Intervention de Yvon Collin

Réunion du 4 novembre 2010 à 9h30
Débat sur la politique de coopération et de développement de la france

Photo de Yvon CollinYvon Collin :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le débat d’aujourd’hui m’intéresse tout particulièrement, en tant que rapporteur spécial de la mission budgétaire « Aide publique au développement ».

À ce titre, je salue l’initiative de la commission des affaires étrangères, qui permet à la Haute Assemblée de s’interroger sur le document-cadre réalisé par le Comité interministériel de la coopération internationale et du développement et nous donne ainsi l’occasion d’associer le Parlement à la définition de la politique de coopération.

Sur ce point, comme l’ont souligné nos collègues Christian Cambon et André Vantomme dans leur excellent rapport, il me semblerait également souhaitable, compte tenu des sommes mobilisées, qu’une loi d’orientation sur le développement soit adoptée à échéance régulière.

J’ajouterai que l’évolution des enjeux de notre politique de coopération impose ce rendez-vous périodique. En effet, le monde change, le monde bouge : les pays du Sud connaissent des trajectoires de développement très diverses ; les économies sont devenues interdépendantes ; les risques en matière d’environnement, de santé ou de sécurité sont désormais globaux ; nous vivons au sein du village mondial. Nous ne pouvons donc pas rester indifférents aux situations difficiles que connaissent certaines régions du monde, car elles ne peuvent plus être sans effets sur nos politiques et notre propre développement.

Dans ce nouveau contexte, le document-cadre qui nous est soumis propose une refondation de la doctrine française d’aide au développement. Comme cela a été excellemment dit, il refuse de réduire l’aide publique au développement à une démarche caritative ou compassionnelle. Cette aide s’inscrit désormais dans une stratégie géopolitique, qui prend en compte non seulement la nécessité de soulager la misère, mais également les intérêts de la France dans le monde, qu’il s’agisse d’enjeux économiques, migratoires, environnementaux ou de sécurité. Toutes ces problématiques sont désormais liées, vous l’aurez compris.

S’agissant des objectifs de l’aide publique au développement, on ne peut bien sûr qu’y souscrire, puisqu’ils sont communs à ceux qu’a définis la communauté internationale.

Oui, bien sûr, nos efforts doivent porter sur la promotion de l’État de droit dans le monde, car le sous-développement contribue à bloquer, ou du moins à ralentir, l’installation de régimes démocratiques partout dans le monde.

Oui, nous devons encourager la rechercher d’une croissance soutenue, car elle permet de fournir, à terme, des biens et des services publics aux populations les plus vulnérables.

Oui, bien entendu, la lutte contre la pauvreté et les inégalités doit demeurer le « cœur de cible » de l’aide.

Oui, enfin, la préservation des biens publics mondiaux est primordiale, et il ne faut surtout pas laisser perdurer le décalage entre l’échelle globale des problèmes, à commencer d’ailleurs par celui du réchauffement climatique, et le niveau étatique des décisions.

Tous ces objectifs, mes chers collègues, sont très ambitieux, et les risques de dispersion, mais aussi de saupoudrage, sont bien réels. C’est pourquoi la France doit se fixer des priorités géographiques d’intervention. Le choix de l’Afrique subsaharienne, sur la base d’une implication rénovée, me paraît d’autant plus nécessaire que, désormais, la croissance africaine attire les investissements de pays comme la Chine, l’Inde ou le Brésil. J’ajouterai aussi que l’espace culturel de la francophonie doit demeurer l’une de nos priorités d’intervention. Lors de nos déplacements dans un certain nombre de pays, nous constatons trop souvent, pour le regretter, hélas ! que l’usage du français recule.

En revanche, s’agissant des pays émergents, on peut s’interroger sur la pertinence de certaines de nos interventions engagées sous le label « aide au développement » et sur le fait que, par les montants engagés, la Turquie et la Chine ont respectivement occupé, en 2008, les quatrième et cinquième rangs des pays bénéficiaires de l’aide française. Voilà qui est surprenant !

