays émergents ».

Je partage l’avis de la commission quand elle préconise une loi de programmation et d’orientation consacrée à l’APD adoptée à échéances régulières. Cela permettra de rendre notre aide plus lisible, plus prévisible, plus transparente !

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG. – Mme Fabienne Keller applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de Fabienne Keller

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, permettez-moi, à mon tour, de me réjouir de la tenue de ce débat sur le document-cadre de coopération au développement. Il fait suite à la table ronde sur le même sujet, qui a été rappelée à l’instant par Michel Guerry. Je voudrais remercier les présidents Josselin de Rohan et Jean Arthuis d’avoir organisé ces deux débats. Je salue le travail des rapporteurs Christian Cambon et André Vantomme, pour la commission des affaires étrangères, et Yvon Collin, pour la commission des finances.

Monsieur le ministre, c’est un honneur de débattre avec vous sur ces sujets du développement et de l’action humanitaire, dont vous êtes non seulement un grand spécialiste, mais aussi un acteur important !

Je centrerai mon propos sur l’objectif du développement des pays d’Afrique subsaharienne et des pays en conflits ou fragiles.

Beaucoup a déjà été dit, mais je tiens à souligner l’importance de la politique française de développement. Notre pays est le premier contributeur européen d’aide publique au développement, en volume. Malgré la crise, il a maintenu son effort de solidarité.

Néanmoins, le niveau de l’aide publique au développement demeure en deçà de l’engagement pris en 2005 lors du sommet du G8. Nous devions consacrer 0, 7 % de notre revenu national brut à l’échéance 2015 et 0, 61 % dès cette année. Or nous avons un retard de près de 0, 15 point sur l’objectif. Même si l’APD s’élève à 8, 92 milliards d’euros, nous ne sommes pas dans le profil initialement prévu, ce qui représente un « manque à aider » compris entre 600 millions d’euros et 1, 3 milliard d’euros, selon le mode d’évaluation choisi.

L’aide aux quatorze pays d’Afrique subsaharienne les plus pauvres ne représente que 9 % de l’APD. Je tiens aujourd’hui à plaider devant vous, monsieur le ministre, pour un renforcement de l’aide en faveur de ces pays particulièrement fragiles, confrontés à d’importantes difficultés, notamment une grande pauvreté.

À cet égard, je voudrais faire un certain nombre de constats.

Mme Tasca a rappelé le premier : ces pays connaissent une croissance forte, plus forte que d’autres zones du monde, mais cela masque mal une terrible réalité. Le PIB par habitant est loin de progresser aussi rapidement puisque la dynamique démographique y est très forte. La distribution à l’intérieur des groupes sociaux est très mal assurée, avec un effet de concentration de l’enrichissement sur un pourcentage très faible de la population.

Le deuxième constat pourra vous sembler très factuel, mais il est néanmoins important numériquement. Historiquement, au temps du service militaire obligatoire, environ 20 000 coopérants français – des médecins, des ingénieurs, des techniciens – intervenaient régulièrement, apportant souvent de belles compétences aux pays d’Afrique subsaharienne. Ils ne sont plus que 400 aujourd’hui.

Cela signifie, d’une part, qu’un tel apport de compétences n’existe presque plus, et, d’autre part, que la connaissance de ces pays, des défis qu’ils doivent relever, ainsi qu’un certain nombre de relations humaines et de réseaux d’amitié vont, au cours du temps, s’atténuer et progressivement disparaître.

Le troisième constat que je voudrais souligner, à la suite d’autres collègues, est le suivant : ces pays sont touchés par la double peine.

Celle-ci concerne tout d’abord le domaine écologique. Toutefois, une telle situation n’est en rien liée à leur mode de consommation, madame Tasca. Si l’électricité produite dans ces pays est peut-être plus riche en carbone, la consommation reste très modeste : l’émission de carbone d’un Africain est dix fois moins élevée que celle d’un Européen, et vingt fois moindre que celle d’un Américain ! « Décarboner » la consommation d’électricité de ces pays est un objectif louable, mais je ne pense pas que l’on puisse les culpabiliser sur le sujet.

Nous le savons tous, ce sont ces régions d’Afrique subsaharienne qui souffriront les premières – elles en souffrent d’ailleurs déjà – des effets de l’élévation de la température. Les conflits liés aux questions d’accès à l’eau et de propriété de l’eau – en général, un fleuve traverse plusieurs zones, plusieurs ethnies, plusieurs pays – en sont une illustration.

La double peine est également financière ; on l’a quelque peu oublié. Au moment de la crise financière mondiale, on a pris la mesure du fait que des pays qui n’avaient aucune responsabilité dans son déclenchement en avaient subi les effets, notamment l’augmentation des spreads, c’est-à-dire la hausse des taux d’intérêt auxquels ils avaient accès pour le refinancement, et, surtout, la difficulté à accéder aux marchés financiers au moment où la liquidité mondiale était mal assurée.

En outre, ces pays sont plus souvent qu’à leur tour victimes de catastrophes naturelles météorologiques – sécheresse, cyclone – ou sismiques.

Le quatrième constat, ce sont les difficultés liées au départ important d’une main-d’œuvre formée vers les pays occidentaux.

L’Organisation internationale pour les migrations estime à 20 000 le nombre de cadres ou de membres de professions libérales quittant l’Afrique chaque année. Un diplômé africain sur trois émigre, principalement vers l’Europe et l’Amérique du Nord. Il s’agit en général des plus diplômés.

On comprend bien que certains facteurs pèsent sur les décisions individuelles : les difficultés économiques dans le pays d’origine, les conflits, le chômage, le problème de l’accès aux soins ou à l’éducation pour les familles. Cette perte de main-d’œuvre constitue néanmoins un obstacle, une faiblesse pour le développement de l’Afrique.

Monsieur le ministre, j’ai en tête une carte des migrations des médecins vers l’Europe. Celle-ci démontre que, plus les pays sont pauvres et peu dotés en systèmes de soins, plus la migration des personnes formées dans ce domaine est importante. C’est donc un défi tout à fait prioritaire.

Alors, quelles réponses apporter ? Le rapport évoque toute une série d’axes prioritaires, que je salue.

Permettez-moi cependant de plaider ici pour un moyen, déjà évoqué mais qui n’a pas encore été mis en œuvre : la taxe sur les transactions financières à l’échelle mondiale. Le Président Sarkozy l’a soutenue, le Gouvernement la défend, en particulier votre collègue Christine Lagarde, auprès de nombreuses instances internationales.

Cette taxe permettrait de dégager des moyens à la hauteur des défis, puisque l’on évalue sa recette annuelle potentielle à 30 milliards de dollars par an. Certes, elle serait compliquée à mettre en place, puisque tous les pays de la planète devraient accepter de la mettre en œuvre.

Cela étant, je tiens à souligner ici tout l’intérêt d’un tel dispositif.

Je mentionnerai également quelques points positifs au sujet de la coopération.

Je veux souligner la qualité de la coopération décentralisée mise en œuvre par des mairies, des départements, des régions, dont les actions, qui permettent d’établir des relations humaines autour de projets concrets…

Debut de section - PermalienPhoto de Fabienne Keller

… et de mobiliser facilement des techniciens, sont souvent efficaces sur le terrain. En général, ce type de projets aboutit de manière sûre à des mises en œuvre opérationnelles.

Parmi les éléments positifs, je souligne également la prise de conscience forte de nos concitoyens à l’égard des enjeux relatifs à l'ensemble de ces pays. Ils ont bien compris que le développement équilibré des différentes zones du monde était indispensable.

Ils sont conscients également que c’est la seule solution de long terme à la forte pression de l’immigration, laquelle est source de fragilité et de déséquilibres.

Debut de section - PermalienPhoto de Fabienne Keller

Monsieur le ministre, mes chers collègues, je vous remercie une nouvelle fois de la qualité de ce débat et je salue l’engagement de la France. Par la même occasion, j’en appelle à une source de financement plus importante et plus pérenne pour un tel défi mondial.

Malgré l’usage régi par l’orthodoxie budgétaire et financière de la loi organique relative aux lois de finances, il ne me semble pas que l’aide au développement des pays les plus fragiles doive être considérée comme une dépense de fonctionnement. Je la classerais plutôt dans la catégorie des investissements d’avenir.

Debut de section - PermalienPhoto de Fabienne Keller

Mme Fabienne Keller. En effet, nous ne connaîtrons pas de prospérité à moyen et long termes si nous ne nous donnons pas les moyens d’accompagner les pays les plus pauvres dans leur développement économique, social et démocratique !

Très bien ! et applaudissements sur les travées de l’UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

La parole est à M. le président de la commission des affaires étrangères.

Debut de section - PermalienPhoto de Josselin de Rohan

Monsieur le président, je préfère intervenir dès à présent, afin que le dernier mot revienne à M. le ministre, qui aura à répondre aux différents orateurs.

Puisque ce débat s’achève, je me félicite tout d’abord de ce qu’il ait eu lieu, car n’en avons pas souvent tenu sur un tel sujet. Il a été, à mon sens, particulièrement riche : toutes les contributions furent extrêmement intéressantes. Il faudra renouveler l’expérience périodiquement.

Je me félicite également de l’excellent travail effectué par les deux rapporteurs, MM. Christian Cambon et André Vantomme.

Applaudissements.

Debut de section - PermalienPhoto de Josselin de Rohan

Comme ces derniers l’ont indiqué, avant de rédiger leur rapport, ils ont noué de nombreux contacts, effectué de multiples investigations et plusieurs déplacements, qui n’ont pas été inutiles, loin s’en faut ! D’ailleurs, toute l’année, ils se rendent sur place pour contrôler la manière dont nos contributions sont employées. Je tiens à les remercier pour l’excellent travail qu’ils fournissent.

De la même manière, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a été heureuse de pouvoir contribuer au document qui nous est présenté par le ministre au travers de ce rapport.

Nous sommes extrêmement satisfaits de constater qu’un certain nombre des recommandations figurant dans le rapport ont été reprises dans le document-cadre, ce qui montre que la contribution du Parlement peut être efficace et apporter une sérieuse valeur ajoutée.

Monsieur le ministre, je vous remercie de votre écoute constante et de votre désir de nous associer à l’élaboration de ce document ; sans vous, un tel travail n’aurait peut-être pas pu aboutir.

Mes chers collègues, certains d’entre vous ont affirmé que nous devions davantage axer nos efforts sur l’aide bilatérale ou rendre celle-ci plus visible. Étant donné l’effort que nous consentons, il serait tout à fait normal que ce dernier soit reconnu et que nous puissions en tirer un bénéfice sur le plan de notre politique étrangère.

Cependant, sachez que nous sommes souvent l’objet de critiques aux Nations unies pour l’insuffisance de notre aide multilatérale dans divers domaines. Ces reproches, nous les essuyons lorsque nous nous rendons au siège de l’ONU, chaque année, de la part de ceux qui sont responsables d’un certain nombre de fonds, notamment les fonds d’urgence.

Nous ne pouvons pas à la fois nous voir reprocher de ne pas consacrer suffisamment d’argent à l’aide multilatérale et avoir à répondre aux exigences de renforcement de l’aide bilatérale.

Dans le cadre de l’Union européenne, nous exécutons des obligations lorsque nous apportons notre participation aux fonds européens. Ainsi que les rapporteurs l’ont, à juste titre, suggéré – j’espère qu’une telle proposition sera mise en œuvre –, notre contribution à ces fonds doit être coordonnée avec l’action que nous menons. Si l’Union européenne et la France conjuguent leurs efforts dans un certain nombre de secteurs, cela aura un effet de levier important et notre aide se révélera d’autant plus efficace ; mais, pour y parvenir, il doit y avoir une coordination entre l’aide versée à l’Union européenne et l’aide nationale.

En attendant qu’une telle coordination soit mise en œuvre, je conclurai en indiquant que ce jour est important à nos yeux compte tenu de la nature du débat que nous venons de tenir. Il est surtout la démonstration que la politique de coopération est l’un des piliers essentiels de notre diplomatie !

Applaudissements sur les travées de l’UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE. – Mme Catherine Tasca et M. Robert Hue applaudissent également.

Debut de section - Permalien
Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes

Monsieur le président, monsieur le président de la commission, messieurs les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis très heureux d’avoir pu travailler avec vous, d’avoir bénéficié de plusieurs rencontres et d’avoir tant appris à votre contact. Je me réjouis également que ce débat ait eu lieu.

Je vous épargnerai mon discours ; j’en suis désolé pour ceux qui l’ont écrit.

Sourires.

Debut de section - Permalien
Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes

Je m’efforcerai très rapidement – trop rapidement ! – de répondre aux multiples remarques, souvent très positives, mais parfois critiques – c’est tout à fait normal –, qui m’ont été adressées.

Tout d’abord, messieurs les rapporteurs, j’ai beaucoup apprécié que vous ayez lu dans la nuit un document qui, officiellement, n’a été remis qu’hier, à vous comme à moi !

Nouveaux sourires.

Debut de section - Permalien
Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes

Je commencerai en évoquant le document-cadre de coopération au développement.

À ce propos, j’ai bien noté votre remarque à propos d’une éventuelle loi d’orientation, madame Lepage ; j’y reviendrai.

Mesdames, messieurs les sénateurs, c’est la première fois que nous nous trouvons devant une vision d’ensemble ; cependant, si celle-ci est assez précise, elle reste insuffisante dans ses développements.

Je reprendrai simplement l’exemple souligné par les rapporteurs. Tout le monde se demande pourquoi n’est pas mis en place un audit permanent, c’est-à-dire pourquoi n’est pas proposée une évaluation – elle serait sans doute critique – des résultats de notre aide au développement. Mais un tel travail est très difficile à mener ! Qui l’a déjà fait ? Personne !

Bien sûr, pour les ONG – je les salue toutes –, qui se concentrent sur des actions très précises au contact de la population, madame Keller, un tel travail est plus facile à mettre en place et, d’ailleurs, d’autant plus méritoire.

En revanche, concernant la politique en général, les aides, nous n’avons pas toujours la possibilité de quantifier ; par exemple, nous ne pouvons pas évaluer le nombre de malades sous antirétroviraux, contrairement au Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme. Le plus souvent, compte tenu de la façon dont les politiques d’aide au développement sont appliquées, il est bien difficile d’en mesurer immédiatement les résultats au moyen de critères objectifs, avec un crible qui serait suffisamment précis pour être accepté par tous.

Nous allons nous atteler à cette tâche. Dans le document-cadre sont évoqués des audits externes et des rapports croisés. Comme l’ont justement noté MM. Cambon et Vantomme, il faudrait bien entendu pouvoir comparer, additionner les aides au développement portant sur plusieurs sujets et théoriquement regroupées dans différents bilans. Sont-elles complémentaires ou, au contraire, contradictoires ? De telles opérations sont très difficiles à réaliser.

Nous allons essayer de nous y employer pour les aides versées à compter de l’année 1998. Une telle évaluation est d’ailleurs beaucoup plus facile à faire concernant les aides versées dans le passé ; cela reste cependant très insuffisant, j’en suis pleinement conscient.

Un tel travail est cependant tout à fait indispensable. Il a été fait allusion à des sondages qui montrent que les Français, dans une période difficile, sont favorables à l’aide au développement. Quand on pose à nos compatriotes des questions précises, le résultat est néanmoins un peu différent : s’ils approuvent effectivement l’aide au développement, ils expriment également leur volonté de connaître les résultats obtenus en la matière, ce que je comprends tout à fait.

Le président de la commission vient de le souligner, il est essentiel de communiquer sur un tel point ; mais cela n’a jamais été fait, sauf en matière de santé publique, où les indicateurs sont, parfois, sur des domaines très précis, relativement fiables.

