Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je souscris pleinement aux propos de Christian Cambon, avec lequel j’ai le plaisir d’être rapporteur pour avis sur les crédits de la mission « Aide au développement », au nom de la commission des affaires étrangères. Notre association, alors que nous sommes issus de partis concurrents, illustre d’ailleurs combien ces questions dépassent les clivages politiques, même s’il nous arrive d’avoir des divergences sur les méthodes ou sur les moyens mis en œuvre.
Monsieur le ministre, les objectifs majeurs que vous fixez à notre coopération, à savoir la prévention des crises et des conflits, la lutte contre la pauvreté, le défi de la croissance et la préservation des biens publics mondiaux, forment un programme ambitieux au regard des moyens qui sont les nôtres.
Sans surprise, ces objectifs sont communs à la communauté internationale, et il est donc important, au moment où notre pays va prendre la présidence du G8 et du G20, de formuler la conception que nous nous en faisons.
Par rapport au relevé de conclusions de la précédente réunion du CICID, la principale nouveauté consiste dans le classement de la prévention des crises et des conflits comme premier objectif. Les crises se nourrissent presque toujours d’un contexte de forte pauvreté, sur des territoires où les États sont en difficulté. C’était le cas en Afghanistan et on le constate aussi dans le Sahel. Je crois que nous sommes tous d’accord pour dire que l’aide au développement doit jouer un rôle de prévention.
La lutte contre la pauvreté est le deuxième objectif, elle est au cœur de l’aide au développement.
Le troisième objectif consiste à relever le défi de la croissance. On n’aidera pas ces pays seulement en encourageant le développement des services publics de base. Le soutien à la croissance passe par la mise en place d’infrastructures, mais aussi par l’engagement de l’Agence française de développement, l’AFD, dans des fonds d’investissements et des systèmes de garanties aux réseaux bancaires africains, qui permettent de favoriser la création d’entreprises.
Le soutien à la croissance, c’est aussi l’amélioration des régimes préférentiels pour les exportations des pays d’Afrique subsaharienne à bas revenus. Ne serait-il pas plus efficace et plus conforme à la dignité des pays africains de leur permettre d’affermir leur croissance par le développement des échanges ? Nous devons respecter un impératif de cohérence dans ce domaine ; or vous l’évoquez sans vraiment en décliner les nombreuses conséquences. On dépense beaucoup d’argent pour des projets agricoles africains, mais le meilleur service à rendre à ces pays ne serait-il pas d’accueillir leurs produits ?
Le quatrième objectif est la préservation des biens publics mondiaux, la préservation du climat ou de la biodiversité. Cet objectif concerne au premier chef les pays émergents qui, vous le savez, seront responsables, dans les trente ans à venir, de 80 % de l’augmentation de la consommation d’énergie. Il concerne également l’Afrique qui sera, demain, la première victime du réchauffement climatique.
L’une des leçons de la conférence de Copenhague est que le ralliement des pays en développement aux préoccupations des pays développés passe par un engagement renouvelé de ces derniers sur les questions de développement et d’environnement.
Vous proposez une application différenciée de ces objectifs selon les zones concernées.
Notre première priorité géographique est l’Afrique subsaharienne qui comptera 1, 8 milliard d’habitants en 2050, soit trois fois plus que l’Europe. Je ne crois pas que l’on mesure à quel point ce chiffre est important.
La deuxième zone prioritaire est la Méditerranée. Vous proposez de faire de l’aide au développement un instrument majeur pour relancer le cadre politique de l’Union pour la Méditerranée. Nous pensons, comme vous, que des projets concrets de dépollution de la Méditerranée, de gestion durable de l’eau, permettront de créer une solidarité régionale essentielle à la stabilité de l’Europe, même si nous n’oublions pas l’existence de contentieux persistants entre certains pays qu’il va falloir régler.
