Intervention de Daniel Raoul

Réunion du 4 novembre 2010 à 15h00
Débat sur les effets sur la santé et l'environnement des champs électromagnétiques

Photo de Daniel RaoulDaniel Raoul, au nom de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques :

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je prends aujourd’hui la parole devant vous à la fois en tant que vice-président de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, l’OPECST, et en tant qu’auteur du rapport dont nous allons débattre.

En effet, notre collègue Jean-Claude Etienne, qui était encore il y a peu premier vice-président, a été nommé au Conseil économique, social et environnemental et a quitté la Haute Assemblée. Qu’il me soit permis ici de lui rendre brièvement hommage.

Auteur de plusieurs rapports, notamment sur les thématiques médicales, il aura marqué nos débats et nos travaux par ses développements qui, s’ils n’étaient pas marqués par la brièveté - et c’est un euphémisme ! - étaient toujours nourris par un savoir encyclopédique et une volonté de précision scientifique. Il les émaillait, en outre, de traits d’humour dont il était souvent la première victime.

Frappé par un grave accident de santé, il nous avait impressionnés par sa volonté de retrouver la totalité de ses facultés et de reprendre son travail parlementaire au service de nos concitoyens.

Le professeur Etienne, je le sais, s’était fait une joie de participer pour la première fois, au nom de l’Office, à la conférence des présidents, à l’invitation de M. Gérard Larcher, pour la programmation des travaux de contrôle.

L’inscription à l’ordre du jour de nos séances d’une question orale avec débat répond à la fois au souhait du président et du bureau du Sénat d’intégrer les activités des délégations parlementaires dans la politique générale de contrôle et d’évaluation de notre Haute Assemblée et au souci que nous avons, sous la direction de notre collègue député Claude Birraux, président de l’Office, de donner plus d’écho à nos travaux, en permettant au Gouvernement de prendre position tant sur les propositions adoptées par notre délégation que sur des problèmes d’ordre scientifique ou technologique, comme cela a été le cas, le 17 juin dernier, avec les nanotechnologies.

Le sujet qui retient aujourd’hui notre attention est en débat surtout dans les départements de la Manche et de la Mayenne, où il existe un projet de construction d’une ligne à très haute tension, la ligne Cotentin-Maine. C’est aussi un sujet de questionnement, voire d’inquiétude dans beaucoup de lieux traversés par ces lignes. Nos concitoyens se demandent s’ils peuvent, sans risque, habiter ou mener une activité agricole à leur proximité.

L’Office a donc été saisi par la commission de l’économie de notre assemblée d’une question très concrète pour de nombreux Français afin d’y apporter une réponse aussi précise et informée que possible. C’est la mission qui m’a été confiée.

Pour y parvenir, ma démarche s’est appuyée sur plusieurs piliers qui caractérisent les travaux de l’Office.

J’ai voulu, malgré mon passé professionnel, aborder le sujet sans a priori, quoique sans naïveté, et ai cherché à entendre toutes les opinions. Je suis allé rencontrer en Mayenne l’ensemble des protagonistes : élus locaux, professionnels agricoles, responsables d’associations et de syndicats, citoyens engagés, sans oublier RTE, Réseau de transport d’électricité, et les représentants de l’État.

J’ai également fondé mon enquête sur les informations scientifiques les plus fiables et les plus récentes, c’est-à-dire les publications validées par les pairs et les experts reconnus par tous pour leur compétence sur le sujet, sans pour autant exclure de mon analyse les opinions divergentes, même si elles sortent du consensus scientifique international en la matière. Les auditions n’ont d’ailleurs pas concerné que les «sciences dures ». Je les ai volontairement élargies, comme cela est de plus en plus fréquent à l’OPECST, aux sciences de l’homme et de la société, ce qui a été extrêmement instructif.

Sur ce sujet difficile, j’ai aussi souhaité avoir une démarche éthique. En effet, ma responsabilité de parlementaire est à la fois de rechercher l’intérêt général et de proposer la meilleure voie pour ce faire, mais cet objectif ne doit pas toujours nous faire basculer vers un utilitarisme froid, un rapport coût-avantage déshumanisé.

Quand il y a lieu de craindre qu’une vie humaine puisse être en danger, on se doit d’y accorder la plus grande importance. Sur ce sujet débattu, où beaucoup d’éléments inexacts circulent, une démarche éthique et scientifique consistait également à expliquer ce que l’on croit savoir avec certitude tout en ne dissimulant aucune inconnue ou incertitude.