Pour en revenir à ce que je disais tout à l’heure, je vous remercie, madame Lepage, d’avoir évoqué l’éventualité d’une loi d’orientation.

Sur le principe, je n’y suis pas opposé. Mais comment faire face à l’évolution de la conjoncture économique si nous fixons des directions et des pourcentages précis ? Je me méfie donc quelque peu des lois d’orientation, d’autant qu’elles évoluent elles-mêmes en fonction des circonstances. Je ne suis pas certain que l’on puisse adopter une telle loi applicable sur dix ans. Néanmoins, cela nous donnerait l’occasion de débattre, comme nous le faisons en ce moment. Il faut y réfléchir.

Je suis d’accord avec vous, monsieur Cambon, lorsque vous dites que notre démarche ne doit plus être seulement caritative. Pour autant, en cas de besoin, le caritatif, ce n’est pas si mal !

J’ai longtemps été très hostile, puis très favorable, puis plus nuancé, sur la question des aides ponctuelles. Lorsqu’il y a une urgence, il faut y répondre, et les ONG savent très bien le faire.

Vous dites également qu’il n’y a jamais assez d’argent pour les ONG. Mais où le prend-on ? Il vient bien de quelque part ! Nous devons participer au financement des ONG, tout en leur laissant la possibilité de formuler des critiques et d’être indépendantes.

Au Centre de crise du ministère des affaires étrangères et européennes, nous ne travaillons qu’avec des ONG ! C’est tout à fait nécessaire lorsqu’il s’agit de répondre à des situations d’urgence et de mener des actions caritatives. D’ailleurs, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous invite tous, comme je l’ai déjà fait en commission, à venir voir comment ce centre fonctionne, en liaison avec les ONG, comment l’aide est distribuée, comment des rapports humains se nouent et des contacts permanents s’établissent entre le Centre de crise, ces ONG et la population locale.

J’ai aussi bien noté cette observation selon laquelle mieux valait travailler avec les Africains eux-mêmes qu’avec leurs gouvernements. Il faut faire les deux ! Les chiffres nous indiquent que beaucoup d’argent s’évapore…

Debut de section - Permalien
Bernard Kouchner, ministre

Mais que doit-on faire ! Dites-le-moi, monsieur Revet !

Lorsque les gouvernements nous sollicitent pour financer certains projets, on peut penser, logiquement, que les ministères concernés vont faire un bon usage de l’aide que nous leur apportons.

On nous parle de surveillance. Je sais bien qu’il y a des problèmes d’évasion d’argent. Je rappelle, cependant, que tel n’est pas le fait des seuls pays africains ; dans d’autres États, c’est la moitié de l’aide qui s’évanouit dans la nature !

Bien entendu, nous devons apporter de l’aide, lorsque c’est nécessaire, en passant par les structures gouvernementales qui existent sur place. C’est le cas lorsqu’un plan d’action a été lancé. Le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme, par exemple, ne pourrait pas fonctionner s’il ne travaillait pas, au niveau local, avec les différents ministères de la santé.

Vous l’avez noté à juste titre, messieurs les rapporteurs, lorsque aucune structure n’existe sur place, rien n’est possible ! Pour que l’argent distribué soit utile, il faut pouvoir trouver, localement, un minimum de structures administratives et techniques. Dans le domaine de la santé, c’est évident !

Nous ne pouvons pas faire autrement que de travailler avec les gouvernements, mais il nous appartient aussi d’agir, et le plus possible, avec les collectivités et les ONG locales, au plus près des populations. C’est ma conviction la plus profonde !

Il est certes difficile d’intervenir, à la fois, à tous ces niveaux. Il faut pour cela beaucoup d’expérience, y compris de l’échec. Nous connaissons aussi des succès.

Debut de section - Permalien
Bernard Kouchner, ministre

Il nous revient de mener une réflexion d’ensemble sur notre démarche caritative.

Vous avez dit, monsieur Cambon, que la France ne serait plus jamais seule. En termes politiques, c’est-à-dire en considérant notre passé colonial, puis la décolonisation et l’indépendance qui ont suivi, c’est vrai ! Cependant, je le répète, il est très compliqué d’additionner et de juxtaposer des aides sans les faire entrer en concurrence.

J’ai pris hier, devant la commission, l’exemple de la République démocratique du Congo, le plus grand pays francophone du monde. Avec 130 millions d’euros, les Britanniques lui donnent près de quatre fois plus que la France, dont le montant de l’aide s’élève à 35 millions d’euros.

Comment peut-on additionner ces deux aides ? Après tout, réjouissons-nous que les Britanniques aident la République démocratique du Congo, si leur argent, comme le nôtre, est bien utilisé. Mais comment savoir si c’est le cas, alors que nombre d’autres États aident ce pays majeur, central, à la fois vaste et doté de nombreuses richesses ? Je ne veux pas souligner uniquement les difficultés, mais force est de constater qu’elles ne manquent pas !

Je suis tout à fait convaincu qu’il faut faire le bilan des objectifs, celui des moyens et l’analyse critique des résultats. Nous avons prévu cet objectif dans le document-cadre, et nous nous efforcerons de le réaliser.

Monsieur Vantomme, vous avez évoqué des objectifs majeurs, que je ne détaillerai pas ici. Notre aide publique au développement est répartie de la façon suivante : 60 % pour l’Afrique, 20 % pour la Méditerranée, seulement 10 % pour les pays émergents, et 10 % pour les situations de crise. Une telle répartition est de nature à recueillir une approbation assez large, d’autant qu’il est toujours possible de l’ajuster ; c’est d’ailleurs le cas dans les situations de crise. En effet, même si une crise est prévisible, par définition, on ne connaît pas dans l’immédiat les besoins requis.

Je partage bien sûr votre sentiment sur la croissance par les échanges. Encore faudrait-il que nos produits soient compétitifs...

Monsieur Guerry, vous-même avez rappelé que les investissements de la Chine étaient sans comparaison avec les nôtres. Certes ! Mais nous savons tous que la compétition est grande entre les entreprises. Alors, que fait-on ?

Certaines entreprises chinoises ou turques sont beaucoup plus compétitives que les nôtres. C’est un constat ! Nous devons donc aider le plus possible les entreprises françaises, mais pas jusqu’au point de les imposer ou de compenser notre handicap par des prêts ou des dons.

Debut de section - Permalien
Bernard Kouchner, ministre

Comment faire ? Nos entreprises sont tout à fait performantes sur le plan social, car elles développent des projets plus structurés à ce niveau, mais elles sont moins performantes que d’autres pays lorsqu’il s’agit de répondre aux appels d’offre.

Il est très difficile de développer les échanges avec nos partenaires tout en soutenant les industries locales. C’est au sein de ce difficile équilibre que notre politique d’aide au développement doit trouver sa place : en dehors du domaine caritatif et dans la réalité de la compétition économique.

Je ne suis pas responsable de l’insuffisance des perspectives financières et de la conjoncture économique ! Je rappelle que personne n’avait prévu la crise européenne et mondiale dont nous avons été victimes. Sans cette crise, sans doute aurait-il été plus facile d’atteindre le fameux objectif de 0, 7 %. Cela ne veut pas dire que nous devons abandonner complètement une telle perspective pour 2015 !

Dois-je le rappeler, la France, en 2000, lorsque la croissance était forte, consacrait 0, 30 % de son RNB à l’aide au développement, puis a porté son effort à 0, 32 % en 2001. Dix ans plus tard, nous avons réussi à rattraper ce retard, avec un taux qui s’élève, selon les interprétations, à 0, 47 % ou 0, 49 %.

Pourquoi n’atteindrions-nous pas l’objectif de 0, 7 % ? En tout cas, nous faisons tout pour y parvenir en 2015.

Je m’attarderai quelque peu sur les financements innovants, qu’a évoqués M. Collin.

Ils ne sont pas destinés à se substituer à l’aide publique au développement ou à justifier sa diminution. Ils doivent servir, au contraire, à compléter ou à augmenter cette aide.

Nous avons été très surpris, lors de la préparation du sommet Afrique-France de Nice, qui comptait près de la moitié de pays anglophones, qu’un certain nombre de pays africains déclarent se méfier des financements innovants. Cette propagande hostile émanait de pays favorables à un libéralisme total, que l’idée même de taxe effraie, alors que nous n’employons jamais ce terme, lui préférant celui de « contribution ».

Soyons sérieux : si les pays africains refusaient les financements innovants, à quoi serviraient-ils ?

Nous avons convaincu les États concernés qu’il s’agissait d’une aide supplémentaire « aux investissements », et non pas simplement d’une aide en plus. Le sujet a été abordé lors de l’Assemblée générale des Nations unies, à New York, en septembre dernier, et il figurera à l’ordre du jour du prochain G8, à Muskoka. C’est donc une idée qui fait son chemin.

Mesdames, messieurs les sénateurs, comme je l’ai dit en commission, nous vous ferons parvenir le dernier rapport du Groupe pilote sur les financements innovants, présidé par le Japon, et dont la France est secrétaire.

Tous les rapports de ce groupe vont dans le même sens : il est beaucoup moins difficile de financer ces projets que de lancer le Fonds global, comme l’a fait la France. Il existe trois hypothèses pour le financement. Selon nous, il devrait prendre la forme d’une contribution sur les transactions mobilières, c’est-à-dire sur tous les échanges financiers. Les limites du dispositif restent à définir, pour savoir qui sera concerné : les entreprises, la spéculation, les échanges personnels, etc.

La solution que nous avons retenue est une contribution de 0, 005 %, ce qui représente, je ne cesserai de le répéter, 5 centimes d’euros prélevés sur mille euros échangés. C’est tout à fait inoffensif et inodore !

Quelques pays importants peuvent-ils lancer ce projet, ou faut-il un lancement collectif nécessitant l’accord des 192 pays siégeant à l’Assemblée générale des Nations unies ? C’est clairement la première solution qui doit prévaloir.

Si nous ne prenons pas l’initiative, cela ne marchera jamais ! C’est ainsi que les fonds éthiques ont démarré, lancés par quelques établissements bancaires et quelques pays. Finalement, cela fonctionne très bien !

Debut de section - Permalien
Bernard Kouchner, ministre

Je pense, pour ma part, et nous verrons ce qu’il en sera du G8 et du G20, qu’un groupe de cinq ou six pays européens, mais non les moindres, favorables à cette idée, pourraient lancer ce projet.

Cette idée avance, monsieur Collin, même si nous n’avons, pour le moment, aucun bénéfice matériel à en attendre. Il sera très facile, par l’intermédiaire des banques et des établissements financiers, de prélever une contribution de 0, 005 % sur les échanges. Ce n’est tout de même pas énorme !

S’agissant du Fonds global, monsieur le président de Rohan, vous avez raison : si nous contribuons plus encore par l’intermédiaire de l’ONU, on nous reprochera de ne pas être assez présents. Ce fonds global doit-il passer par l’ONU ? C’était le cas au début, avant qu’il n’en soit détaché pour être plus autonome. Mais l’idée est née au sein des Nations unies.

Avec une contribution de 0, 005 %, on parviendra à réunir une somme de 30 à 40 milliards d’euros par an, ce qui permettra, madame Keller, d’assurer l’éducation de tous les enfants des pays pauvres. Ce n’est pas mal !

Faut-il créer un fonds pour cela ? Comment l’aide serait-elle distribuée ? Qui contrôlerait ce fonds et les résultats de l’aide ? Voilà des questions ardues ! Nous devons en discuter.

Nous avons, je le redis, l’expérience du Fonds global, dont la France a été à l’origine : au début, on ne savait pas comment le contrôler. Il doit représenter pour nous un modèle, dans la mesure où, depuis sa création, les évasions et les scandales ont été peu nombreux, même s’il arrive de temps en temps que l’on cesse d’aider un pays.

Monsieur Hue, vous avez évoqué le domaine réservé. Vous n’êtes pas sans savoir qu’il existe depuis bien longtemps. Or je me souviens que, dans les années passées, certaines réserves vous étaient plus sympathiques !

Sourires sur les travées de l’UMP.

Debut de section - Permalien
Bernard Kouchner, ministre

Vous avez également pointé du doigt les profits réalisés par les entreprises. Oui, les entreprises font des profits, et c’est bien naturel ! Si elles n’en faisaient pas, …

Debut de section - Permalien
Bernard Kouchner, ministre

… cela se saurait ! Ce serait alors, le plus souvent, des entreprises nationales. S’il peut y avoir, ici ou là, des adaptations envisageables, les appels d’offre demeurent la règle. Les entreprises françaises doivent se montrer compétitives, ce qui n’est pas toujours le cas.

Les exemples fournis à propos du Soudan et du Niger le prouvent. Vous n’ignorez pas, monsieur Guerry, que c’est Total qui a refusé de s’installer au Niger, du fait d’une situation politique dangereuse. De même, le Soudan n’était pas facile d’accès, en particulier le sud de ce pays. Il y avait pourtant des opportunités historiques à saisir ! D’ailleurs, notre entreprise pétrolière s’implante de nouveau dans ces régions. Mais elle doit désormais faire face à la concurrence chinoise. Qui pourrait reprocher aux entreprises chinoises de s’être implantées sur ce marché ?

Madame Tasca, vous avez fait preuve d’un grand optimisme quant à l’évolution du continent africain. Je partage votre sentiment. La tendance générale, comme les chiffres que vous avez cités, semblent confirmer cette évolution positive, dont nous devons tenir compte. Vous avez souligné l’expertise de la France. Même si elle est quelque peu datée et qu’elle s’éloigne des réalités de l’Afrique, nous devons la mettre en avant, en proposant à nos amis chinois, turcs et britanniques de bâtir autant que possible des offres communes. C’est la seule façon d’agir. Il existe d’ailleurs, en matière de développement, un groupe franco-chinois qui se réunit très régulièrement.

J’ai apprécié les propos que vous avez tenus sur le thème du codéveloppement et de l’immigration. Malheureusement, la pauvreté, l’emprise de la tradition et les marchands d’esclaves n’attendent pas. Codéveloppement et maîtrise du flux migratoire ne sont pas toujours corrélés. Les migrants tentent leur chance, même lorsqu’on leur soutient qu’en développant leur pays ils n’auront pas à essayer, au péril de leur vie, de gagner les pays riches. Eh oui !

Je suis évidemment favorable à équilibrer le plus possible codéveloppement et immigration. Mais, en réalité, il y a tous les jours des gens qui frappent à la porte des pays riches, qui franchissent la mer Méditerranée au péril de leur vie, et qui meurent. Les migrants n’empruntent pas nécessairement le détroit de Gibraltar. Bien souvent, ils viennent de beaucoup plus loin. Demandez à nos amis grecs combien ils en accueillent chaque jour ? Il en résulte un « trafic » effrayant, qu’il convient d’endiguer.

Je reprends vos exemples, monsieur Guerry. Vous vous dites partisan d’un dialogue entre le Tchad et le Soudan. C’est évident ! Je suis d’ailleurs plutôt satisfait des avancées dans ce domaine. Les accords de Doha seront-ils acceptés par tous ? Je ne sais pas. Mais il est clair qu’un certain nombre de pays ne respectent pas les règles et continuent de fournir des armes aux pays en développement. Vous l’avez d’ailleurs souligné.

Pour ce qui est du Niger, l’uranium suffira-t-il ? Je l’ignore. La situation que nous affrontons autour des mines d’uranium n’est pas simple. Nous sommes particulièrement attentifs à tout ce qui serait susceptible de protéger nos populations. Nos ressortissants ont d’ailleurs été évacués, comme vous le savez, d’une « zone rouge », définie comme très dangereuse. Nous y reviendrons.

