Intervention de Michel Guerry

Réunion du 4 novembre 2010 à 9h30
Débat sur la politique de coopération et de développement de la france

Photo de Michel GuerryMichel Guerry :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, avant tout, je tiens à remercier le président de la commission des affaires étrangères, Josselin de Rohan, d’avoir demandé l’inscription de ce débat à l’ordre du jour. C’est la preuve que la révision constitutionnelle de 2008 permet à notre assemblée d’exercer pleinement son rôle de contrôle et d’initiative.

Ce débat intervient alors que s’achève la rédaction du futur document-cadre définissant la stratégie française en matière de politique de coopération et de développement.

Je me réjouis de la volonté du ministère des affaires étrangères de consulter le Parlement et les commissions concernées. Cette démarche était nécessaire, dans la mesure où ce document-cadre est à la politique de coopération et d’aide au développement ce que le Livre blanc est à la défense.

Au nom du groupe UMP, je forme le vœu que les justes recommandations du rapport de mes collègues Christian Cambon et André Vantomme soient prises en compte.

Je souhaite également saluer tout le travail préparatoire accompli dans cette assemblée et la méthode retenue. En effet, le 12 mai dernier, la commission des finances et la commission des affaires étrangères ont organisé conjointement une audition publique des principaux représentants des organismes et acteurs français de notre politique d’aide au développement et de coopération, notamment M. Séverino, ancien directeur général de l’Agence française de développement, et M. Vielajus, président de Coordination Sud, organisme regroupant cent trente organisations non gouvernementales françaises. Pour une fois, l’aide publique au développement, sujet primordial pour la planète, ne sera pas évoquée dans cet hémicycle à la seule occasion du débat budgétaire.

Il nous revient donc de nous interroger ce matin sur notre future politique de coopération et d’aide au développement. Il convient d’envisager les impulsions et les orientations à donner.

Cependant, avant de décider de ce que doit être notre politique de coopération, je profiterai de mon intervention pour lancer un appel. Oui, monsieur le ministre, il n’est plus possible ni soutenable que nous ne puissions disposer d’un véritable bilan de la politique de coopération que nous menons et dont nous votons les crédits chaque année ! Pour les élus que nous sommes, la politique de développement ne peut se limiter au sempiternel constat que les crédits accordés ne sont et ne seront jamais assez importants, en particulier dans une période de crise financière internationale.

S’il ne s’agit pas d’ouvrir avant l’heure le débat budgétaire, il me semble pourtant capital d’appréhender cette politique sous un autre angle, dans un contexte budgétaire des plus contraints qui nous enjoint de raisonner différemment, ce qui, après tout, n’est pas une mauvaise chose.

Certes, le projet de document-cadre fixe les priorités géographiques, telles que l’Afrique subsaharienne, et les axes prioritaires, tels que la prévention des crises et des conflits, la lutte contre la pauvreté, le défi de la croissance et la préservation des biens publics mondiaux.

Mais cela ne saurait suffire : l’élaboration de ce document nous offre une formidable occasion d’aller plus loin et de proposer enfin une évaluation chiffrée.

Pour cela, il est indispensable de redéfinir les indicateurs du développement, en retenant des critères plus précis, plus en adéquation avec la réalité. Bien sûr, à l’ONU, la France s’est positionnée sur ce point à l’occasion du sommet sur les Objectifs du millénaire pour le développement.

Il nous faut sortir du piège de certaines politiques d’affichage qui, au final, peuvent se révéler totalement contre-productives. Elles sont en effet inadmissibles, non pas tant au regard des comptes publics que du respect dû à toutes les personnes pour qui l’aide au développement ne doit plus être un substitut de survie, mais un levier de croissance.

Dans l’intérêt même des pays qui bénéficient de ces budgets, il me paraît indécent de ne pas procéder à une véritable autopsie, en engageant un examen approfondi de ce qui fonctionne et de ce qui ne fonctionne pas.

Si j’étais provocateur, je vous dirais qu’une bonne politique de coopération doit avoir pour objectif, à terme, de disparaître. Cela signifie qu’elle rime avec la mise en place de systèmes et d’outils de développement dans les pays qui n’en ont ni les moyens ni les structures.