La troisième priorité géographique concerne les pays émergents, à l’égard desquels nous poursuivons deux objectifs : d’une part, les inciter à adopter un modèle de croissance plus respectueux de l’environnement et, d’autre part, créer un partenariat avec les grands pays qui façonneront le monde de demain.
Nous partageons vos intentions, mais nous nous interrogeons sur les moyens utilisés pour y parvenir. Dans un contexte budgétaire tendu, les subventions budgétaires et les prêts concessionnels sont de plus en plus rares. Alors que la Chine dispose de réserves suffisantes pour financer des fonds souverains qui achètent nos bons du Trésor, il nous semble que nous devrions réserver nos prêts concessionnels aux pays les moins avancés.
La dernière priorité géographique concerne les pays en crise. Il s’agit de la région du Sahel, du Moyen-Orient, de l’Afghanistan et du Pakistan.
J’en viens rapidement aux modalités de mise en œuvre de cette stratégie. En effet, là comme ailleurs, la politique est un art d’exécution et nous pouvons constater tous les jours, dans nos collectivités territoriales, que les idées ne valent qu’à raison des moyens qui leur sont consacrés.
De ce point de vue, monsieur le ministre, la commission des affaires étrangères ne peut que déplorer l’insuffisance des perspectives budgétaires figurant dans ce document, même si vous y mentionnez des pourcentages, comme elle l’avait souhaité.
Il faut bien concéder que, pour définir les objectifs de notre coopération pour les dix ans à venir, il fallait prendre du champ par rapport aux négociations budgétaires. Mais la question est de savoir si, à force de prendre du champ, on tient toujours effectivement compte de la réalité.
Les objectifs et les moyens sont en effet intimement liés. Je voudrais vous en donner une illustration : de 2006 à 2009, les dons bilatéraux au sein de l’OCDE ont diminué de 30 % ; dès lors, nos administrations, l’AFD en tête, ont accordé des prêts. Le choix de cet instrument les a naturellement conduites à se tourner vers des pays ou des secteurs solvables, c’est-à-dire à se détourner de l’Afrique subsaharienne et des services publics de base.
Il est bien sûr difficile d’anticiper un budget à l’échéance de dix ans. C’est si vrai que, même pour l’année 2011, à quelques jours du débat budgétaire, nous ne disposons toujours pas du document de politique transversale ! Nous souhaiterions néanmoins que soient définis des pourcentages pour chaque priorité. Un cadre stratégique ne peut pas tout, mais il peut fixer des lignes directrices.
C’est en particulier le cas pour les priorités géographiques, puisque le document-cadre indique que la France consacrera 60 % de son effort budgétaire à l’Afrique subsaharienne. Dans la version qui a servi à la consultation, les cibles nous paraissaient peu engageantes. Ainsi, l’affirmation que 50 % des dons de l’aide bilatérale doivent aller aux quatorze pays pauvres prioritaires serait tout à fait louable si elle n’était pas assortie d’un codicille selon lequel seules sont prises en compte, en fait, les subventions destinées aux Objectifs du millénaire pour le développement, hors interventions de sortie de crise et subventions ventilables. En adoptant ce critère, le pourcentage atteint aujourd’hui déjà 76 % : il est donc ainsi moins difficile de promettre 50 % !
La commission des affaires étrangères a souhaité que le ciblage soit renforcé sur l’Afrique et qu’un pourcentage plafond soit défini pour nos interventions dans les pays émergents. Ce vœu a bien été pris en compte dans le document final que vous nous avez remis hier soir. Fallait-il aller au-delà ? Il nous a semblé qu’il était assez difficile de définir un chiffre en valeur absolue qui puisse rester valable pendant dix ans.
Aussi la commission des affaires étrangères s’est-elle contentée, en adoptant à l’unanimité une cinquantaine de recommandations, de définir les grandes orientations qu’elle souhaite voir retenir. Je n’en citerai que quelques-unes.