Lors de la réunion du CICID qui s’est tenue en 2009, il a été exigé une révision de nos indicateurs bilatéraux. Nous avons d’ailleurs confié à l’inspection générale des finances le soin d’évaluer nos contributions bilatérales et multilatérales. Les conclusions de cette mission devraient nous parvenir dans les semaines qui viennent.

Madame Lepage, nous nous efforçons de répondre à l’objectif de 0, 7 % du RNB en 2015. J’ignore si nous y parviendrons, même si je le souhaite ardemment. Notre aide au développement équivaut aujourd’hui à 0, 49 % du RNB, et nous devrions atteindre 0, 51 % l’année prochaine.

Vous avez évoqué, madame, les moyens de développer la formation. Je voudrais vous faire part d’un chiffre souvent méconnu : il y a, en France, près de 22 000 étudiants chinois, dont la formation, intégrée à la politique de développement, coûte chaque année 100 millions d’euros. C’est là un effort considérable, qui ne concerne que les étudiants chinois. Mais on accueille bien sûr des étudiants étrangers d’autres nationalités, notamment africaines, dans nos universités et nos écoles !

Vous avez fait allusion à ces sondages qui font état de la volonté des Français de renforcer l’aide au développement, ce dont je me réjouis. Ce sont tout de même eux qui la financent ! Mais il faudra leur rappeler cette intention initiale dans les années à venir.

Madame Keller, vous avez souligné l’évolution, très positive, de l’aide au développement. Je vous en remercie.

Dans les pays africains, qui représentent 60 % de nos efforts, nous menons des entreprises beaucoup plus proches des populations. Je l’ai dit, la tendance générale est en effet à se dégager, autant que possible, des gouvernements. Sans les mépriser, en les acceptant tels qu’ils sont, nous essayons de nous approcher au plus près des collectivités, des hommes et des femmes.

Certes, ce n’est pas toujours possible. En effet, il n’y a pas toujours d’ONG locale susceptible de relayer notre aide. Dans ce cas, nous travaillons avec des ONG françaises ou internationales, même si ces dernières sont généralement plus proches des gouvernements centraux et des ministères. Vous connaissez les chiffres : près de 40 % de l’aide s’évapore ! Ce chiffre est évidemment une moyenne, et cette évaporation ne sévit pas dans tous les pays.

Je voudrais maintenant insister sur la formation professionnelle. Vous avez évoqué le cas, en Afrique, de personnes qualifiées, notamment des médecins, qui gagnent les pays riches pour y exercer leur profession. C’est un fait ! Mais nous venons de mettre en place, aujourd’hui avec le Sénégal et demain avec le Maroc, une formation professionnelle, d’une durée de trois ans, qui s’appuie sur les fédérations professionnelles et le réseau de coopération. Elle semble bien fonctionner jusqu’à présent.

Au lieu d’accorder des bourses pour des cursus universitaires n’offrant pas de débouché particulier en Afrique – cela demeure bien entendu possible -, nous prenons en compte les besoins professionnels exprimés par les entreprises locales. Ces trois ans de formation accompagnée par les fédérations professionnelles fonctionne bien au Sénégal, premier pays concerné par ce dispositif. Nous entendons l’étendre.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je ne reviendrai pas sur la question des transactions financières. Je vous suis très reconnaissant de ce débat. Grâce au président de Rohan et à la commission des affaires étrangères, nous avons pu, les uns et les autres, et surtout moi, tirer profit de ces critiques, extrêmement positives.

Certes, 9 milliards d’euros, ce n’est pas suffisant, mais c’est tout de même considérable ! Nous n’avons pas à rougir de la position française en matière d’aide au développement, même s’il faut aller toujours plus loin dans ce domaine.

En effet, la France est, cette année, le deuxième contributeur mondial d’aide au développement. Certes, ce ne sera plus le cas l’an prochain, mais nous n’avons pas à rougir de notre rang au sein des pays européens, même s’il faut saluer l’effort de la Grande-Bretagne qui, en dépit d’une situation économique toujours difficile et d’une réduction de 25 % du budget du Foreign Office, a maintenu son aide. Je préférerais bien évidemment que nous puissions augmenter notre aide. Mais ce débat a montré que, dans ce domaine, nous n’étions pas les moins efficaces !

Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

Nous en avons terminé avec ce débat, de grande qualité, sur la politique de coopération et de développement de la France.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

L’ordre du jour appelle le débat sur le rôle de l’État dans les politiques locales de sécurité.

La parole est tout d’abord à l’orateur du groupe du RDSE qui a demandé ce débat, M. Jean-Michel Baylet.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Michel Baylet

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, s’il était encore besoin de justifier la réforme des institutions, à laquelle, je le rappelle, les radicaux avaient donné leur consentement en 2008, la possibilité désormais ouverte à notre assemblée d’organiser des débats de sa propre initiative serait une nouvelle preuve de l’amélioration apportée à l’équilibre des relations entre le Parlement et le Gouvernement.

Dès le mois d’août dernier, j’avais en effet annoncé que je solliciterai la tenue du présent débat avec un triple objectif : répondre aux propos scandaleux d’un ministre en exercice quant à la responsabilité de certains maires dans la montée de l’insécurité ; rappeler la carence, pour ne pas dire la faillite, des services de l’État dans le maintien ou le rétablissement de la sécurité dont le Président de la République avait pourtant fait sa priorité ; souligner les charges indues assumées par les collectivités territoriales du fait de cette carence, alors même que toutes les réformes engagées par l’État tendent à diminuer les ressources locales.

Mais je ne saurais vous présenter cette réflexion sans rappeler quelles sont les raisons qui ont amené et devraient encore conduire l’État à prendre en charge les missions de police.

C’est l’histoire nationale que l’État refuse aujourd’hui de regarder en face et dont il rejette l’héritage, comme s’il en avait le choix. Monsieur le secrétaire d’État, vous le savez peut-être, je viens d’une région, le Midi républicain, héritière de cette Occitanie qui fut si longtemps méfiante, et le reste en tant que de besoin, à l’égard de l’État, de sa centralisation, de ses excès militaires et policiers ou, plus simplement, de son intolérance.

Je vous accorde que cette vision spécifique de la puissance politique n’est pas nouvelle. Vous n’y êtes pour rien, puisque c’est Charlemagne qui créa le comté de Toulouse et permit à notre Midi de s’opposer aux Capétiens jusqu’en 1271. Mais une culture particulière était née : des Cathares aux vignerons du Languedoc, nous pouvons faire état de huit siècles de résistance au pouvoir central.

Pourquoi alors, me direz-vous, avons-nous finalement consenti, progressivement certes, aux fonctions régaliennes de ce pouvoir parisien si lointain, si peu bienveillant ? C’est parce que la raison impose un constat d’évidence : dans un État moderne, la détention de ce que les juristes appellent la « violence légitime » ne peut être accordée qu’à une seule collectivité publique.

S’il s’agit, à l’extérieur, de faire respecter les frontières et les valeurs de notre pays ou, à l’intérieur, de garantir la paix publique et la sécurité des citoyens, seul l’État – je dis bien l’État – peut le faire, et lui seul. Voilà pourquoi, tout au long de l’histoire moderne de notre pays, les provinces, puis les régions, les départements, les communes s’en sont remis à l’État pour garantir l’ordre et la sûreté. C’est la mission des représentants de ce dernier, ce n’est pas la nôtre, et vous ne pouvez ni ne devez vous y soustraire.

C’est donc en ayant ces éléments historiques à l’esprit que, l’été dernier, nous avons tous entendu, avec une stupéfaction scandalisée, M. le ministre chargé de l’industrie adresser une sorte d’admonestation aux maires qui ne feraient pas face à leurs obligations de police, blâme assorti d’une menace financière, l’État pouvant pénaliser les communes qui ne réaliseraient pas les efforts suffisants dans ce domaine.

Ces propos, je le répète, nous ont scandalisés – la réprobation s’est d’ailleurs étendue aux rangs de la majorité –, et ce pour plusieurs raisons.

Tout d’abord, nul ne savait en quelle qualité s’exprimait M. Estrosi. À l’inverse d’une règle désormais considérée comme un pilier de notre organisation administrative, il bénéficie en effet, avec l’un de ses voisins varois, du privilège d’être à la fois maire d’une grande ville et membre du Gouvernement. Ce cumul n’est pas seulement contraire aux usages de la République moderne ; il est aussi dommageable au plein exercice de l’une et l’autre responsabilités susvisées. En l’espèce, il était source d’une grande confusion, puisque les maires ainsi interpellés ne savaient pas s’ils étaient cloués au pilori par l’État ou dénoncés à ce dernier par l’un de leurs collègues.

Par ailleurs, il se trouve que la commune qui a l’honneur d’être dirigée par M. Estrosi est la ville de Nice, si particulière à tant d’égards. Le maire de Nice, qui s’adressait alors à ses homologues de nombreuses villes où la sécurité a été sacrifiée à des politiques d’urbanisme irresponsables, à une conception ségrégative de l’action sociale, à une démission générale des services publics de l’État, ce maire-là préside aux destinées de l’une des collectivités les plus riches de France, où la sociologie ne correspond en rien à celle des autres communes urbaines, la population de cette municipalité étant dominée par les personnes âgées aisées, voire très aisées. Pour le dire brièvement, le maire de Nice est d’autant plus populiste que sa ville est peu populaire…

Mais j’ai aussi parlé, en pesant soigneusement mes mots, de l’honneur discutable qu’il a d’être installé dans cette mairie prestigieuse. Personne n’a oublié, en effet, que pendant des décennies, Jacques Médecin, grâce à l’aide de ses adjoints, a fait régner sur Nice une autorité qui devait peu à la police et beaucoup aux besoins de tranquillité qu’éprouvent certains sur la baie des Anges. Pour cette raison particulière, nous avons été nombreux – et je félicite notre collègue François Rebsamen de sa réplique immédiate et très vive – à estimer que M. Estrosi n’était pas le mieux placé pour donner des leçons à propos d’un ordre public qui, selon nous, se fonde d’abord sur la morale républicaine.

Cependant, monsieur le secrétaire d’État, la question principale en l’occurrence est non pas celle de l’émetteur, mais celle du message émis. Seraient pénalisées demain, dans leurs dotations budgétaires, les communes qui n’auraient pas convenablement bouché les voies d’eau de la politique de l’État, ce fameux « tout sécuritaire » qui est l’alpha et l’oméga de votre conception de l’organisation d’une société.

Une telle menace impose une première remarque. Je vous prie, monsieur le secrétaire d’État, de rappeler à vos collègues qui l’ignoreraient que les ressources des collectivités provenant du budget de l’État ne nous sont pas consenties ou « octroyées », comme auraient pu dire les conseillers de Louis XVIII. Elles nous sont dues pour trois raisons principales. D’abord, elles sont prévues par la Loi – point n’est besoin de commentaire, cette majuscule suffit – et il n’appartient pas au caprice d’un ministre-maire de défaire ce qu’a fait la volonté populaire. Ensuite, elles permettent de financer non seulement l’exercice des compétences qui ont été décentralisées par les grandes lois de 1982-1983 et des textes ultérieurs, mais aussi, et j’y reviendrai, les missions qui sont celles de l’État et qu’il n’assume pas. Enfin, elles représentent la contrepartie de recettes qui appartenaient en propre aux collectivités locales. Qui se souvient encore que la TVA, celle que vous percevez, a remplacé la taxe locale, celle que nous vous avons abandonnée ?

Mais l’essentiel est bien dans votre démission. Si les propos de M. Estrosi ont soulevé un tel tollé – dans votre seul camp, je vous rappelle les protestations du président de l’Association des maires de France, l’AMF, ou de M. Favennec, député de la Mayenne ; dans ma seule région, j’ai noté l’indignation de plusieurs parlementaires de l’UMP –, c’est qu’ils avaient un triple objet : souligner la violence extrême du « discours de guerre » prononcé par M. Sarkozy à Grenoble après les scènes d’émeute ayant embrasé un quartier de la ville ; profiter de cette occasion pour clouer au pilori une municipalité de gauche, dirigée en l’espèce par Michel Destot, maire socialiste de Grenoble ; mais, surtout, noyer le poisson de votre échec en matière de sécurité, en inventant des missions que la loi n’a pas confiées aux communes.

Ce dernier point reflète bien la réalité. Vous vous êtes autoproclamés prix d’excellence sécuritaire et vos résultats en cette matière sont catastrophiques. Comment pourrait-il d’ailleurs en aller autrement, puisque vous avez littéralement désarmé le bras sécuritaire de l’État ? Vous avez supprimé la police de proximité, à laquelle vous reprochez sans doute d’être insuffisamment sécuritaire. Vous avez supprimé nombre de commissariats, sacrifiés sur l’autel de l’austérité budgétaire. Vous avez supprimé 10 000 postes de policiers en cinq ans. Le maire de Grenoble, mis en cause par votre collègue, avait d’ailleurs démontré que, depuis 2002, les effectifs de la police nationale avaient baissé de 17 %, tandis que ceux de la police municipale avaient augmenté de 41 %.

Au risque de vous étonner, monsieur le secrétaire d’État, je veux bien reconnaître que le problème de l’insécurité, notamment en zone urbaine, vient de loin, et de plus loin que vous ou que nous.

Il vient, d’abord, de la politique dite d’« urbanisme opérationnel », politique irresponsable conduite par l’État dans les années soixante et soixante-dix, au cours desquelles la DATAR confondait quantité et progrès.

Il vient, ensuite, de ces ZUP et de ces ZAC ghettos, où l’on a entassé les catégories de populations déjà les plus défavorisées et souvent les moins intégrées.

Il vient, encore, de l’abandon progressif des services publics dans tous ces quartiers sensibles, en particulier des transports publics, lesquels, pourtant, donneraient une chance à l’insertion.

Il vient, aussi, mais là, vous en êtes coresponsables, de l’amalgame scandaleux que les discours de l’extrême-droite et de la droite musclée ont fait surgir entre, d’une part, une immigration que nous avons voulue, appelée, je vous le rappelle, mes chers collègues, et, d’autre part, une insécurité que vous ne faites mine de combattre que pour mieux désigner des boucs émissaires capables d’endosser toutes les autres revendications de la société française.

Il vient, enfin, plus récemment, de l’abandon des politiques de coproduction de sécurité mises en place à partir du plan Bonnemaison de 1982 et des initiatives prises par Jean-Pierre Chevènement en 1997, politiques délaissées par les gouvernements de droite successifs.

Ces considérations m’amènent à l’interrogation principale qui s’est imposée à nous l’été dernier : quel est donc et quel doit être le rôle des collectivités territoriales en matière de sécurité ?

En application des règles historiques que j’ai rappelées, c’est l’État qui est chargé de la police et, lorsque le maire intervient dans ce domaine, c’est en sa qualité d’agent de l’État. Il est investi d’un pouvoir général de police administrative en vue de la prévention des troubles à l’ordre public, mais il exerce celui-ci sous l’autorité du préfet. De la même façon, il est officier de police judiciaire – cette mission n’a d’importance effective que dans les petites communes dépourvues de police et de gendarmerie –, mais, là encore, il est placé sous l’autorité du procureur. Il semble bien, finalement, que la conception classique, rappelée précédemment, se soit imposée : la police ressortit à la compétence exclusive de l’État.

Cependant, il est apparu aux collectivités territoriales et à leurs responsables que la sécurité des personnes et la tranquillité publique ne pouvaient être abandonnées aux seuls responsables de la répression, c’est-à-dire aux autorités policières et judiciaires de l’État. Cette prise de conscience résulte d’un double constat.

