Intervention de Catherine Tasca

Réunion du 4 novembre 2010 à 9h30
Débat sur la politique de coopération et de développement de la france

Photo de Catherine TascaCatherine Tasca :

Aujourd’hui, 10 % seulement des Africains ont accès à une électricité continue. Les pays d’Afrique subsaharienne ont une production électrique qui est, à la fois, la plus chère du monde et celle dont le contenu en carbone est le plus élevé. Imaginez la situation lorsque le continent comptera près de 2 milliards d’habitants ! Mais des progrès considérables peuvent être faits, car l’Afrique mobilise moins de 10 % de son potentiel hydroélectrique et seulement 1, 5 % de son potentiel de géothermie.

Enfin, l’Afrique est un enjeu pour notre sécurité. Pensons à ce qui se passe actuellement au Sahel où cinq de nos ressortissants sont détenus comme otages. Cette zone de non-droit représente un risque majeur pour l’Europe et pour l’Afrique en termes de prolifération du terrorisme et des trafics et constitue inévitablement un obstacle au développement de ces pays.

Votre diagnostic des enjeux africains est juste, monsieur le ministre. Cependant, nous nous demandons si la réponse de la France et de l’Europe est à la hauteur de ces enjeux.

Au-delà des discours enthousiastes, des célébrations et des promesses, on assiste, sur le long terme, à un recul de la France et de l’Europe en Afrique. Depuis la chute du mur de Berlin, nous avons su offrir aux pays de l’Est un partenariat que nous ne savons pas proposer à l’Afrique.

Certes, il revient aux Africains de décider pour eux-mêmes. Les mieux intentionnés de leurs amis ne pourront se substituer à leurs choix d’épargne, de migration, d’investissements, à leur combat pour la démocratie, l’intégration régionale ou la croissance.

Mais nous devons procéder nous-mêmes à des choix.

Le premier de ces choix concerne les moyens que nous sommes prêts à mettre en œuvre. Sur ce point, votre document-cadre de coopération au développement est silencieux. Non seulement il est dépourvu de tout cadre budgétaire sérieux, mais force est de constater, au vu des chiffres de ces dernières années, que la part de l’Afrique stagne et, parfois, régresse. Ainsi, la part de l’Afrique subsaharienne dans l’aide publique au développement nette française est passée, de 2005 à 2008, de 54 % à 40 %. La part des pays les moins avancés a baissé, quant à elle, de 41 % à 28 %.

La diminution des subventions de l’aide bilatérale en est la principale raison, comme mon collègue André Vantomme l’a souligné. L’aide bilatérale nette aux quatorze pays prioritaires a été divisée par deux de 2004 à 2008. De ce point de vue, je ne pourrai que me réjouir de ce qui contribuera à une plus forte concentration de notre aide sur les pays d’Afrique subsaharienne qui en ont le plus besoin.

Je veux rappeler que, si nous sommes capables d’orienter la programmation de la Banque mondiale ou du Fonds européen de développement vers l’Afrique, c’est que nous disposons d’une expertise reconnue en Afrique. La diminution de notre aide bilatérale sur ce continent est en train de mettre à mal cette expertise.

Le choix porte aussi sur les modalités de notre partenariat.

Il nous faut construire un partenariat avec l’Afrique et non pas seulement avec ses dirigeants, un partenariat avec des pays, des peuples, des économies.

De ce point de vue, les accords de gestion concertée des flux migratoires que la France souhaite signer avec l’ensemble des pays africains sont trop déséquilibrés au profit du contrôle des migrations pour apparaître comme des accords de partenariat. À ce jour, huit accords ont été signés depuis 2008, mais avec des pays qui ne sont que faiblement sources d’émigration vers notre territoire. Il est important de noter à ce propos que le Mali s’est refusé jusqu’à présent à conclure un accord de cette nature.

La tentative d’articuler les politiques de l’immigration et du développement constituait en soi une piste prometteuse. Ces accords, portés par le ministère de l’immigration, de l’intégration, de l’identité nationale et du développement solidaire, devraient reposer sur un double équilibre : l’équilibre entre la facilitation de l’immigration légale et la lutte contre l’immigration clandestine, d’une part, et l’équilibre entre la maîtrise des flux migratoires et le co-développement, d’autre part.

Or, l’étroitesse des crédits du co-développement, désormais dénommé « développement solidaire », destinés à conforter les initiatives prises par les migrants pour soutenir des projets de développement dans leur pays d’origine ne permet pas à cette politique de dépasser le stade des expérimentations ponctuelles.

Ainsi, pour 2010, les crédits du budget général de l’État consacrés au développement solidaire s’élèvent seulement à 35 millions d’euros, soit 1 % des 3, 5 milliards d’euros de crédits de l’aide publique au développement.

Par ailleurs, certains dispositifs, comme les cartes compétences et talents, les visas circulaires ou le compte épargne co-développement, peinent à se concrétiser et restent très marginaux. Face à la modestie des moyens, quel peut être l’avenir de ces accords et en quoi peuvent-ils transformer notre partenariat avec ces pays ?

De son histoire africaine, la France a hérité une intimité avec l’Afrique. Mais saurons-nous prendre le tournant d’une Afrique qui avance à toute vitesse ? J’en doute.

Nos atouts pour bâtir ce partenariat sont pourtant nombreux.

Il y a cette histoire commune, qui est un atout autant qu’un handicap. Il y a la géographie et cette diaspora africaine que nous ne savons pas accueillir dignement sur notre territoire.

Il y a ces générations de coopérants passionnés de l’Afrique, dont le nombre tend malheureusement à se réduire d’année en année.

Il y a aussi la francophonie. N’oublions pas que l’Afrique représente potentiellement 600 millions de locuteurs français en 2050. C’est un enjeu majeur pour l’avenir de notre langue, que nous délaissons quand nous délaissons les systèmes éducatifs africains.

Soyons clairs, dans un monde où le centre stratégique est en train de se déplacer vers l’Asie, l’Europe a autant besoin du développement de l’Afrique que l’Afrique a besoin de notre aide au développement. Quelle place la France compte-t-elle y tenir ?

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