Intervention de Bernard Kouchner

Réunion du 4 novembre 2010 à 9h30
Débat sur la politique de coopération et de développement de la france

Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes :

Je commencerai en évoquant le document-cadre de coopération au développement.

À ce propos, j’ai bien noté votre remarque à propos d’une éventuelle loi d’orientation, madame Lepage ; j’y reviendrai.

Mesdames, messieurs les sénateurs, c’est la première fois que nous nous trouvons devant une vision d’ensemble ; cependant, si celle-ci est assez précise, elle reste insuffisante dans ses développements.

Je reprendrai simplement l’exemple souligné par les rapporteurs. Tout le monde se demande pourquoi n’est pas mis en place un audit permanent, c’est-à-dire pourquoi n’est pas proposée une évaluation – elle serait sans doute critique – des résultats de notre aide au développement. Mais un tel travail est très difficile à mener ! Qui l’a déjà fait ? Personne !

Bien sûr, pour les ONG – je les salue toutes –, qui se concentrent sur des actions très précises au contact de la population, madame Keller, un tel travail est plus facile à mettre en place et, d’ailleurs, d’autant plus méritoire.

En revanche, concernant la politique en général, les aides, nous n’avons pas toujours la possibilité de quantifier ; par exemple, nous ne pouvons pas évaluer le nombre de malades sous antirétroviraux, contrairement au Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme. Le plus souvent, compte tenu de la façon dont les politiques d’aide au développement sont appliquées, il est bien difficile d’en mesurer immédiatement les résultats au moyen de critères objectifs, avec un crible qui serait suffisamment précis pour être accepté par tous.

Nous allons nous atteler à cette tâche. Dans le document-cadre sont évoqués des audits externes et des rapports croisés. Comme l’ont justement noté MM. Cambon et Vantomme, il faudrait bien entendu pouvoir comparer, additionner les aides au développement portant sur plusieurs sujets et théoriquement regroupées dans différents bilans. Sont-elles complémentaires ou, au contraire, contradictoires ? De telles opérations sont très difficiles à réaliser.

Nous allons essayer de nous y employer pour les aides versées à compter de l’année 1998. Une telle évaluation est d’ailleurs beaucoup plus facile à faire concernant les aides versées dans le passé ; cela reste cependant très insuffisant, j’en suis pleinement conscient.

Un tel travail est cependant tout à fait indispensable. Il a été fait allusion à des sondages qui montrent que les Français, dans une période difficile, sont favorables à l’aide au développement. Quand on pose à nos compatriotes des questions précises, le résultat est néanmoins un peu différent : s’ils approuvent effectivement l’aide au développement, ils expriment également leur volonté de connaître les résultats obtenus en la matière, ce que je comprends tout à fait.

Le président de la commission vient de le souligner, il est essentiel de communiquer sur un tel point ; mais cela n’a jamais été fait, sauf en matière de santé publique, où les indicateurs sont, parfois, sur des domaines très précis, relativement fiables.

Pour en revenir à ce que je disais tout à l’heure, je vous remercie, madame Lepage, d’avoir évoqué l’éventualité d’une loi d’orientation.

Sur le principe, je n’y suis pas opposé. Mais comment faire face à l’évolution de la conjoncture économique si nous fixons des directions et des pourcentages précis ? Je me méfie donc quelque peu des lois d’orientation, d’autant qu’elles évoluent elles-mêmes en fonction des circonstances. Je ne suis pas certain que l’on puisse adopter une telle loi applicable sur dix ans. Néanmoins, cela nous donnerait l’occasion de débattre, comme nous le faisons en ce moment. Il faut y réfléchir.

Je suis d’accord avec vous, monsieur Cambon, lorsque vous dites que notre démarche ne doit plus être seulement caritative. Pour autant, en cas de besoin, le caritatif, ce n’est pas si mal !

J’ai longtemps été très hostile, puis très favorable, puis plus nuancé, sur la question des aides ponctuelles. Lorsqu’il y a une urgence, il faut y répondre, et les ONG savent très bien le faire.

Vous dites également qu’il n’y a jamais assez d’argent pour les ONG. Mais où le prend-on ? Il vient bien de quelque part ! Nous devons participer au financement des ONG, tout en leur laissant la possibilité de formuler des critiques et d’être indépendantes.

Au Centre de crise du ministère des affaires étrangères et européennes, nous ne travaillons qu’avec des ONG ! C’est tout à fait nécessaire lorsqu’il s’agit de répondre à des situations d’urgence et de mener des actions caritatives. D’ailleurs, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous invite tous, comme je l’ai déjà fait en commission, à venir voir comment ce centre fonctionne, en liaison avec les ONG, comment l’aide est distribuée, comment des rapports humains se nouent et des contacts permanents s’établissent entre le Centre de crise, ces ONG et la population locale.

J’ai aussi bien noté cette observation selon laquelle mieux valait travailler avec les Africains eux-mêmes qu’avec leurs gouvernements. Il faut faire les deux ! Les chiffres nous indiquent que beaucoup d’argent s’évapore…

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