D’une part, la sécurité publique dépend essentiellement d’un climat de paix sociale que les élus locaux, aidés de leurs services, sont les premiers soucieux de maintenir ou d’améliorer. Plus que jamais, l’élu local, qui représente et incarne le premier niveau de solidarité vécue et ressentie par les citoyens, détient une fonction de médiation sociale. Je voudrais, à cette occasion, saluer le dévouement des centaines de milliers d’élus bénévoles ou quasi bénévoles qui, inlassablement, retissent le lien civique distendu ou déchiré par les violences économiques et sociales qui ont cours à notre époque.

D’autre part, la sécurité de nos concitoyens et de leurs biens dépend évidemment de la justice sociale, mais également de l’attention portée par les pouvoirs publics aux situations de détresse sociale. Cette attention n’est certes pas de la charité ou de la simple compassion : elle doit prendre la forme d’une solidarité active, dont je veux vous donner un exemple concret, mes chers collègues, que je connais en ma qualité de président de conseil général.

Bien avant les gesticulations estivales de M. Ciotti, élu de la même région que M. Estrosi, vous nous avez délégué le pouvoir de suspendre le versement des allocations familiales en cas d’absentéisme scolaire. À cette date, aucun président de conseil général concerné, je dis bien aucun, qu’il soit de droite ou de gauche, n’a usé de cette possibilité. Cela signifie donc, monsieur le secrétaire d’État, que votre idéologie et vos dogmes n’ont rien à voir avec la réalité de terrain.

Nous savons, nous, que ces situations appellent de la présence, de l’assistance aux familles et de l’investissement de la part des travailleurs sociaux non seulement des départements, mais aussi des communes.

L’essentiel, en matière de sécurité, reste bien la prévention, que vous faites mine de confondre avec l’angélisme. Nous le savons tout comme vous, certains comportements exigent la répression dans ses aspects punitifs et dissuasifs ; je répète que c’est là le rôle de l’État et non celui de nos collectivités, qui n’ont ni à le remplacer ni même à lui prêter main-forte.

Les maires peuvent et doivent faire respecter, avec leurs propres personnels et, le cas échéant, avec ceux de la police nationale, les arrêtés qu’ils ont pris dans le cadre précité, que ces documents visent – et j’y suis favorable – le couvre-feu pour les mineurs, la mendicité intempestive ou la sécurité des manifestations publiques. S’ils estiment avoir besoin, pour garantir la paix, synonyme de liberté, de recrutements supplémentaires, d’armes dissuasives ou de nouveaux moyens de vidéosurveillance, c’est à eux d’en juger et non au Gouvernement, qui engagerait, en quelque sorte, des supplétifs.

En réalité, vous pourrez bien rebaptiser les organismes interministériels ou les organes de coordination locale, mais vous devrez bien admettre que la sûreté publique ne peut dépendre de votre seul bon vouloir et que la sécurité des Français ne peut résulter de la seule répression, dont nous voyons tous les limites, surtout dans les cas où votre politique discriminatoire a transformé la simple présence policière en une sorte de provocation, et ce fait est particulièrement grave.

Les policiers n’y sont évidemment pour rien. Les habitants des quartiers concernés ne sont pas non plus en cause. Mais c’est la vieille histoire du vent et de la tempête… Pour de médiocres raisons électorales, vous considérez la sécurité comme un terrain d’affrontement, non comme un champ de conciliation sociale.

Le véritable problème est bien là, et non dans le contestable discours de M. Estrosi, qui se croit autorisé à morigéner les maires. Monsieur le secrétaire d’État, nous n’avons pas la même conception de l’action publique. Comment voulez-vous que la sécurité soit autre chose qu’une incantation quand des catégories entières de la population ont le sentiment de n’avoir pas les mêmes droits en matière de logement, d’accès à l’emploi ou encore d’équipement en services publics, quand des Français sont désignés à la vindicte d’autres Français par des menaces proférées à l’égard d’une possible déchéance de leur nationalité, quand les contrôles de police se font à raison du faciès, de la couleur ou du quartier ?

Je vous ai fait part de la lassitude des collectivités territoriales, toujours appelées à pallier les insuffisances budgétaires de l’État – c’est bien le cœur du débat actuel –, alors même que celui-ci les asphyxie par une réforme financière inique. Au risque de vous étonner, je vous dirai que ces sacrifices seraient encore acceptables si la politique menée par votre gouvernement nous paraissait juste. Or elle ne l’est pas. Vos menaces permanentes, vos rodomontades incessantes, vos expulsions triomphantes ne donnent qu’un seul résultat : des statistiques fallacieuses.

Oui, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nos collectivités sont soucieuses de l’ordre et de la paix publics ! Non, elles ne veulent pas s’associer à une politique qui, en écornant la justice et les libertés, crée de l’insécurité !

Mmes Anne-Marie Escoffier, Alima Boumediene-Thiery, Éliane Assassi et M. Charles Gautier applaudissent.

Debut de section - PermalienPhoto de Anne-Marie Escoffier

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, il est difficile pour moi d’intervenir juste après M. Jean-Michel Baylet, ancien secrétaire d’État chargé des collectivités territoriales, dont je partage les valeurs républicaines et qui vient de mettre le doigt là où ça fait mal. Là ou ça fait mal pour nos concitoyens, qui ne sont pas toujours au fait de la loi et des règlements et qui réagissent à l’instinct ou sous la pression des médias.

Je vais essayer de m’abstraire de cette vision sensible, presque affective, des événements, que je comprends au demeurant, pour m’en tenir à un constat aussi objectif que possible.

J’ajouterai un mot, néanmoins, qui dérogera à la règle que je tente de m’imposer, sur le malaise de nos services de police et, peut-être, dans une moindre mesure, de la gendarmerie. Ces deux corps, civil et militaire, qui marchent à l’affectif, ont besoin d’être aimés et respectés pour donner toute sa force à leur action.

Debut de section - PermalienPhoto de Anne-Marie Escoffier

Or, aujourd’hui, les attentes des citoyens, aussi diverses qu’il y a de situations locales, sociales ou sociétales différentes, ne riment pas avec les nouveaux modes de fonctionnement de nos services chargés de la sécurité des personnes et des biens.

Il existe, dès lors, un hiatus grandissant et de plus en plus perceptible, qui signe, je ne crains pas de le dire, le diagnostic d’un peuple malade de sa démocratie.

Je reviens donc au rôle de l’État dans les politiques locales de sécurité. Traditionnellement, l’État est le garant des libertés en même temps que le protecteur de la sécurité des personnes et des biens. Cette double vocation est un fondement essentiel et incontournable de notre République. Inscrite dans la constitution, elle a pour maître d’œuvre le ministre de l’intérieur. Celui-ci, parce qu’il concilie les libertés et les contraintes, est le garant incontournable de ces principes démocratiques.

Incontournable, certes, mais incontestable, l’est-il toujours ? Nous sommes nombreux, ici et là, à avoir défendu de toutes nos forces, à plusieurs reprises, l’absolue nécessité pour le ministre de l’intérieur de s’appuyer sur ces deux pôles – liberté et sécurité – et de n’être pas plus le ministre de l’un plutôt que de l’autre.

Les tentatives de scinder en deux le ministère de l’intérieur, pour avoir un ministère autonome de la sécurité, ont heureusement échoué. Mais rien n’interdit de penser que les politiques mises en œuvre participent subrepticement de la même démarche.

En effet, si l’on considère que la politique de sécurité consiste à garantir la sécurité de la population résidant sur le territoire national ainsi que celle de leurs biens patrimoniaux et de leurs activités face à des menaces de nature criminelle relevant de la justice pénale, on entre bien parfaitement dans la vocation double du ministère de l’intérieur que je viens de rappeler.

En revanche, si la politique de sécurité n’est plus que politique répressive, elle se fixe exclusivement sur le deuxième pôle du ministère et n’apparaît plus comme le garant fondamental du droit de liberté. On doit néanmoins se féliciter de ce que, dans le cadre d’une politique sécuritaire aboutissant à une politique pénale, l’autorité judiciaire indépendante soit la gardienne des libertés publiques.

Que retenir de cette rapide présentation sinon qu’elle laisse peu de place – cela ne me paraît pas illégitime – aux collectivités locales, alors que les réflexions successives et les lois successives ont donné aux collectivités locales des responsabilités nouvelles en matière de politique de sécurité ?

Il s’agit non plus de la politique de sécurité – apanage de l’État –, mais des politiques de sécurité, appliquées localement à raison des problèmes particuliers auxquels sont confrontées les collectivités et s’intégrant à la nécessaire solidarité à laquelle chacun doit contribuer.

Dès 1977, avec le rapport Peyrefitte, et 1982, avec le rapport Bonnemaison, chacun – État et communes – avait compris l’intérêt de politiques territorialisées de prévention de la délinquance, des politiques de « coproduction de sécurité » s’appuyant sur des conseils communaux de prévention de la délinquance, devenus, par décret du 17 juillet 2002, conseils locaux de sécurité et de prévention de la délinquance.

La première loi d’orientation et de programmation relative à la sécurité du 21 janvier 1995, en élargissant le nombre et la qualité des acteurs, parties prenantes dans cette coproduction de sécurité, a conforté le principe d’une action publique territoriale en la matière.

Elle a préparé le maire à devenir le « pilote de la prévention de la délinquance », pilote d’un pilotage obligatoire dans les communes de plus de 10 000 habitants, depuis la loi de 2007. Mais que vaut un pilote à qui incombent les tâches les plus diverses, allant jusqu’au contrôle de l’absentéisme scolaire, sans qu’il ait ni les moyens ni l’autorité de ce pilotage ?

Il n’est que de rappeler certains événements récents évoqués par M. Jean-Michel Baylet, où l’on a voulu jeter l’opprobre sur les élus et les faire condamner par la vox populi.

Quels sont, en réalité, les moyens dont disposent les collectivités si l’on fait abstraction du pouvoir de convocation des conseils locaux de sécurité, dont la lourdeur n’a que trop tendance à en amoindrir l’efficacité ?

Les collectivités disposent de leurs moyens propres de police municipale, dont elles ont la charge financière complète. Les compétences de la police municipale ont d’ailleurs été élargies, par exemple en matière de contrôle préventif s’agissant des dépistages d’alcoolémie. Elles disposent également du Fonds interministériel pour la prévention de la délinquance, utilisé à 75 % en équipement de vidéosurveillance, comme si la vidéosurveillance – pardon, la « vidéoprotection »... – était l’arme absolue contre tous les maux de délinquance connus.

Je ne veux pas ignorer les bénéfices de la vidéoprotection, mais je voudrais les relativiser. A-t-on mesuré les dépenses en personnels qui doivent naître de ce système si l’on veut lui assurer quelque efficacité ? Combien d’écrans d’image par équipement, combien de personnes mobilisées derrière ces écrans pour lire et interpréter en temps réel les images ? À quel coût de fonctionnement, et non pas d’investissement auquel participe l’État, cela revient-il ?

Nombreux sont les exemples que nous pourrions citer de dispositions nouvelles prises en matière de traitement et de prévention de la délinquance qui chargent la barque du pilote collectivité locale sans lui donner les moyens correspondants.

Je peux témoigner de la bonne volonté des polices municipales et d’État à travailler ensemble. Mais cette bonne volonté ne peut contrarier les consignes données par la hiérarchie policière de l’État.

L’État n’a-t-il pas déjà assez de mal à faire fonctionner harmonieusement police et gendarmerie, sous l’autorité d’un préfet de département amoindri, même s’il ne lui reste plus guère que la gestion de crise et la sécurité ?

Monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la question qui se pose véritablement aujourd’hui est bien de savoir comment cette idée de coproduction de sécurité peut trouver à se réaliser au bénéfice de tous, victimes, délinquants, forces de sécurité, à raison de véritables compétences assises sur de vrais moyens.

Faut-il espérer que le projet de loi de finances pour 2011 saura apporter une réponse à cette question ? En tout état de cause, c’est mon vœu.

M. Charles Gautier applaudit.

Debut de section - PermalienPhoto de Éliane Assassi

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, chers collègues, seule une sécurité à la charge de l’État peut s’appliquer de façon identique à chaque endroit du territoire, sans disparité entre municipalités riches et pauvres. En ce sens, la police, prérogative régalienne par excellence, ne se délègue pas.

Si le principe du maintien de l’ordre public constitue l’une des composantes fondamentales d’un État de droit, ledit maintien connaît une évolution d’une exceptionnelle gravité, qui affecte grandement sa substance.

Ces derniers temps, la police municipale a le vent en poupe. Les missions de sécurité sont de plus en plus externalisées et décentralisées, au nom d’une rationalisation arithmétique et aveugle, que l’on nomme communément RGPP.

Bien que le discours du ministre de l’intérieur ait toujours été d’une grande fermeté, constamment orné d’un ton martial, il ne suffit pourtant pas à masquer le désengagement croissant de l’État, non seulement de la mission de maintien de l’ordre public qui lui incombe, mais aussi de l’ensemble des politiques publiques.

À l’horizon 2012, nous aurons perdu 12 000 policiers nationaux ; il n’y a même pas eu de concours de gardien de la paix en 2009 !

Nos territoires le ressentent et en souffrent, à l’instar du département que je connais le mieux, la Seine-Saint-Denis.

Absence de patrouilles à certaines heures, faute d’effectifs suffisants, réaffectation arbitraire de certains agents dans des brigades nouvellement créées au détriment de leur ancien service et de sociétés de sécurité privées, abandon de plusieurs des missions au profit des polices municipales : c’est à se demander ce que fait la police !

Quant à l’évolution des missions confiées aux polices municipales, elle est, pour le moins, spectaculaire.

Pendant longtemps, les policiers municipaux étaient cantonnés à assurer la sécurité des enfants à la sortie des écoles ou à verbaliser les mauvais stationnements. Peu à peu, en raison d’une démission révoltante de l’État, leurs fonctions se sont étoffées, et ce sans la formation inhérente à leurs nouvelles compétences, notamment dans le maniement des armes.

On compte aujourd’hui plus de 18 000 policiers municipaux. Les effectifs ont crû de 120 % en six ans. C’est beaucoup, vous en conviendrez.

Outre l’interrogation qu’elle suscite, une telle démarche pose un véritable problème de rupture d’égalité pour nos concitoyens, entre les communes qui ont une police municipale et celles qui n’en ont pas, alors même que la sécurité et la tranquillité publiques sont garanties à tous par la Constitution.

Qui plus est, je rappelle que la LOPPSI 2 a autorisé tout directeur d’une police municipale d’une ville comptant plus de quarante agents à devenir officier de police judiciaire. À ce titre, il aura le pouvoir de procéder à des arrestations en procédure de flagrant délit, de constater les crimes, délits et contraventions, d’en établir procès-verbal et de recueillir des renseignements sur les auteurs et complices d’infractions. Il lui sera même possible de procéder à des perquisitions !

En ouvrant grand la porte du pénal à un fonctionnaire de l’administration territoriale, qui, à la différence d’un policier ou d’un gendarme, n’a reçu aucune formation en la matière – ce que souligne, d’ailleurs, le Conseil constitutionnel dans sa décision rendue à propos de la garde à vue –, il est permis de s’interroger sur l’objectif recherché.

Ce tournant intervient dans un contexte de gel des dotations financières de l’État aux collectivités, pour une politique qui n’a absolument pas fait ses preuves, sauf à pérenniser et à amplifier la délinquance.

