Intervention de Claudine Lepage

Réunion du 4 novembre 2010 à 9h30
Débat sur la politique de coopération et de développement de la france

Photo de Claudine LepageClaudine Lepage :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, peut-on parler d’objectifs sans évoquer les moyens pour les atteindre ? Si la France respectait ses engagements, elle devrait consacrer, en 2011, 0, 51 % de son revenu national brut à l’aide publique au développement, l’APD. Or elle n’y contribuera vraisemblablement qu’à hauteur de 0, 47 %, soit un niveau égal à celui de 2006.

Dès aujourd’hui, on peut pressentir qu’il sera donc difficile, voire impossible, d’atteindre 0, 7 % du RNB en 2015, ce qui nous éloigne des engagements pris pour remplir les Objectifs du millénaire pour le développement, notamment sur la pauvreté, la faim, l’éducation primaire pour tous, l’égalité des sexes, l’autonomisation des femmes, la santé, l’environnement durable et la mise en place d’un partenariat pour le développement.

De plus, les chiffres de l’APD annoncés par la France à l’OCDE et la réalité de cette aide ne coïncident pas. Ainsi l’APD réelle, c’est-à-dire allégée des dépenses artificielles, ne représente que 70, 3 % de l’APD officielle en 2010.

En effet, la France prend en compte comme une part significative de son aide publique au développement des dépenses « artificielles », telles que l’accueil des étudiants étrangers, l’aide aux réfugiés, ainsi que les dépenses allouées aux territoires d’outre-mer, ce qui ramène l’APD réelle à 0, 31 % du RNB.

L’APD officielle intègre, en outre, la contribution de la France à l’allègement des dettes des pays en difficulté, comme j’ai pu m’en rendre compte récemment au Cameroun avec la mise en place du contrat de désendettement et de développement, ou C2D. L’allègement de la dette s’inscrit donc comme une part majeure de la contribution française à l’APD, ce qui renvoie, selon moi, a contrario, à la faiblesse des engagements français envers les pays les plus pauvres du continent africain.

Cet affichage officiel de l’aide publique au développement est donc trompeur et permet à l’État d’accroître, à moindre coût, le volume des crédits qui y sont comptabilisés. Les annulations de dette, lesquelles portent, d’ailleurs, sur des créances de toute façon impayables, relèvent, pour finir, davantage de l’exercice comptable que de l’aide française au financement du développement des pays concernés.

Contribuer efficacement à la lutte contre les inégalités et la pauvreté requiert une diversité d’instruments allant des dons, largement insuffisants aujourd’hui, destinés aux pays les plus pauvres, aux prêts octroyés à des pays émergents.

Le volume des prêts octroyés par l’AFD et comptabilisés dans l’APD a très fortement augmenté depuis 2008, contrairement aux dons. Accordés à des taux proches de ceux du marché, ces prêts ne peuvent évidemment s’adresser qu’aux pays émergents. Je ne citerai, à titre d’exemples, que la Chine, l’Inde, ce qui ne manque pas d’étonner parfois le Français moyen, et les pays de la zone Méditerranée-Moyen-Orient. Ce sont les seuls en mesure de s’endetter, contrairement aux pays les plus pauvres.

Il faut mentionner qu’une part importante de l’APD française est également allouée aux organisations européennes et multilatérales : elle représente 41 %, contre 59 % pour l’aide bilatérale. Il est, certes, normal que la France y ait sa place. Notre contribution ne cesse d’augmenter, sans répondre forcément à une vision stratégique de la coopération française au développement.

L’aide aux pays les plus pauvres, particulièrement en Afrique subsaharienne, est, en réalité, illusoire. Le volume de l’enveloppe « dons » consacrée au financement de projets dans les secteurs sociaux est en baisse de 46 % par rapport à 2006. Là encore, il serait intéressant de connaître les montants exacts affectés aux dons-projets de l’AFD pour 2011.

Pour souligner encore nos craintes, je précise que le volume des crédits publics transitant par les ONG reste mineur et bien en deçà des besoins. Les ONG, notamment de volontariat, s’inquiètent de ne disposer, pour l’instant, d’aucune information fiable sur les montants qui seront disponibles pour leurs projets en 2011.

Je dirai un mot encore sur les enjeux définis en matière de politique de coopération au développement de la France par le projet annuel de performance attaché au projet de loi de finances pour 2011. Je veux parler de « la prévention et la gestion des crises qui menacent à la fois le développement des pays concernés et la sécurité de notre pays ».

Ce dernier point établit un parallèle entre le développement des pays concernés et la sécurité de notre pays, laissant entrevoir une justification de notre coopération au développement perçue comme un moyen d’endiguer d’éventuels risques sécuritaires à nos frontières.

Je ne pense pas, quant à moi, que l’on puisse réduire la complexité du problème et expliquer la situation à nos concitoyens en ces seuls termes sécuritaires. Ceux-ci ne sont-ils pas à même de comprendre que la prévention des crises passe par la lutte contre la pauvreté ? Ne sont-ils pas à même de comprendre la nécessité de participer, par la contribution nationale, à l’émergence d’un monde plus solidaire, plus égalitaire et, finalement, plus sûr ? Selon deux sondages, l’un de l’IFOP, l’autre de BVA, publiés à l’automne 2009, les Français, malgré la crise, approuvent l’aide au développement et souhaitent mieux en connaître les résultats.

Non, monsieur le ministre, mes chers collègues, les questions de pauvreté, de santé, d’environnement et de démocratie, où qu’elles se posent, ne peuvent nous laisser indifférents ! Le développement des pays pauvres ou émergents n’est pas sans conséquence pour la France et l’Europe. Nous avons un devoir de solidarité, celui de mener une politique d’aide cohérente, juste et efficace.

Il nous faut définir, outre nos objectifs, les moyens réels mis en place pour les atteindre et présenter, ensuite, un bilan des actions menées. Comme le préconisent MM. Cambon et Vantomme dans leur rapport, il importe d’avoir « une vision claire du coût budgétaire de nos interventions dans les pays émergents ».

Je partage l’avis de la commission quand elle préconise une loi de programmation et d’orientation consacrée à l’APD adoptée à échéances régulières. Cela permettra de rendre notre aide plus lisible, plus prévisible, plus transparente !

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