Mes chers collègues, le Gouvernement a incontestablement entrepris un travail important de modernisation de la politique de coopération. Pour autant, je serai plus critique sur les aspects financiers de cette démarche et sur la manière dont le futur document-cadre les aborde, ou, d’ailleurs, ne les aborde pas !

Seuls les instruments financiers sont évoqués dans le document-cadre. Sur ce volet, je formulerai une seule remarque. Elle porte sur le soutien de la France à l’essor des financements dits « innovants », assurés par la taxation d’activités économiques internationales. On peut souligner le rôle pionnier de notre pays en ce domaine, avec l’instauration en 2006 de la contribution de solidarité sur les billets d’avion.

Dans cet esprit, je rappelle que le groupe du RDSE plaide pour une contribution assise sur les transactions financières internationales. Bien plus qu’un problème technique, c’est avant tout une question de volonté politique. Je suis persuadé que, lors du G20, la France avancera une proposition forte en ce sens. Cette idée, qui n’avait pas recueilli un écho favorable dans cet hémicycle, ne manquera sans doute pas d’être reconnue comme excellente !

J’évoquerai également la question de la complémentarité et de l’équilibre à trouver entre les actions bilatérales, européennes et multilatérales. Sur le terrain, l’aide bilatérale française a pratiquement disparu, en partie victime des régulations budgétaires : cette aide ne représente plus que 175 millions d’euros environ par an. Or c’est avec ce montant qu’il faut faire face aux urgences : je pense, par exemple, à Haïti. Dans le même temps, il en résulte un sous-engagement financier dans certains autres pays où notre intervention serait pourtant tout à fait nécessaire.

Il y va de notre rayonnement international : avec l’aide bilatérale en effet, la France « se voit » et « se donne à voir » à l’étranger ; avec l’aide multilatérale, elle passe souvent inaperçue.

Au-delà des instruments de financement, le projet de document-cadre se révèle lacunaire sur la question, pourtant cruciale, des moyens alloués à cette politique. D’un document d’une telle nature, on attendrait pourtant qu’il comprenne un cadrage budgétaire ou, à tout le moins, les critères d’une répartition proportionnée des crédits, selon les priorités définies en termes tant de géographie que de secteurs.

Par ailleurs, cette politique est-elle soutenable ? En 2009, nous aurons consacré 0, 44 % de notre revenu national brut à l’aide publique au développement. Or la France s’est engagée à atteindre, à l’horizon 2015, quelque 0, 7 % du revenu national brut. Mon prédécesseur dans les fonctions de rapporteur spécial de la mission « Aide au développement », notre ancien collègue Michel Charasse, avait indiqué dans son dernier rapport budgétaire que cet engagement n’était malheureusement pas tenable. Il est donc dommage que l’élaboration du document-cadre n’ait pas été l’occasion pour le Gouvernement d’arrêter des objectifs budgétaires plus réalistes.

Enfin, monsieur le ministre, comment ne pas évoquer la question de l’évaluation de notre politique d’aide au développement ? Forcer nos engagements financiers implique aussi de s’interroger sur l’efficacité et l’effectivité de l’aide publique au développement.

À cet égard, il est regrettable que le document-cadre n’ait pas été l’occasion de procéder à une ample évaluation de la politique que nous avons jusqu’à présent menée en la matière. De fait, pour l’avenir, la mise en place d’indicateurs de résultat est prévue, mais nous avons besoin d’indicateurs de performance, dans la logique de la LOLF, car les indicateurs existants au sein de la documentation budgétaire ne sauraient suffire. C’est donc un point sur lequel il convient de faire porter un effort tout particulier.

Mes chers collègues, parlant du développement, François Mitterrand déclarait : « Et, moins que jamais, il ne faut céder à la tentation du découragement, ni à celle du chacun pour soi, du repli sur soi. » Mêmes si nos finances publiques sont contraintes, n’oublions pas que l’aide publique au développement est un instrument fondamental de l’équilibre politique du monde. De ce point de vue, elle reste un investissement de première importance dans le monde actuel, fragile et instable.

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je vous prie de bien vouloir m’excuser de ne pouvoir rester parmi vous ce matin. Je dois en effet rejoindre l’AFD, qui tient en ce moment même son conseil d’administration, au sein duquel je représente la Haute Assemblée.

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