En revanche, monsieur le secrétaire d’État, lorsqu’il s’agit de constater les effets néfastes de votre politique, vous vous empressez, cela a été dit, de dénoncer les maires, jugés coupables de la hausse globale de la violence dans notre société.

Debut de section - PermalienPhoto de Éliane Assassi

Il convient de préciser que, lorsque la loi du 5 mars 2007 a été votée, les maires avaient déjà prévu que les instituer organisateurs en chef de la prévention de la délinquance aurait inévitablement pour conséquence de les rendre un jour responsables de la délinquance elle-même.

Comment les maires peuvent-ils être tenus responsables de la montée du chômage et de la précarité ?

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Dallier

Cela n’a rien à voir ! C’est hallucinant d’entendre cela !

Debut de section - PermalienPhoto de Éliane Assassi

Que peuvent-ils contre l’échec et l’absentéisme scolaire, lorsque le premier poste touché par la RGPP est l’éducation nationale, et alors que les contrats locaux de sécurité ont transformé les questions sociales et éducatives en problèmes de gestion des incivilités ? Rien ou pas grand-chose.

Poser des caméras ne les y aidera pas, si tant est qu’ils en aient les moyens. Aucune politique sécuritaire ne peut remplacer une politique sociale ambitieuse.

Il est illusoire, et même faux, de croire que l’on peut séparer de façon claire et nette prévention et répression. Il est tout aussi démagogique d’affirmer que, sous prétexte de proximité, les élus locaux sont les mieux placés alors que votre politique s’acharne à briser l’indispensable lien de confiance entre les citoyens et leurs représentants, puisque, comme le disait Nicolas Sarkozy, la police n’est pas là pour organiser des tournois de football, mais pour arrêter les délinquants…

La sécurité est une question transversale, qui passe par l’existence et le développement de la qualité des services publics : la police, la justice, l’éducation. C’est aux antipodes de la politique répressive que vous vous acharnez à promouvoir malgré les échecs par lesquels elle se solde ! Prenez-en acte...

Dans le même temps, je pense que ce n’est visiblement pas le chemin que vous prenez, monsieur le secrétaire d’État, vous qui, à l’aube d’un remaniement ministériel, recyclez les pires idées émises par la droite sur le sujet de la délinquance des mineurs.

Je voudrais, avant de terminer, remercier nos collègues du groupe du RDSE d’avoir demandé ce débat qui, outre la question de la sécurité, pose un autre problème fondamental : celui de la libre administration des collectivités territoriales à l’heure d’une réforme que, pour notre part, nous qualifions de véritable coup d’État contre les territoires de notre République !

MM. Charles Gautier et Jean-Michel Baylet applaudissent.

Debut de section - PermalienPhoto de Louis Nègre

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, conformément au code général des collectivités territoriales, le maire est chargé de la police municipale, qui a pour objet d’assurer le bon ordre, la sûreté et la sécurité des habitants de nos communes.

Au-delà des missions régaliennes de l’État, l’article L. 2211-1 de ce même code précise : « Le maire concourt par son pouvoir de police à l’exercice des missions de sécurité publique et de prévention de la délinquance ».

Le cadre légal de notre pays attribue ces hautes responsabilités au maire. Il est donc de notre devoir, mais il y va aussi de notre honneur, de définir et d’appliquer sur le terrain une politique locale de sécurité.

Que constatons-nous sur le terrain ? Les statistiques font ressortir deux points.

Pour la première fois depuis 2002, alors que la délinquance avait augmenté de 17, 75 % entre 1997 et 2002, elle a baissé de 14, 4 % entre 2002 et 2008.

De plus, la délinquance de proximité, qui touche très directement les Français, a baissé de 35 % entre 2002 et 2008. Globalement, nous passons de plus de 4, 11 millions de faits constatés à 3, 5 millions.

Ces simples chiffres, impartiaux, attestent de la qualité des résultats obtenus et représentent concrètement – c’est le plus important – des centaines de milliers de victimes en moins chaque année. Ce n’est pas rien !

Mes chers collègues, ces excellents résultats ne sont pas dus au Saint-Esprit ! Ils résultent uniquement de l’action vigoureuse et continue du Gouvernement, qui a su mobiliser tous les moyens nécessaires pour diminuer sensiblement l’insécurité.

Debut de section - PermalienPhoto de Louis Nègre

Pour autant, on constate que la délinquance juvénile a plus que doublé en vingt ans, que les actes sont de plus en plus violents et que leurs auteurs sont de plus en plus jeunes. De même, les atteintes volontaires à l’intégrité physique ont augmenté de 2, 8 % et leur niveau est bien trop élevé. Ces deux points, notamment, confirment que la délinquance n’est pas un phénomène statique.

Face à cette situation, nous nous devons d’avoir une vision non pas idéologique, mais objective et pragmatique. Nous, nous regardons la réalité en face et, au lieu de rester les bras ballants, nous réagissons ! Nous ne sommes pas dans la rhétorique, ni dans des discours politiquement corrects ou bien-pensants. Nous avons les mains dans le cambouis et nous l’assumons.

Debut de section - PermalienPhoto de Louis Nègre

Mes chers collègues, nous avons été élus pour agir, donc pour mettre en place des dispositifs adaptés aux réalités et traitant véritablement les problèmes que rencontrent quotidiennement nos concitoyens.

Vous nous reprochez les lois que nous avons fait voter. Je prends cette observation pour un compliment ! C’est en effet la démonstration de la réactivité du Gouvernement et de sa majorité face à une société qui change, qui évolue constamment, et au sein de laquelle la nature des infractions devient de plus en plus inquiétante !

Qui d’entre nous peut estimer que la loi du 5 juillet 2006 relative à la prévention des violences lors des manifestations sportives est malvenue ? Qui peut s’opposer à la loi du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance, laquelle donne enfin aux maires des outils leur permettant d’agir plus efficacement ? Qui peut trouver inutile la proposition de loi visant à lutter contre l’absentéisme scolaire, qui va nous permettre de remettre sur les bancs de l’école de la République, dans leur propre intérêt, des dizaines de milliers d’écoliers qui ne respectaient plus la règle élémentaire de l’assiduité obligatoire ?

Debut de section - PermalienPhoto de Louis Nègre

Mes chers collègues, ces nombreux textes, d’origine gouvernementale pour la plupart, sont bienvenus, et, grâce au Gouvernement, ils aident la société à se défendre contre tous ceux qui portent atteinte au contrat social.

Debut de section - PermalienPhoto de Louis Nègre

Assurer la sécurité partout et pour tous reste en priorité, c’est évident, la mission de l’État. Cela ne signifie pas que nous, maires, devions rester de simples spectateurs. Notre philosophie, vous l’avez compris, est tout autre.

La sécurité des Français est une coproduction des principaux acteurs, vous l’avez dit vous-même : d’abord l’État, ...

Debut de section - PermalienPhoto de Louis Nègre

... mais aussi, selon le principe de subsidiarité, les pouvoirs locaux.

En 1941, je le rappelle, c’est l’État français qui, sous Pétain, a imposé une loi d’étatisation des polices municipales dans les villes de plus de 10 000 habitants.

Selon nous, en accompagnement de l’action de l’État et en coordination la plus étroite, j’y insiste, avec toutes les institutions concernées, les maires peuvent et se doivent de mettre en œuvre une politique locale de sécurité. C’est ce que nous avons essayé de faire, à notre niveau, sur la commune de Cagnes-sur-Mer.

Nous y avons mis en place une politique locale globale, qui comporte, d’abord, un panel d’actions coordonnées en faveur des jeunes et de leurs parents. C’est ainsi que nous avons créé un service jeunesse, un conseil des jeunes, et proposé des prestations d’accompagnement renforcé à l’emploi pour l’égalité des chances.

De même, nous avons institué des réunions de travail périodiques très profitables, tant avec l’éducation nationale, acteur ô combien indispensable, qu’avec les responsables du conseil général qui s’occupent de l’enfance en danger.

Toujours dans un souci de protection, nous avons institué depuis l’an 2000, pour les mineurs de moins de treize ans, un arrêté dit « couvre-feu ».

Debut de section - PermalienPhoto de Louis Nègre

Il a fait l’objet d’un consensus unanime, chère collègue ! C’est un outil préventif d’une grande efficacité.

Dans le cadre d’un contrat local de sécurité et de prévention de la délinquance, nous avons aussi agi, en liaison avec des associations spécialisées contre l’illettrisme et pour l’aide à la parentalité. Nous avons créé des rencontres citoyennes pour les jeunes collégiens, installé des cellules de veille et fait intervenir un médiateur. Nous avons développé également une action déterminée en faveur de l’insertion sociale et citoyenne au travers de la mise en place d’un service civique municipal.

Nous avons de nouveau renforcé ce dispositif grâce à la loi du 5 mars 2007, qui nous a permis de rendre notre action sur le terrain encore plus efficace. C’est ainsi que nous avons institué la procédure de « rappel à l’ordre » : elle s’est révélée excellente, puisque nous avons seulement enregistré deux récidives après soixante-treize rappels à l’ordre. Grâce à une mesure simple, non coûteuse pour les deniers publics, nous avons pu éviter que certains jeunes ne dérivent. Voilà l’exemple type d’une complémentarité efficace entre une politique d’État et une action locale.

Nous avons mis également en place un conseil pour les droits et les devoirs des familles. Par ailleurs, dans le cadre de cette politique locale de sécurité, pour disposer d’une réponse graduée et la mieux adaptée possible, nous avons passé, d’une part, une convention avec le parquet sur les rappels à l’ordre, ce qui est une première nationale, et, d’autre part, une convention avec le conseil général pour mieux coordonner nos actions.

Cet ensemble de mesures préventives est lui-même renforcé par un partenariat très étroit et un véritable travail complémentaire entre la police municipale et la police nationale.

La police municipale, qui est proche des citoyens et dont la plupart des membres habitent la commune, est une vraie police de proximité. Elle joue un rôle complémentaire, mais essentiel sur le terrain, pour assurer le bon ordre, la tranquillité et la salubrité publiques.

Enfin, nous avons mis en place un programme étoffé de vidéoprotection, qui a été particulièrement bien accueilli par l’ensemble de la population.

Résultat : toutes ces dispositions nous ont permis de faire chuter les actes de délinquance de proximité de 20 % dans ma ville, et c’est bien là le plus important !

Voilà le bilan concret et tangible d’une politique locale de sécurité établie en parfaite coordination avec les services de l’État. Il n’y a donc pas à opposer l’État et le local. Au contraire, ils doivent travailler ensemble et il faut éventuellement renforcer cette coopération.

Pour répondre, sans engager de polémique, à M. Jean-Michel Baylet, qui a mis en cause ad hominem le maire de Nice, ...

Debut de section - PermalienPhoto de Louis Nègre

... je rappellerai tout simplement que la gauche, en son temps, n’a pas hésité à faire adopter une loi pour sanctionner les maires qui refusaient de suivre des orientations gouvernementales. Cher collègue, il ne faut pas avoir une mémoire trop sélective !

Debut de section - PermalienPhoto de Louis Nègre

Dans cet esprit de coproduction de la sécurité, et en application des principes de subsidiarité et de décentralisation, monsieur le secrétaire d’État, je souhaite que vous mettiez en œuvre quelques mesures nouvelles et complémentaires de celles qui existent.

Selon moi, l’avenir de nos jeunes passe par l’école de la République. Aussi, je propose que cette dernière se voit confier une mission non seulement d’instruction, mais aussi d’éducation à la vie en société.

Je propose aussi – et cet élément est important pour nous – que les collectivités territoriales qui s’engagent dans une politique de sécurité partagée avec l’État et qui en portent donc les coûts induits bénéficient, à due concurrence, de l’aide financière de l’État. Monsieur le secrétaire d’État, cette demande est non seulement logique, mais aussi tout à fait légitime.

De plus, je propose que les maires disposent de mesures simples et quasi immédiates pour être en mesure d’intervenir le plus rapidement possible.

Enfin, je propose que le secret partagé le soit réellement et non virtuellement.

MM. Philippe Dallier et René Garrec applaudissent.

Debut de section - PermalienPhoto de Charles Gautier

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, permettez-moi tout d’abord de remercier le groupe du RDSE d’avoir pris l’initiative de ce débat.

Il est vrai que l’été a été émaillé de déclarations fracassantes au plus haut niveau de l’État, et l’examen, lors de la session extraordinaire de septembre dernier, du projet de loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure n’a pas permis d’aborder toutes les questions.

J’aurais plutôt intitulé ce débat : « Rôle des collectivités territoriales dans les politiques de sécurité », tant il est important de rappeler haut et fort que la sécurité doit rester une compétence régalienne, ...

Debut de section - PermalienPhoto de Charles Gautier

... même si les collectivités ont à en connaître et à s’y impliquer.

Il aurait même pu s’intituler : « Désengagement de l’État dans les politiques locales de sécurité », tant l’arrivée au pouvoir de l’actuel Gouvernement correspond à un désengagement réel, progressif et permanent de l’État en la matière !

Avec la loi du 5 mars 2007, vous n’avez pas inventé l’eau chaude en faisant du maire l’animateur et le coordonateur de la politique de prévention de la délinquance sur le territoire de la commune ; il l’est dans les faits depuis plus de vingt ans !

Sur le terrain, les élus locaux sont confrontés, chaque jour, aux mêmes problèmes. Les chiffres dont vous vous targuez, monsieur le secrétaire d’État, sont bien mauvais.

Dès son arrivée au ministère de l’intérieur, Nicolas Sarkozy stigmatisait l’action de ses prédécesseurs et liquidait la police de proximité sans prendre le temps d’en évaluer l’efficience réelle. Il la remplaçait par la « police de la statistique », affirmant qu’il voulait être jugé sur les actes et les résultats.

Or, qu’il soit habitant d’un quartier populaire, policier, gendarme, travailleur social, directeur d’un office HLM ou maire, chacun constate que l’insécurité n’a pas diminué.

Elle se traduit quotidiennement par des incendies de poubelles et de voitures, des caillassages de bus, des occupations de halls d’immeubles et de la mendicité agressive. Les habitants les plus fragiles en sont les premières victimes.

Dans les faits, les élus locaux sont sollicités par les citoyens concernés au quotidien par l’insécurité et les incivilités. Ils agissent pour leur assurer de meilleures conditions de vie.

C’est pourquoi les propos tenus cet été par un ministre de la République, par ailleurs maire d’une grande ville, ont choqué nombre de mes collègues, de droite comme de gauche.

Président du Forum français pour la sécurité urbaine, association qui rassemble un grand nombre de villes françaises dirigées par des élus de toutes tendances, je peux vous faire part du désaveu unanime qu’ont suscité de tels propos.

À cette occasion, M. le Premier ministre a reçu, au début du mois de septembre, une lettre que j’ai cosignée avec mes collègues Claude Dilain, président de l’Association des maires « Ville et banlieue de France », et Michel Destot, président de l’Association des maires de grandes villes de France. Nous lui demandions de le rencontrer afin de travailler à la question, ô combien urgente, du partage des compétences en matière de sécurité. Aucune réponse ne nous a été adressée à ce jour. Puisse aujourd’hui l’initiative du RDSE être le déclencheur d’un véritable débat sur le sujet !

Dans le cadre des trois associations que je viens d’évoquer, qui travaillent et échangent sur les questions de sécurité en France, les élus, bien au-delà de leurs couleurs politiques respectives, se retrouvent sur un certain nombre de constats.

