Intervention de Bernard Kouchner

Réunion du 4 novembre 2010 à 9h30
Débat sur la politique de coopération et de développement de la france

Bernard Kouchner, ministre :

… cela se saurait ! Ce serait alors, le plus souvent, des entreprises nationales. S’il peut y avoir, ici ou là, des adaptations envisageables, les appels d’offre demeurent la règle. Les entreprises françaises doivent se montrer compétitives, ce qui n’est pas toujours le cas.

Les exemples fournis à propos du Soudan et du Niger le prouvent. Vous n’ignorez pas, monsieur Guerry, que c’est Total qui a refusé de s’installer au Niger, du fait d’une situation politique dangereuse. De même, le Soudan n’était pas facile d’accès, en particulier le sud de ce pays. Il y avait pourtant des opportunités historiques à saisir ! D’ailleurs, notre entreprise pétrolière s’implante de nouveau dans ces régions. Mais elle doit désormais faire face à la concurrence chinoise. Qui pourrait reprocher aux entreprises chinoises de s’être implantées sur ce marché ?

Madame Tasca, vous avez fait preuve d’un grand optimisme quant à l’évolution du continent africain. Je partage votre sentiment. La tendance générale, comme les chiffres que vous avez cités, semblent confirmer cette évolution positive, dont nous devons tenir compte. Vous avez souligné l’expertise de la France. Même si elle est quelque peu datée et qu’elle s’éloigne des réalités de l’Afrique, nous devons la mettre en avant, en proposant à nos amis chinois, turcs et britanniques de bâtir autant que possible des offres communes. C’est la seule façon d’agir. Il existe d’ailleurs, en matière de développement, un groupe franco-chinois qui se réunit très régulièrement.

J’ai apprécié les propos que vous avez tenus sur le thème du codéveloppement et de l’immigration. Malheureusement, la pauvreté, l’emprise de la tradition et les marchands d’esclaves n’attendent pas. Codéveloppement et maîtrise du flux migratoire ne sont pas toujours corrélés. Les migrants tentent leur chance, même lorsqu’on leur soutient qu’en développant leur pays ils n’auront pas à essayer, au péril de leur vie, de gagner les pays riches. Eh oui !

Je suis évidemment favorable à équilibrer le plus possible codéveloppement et immigration. Mais, en réalité, il y a tous les jours des gens qui frappent à la porte des pays riches, qui franchissent la mer Méditerranée au péril de leur vie, et qui meurent. Les migrants n’empruntent pas nécessairement le détroit de Gibraltar. Bien souvent, ils viennent de beaucoup plus loin. Demandez à nos amis grecs combien ils en accueillent chaque jour ? Il en résulte un « trafic » effrayant, qu’il convient d’endiguer.

Je reprends vos exemples, monsieur Guerry. Vous vous dites partisan d’un dialogue entre le Tchad et le Soudan. C’est évident ! Je suis d’ailleurs plutôt satisfait des avancées dans ce domaine. Les accords de Doha seront-ils acceptés par tous ? Je ne sais pas. Mais il est clair qu’un certain nombre de pays ne respectent pas les règles et continuent de fournir des armes aux pays en développement. Vous l’avez d’ailleurs souligné.

Pour ce qui est du Niger, l’uranium suffira-t-il ? Je l’ignore. La situation que nous affrontons autour des mines d’uranium n’est pas simple. Nous sommes particulièrement attentifs à tout ce qui serait susceptible de protéger nos populations. Nos ressortissants ont d’ailleurs été évacués, comme vous le savez, d’une « zone rouge », définie comme très dangereuse. Nous y reviendrons.

Lors de la réunion du CICID qui s’est tenue en 2009, il a été exigé une révision de nos indicateurs bilatéraux. Nous avons d’ailleurs confié à l’inspection générale des finances le soin d’évaluer nos contributions bilatérales et multilatérales. Les conclusions de cette mission devraient nous parvenir dans les semaines qui viennent.

