Intervention de Fabienne Keller

Réunion du 4 novembre 2010 à 9h30
Débat sur la politique de coopération et de développement de la france

Photo de Fabienne KellerFabienne Keller :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, permettez-moi, à mon tour, de me réjouir de la tenue de ce débat sur le document-cadre de coopération au développement. Il fait suite à la table ronde sur le même sujet, qui a été rappelée à l’instant par Michel Guerry. Je voudrais remercier les présidents Josselin de Rohan et Jean Arthuis d’avoir organisé ces deux débats. Je salue le travail des rapporteurs Christian Cambon et André Vantomme, pour la commission des affaires étrangères, et Yvon Collin, pour la commission des finances.

Monsieur le ministre, c’est un honneur de débattre avec vous sur ces sujets du développement et de l’action humanitaire, dont vous êtes non seulement un grand spécialiste, mais aussi un acteur important !

Je centrerai mon propos sur l’objectif du développement des pays d’Afrique subsaharienne et des pays en conflits ou fragiles.

Beaucoup a déjà été dit, mais je tiens à souligner l’importance de la politique française de développement. Notre pays est le premier contributeur européen d’aide publique au développement, en volume. Malgré la crise, il a maintenu son effort de solidarité.

Néanmoins, le niveau de l’aide publique au développement demeure en deçà de l’engagement pris en 2005 lors du sommet du G8. Nous devions consacrer 0, 7 % de notre revenu national brut à l’échéance 2015 et 0, 61 % dès cette année. Or nous avons un retard de près de 0, 15 point sur l’objectif. Même si l’APD s’élève à 8, 92 milliards d’euros, nous ne sommes pas dans le profil initialement prévu, ce qui représente un « manque à aider » compris entre 600 millions d’euros et 1, 3 milliard d’euros, selon le mode d’évaluation choisi.

L’aide aux quatorze pays d’Afrique subsaharienne les plus pauvres ne représente que 9 % de l’APD. Je tiens aujourd’hui à plaider devant vous, monsieur le ministre, pour un renforcement de l’aide en faveur de ces pays particulièrement fragiles, confrontés à d’importantes difficultés, notamment une grande pauvreté.

À cet égard, je voudrais faire un certain nombre de constats.

Mme Tasca a rappelé le premier : ces pays connaissent une croissance forte, plus forte que d’autres zones du monde, mais cela masque mal une terrible réalité. Le PIB par habitant est loin de progresser aussi rapidement puisque la dynamique démographique y est très forte. La distribution à l’intérieur des groupes sociaux est très mal assurée, avec un effet de concentration de l’enrichissement sur un pourcentage très faible de la population.

Le deuxième constat pourra vous sembler très factuel, mais il est néanmoins important numériquement. Historiquement, au temps du service militaire obligatoire, environ 20 000 coopérants français – des médecins, des ingénieurs, des techniciens – intervenaient régulièrement, apportant souvent de belles compétences aux pays d’Afrique subsaharienne. Ils ne sont plus que 400 aujourd’hui.

Cela signifie, d’une part, qu’un tel apport de compétences n’existe presque plus, et, d’autre part, que la connaissance de ces pays, des défis qu’ils doivent relever, ainsi qu’un certain nombre de relations humaines et de réseaux d’amitié vont, au cours du temps, s’atténuer et progressivement disparaître.

Le troisième constat que je voudrais souligner, à la suite d’autres collègues, est le suivant : ces pays sont touchés par la double peine.

Celle-ci concerne tout d’abord le domaine écologique. Toutefois, une telle situation n’est en rien liée à leur mode de consommation, madame Tasca. Si l’électricité produite dans ces pays est peut-être plus riche en carbone, la consommation reste très modeste : l’émission de carbone d’un Africain est dix fois moins élevée que celle d’un Européen, et vingt fois moindre que celle d’un Américain ! « Décarboner » la consommation d’électricité de ces pays est un objectif louable, mais je ne pense pas que l’on puisse les culpabiliser sur le sujet.

Nous le savons tous, ce sont ces régions d’Afrique subsaharienne qui souffriront les premières – elles en souffrent d’ailleurs déjà – des effets de l’élévation de la température. Les conflits liés aux questions d’accès à l’eau et de propriété de l’eau – en général, un fleuve traverse plusieurs zones, plusieurs ethnies, plusieurs pays – en sont une illustration.

La double peine est également financière ; on l’a quelque peu oublié. Au moment de la crise financière mondiale, on a pris la mesure du fait que des pays qui n’avaient aucune responsabilité dans son déclenchement en avaient subi les effets, notamment l’augmentation des spreads, c’est-à-dire la hausse des taux d’intérêt auxquels ils avaient accès pour le refinancement, et, surtout, la difficulté à accéder aux marchés financiers au moment où la liquidité mondiale était mal assurée.

En outre, ces pays sont plus souvent qu’à leur tour victimes de catastrophes naturelles météorologiques – sécheresse, cyclone – ou sismiques.

Le quatrième constat, ce sont les difficultés liées au départ important d’une main-d’œuvre formée vers les pays occidentaux.

L’Organisation internationale pour les migrations estime à 20 000 le nombre de cadres ou de membres de professions libérales quittant l’Afrique chaque année. Un diplômé africain sur trois émigre, principalement vers l’Europe et l’Amérique du Nord. Il s’agit en général des plus diplômés.

On comprend bien que certains facteurs pèsent sur les décisions individuelles : les difficultés économiques dans le pays d’origine, les conflits, le chômage, le problème de l’accès aux soins ou à l’éducation pour les familles. Cette perte de main-d’œuvre constitue néanmoins un obstacle, une faiblesse pour le développement de l’Afrique.

Monsieur le ministre, j’ai en tête une carte des migrations des médecins vers l’Europe. Celle-ci démontre que, plus les pays sont pauvres et peu dotés en systèmes de soins, plus la migration des personnes formées dans ce domaine est importante. C’est donc un défi tout à fait prioritaire.

Alors, quelles réponses apporter ? Le rapport évoque toute une série d’axes prioritaires, que je salue.

Permettez-moi cependant de plaider ici pour un moyen, déjà évoqué mais qui n’a pas encore été mis en œuvre : la taxe sur les transactions financières à l’échelle mondiale. Le Président Sarkozy l’a soutenue, le Gouvernement la défend, en particulier votre collègue Christine Lagarde, auprès de nombreuses instances internationales.

Cette taxe permettrait de dégager des moyens à la hauteur des défis, puisque l’on évalue sa recette annuelle potentielle à 30 milliards de dollars par an. Certes, elle serait compliquée à mettre en place, puisque tous les pays de la planète devraient accepter de la mettre en œuvre.

Cela étant, je tiens à souligner ici tout l’intérêt d’un tel dispositif.

Je mentionnerai également quelques points positifs au sujet de la coopération.

Je veux souligner la qualité de la coopération décentralisée mise en œuvre par des mairies, des départements, des régions, dont les actions, qui permettent d’établir des relations humaines autour de projets concrets…

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