Ils ont notamment observé que vous avez supprimé la notion même de proximité, les effectifs des polices municipales ayant augmenté concomitamment à la diminution progressive de ceux de la police et de la gendarmerie. L’État s’est donc désengagé, et les collectivités locales ont comblé le manque. Certains élus de votre majorité, monsieur le secrétaire d’État, estiment même publiquement que la police municipale remplace aujourd’hui, de fait, la police de proximité. C’est d’ailleurs ce que j’ai cru comprendre de l’intervention de notre collègue Louis Nègre !

Debut de section - PermalienPhoto de Charles Gautier

Les propos tenus par M. Copé aux Assises de la prévention de la délinquance juvénile le 14 octobre dernier, auxquelles nous avons assisté ensemble, s’inscrivent dans le même sens.

Quel aveu ! Les collectivités financent ce qui relève normalement du domaine de l’État, c’est-à-dire la sécurité quotidienne, et ce sans qu’aucune péréquation soit bien évidemment mise en place.

Votre nouvelle solution miracle, c’est la vidéosurveillance, et, dans ce domaine, vous adoptez les mêmes méthodes ! Le budget du Fonds interministériel pour la prévention de la délinquance, le FIPD, est en effet utilisé à hauteur de 75 % pour financer la mise en place de systèmes de vidéosurveillance dans les villes.

Bien sûr, je l’ai dit plus d’une fois, la vidéosurveillance peut être un outil intéressant, si son usage est encadré et son objectif bien défini. Mais qui finance aujourd’hui sa mise en place, son entretien et son encadrement ? Les villes ! Certes, elles reçoivent du FIPD quelques subsides, mais ceux-ci sont issus de taxes qui, de toute façon, leur reviennent : vous prenez aux villes pour donner aux villes !

Vous encouragez la mise en place des personnels de sécurité et des systèmes de vidéo, alors même que votre réforme des collectivités locales entraînera une diminution importante des moyens des collectivités locales. Les maires font ce qu’ils peuvent avec ce qu’ils ont, monsieur le secrétaire d’État, et leurs capacités financières ne sont pas équivalentes.

Il ne s’agit pas ici – bien au contraire ! – d’opposer l’État aux collectivités locales, comme le fait votre collègue Christian Estrosi ou comme vous le faites vous-même, en demandant aux préfets de pointer, parmi les maires, les bons et les mauvais élèves.

Les maires ne vous ont pas attendu pour demander aux autorités compétentes les renseignements utiles concernant les familles en difficulté et pour s’impliquer auprès d’elles. Quand c’est nécessaire, ils procèdent opportunément à des rappels à l’ordre, à la suite d’incivilités ou de faits mineurs susceptibles de porter atteinte au bon ordre, à la salubrité et à la sécurité publiques. Depuis longtemps, ils sont conscients que, dans le domaine de la sécurité, la coproduction est non seulement inévitable et manifeste, mais aussi profitable à tous.

En réalité, il s’agit de bien redéfinir les compétences de chacun, ainsi que les moyens mis à disposition, ni plus ni moins !

Les contrats locaux de sécurité et de prévention de la délinquance, les CLSPD, constituent des outils importants de cette coproduction. Ils sont pourtant trop souvent envisagés par l’État comme des contrats lui permettant de négocier son propre retrait. S’il est inutile de les rendre obligatoires, comme le prévoit la loi du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance, il conviendrait néanmoins de les rendre plus efficaces.

Or les expériences divergent sur ce point. Les CLSPD fonctionnent très bien, ou très mal, souvent même pas du tout. Le facteur humain joue pour beaucoup dans cette situation, car les relations entre, notamment, élus, fonctionnaires de police et de justice, gendarmes, travailleurs sociaux et éducateurs ne sont pas spontanées. Ces mondes se côtoient et travaillent trop souvent sur les mêmes sujets sans parfois se croiser. C’est une culture nouvelle qu’il faut mettre en place, chaque service de l’État ou des collectivités locales ayant intérêt à connaître les actions menées par les autres : tout cela prendra du temps.

Voici donc, en résumé, le rôle que devrait jouer l’État : impulser une politique nationale, la financer à hauteur suffisante pour que les collectivités locales soient en mesure d’assurer l’égalité des citoyens en matière de sécurité et de faire respecter le droit de toute personne à la sûreté, tant celle-ci est au cœur du pacte républicain. Avouez, monsieur le secrétaire d’État, que nous en sommes loin aujourd’hui !

Mmes Alima Boumediene-Thiery, Éliane Assassi et M. Jean-Michel Baylet applaudissent.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Dallier

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, en préambule à mon intervention, je souhaitais saluer l’initiative du groupe du RDSE. Toutefois, après avoir entendu Jean-Michel Baylet, je me garderai de le faire. En effet, au lieu de traiter le sujet sur le fond, notre collègue s’est livré à une attaque en règle contre Christian Estrosi. Je m’empresse de le dire, je n’ai pas du tout apprécié, comme certains autres membres de la majorité, les propos qu’il a tenus cet été. Pour autant, ces paroles ne méritent pas, selon moi, que l’on y consacre, depuis la tribune du Sénat, l’intégralité d’une intervention sur un débat aussi essentiel.

Les propos des orateurs qui m’ont précédé l’ont démontré, en tant qu’élus locaux de terrain, quelle que soit notre appartenance politique, nous rencontrons tous les mêmes difficultés. Nos analyses sont donc, le plus souvent, identiques, ma propre intervention en témoignera.

J’ai souhaité que ce débat sur le rôle de l’État dans les politiques locales de sécurité me permette – c’est en tout cas mon but – d’attirer votre attention sur les difficultés que rencontrent certaines communes pour faire face au problème de la sécurité, de plus en plus crucial pour nos concitoyens.

Ce droit à la sécurité, d’ailleurs reconnu dès 1789 comme un droit fondamental par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, est devenu, au fil des années, un enjeu majeur de notre société.

L’enjeu est majeur non seulement pour l’État, puisqu’il s’agit d’une compétence éminemment régalienne, mais aussi pour les communes, dont les élus se trouvent en première ligne, confrontés, au quotidien, aux demandes de leurs concitoyens, lesquels attendent d’eux, dans ce domaine comme dans les autres, des résultats, sans se soucier ni de leur pouvoir réel – cela soulève d’ailleurs une vraie question – ni des moyens dont ils disposent.

Si, en matière de prévention, le rôle du maire s’est continuellement élargi ces dernières années, puisqu’il est désormais au cœur des dispositifs partenariaux, il n’en est pas moins vrai que la population, comme l’État, lui en demande toujours plus, dans un champ qui déborde maintenant la prévention ou les fameux pouvoirs de police, tels qu’ils étaient conçus voilà vingt-cinq ans, c’est-à-dire avant la création ex nihilo des premières polices municipales.

Rassurez-vous, en disant cela, je ne méconnais nullement les textes et je ne souhaite absolument pas une confusion des rôles des polices municipales et nationale. Je me contente de faire le constat d’une lente évolution de la situation.

Ayons l’honnêteté de le reconnaître, tant du côté de l’État que de la population, au travers des outils que sont les polices municipales ou la vidéosurveillance, on a largement souhaité que les collectivités locales aillent bien plus loin que le simple travail de prévention assumé jadis.

Certes, le fait de se doter d’une police municipale ou d’un système de vidéosurveillance reste un choix politique dans la main des élus locaux, et nul n’est encore obligé de s’inscrire dans cette logique.

Toutefois, pour beaucoup d’élus, dans ce domaine comme dans bien d’autres, nécessité finit par faire loi, et ce n’est pas tant par principe que par réalisme qu’ils prennent la décision de créer une police municipale ou d’équiper leur commune de caméras.

Ceux qui sont conduits à prendre de telles décisions le font parfois au détriment d’autres services à la population ou au prix d’un accroissement de la fiscalité locale, tout simplement parce qu’ils ne disposent pas de moyens budgétaires suffisants.

À titre d’exemple, monsieur le secrétaire d’État, je citerai le cas d’une commune de 21 000 habitants, située en plein cœur de la Seine-Saint-Denis, qui consacre près de 800 000 euros par an à payer quinze policiers municipaux et douze agents de surveillance de la voie publique, alors que son potentiel financier est inférieur de 25 % à la moyenne de la strate.

Cette somme représente près de 20 % du produit de la part communale de la taxe d’habitation et près de cinq fois le montant de la dotation de solidarité urbaine qu’elle perçoit. C’est considérable !

À ces dépenses de personnel s’ajoutent bien évidemment l’entretien des locaux, des véhicules et des matériels. Au total, amortissements compris, la dépense avoisine le million d’euros, alors que l’autofinancement net de cette commune dépasse péniblement 1, 5 million d’euros par an.

Monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, cette commune est la mienne. Cet exemple personnel me permet de vous affirmer que le choix, éminemment politique, de consacrer 20 % du produit de la taxe d’habitation à la sécurité publique, je ne l’ai pas fait de gaieté de cœur, et encore moins par idéologie.

J’ai fait ce choix parce que ma ville ne dispose pas d’un commissariat de police.

Mme Éliane Assassi lève les bras au ciel.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Dallier

Oui, parce que la situation se dégradait, parce que la pression de la population était forte, mais aussi à la demande de l’État, nous avons renforcé nos moyens et nous consacrons désormais des sommes très importantes, j’allais dire trop importantes au regard de nos ressources, à la sécurité.

Monsieur le secrétaire d’État, alors que ce débat porte sur le rôle de l’État dans les politiques locales de sécurité, j’ai choisi d’utiliser les quelques minutes dont je dispose pour développer cet exemple et vous convaincre, du moins je l’espère, que nous ne pouvons pas en rester là.

Au nom de l’égalité républicaine, au nom du droit à un même niveau de sécurité sur toutes les parties du territoire national, l’État doit prendre en compte, dans le calcul des dotations aux collectivités locales, l’effort budgétaire qu’elles réalisent et, pour tout dire, qu’on leur demande pour concourir à la sécurité publique.

Il n’est en effet pas normal de demander à des communes qui rencontrent déjà des situations difficiles de contribuer à leurs frais, sans contrepartie véritable, au cofinancement de cette mission éminemment régalienne.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Dallier

Certes, l’État attribue maintenant des subventions d’investissements pour l’équipement en vidéosurveillance. Mais rappelons, à la suite de notre collègue Charles Gautier, que cela se fait par le biais d’un prélèvement sur le produit des amendes de police, qui constituait précédemment une ressource des collectivités locales, et que les sommes allouées ne couvrent bien évidemment pas les dépenses de fonctionnement, lesquelles sont récurrentes.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Dallier

Ainsi ma commune percevait-elle, il y a cinq ans, 120 000 euros sur les amendes de police. Depuis l’année dernière, cette somme a été divisée par deux et n’atteint plus que 60 000 euros. Pour la mise en place de mon système de vidéoprotection, on m’a attribué quelque 100 000 euros. C’est dire si l’un ne compense pas l’autre ! À mon sens, il faudra faire en sorte que l’État couvre les dépenses de fonctionnement.

Le million d’euros que je dépense, chaque année, aux Pavillons-sous-Bois, à la sécurité, je préférerais le consacrer aux missions de prévention dont la ville à directement la responsabilité, au développement du soutien scolaire, du sport et de la culture, à tout ce qui peut effectivement permettre aux jeunes d’échapper à la spirale infernale de l’échec scolaire, du chômage, de la marginalisation et, pour certains, au basculement dans la délinquance. Aujourd’hui, en l’état actuel, je ne le peux pas !

Tels sont, monsieur le secrétaire d’État, les points que je souhaitais évoquer ce matin en appelant de mes vœux une évolution rapide de la situation. Il s’agit moins, vous l’aurez compris, de revoir la répartition des rôles entre les différents acteurs – ce n’est pas le plus urgent – que de prendre en compte, dans les dotations de l’État, l’effort croissant imposé aux collectivités locales par la force des choses.

Aujourd’hui, et chacun le comprend, la politique de sécurité publique ne peut qu’être une politique partenariale. Encore faut-il donner aux collectivités les moyens de remplir les missions que l’État et nos concitoyens attendent d’elles, sans aggravation de la pression fiscale locale, sans préjudice pour les autres politiques dont elles assument principalement la charge.

MM. René Garrec et Louis Nègre applaudissent.

Debut de section - PermalienPhoto de Alima Boumediene-Thiery

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous sommes réunis aujourd’hui pour analyser le partenariat institutionnel qui s’est élaboré, au fil des ans, entre les acteurs locaux et l’État dans la perspective d’une coélaboration de la politique locale de sécurité.

Ces partenariats, qui fondent aujourd’hui une enceinte de dialogue adaptée aux problématiques de sécurité, traduisent la volonté partagée de l’État et des acteurs locaux d’aborder les questions de sécurité de manière coopérative, permettant ainsi la définition d’orientations et de stratégies communes.

L’élaboration d’une stratégie commune suppose une mutualisation des ressources, des moyens et des savoir-faire, ainsi qu’une coordination toujours plus poussée permettant de « coller » le plus possible aux réalités et aux contraintes locales.

Ces partenariats sont aujourd’hui nombreux : conseil local de sécurité et de prévention de la délinquance, CLSPD, groupe local de traitement de la délinquance, GLTD, contrat local de sécurité, CLS, et même conseil départemental de prévention, CDP. Leur objet est de coproduire de la sécurité en tenant compte des réalités locales.

Si j’ai souhaité intervenir dans ce débat, c’est non pas pour remettre en question l’utilité de ces partenariats, qui est évidente, mais pour évoquer l’échec des modalités de cogestion de la sécurité en termes opérationnels.

En effet, pourquoi les partenariats locaux ne fonctionnent-ils pas ? La première réponse que l’on peut apporter est simple : ces partenariats ne fonctionnent pas en raison d’une pression toujours plus forte de l’État, qui traduit une volonté de reprise en main des quartiers et des questions de sécurité au niveau national. Le paradoxe est flagrant : alors que, sur le plan local, l’État encourage la mise en place de dispositifs de prévention de la délinquance, à l’échelon national, il met en œuvre une orientation de plus en plus sécuritaire, qui se traduit localement par un dessaisissement des acteurs locaux.

Si le maire est, sur le papier, celui qui pilote la politique de sécurité sur le plan local, d’un point de vue opérationnel, la concertation est en fait biaisée par une prédominance des représentants de l’État.

Comment parler de partenariat, lequel suppose une égalité des acteurs, de tous les acteurs, dans la mise en œuvre d’une politique locale de sécurité, lorsque les partenariats sont animés par le préfet ou par le procureur de la République, sur la base de statistiques fournies par le ministère de l’intérieur ?

Comment parler de partenariat lorsque certains partenaires tels que les associations, les transporteurs, les bailleurs sociaux, les commerçants, les travailleurs sociaux sont évincés du processus de coélaboration, alors même que leur expertise, leur fine connaissance du terrain et leur dévouement seraient une plus-value fondamentale ?

Debut de section - PermalienPhoto de Alima Boumediene-Thiery

Comment parler de partenariat lorsque le ministère de l’intérieur intensifie ses interventions dans la rénovation urbaine des cités et dans les choix d’urbanisme effectués dans les quartiers, alors que ces domaines relèvent pourtant de la politique de la ville ? Selon une circulaire en date du 6 septembre 2010, la dimension sécuritaire doit constituer un critère du projet de rénovation urbaine et l’étude de sécurité qui est proposée est conduite par des policiers et des gendarmes. Comment, dans ces conditions, parler de partenariat ?