Madame Lepage, nous nous efforçons de répondre à l’objectif de 0, 7 % du RNB en 2015. J’ignore si nous y parviendrons, même si je le souhaite ardemment. Notre aide au développement équivaut aujourd’hui à 0, 49 % du RNB, et nous devrions atteindre 0, 51 % l’année prochaine.

Vous avez évoqué, madame, les moyens de développer la formation. Je voudrais vous faire part d’un chiffre souvent méconnu : il y a, en France, près de 22 000 étudiants chinois, dont la formation, intégrée à la politique de développement, coûte chaque année 100 millions d’euros. C’est là un effort considérable, qui ne concerne que les étudiants chinois. Mais on accueille bien sûr des étudiants étrangers d’autres nationalités, notamment africaines, dans nos universités et nos écoles !

Vous avez fait allusion à ces sondages qui font état de la volonté des Français de renforcer l’aide au développement, ce dont je me réjouis. Ce sont tout de même eux qui la financent ! Mais il faudra leur rappeler cette intention initiale dans les années à venir.

Madame Keller, vous avez souligné l’évolution, très positive, de l’aide au développement. Je vous en remercie.

Dans les pays africains, qui représentent 60 % de nos efforts, nous menons des entreprises beaucoup plus proches des populations. Je l’ai dit, la tendance générale est en effet à se dégager, autant que possible, des gouvernements. Sans les mépriser, en les acceptant tels qu’ils sont, nous essayons de nous approcher au plus près des collectivités, des hommes et des femmes.

Certes, ce n’est pas toujours possible. En effet, il n’y a pas toujours d’ONG locale susceptible de relayer notre aide. Dans ce cas, nous travaillons avec des ONG françaises ou internationales, même si ces dernières sont généralement plus proches des gouvernements centraux et des ministères. Vous connaissez les chiffres : près de 40 % de l’aide s’évapore ! Ce chiffre est évidemment une moyenne, et cette évaporation ne sévit pas dans tous les pays.

Je voudrais maintenant insister sur la formation professionnelle. Vous avez évoqué le cas, en Afrique, de personnes qualifiées, notamment des médecins, qui gagnent les pays riches pour y exercer leur profession. C’est un fait ! Mais nous venons de mettre en place, aujourd’hui avec le Sénégal et demain avec le Maroc, une formation professionnelle, d’une durée de trois ans, qui s’appuie sur les fédérations professionnelles et le réseau de coopération. Elle semble bien fonctionner jusqu’à présent.

Au lieu d’accorder des bourses pour des cursus universitaires n’offrant pas de débouché particulier en Afrique – cela demeure bien entendu possible -, nous prenons en compte les besoins professionnels exprimés par les entreprises locales. Ces trois ans de formation accompagnée par les fédérations professionnelles fonctionne bien au Sénégal, premier pays concerné par ce dispositif. Nous entendons l’étendre.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je ne reviendrai pas sur la question des transactions financières. Je vous suis très reconnaissant de ce débat. Grâce au président de Rohan et à la commission des affaires étrangères, nous avons pu, les uns et les autres, et surtout moi, tirer profit de ces critiques, extrêmement positives.

Certes, 9 milliards d’euros, ce n’est pas suffisant, mais c’est tout de même considérable ! Nous n’avons pas à rougir de la position française en matière d’aide au développement, même s’il faut aller toujours plus loin dans ce domaine.

En effet, la France est, cette année, le deuxième contributeur mondial d’aide au développement. Certes, ce ne sera plus le cas l’an prochain, mais nous n’avons pas à rougir de notre rang au sein des pays européens, même s’il faut saluer l’effort de la Grande-Bretagne qui, en dépit d’une situation économique toujours difficile et d’une réduction de 25 % du budget du Foreign Office, a maintenu son aide. Je préférerais bien évidemment que nous puissions augmenter notre aide. Mais ce débat a montré que, dans ce domaine, nous n’étions pas les moins efficaces !

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