La commission a demandé, en premier lieu, la restauration d’une capacité d’initiative commune de nos instruments bilatéraux de coopération. La capacité d’initiative de nos services est en effet aujourd’hui très réduite. On a pu le constater dans la situation des postes à l’étranger : il manque parfois quelques dizaines de milliers d’euros pour pouvoir soutenir des projets. Même notre capacité à entraîner des acteurs multilatéraux est aujourd’hui mise à mal par la réduction de nos moyens bilatéraux. J’espère que ce redressement est à l’œuvre dans le projet de loi de finances pour 2011. Vous pourrez peut-être nous le confirmer, monsieur le ministre.
S’agissant de l’aide multilatérale, il faut souligner que les institutions qui en assument la charge sont à la fois légitimes et compétentes pour intervenir dans les pays en développement. La question porte plutôt, me semble-t-il, sur la qualité de notre partenariat avec ces organisations multilatérales. La commission insiste donc pour que chaque reconstitution des fonds multilatéraux soit systématiquement précédée d’une évaluation de ce partenariat.
Je pense en particulier au Fonds européen de développement, le FED, auquel nous contribuons chaque année à hauteur de 800 millions d’euros. A-t-on procédé, monsieur le ministre, à une évaluation de notre contribution à ce fonds avant de s’engager à hauteur de 1, 6 milliard d’euros pour les trois prochaines années ? Pas à notre connaissance ! La commission se demande, à cet égard, pourquoi le document stratégique sur la politique européenne de développement n’a pas fait l’objet d’une consultation du Parlement, au même titre que le document-cadre.
L’aide au développement a naturellement vocation à devenir un domaine de souveraineté partagée au sein de l’Union européenne, mais, pour avancer, il faut sans doute que le FED soit autre chose sur le terrain qu’un vingt-huitième bailleur de fonds.
En ce qui concerne l’architecture internationale de l’aide au développement, la commission ne voit pas de propositions allant dans le sens d’une plus grande simplification ni d’une plus grande cohérence. Aujourd’hui, le monde du développement, au niveau international, ressemble à un écosystème dans lequel il y aurait toujours plus de naissances et jamais aucun mort ! C’est ainsi que 365 organismes sont habilités à recevoir des fonds d’aide au développement. C’est trop, et c’est trop complexe ! Il est donc souhaitable que la France, dans un document stratégique à l’horizon de dix ans, exprime sa vision d’une architecture plus cohérente.
En conclusion, sous réserve des observations précédentes et d’une stratégie budgétaire adaptée, la commission des affaires étrangères estime que le projet de document-cadre que vous lui proposez est un document de qualité.
Elle pense que les priorités thématiques et géographiques qui sont évoquées devraient être traduites en indicateurs de performances, intégrés dans le document de politique transversale annexé au projet de loi de finances, afin qu’elle puisse ainsi suivre ces priorités et confronter la réalité aux ambitions.
Je ne voudrais pas achever mon intervention sans vous remercier, monsieur le ministre, d’avoir sollicité le Parlement pour recueillir son avis sur ces questions majeures. Avec Christian Cambon, nous avons beaucoup travaillé, rencontré, écouté et entendu celles et ceux qui se préoccupent de ces problèmes. À l’unanimité de ses membres, la commission des affaires étrangères a adopté son rapport, assorti d’une cinquantaine de propositions que nous vous avons présentées.
Je n’ai pas pu, depuis hier soir, étudier dans tous ses détails le document-cadre définitif dont nous discutons aujourd’hui, mais j’ai noté avec plaisir que, tous les deux ans, un rapport d’ensemble sur la mise en œuvre de la politique française de coopération et de développement sera présenté au Parlement. Cette nouvelle est excellente dans la mesure où ce rapport permettra, je l’espère, de constater les progrès accomplis au regard d’une tâche qui reste immense et nécessite l’engagement de tous.
Pour autant, nous resterons attentifs aux préoccupations de nos partenaires que sont les ONG et les collectivités locales, ainsi, bien sûr, qu’au montant des efforts budgétaires que consentira le Gouvernement.