Dans la réalité, la recentralisation s’est accentuée depuis 2006. Si la circulaire du 4 décembre 2006 relative aux CLS qualifie les partenaires de cocontractants, la loi du 5 mars 2007 pose le principe d’une nécessaire compatibilité des actions de prévention conduites par les collectivités territoriales avec le plan de prévention arrêté par le préfet, représentant de l’État dans le département. Ainsi, les préfets peuvent aller jusqu’à bloquer les permis de construire qui ne tiennent pas compte de leurs recommandations, notamment de la priorité qui doit être donnée au déploiement de caméras de surveillance. Pourtant, aujourd’hui encore, l’efficacité de la vidéosurveillance fait débat, y compris parmi les experts.

Cette conditionnalité traduit une réduction des moyens, mais aussi de l’autonomie des élus locaux. Cette autonomie était, il faut le dire, bien plus importante dans le cadre des politiques de prévention et de tranquillité publique menées dans les années quatre-vingt.

La circulaire du 22 juillet 2010 est venue renforcer le malaise puisqu’elle dicte aux préfets de surveiller les dispositifs de prévention de la délinquance mis en œuvre par les maires. La situation devient cocasse : le préfet est, dans le même temps, partenaire, donc égal cocontractant, et maître d’école qui surveille les devoirs de ses élèves et donne des notes.

M. Roland Courteau sourit.

Debut de section - PermalienPhoto de Alima Boumediene-Thiery

Comment parler de partenariat lorsque, sur une logique de concertation, se greffe une logique de centralisation ? Il n’y a pas de coélaboration lorsque l’État reprend d’une main ce qu’il donne de l’autre !

Le résultat est inquiétant : loin d’être le pilote de la politique locale de sécurité, le maire devient, en quelque sorte, le supplétif de l’État dans la mise en œuvre à l’échelon local du plan national de lutte contre la délinquance.

C’est dans ce contexte que les responsables locaux ont récemment fustigé le plan national de prévention de la délinquance et d’aide aux victimes. Une enquête qui a été conduite par le Conseil national des villes auprès des cinquante-trois coordonnateurs de conseils locaux de sécurité et de prévention de la délinquance, représentant plus de 160 communes, révèle que 77, 3 % des coordonnateurs interrogés s’inquiètent d’un retour en arrière et d’une perte de sens de la gouvernance locale et que 60, 3% d’entre eux soulignent la baisse significative des moyens financiers, qu’il s’agisse du Fonds interministériel de prévention de la délinquance ou des fonds issus des contrats urbains de cohésion sociale.

Au cœur de cette réduction se trouve la prédominance du financement de la vidéosurveillance, qui atteint 85 % des financements du Fonds interministériel de prévention de la délinquance. On présente la vidéosurveillance comme un outil de protection, comme une solution à la délinquance alors que son efficacité, je le répète, est encore contestée, y compris par les experts. Nous savons en effet qu’elle ne remplacera jamais la relation humaine.

Debut de section - PermalienPhoto de Alima Boumediene-Thiery

Partout, pourtant, l’État somme les collectivités de se doter de dispositifs de vidéosurveillance. Dans le même temps, il réduit les effectifs de la police et de la gendarmerie : 6 701 équivalents temps plein supprimés en 2009 et 2010.

Aujourd’hui, l’État doit prendre ses responsabilités, cesser d’alimenter un double discours qui consiste, d’un côté, à se dire partenaire des élus locaux et, de l’autre côté, à les pointer comme responsables de la délinquance, voire à envisager des sanctions à leur encontre s’ils refusent de mettre à jour leur CLSPD, comme le souhaite Christian Estrosi, ministre en exercice du Gouvernement ! Ce dernier laisse en effet entendre que les élus locaux seraient responsables de l’échec des politiques du Gouvernement !

Monsieur le secrétaire d’État, le Gouvernement a cassé la dynamique partenariale au profit d’une dynamique autoritaire qui ressemble à la politique de la carotte et du bâton !

Ne l’oublions jamais, la réussite du processus local de lutte contre la délinquance repose avant tout sur l’élu local, perçu par nos concitoyens comme extérieur à la machine étatique. Il n’est pas un monstre froid, déconnecté des réalités et gavé de statistiques improbables ; non, il est au cœur des villes et des villages, se substituant parfois même à un État défaillant. Pour mener à bien sa mission, il a besoin de marges de manœuvre et de moyens, tant humains que financiers !

La loi du 5 mars 2007 n’a aucune valeur si elle ne s’accompagne pas de moyens humains et matériels pour la rendre opérationnelle.

Au mois d’août, M. Sarkozy déclarait encore que la prévention de la délinquance était indissociable de la lutte contre la criminalité. Vous-même, monsieur le secrétaire d’État, reconnaissiez que la démarche de sécurité était une priorité, mais que le « tout sécuritaire » ne fonctionnait pas.

Dans votre rapport sur la prévention de la délinquance juvénile, vous allez même jusqu’à indiquer qu’il n’y a pas de fatalité. Et pour lutter contre cette délinquance, vous proposez … d’enseigner le métier de parent : ce n’est pas très sérieux. Cette idée, qui n’est pas nouvelle, est en outre contradictoire. En effet, dans votre contrat de responsabilité parentale, vous sanctionnez, vous dévalorisez, vous fragilisez économiquement les parents alors qu’il faudrait les aider à supporter leurs problèmes quotidiens, leur exclusion, alors qu’il faudrait les soutenir, les valoriser aux yeux de leurs enfants !

Vous parlez de jeunes en souffrance, mais si des jeunes sont en souffrance, c’est parce que leurs parents sont eux aussi en souffrance !

Debut de section - PermalienPhoto de Alima Boumediene-Thiery

Vous constatez le décrochage scolaire, qui, il est vrai, aggrave les difficultés, mais vous réduisez les moyens alloués à l’éducation nationale. Pourtant, à l’instar de Victor Hugo, je l’affirme, fermer une école, c’est ouvrir une prison.

De plus en plus, on réduit les effectifs de policiers, on diminue les personnels présents dans les écoles, on supprime des postes, on déshumanise la lutte contre la délinquance, on donne moins aux maires, moins aux enseignants et on leur demande toujours plus : voilà la philosophie du Gouvernement en matière de politique locale de sécurité. C’est à ne plus rien y comprendre. Le Gouvernement conduit une politique contradictoire qui, avouons-le, nous laisse sans réponse. En revanche, nous sommes sûrs qu’elle ne constitue pas une bonne manière de remédier aux problèmes qui se posent. §

Debut de section - Permalien
Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État à la justice

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens tout d’abord à vous remercier d’avoir organisé ce débat sur le rôle de l’État dans les politiques locales de sécurité. Je vous prie d’excuser Brice Hortefeux, retenu par des obligations impérieuses. Il m’a demandé de le représenter dans ce débat, ce que je fais bien volontiers. Il s’agit en effet, vous le savez, de questions qui me tiennent particulièrement à cœur, non seulement en qualité de membre du Gouvernement, mais également, comme plusieurs d’entre vous, en qualité d’élu local.

Monsieur Baylet, j’ai écouté avec attention votre propos tout en nuances… §à l’encontre de mon collègue Christian Estrosi. De tels sujets peuvent, c’est bien normal, susciter des désaccords quant aux réponses à apporter, à la manière d’exercer ses responsabilités, locales ou nationales. Mais nous travaillons tous dans le champ républicain, auquel vous êtes, je le sais, très attaché, au même titre que Christian Estrosi. Ce dernier, croyez-le bien, est très engagé dans toutes les actions qu’il mène, que ce soit au sein de son ministère ou comme maire de Nice. Je connais moi-même le monde des villes pour avoir, pendant quelques années, présidé l’Association des maires de grandes villes de France.

La question de la compatibilité entre un portefeuille ministériel et un mandat local important est une vraie question, qui s’est déjà posée à plusieurs reprises. J’ai moi-même été confronté à cette situation jusqu’à récemment.

Au-delà du débat, qui est légitime, il faut faire la part des choses et respecter le choix de chacun, quels que soient par ailleurs les majorités ou le Gouvernement en place. Ce n’est pas une question nouvelle. En tout cas, je remercie les intervenants qui ont su faire la part des choses.

Plusieurs d’entre vous, notamment sur les travées de l’opposition, ont évoqué le « tout sécuritaire ». Lorsque j’entends cette expression, que d’aucuns se plaisent à relayer, j’ai parfois l’impression d’être dans un film tant ce discours ne correspond pas à la réalité que je vis au niveau tant de l’action gouvernementale que de nos implications respectives sur le plan local.

Deux jours après son discours de Grenoble, auquel plusieurs d’entre vous ont fait allusion, le Président de la République me demandait d’élaborer un rapport sur la prévention de la délinquance juvénile, rapport que je lui ai remis hier.

M. le secrétaire d’État brandit un exemplaire de ce rapport.

Debut de section - Permalien
Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État à la justice

Je puis vous assurer que le chef de l’État et moi-même partagions la même conviction bien avant la polémique de l’été. Et cette conviction était déjà celle de Nicolas Sarkozy lorsqu’il était ministre de l’intérieur, et la mienne quand j’étais maire et parlementaire de l’opposition. La réussite durable d’une vraie politique de sécurité est moins liée à l’équilibre de cette politique qu’à son imbrication étroite avec une politique de prévention de la délinquance. Au fond, il s’agit d’une seule et même politique.

On assiste à l’émergence des maires qui, toutes tendances confondues, jouent un rôle de plus en plus important dans les politiques de sécurité, le président du Forum français pour la sécurité urbaine le sait bien. Ce faisant, au-delà des problèmes de moyens qu’ils doivent surmonter, ils donnent parfois l’exemple à l’État, montrent qu’il faut apporter des réponses transversales, impliquant tous les acteurs. Cela s’inscrit dans l’esprit des contrats locaux de sécurité.

J’y vois aussi la démonstration qu’il n’y a plus aujourd’hui, à quelques exceptions près peut-être, des maires réputés sécuritaires ou non sécuritaires, préventionnistes et rien d’autre. Tout marche ensemble, non pas dans la confusion mais dans la clarté, dans l’efficacité, dans un partenariat qui, au fil des ans, s’est renforcé avec l’État.

Là aussi, il faut raison garder.

J’en parle avec beaucoup de conviction, parce que ce sont des questions sur lesquelles je me suis beaucoup impliqué pendant plus de vingt ans, à travers les majorités successives. Ce que je peux dire, c’est que, au fil des ans, à l’instar de ce qui se passe ailleurs en Europe – vous participez également au Forum européen pour la sécurité urbaine, monsieur Charles Gautier –, l’implication des territoires, tous systèmes institutionnels confondus, a été croissante, et c’est bien normal qu’il en soit ainsi.

Après avoir écouté vos interventions – j’évoquerai certaines d’entre elles à la fin de mon propos –, permettez-moi d’abord de revenir sur le fond du sujet.

Évoquer la sécurité, c’est faire référence au droit à la sûreté, ce droit inaliénable et imprescriptible de l’homme, selon les termes de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. C’est, monsieur Baylet, un bien commun de la République et des Français. Nous pouvons au moins partager ce point.

Ainsi, comme Brice Hortefeux l’a déclaré devant vous lors de la discussion du projet de LOPPSI, la sécurité est d’abord l’affaire de l’État. Là aussi, nous sommes d’accord. Dans cet esprit républicain, garantir la sécurité des Français constitue un devoir de l’État, et s’inscrit au cœur même de notre pacte social. La sécurité est due partout, elle est due à tous.

Mais la sécurité, c’est aussi l’affaire de tous. Chacun a un rôle à tenir dans la bataille – c’est une bataille de chaque jour, même si elle est pacifique. Elle est de la responsabilité de tous les élus – je viens de le dire, ce n’est pas une affaire d’opposition, de majorité, de gauche ou de droite, c’est une affaire d’intérêt général –, mais elle est aussi de la responsabilité des services des collectivités locales, des agents de sécurité privée, des citoyens eux-mêmes, qui, dans le respect du rôle de chacun, doivent se sentir concernés et rester vigilants.

Il n’y a pas, d’un côté, l’État et, de l’autre, les collectivités territoriales, agissant séparément et juxtaposant leur action. La lutte contre la délinquance – je reprends les termes de Brice Hortefeux que je fais miens – est une guerre qui exige une mobilisation générale et permanente, non contre des personnes, mais contre un phénomène qui pourrit notre société, remet en jeu la cohésion sociale et nationale, rend beaucoup plus difficile le travail d’insertion que plusieurs d’entre vous, sur l’ensemble de ces travées, ont évoqué. C’est bien de cela qu’il s’agit ; il ne faut pas avoir peur de le dire.

Premièrement, le Gouvernement est attaché, tout comme vous, au respect de la libre administration des collectivités locales.

À ce propos, je voudrais rappeler brièvement quelques vérités simples.

La première vérité est que, rarement dans l’histoire de la République, les maires n’ont disposé d’autant de prérogatives qu’aujourd’hui – le Président de la République s’y est également fortement impliqué – pour participer à la mobilisation en faveur de la sécurité des Français.

Les pouvoirs dévolus au maire en matière d’ordre public sont clairement énoncés à l’article L. 2211-1 du code général des collectivités territoriales : « Le maire concourt par son pouvoir de police à l’exercice des missions de sécurité publique et de prévention de la délinquance… ». Nous sommes attachés à cette définition des pouvoirs du maire. Le Gouvernement l’a régulièrement démontré au fil des ans.

Il en est ainsi des polices municipales – je ne développe pas cet aspect, car le projet de LOPPSI prévoit de renforcer les moyens juridiques dont disposent les agents de police municipale –, de la vidéoprotection, de la prévention de la délinquance. J’ai beaucoup travaillé sur ce sujet, et avant de caricaturer mon propos, prenez le temps de lire mon rapport.

Debut de section - Permalien
Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État

Vous ne le lirez pas : voilà un bel esprit républicain !

Debut de section - Permalien
Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État

J’invite tous ceux qui sont de bonne foi à se tenir informés sur cette question qui nous préoccupe tous. Je remercie d’ailleurs M. Charles Gautier d’avoir été présent à nos Assises, auxquelles ont participé des élus de droite et de gauche, ainsi que des professionnels de tous horizons. Nous avons eu un véritable débat. Nous avons partagé, pour l’essentiel, le diagnostic, exprimé des désaccords et trouvé des terrains d’entente. C’est l’esprit de mon rapport.

Que ce rapport suscite, ici ou là, des désaccords, voire des polémiques – d’ailleurs, souvent à partir de propos qui n’y figurent pas… –, je peux le comprendre, et cela fait partie du débat républicain ; mais caricaturer le travail que j’ai effectué comme vous l’avez fait à l’instant…

Mme Éliane Assassi s’exclame.

Debut de section - Permalien
Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État

… mais fermement, car mes convictions sont en jeu.

Nous disposons là de quelques pistes qui montrent bien que les collectivités, les mairies ont toute leur place dans ce travail. La loi du 5 mars 2007 a établi le cadre nécessaire. Elle a constitué un progrès important. Je me souviens qu’à l’époque les associations d’élus, notamment celle que je présidais, de toutes sensibilités, je peux en témoigner, avaient été largement consultées sur ce texte. Cette loi a également établi le cadre légal nécessaire pour organiser et développer cette politique : échange d’informations, prise en charge et responsabilisation des familles, lutte contre l’absentéisme scolaire.

En réponse à ces avancées, certains, notamment dans l’opposition, proposent, semble-t-il, de revenir en arrière. Ce fut le cas concernant la vidéoprotection lors de la discussion du projet de LOPPSI. Je pose la question : où est la cohérence d’un discours par lequel, d’un côté, on réclame le droit pour les collectivités territoriales à mener des politiques locales et, de l’autre, on en récuse les moyens ? D’aucuns auraient-ils des difficultés à définir une politique cohérente en matière de sécurité ?