Chacun sait que la pauvreté est mère nourricière des crises humanitaires, du terrorisme, de la piraterie et des conflits. Je pense en particulier à l’Afrique qui, ces dernières années, connaît une recrudescence dramatique des fléaux que je viens de mentionner. Face à ces fléaux, la France ne peut agir seule. L’impulsion ne peut venir que d’une meilleure gouvernance internationale, qui se doit d’être cohérente avant tout.

À cet égard, je citerai deux exemples.

Le premier concerne le cas du Soudan. La France s’implique pleinement pour restaurer le dialogue entre le Tchad et le Soudan et pour créer les conditions d’une sortie de crise au Darfour, et ce par la voie tant diplomatique – vos entretiens et déplacements à Khartoum l’ont démontré, monsieur le ministre – que militaire, avec l’opération Épervier.

La République populaire de Chine, au nom du respect de la sacro-sainte règle de non-ingérence, est parvenue à y implanter deux usines d’armements légers, ce qui conduit ni plus ni moins au contournement des embargos sur les ventes d’armes.

Les investissements chinois dans les champs pétrolifères au Soudan se chiffrent en milliards de dollars, au moment même où ce pays sert de refuge à des groupes appartenant à la nébuleuse Al-Qaïda.

Rappelons, par ailleurs, que la China National Petroleum Corporation a investi 8 milliards de dollars dans des opérations conjointes d’exploration et que, parallèlement, elle détient 40 % du principal consortium de forage pétrolier du pays.

Le 16 novembre 2009, s’est tenu à Rome le sommet de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture, la FAO. À l’issue de ce sommet, la sonnette d’alarme a été tirée pour la énième fois, comme en 2008, notamment, afin d’alerter les grandes puissances internationales sur la crise alimentaire mondiale.

L’Afrique, faut-il le rappeler, est déjà dramatiquement touchée par des années de famine et ne parvient que très difficilement à l’autosuffisance alimentaire.

Je prendrai, comme deuxième exemple, le cas du Niger, dont les surfaces cultivables sont très limitées et qui bénéficie très largement des programmes d’aide alimentaire mondiaux.

Les exportations de minerai d’uranium de ce pays, à un moment où le marché est au plus haut, devraient assurer sa sécurité alimentaire. Or ce n’est pas le cas : ses ressources naturelles permettent, en réalité, de gager des prêts concessionnels, accordés par la Chine et dont le remboursement s’effectuera en quantité et en temps. Il ne s’agit en aucun cas pour moi de stigmatiser la République populaire de Chine. Je souhaite simplement qu’il soit tiré des enseignements de cette situation, notamment à la lumière du taux de croissance de l’Afrique, qui s’élève à 5 % l’an.

Aujourd’hui, la Chine est devenue l’un des premiers bailleurs de fonds au Soudan, au Nigeria, en Angola et en Égypte. Le montant total des prêts d’origine chinoise s’établissait, à la fin du premier semestre 2007, à 20 milliards de dollars. Cela doit nous conduire à repenser notre vision de l’aide au développement. Il faut que la France envisage sa politique de coopération sous l’angle d’un double partenariat avec les pays bénéficiaires, ceux avec lesquels elle collabore au sein des programmes multilatéraux.

Pour autant, la coopération intergouvernementale ne doit pas nous priver d’une juste évaluation. Ainsi pourrons-nous, à terme, mieux cibler notre action et mieux apprécier si tel projet multilatéral est plus efficace que tel autre projet bilatéral.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens enfin à attirer votre attention sur le fait que l’aide au développement doit répondre à de nouveaux défis. En notre qualité de pays développé, il nous appartient de créer les conditions d’un nouveau type de développement répondant à de nouvelles exigences. Les bouleversements climatiques et l’appauvrissement des ressources naturelles nous y obligent. Pour les pays en voie de développement, nous devons favoriser un nouveau modèle de croissance, celui d’une croissance « consciente ».

Cependant, comment éviter que ces pays ne nous reprochent de leur imposer des normes contraignantes, issues de nos propres erreurs ? Plus que jamais, il nous faut être imaginatifs et pragmatiques !

Pour conclure, je souhaiterais rappeler devant vous l’importance que représentent les programmes de scolarisation, pour les femmes en particulier. L’école et l’instruction demeurent le préambule incontestable de la paix, notamment dans les sociétés matriarcales.

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