Ceux qui, comme moi dans ma ville, se sont engagés très tôt dans la vidéoprotection n’ont pas pris part au débat idéologique, n’ont jamais raconté à leurs concitoyens que c’était la solution à tous les problèmes, n’ont jamais dit qu’il n’y avait pas à avoir une attention particulière par rapport à d’éventuels effets pervers de cette technologie, mais ont expliqué qu’il était possible de les juguler et de réguler. Aujourd’hui, c’est tout simplement un levier parmi d’autres, que beaucoup développent dans des communes de toutes tailles et de toutes sensibilités. Je reviendrai sur la question des moyens évoquée par M. Dallier dans quelques instants.

Deuxième vérité, derrière ces contradictions et, parfois, ces polémiques se cache une réalité simple : de très nombreux maires, quelle que soit leur sensibilité, mettent en œuvre des solutions nouvelles qui mêlent la prévention sociale et des dispositifs d’ordre public. C’est d’ailleurs une des leçons du rapport que j’ai présenté hier au Président de la République : beaucoup d’innovations, à côté du travail remarquable d’un certain nombre de grandes administrations de l’État, y compris du ministère de la justice auquel j’appartiens comme secrétaire d’État, ont été apportées, qui, en termes d’échange de bonnes pratiques – c’est notamment le travail du Forum que vous présentez –, sont évaluées et étendues lorsqu’elles fonctionnent, et servent souvent d’inspiration, y compris à des politiques publiques. Vous en avez vous-même fort bien témoigné tout à l’heure, monsieur Nègre, d’une manière très concrète.

Beaucoup de maires ont pris la peine de participer, dans cet esprit, au recensement lancé par Brice Hortefeux le 22 juillet dernier et concernant les mesures prises par les maires en matière de prévention de la délinquance. Ils l’ont fait parce qu’ils savent que le sujet est important. Le Gouvernement rend hommage à leur engagement.

Ces maires sont comme les autres : ils affrontent souvent des situations très dures, et ils ne restent pas les bras ballants – c’est également votre cas, mesdames, messieurs.

Ils innovent, prennent les problèmes à bras-le-corps, mettent en œuvre des actions de prévention de la délinquance. Quand il n’y a pas d’autre issue, les maires attendent également de l’État qu’il y ait une sanction, et comptent beaucoup sur la relation avec la justice. C’est ce qui permet à notre société de marcher sur ces deux jambes.

Je pourrais citer de nombreuses villes de toutes tendances – la mienne ou Orléans, Nice, Lyon, Dijon, votre ville, Cagnes-sur-Mer, monsieur Nègre, ou d’autres encore, dont les vôtres, messieurs Dallier et Charles Gautier – qui organisent la prévention, mais qui n’hésitent pas non plus à faire appel aux moyens opérationnels comme les polices municipales ou, pour certaines d’entre elles – je ne sais pas ce que vous faites chez vous, monsieur Charles Gautier –, la vidéoprotection qui facilitent le travail des forces de l’ordre.

Ces choix sont bien la preuve que l’on peut tout à la fois mener des actions de prévention auprès des individus et des familles et prévoir en même temps des moyens supplémentaires pour lutter contre la délinquance, en complémentarité avec les moyens de l’État.

Je conclurai ce point par un constat éloquent : dans des communes qui ont connu des violences urbaines, une des premières décisions des maires concernés, toutes tendances confondues, a été de mettre en place simultanément les outils d’ordre public et des instruments de prévention sociale, ou, lorsqu’ils existaient déjà, de les compléter et de les renforcer.

Cela montre que nous n’avons pas besoin d’un énième colloque pour savoir ce qu’il faut faire pour que les maires contribuent à la lutte contre la délinquance. Ils savent ce qu’ils ont à faire, et le Gouvernement les soutient. S’agissant de la prévention, nous avons eu un colloque le 14 octobre dernier, les Assises de la prévention de la délinquance juvénile à la Cour d’appel de Paris, lequel a, me semble-t-il, rempli son office.

La troisième vérité est que les services de l’État sont mobilisés avec les élus locaux pour mettre en œuvre des actions volontaristes de prévention de la délinquance dans les départements.

Mesdames Boumediene-Thiery et Escoffier, ce gouvernement a mis en place le 2 octobre 2009 un plan national de prévention de la délinquance et d’aide aux victimes qui a permis une relance de la concertation au plan local, avec la mise à jour des plans départementaux de prévention de la délinquance en relation avec les maires.

Près de 700 conseils locaux de sécurité et de prévention de la délinquance en France, ce n’est pas rien. Plus de 300 contrats locaux de sécurité, ce n’est pas rien non plus. Je pourrais également citer les partenariats mis en place avec les élus locaux pour appliquer les sept plans nationaux de lutte contre la délinquance, décidés par M. le ministre de l’intérieur, par exemple pour repérer les personnes âgées qui ont besoin d’une protection adaptée, ou pour sécuriser les transports en commun.

Deuxièmement, ce partenariat doit être organisé pour être efficace. On ne peut pas réclamer en même temps plus d’État dans la sécurité et dénier à l’État la capacité d’assurer la cohérence de la politique de sécurité.

Le rôle de l’État en matière de sécurité ne se limite pas à l’allocation de moyens. L’État doit s’assurer de l’efficacité de la politique de sécurité au service des Français, partout et pour tous.

Comme Brice Hortefeux l’a déclaré l’été dernier à Toulon, le Gouvernement mène quotidiennement un dialogue constructif avec les maires, parce que le combat contre la délinquance est collectif.

Dans un dialogue, il faut être deux. L’État a une politique, certains maires l’approuvent, d’autres non. Ce dialogue doit avoir une seule fin : répondre aux Français qui attendent de nous des résultats.

Ces résultats, monsieur Charles Gautier, le Gouvernement les obtient. Faut-il le rappeler, après une hausse historique de près de 18 % entre 1997 et 2002 – souvenez-vous des débats que nous avions à l’époque, y compris au sein de la majorité –, la délinquance a baissé de 14, 4 % entre 2002 et 2009, …

Debut de section - Permalien
Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État

… grâce à l’action du Gouvernement, sous l’impulsion du Président de la République. Concrètement, en 2009, la délinquance était ainsi revenue à son niveau de 1997. Ces efforts ont été poursuivis puisque, sur les neuf premiers mois de l’année 2010, la délinquance globale baisse encore de 3, 4 %.

Il est important de le rappeler, puisque vous avez évoqué ce point, monsieur Charles Gautier. Le remettre en cause, comme cela a lieu régulièrement, ne correspond pas à la réalité. Dire cela ne veut pas dire que nous en avons fini avec cette bataille, d’où l’engagement que j’évoquais tout à l’heure. Mais ces résultats nous montrent que nous devons continuer dans cette direction, en amplifiant, en améliorant encore, mais sûrement pas en reculant, en renonçant ou en mettant tout à plat.

J’ajoute, en remerciant M. Louis Nègre pour son engagement parlementaire et en tant que maire, au service de la sécurité des Français, que les violences aux personnes ont augmenté de seulement 1 % sur un an, entre octobre 2009 et septembre 2010, avec même, pour la première fois, une baisse cet été. Ce défi des violences aux personnes est un combat difficile, mais nous sommes sur la bonne voie.

Quant aux effectifs, comme Brice Hortefeux aura l’occasion de vous le redire, tout est fait pour maintenir la capacité opérationnelle du ministère de l’intérieur. Le ministre a ainsi fait en sorte qu’en 2011 autant de policiers et de gendarmes soient opérationnels, c’est-à-dire sur le terrain, qu’en 2010. Les réductions nettes d’emplois, soit 308 postes sur la mission « Sécurité », qui représentent 0, 2 % des effectifs de policiers et de gendarmes, seront concentrées sur les services d’état-major ou de soutien.

Par ailleurs, il faut rappeler que les moyens de la lutte contre la délinquance sont divers. Il faut certes des effectifs en suffisance, mais l’amélioration sensible du taux d’élucidation depuis 2002 tient aussi à l’utilisation des moyens de police technique et scientifique et des bases de données informatisées, et à une nouvelle organisation des services.

Ainsi, l’État remplit ses obligations. Il continuera de le faire en assumant ses choix, notamment celui d’apporter un soutien particulier aux initiatives des élus locaux en matière de sécurité, à condition bien sûr qu’elles soient cohérentes avec la politique engagée par le Gouvernement. Monsieur Baylet, il n’y a pas, d’un côté, l’État qui ferait bien et, de l’autre, les maires qui feraient mal ; il existe une concordance de vues entre l’État et beaucoup de communes, même si, naturellement, des désaccords peuvent subsister avec certaines d’entre elles. À cet égard, Brice Hortefeux et moi-même sommes animés d’un esprit de dialogue et de partenariat.

Un certain nombre d’entre vous ont évoqué le Fonds interministériel de prévention de la délinquance, le FIPD. Je rappelle qu’il a été créé en 2007 et que, auparavant, il faisait parfois cruellement défaut – je peux d’ailleurs en témoigner à titre personnel, en tant qu’ancien maire.

La réalité de ce fonds, quelle est-elle ? En 2010, la dotation du FIPD a atteint 49, 1 millions d’euros, soit un montant équivalent à celui de 2007, voire même légèrement supérieur si l’on intègre les reports de crédits. L’effort financier de l’État est donc soutenu et il est maintenu.

Il est vrai que la vidéoprotection a pris une part importante dans le fonds, pour atteindre 30 millions d’euros, ce qui représente non pas 75 % de sa dotation, mais 60 %. Il faut réaffirmer ce choix, conforme aux souhaits formulés l’an dernier par la Haute Assemblée, et qui a permis de soutenir financièrement six cent vingt projets communaux de vidéoprotection sur la voie publique. Toutefois, n’oublions pas non plus les 19, 1 millions d’euros restants – une somme importante ! –, dévolus à hauteur de 6, 1 millions d’euros aux actions des communes et à hauteur de 13 millions d’euros aux associations, qui ont permis de soutenir près de deux mille projets.

D’ailleurs, dans le rapport que j’ai remis hier au Président de la République, je propose que l’on clarifie progressivement la répartition entre les sommes de ce fonds affectées aux investissements réalisés en matière de vidéoprotection et celles qui sont destinées à soutenir ces projets communaux ou associatifs.

Monsieur le président, puis-je disposer de quelques minutes supplémentaires ?

Debut de section - Permalien
Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État

Je vous remercie, monsieur le président. Je voudrais surtout m’assurer d’avoir effectivement répondu à toutes les questions intéressantes et pertinentes que vous avez posées, mesdames, messieurs les sénateurs.

Je vous remercie, monsieur Dallier, d’avoir souligné la pertinence du soutien que je viens d’évoquer. J’ai bien entendu votre observation sur le coût pour les communes du fonctionnement de la vidéoprotection, ce qui pose d’ailleurs la question plus générale des difficultés rencontrées par certaines communes, confrontées à de réels problèmes sur le terrain. Évidemment, la vidéoprotection ne constitue que l’un des exemples des choix que les collectivités sont amenées à faire.

Je veux rappeler simplement que deux dispositions du projet de LOPPSI, défendu par Brice Hortefeux, donneront de nouveaux moyens aux communes pour gérer la vidéoprotection au meilleur coût.

Vous avez également évoqué la réforme des amendes de police, dont l'Assemblée nationale a débattu dans le cadre du projet de loi de finances pour 2011. Vous aurez donc très prochainement l’occasion de défendre vos positions sur ce sujet dans cet hémicycle, monsieur le sénateur. Pour connaître un peu ce dossier, je pense que les nouvelles propositions d’augmentation des tarifs des amendes, qui n’ont pas bougé depuis vingt-quatre ans, permettront aussi d’accroître la masse budgétaire à répartir entre les collectivités et l’État. Je ne préjuge rien, mais je pense que le curseur devrait se situer entre 11 et 20 euros. Quoi qu’il en soit, je suis sûr que vous ferez entendre votre voix dans ce débat, qui s’annonce fort intéressant, monsieur le sénateur.

Comme je le disais, l’application de la loi du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance, en particulier celle des mineurs, est, avec le déploiement de la vidéoprotection, l’axe majeur de l’intervention de l’État au côté des communes.

Je manque de temps pour développer ce sujet qui me tient à cœur et qui fait l’objet du rapport que j’ai remis hier au Président de la République.

Je rappelle simplement que, depuis vingt ans, la délinquance des mineurs a augmenté de 118 % en France, tous gouvernements confondus. C’est un vrai problème, d’autant qu’un certain nombre de pays européens dans lesquels je me suis rendu n’ont pas connu une progression similaire.

On constate cependant que, dans les communes où des actions importantes ont été menées depuis des années – vous avez parlé de votre ville, monsieur Louis Nègre, je pourrais évoquer la mienne ou d’autres encore –, cette délinquance a diminué, parfois même fortement. Il n’y a donc pas de fatalité. C’est aussi l’état d’esprit qui a présidé à la rédaction de mon rapport, dont les conclusions sont parfaitement conformes aux orientations du ministre de l’intérieur.

Au passage, pour répondre à la caricature qui a été faite de la démarche d’Éric Ciotti sur les contrats de responsabilité parentale, je précise qu’il fait partie des élus, de droite comme de gauche, que j’ai auditionnés pour préparer mon rapport. Après avoir minutieusement examiné la démarche expérimentale et innovante qu’il a initiée avec ces contrats, j’en ai conclu que ces derniers se différenciaient des maisons de parents ou des stages parentaux déjà existants par la réponse personnalisée qu’ils apportent. Sur les cent quarante-cinq premiers contrats qu’il a mis en œuvre au niveau de son département, jamais il n’est allé jusqu’à la suspension ou la mise sous tutelle des allocations familiales. Il faut simplement que cette possibilité existe pour que, dans certains cas – je l’ai vécu dans ma propre commune, et je ne me situe pourtant absolument pas dans une logique de stigmatisation –, les familles acceptent le soutien que nous pouvons ensuite leur apporter à tous les niveaux. Dans ce domaine, il convient de se méfier des caricatures.

En conclusion, mesdames, messieurs les sénateurs, c’est à une baisse durable de la délinquance par des moyens nouveaux comme l’usage de la vidéoprotection et la prévention situationnelle que l’État souhaite associer les communes.

C’est à une action concertée et résolue contre les délinquants, par la coordination des polices municipales et des forces de sécurité intérieure, que l’État propose aux maires de participer.

En effet, l’État n’est pas en opposition avec les collectivités territoriales sur la question de la sécurité. Le Président de la République et le Gouvernement l’ont montré, par leur action et par la confiance qu’ils placent dans l’action des collectivités territoriales.

L’État a le devoir d’assurer la cohérence de la politique de sécurité, qui ne peut être la simple collection de politiques locales autonomes.

Je précise enfin à Mme Assassi qu’il est erroné d’affirmer qu’il n’y a pas de recrutements dans la police. Les concours organisés en 2009 ont permis de recruter 5 740 fonctionnaires en 2010.

Debut de section - Permalien
Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État

J’ai déjà eu l’occasion de vous répondre tout à l’heure sur d’autres aspects de votre intervention, madame la sénatrice. Mais j’avais aussi un message à vous faire passer au nom du Gouvernement.

Je vous remercie à nouveau, monsieur le président, de m’avoir permis de prolonger de quelques minutes mon intervention.

MM. Philippe Dallier, René Garrec et Mme Anne-Marie Escoffier applaudissent

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

Nous en avons terminé avec ce débat sur le rôle de l’État dans les politiques locales de sécurité.

Mes chers collègues, l’ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quinze heures.

La séance est suspendue.

La séance, suspendue à treize heures cinq, est reprise à quinze heures, sous la présidence de M. Jean-Claude Gaudin.