Grâce à cette démarche rigoureuse, j’espère que l’Office a répondu à la saisine de la commission de l’économie, mais aussi aux attentes de nos concitoyens en proposant un diagnostic clair et des propositions responsables.

Ce diagnostic, quel est-il ? Quelles sont les conclusions de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques ?

Elles sont de trois ordres différents. Les premières portent sur le réseau et les champs électriques et magnétiques. Les deuxièmes sont consacrées aux effets mêmes de ces champs sur l’homme et l’environnement. Les troisièmes ont trait à l’amélioration du dialogue autour des ouvrages électriques et tentent de tirer les leçons des recherches en sciences humaines et sociales.

Le premier constat est que la France dispose du plus important réseau de lignes à haute et très haute tension d’Europe, soit près de 100 000 kilomètres.

Cet important réseau est le fruit de l’histoire, et le fruit d’une histoire politique. En effet, notamment sous le Front populaire et encore plus nettement à la Libération, s’est manifestée la claire volonté de faire du réseau de distribution d’électricité un bien et un service public national.

C’est toujours le cas aujourd’hui. Avant même le développement du parc nucléaire, la France était dotée de l’un des plus importants réseaux du monde. Le développement du parc d’énergie nucléaire, la mise en place d’interconnexions entre le nord et le sud de l’Europe et l’augmentation de la demande d’électricité qui accompagne la croissance de l’économie n’ont fait que renforcer le caractère stratégique du réseau et sa montée en puissance.

Ce réseau va continuer à se développer - c’est une nécessité économique et sociale -, car il continue de répondre à une demande qui évolue en quantité comme en qualité, mais aussi en termes de répartition géographique. Il doit, en outre, continuer d’accompagner le développement de la production, sous un aspect tout particulier aujourd’hui, le raccordement des centrales de production éoliennes et solaires.

Le réseau continue également de répondre à plusieurs exigences techniques et économiques fondamentales. L’électricité, qui n’est pas un produit comme les autres, ne peut pas être stockée. Elle ne peut, à un horizon prévisible, être produite dans des quantités importantes et compatibles avec la gestion du réseau que de manière centralisée et, donc, dans des lieux nécessairement éloignés de certaines zones de consommation.

Enfin, le réseau doit garantir, par sa redondance, la sécurité de l’approvisionnement des populations. Nous nous sommes rendu compte l’hiver dernier combien la situation de « péninsule électrique » pouvait être problématique pour la Bretagne ou la région Provence-Alpes-Côte d’Azur. Nous avons également mesuré combien étaient nécessaires les interconnexions européennes pour faire face aux pics de demande et pour éviter les délestages, voire une rupture du réseau.

Notre réseau correspond donc à un choix politique ancien et de long terme. Il continue d’être pleinement pertinent par rapport à nos objectifs de développement économique et social, même si son impact sur le paysage est aujourd’hui plafonné puisque RTE, le gestionnaire public du réseau, s’est engagé auprès de l’État, dans son contrat de service public, à ne pas étendre le réseau aérien et à compenser toute construction nouvelle par l’enfouissement de lignes anciennes.

Outre leur inconvénient paysager, ces lignes à haute et très haute tension sont, depuis 1979, mises en cause pour leur impact sur la santé humaine et l’environnement.

Plus exactement, ce sont les champs électriques et magnétiques à très basse fréquence, soit 50 hertz dans notre pays, qui sont incriminés.

Il faut, tout d’abord, bien comprendre que cette incrimination, que l’on retrouve dans l’expression commune de « champs électromagnétiques », est, pour le moins, abusive.

En effet, si un téléphone portable ou une antenne-relais peut émettre un champ électrique et magnétique combiné, c’est-à-dire une onde électromagnétique, tel n’est pas le cas d’une ligne électrique. À 50 hertz, à très basse fréquence, ces deux champs sont distincts. Ils doivent être examinés séparément.

Ce point est important, car, comme nous le verrons, pour la santé humaine, c’est le champ magnétique qui est incriminé, et non le champ électrique, sauf rupture du câble et électrocution, tandis que, pour les élevages et la santé animale, ce sont plutôt des problèmes électriques qui sont identifiés.

Autre distinction pour ces lignes et cette fréquence, le module du champ électrique est constant, tandis que l’intensité du champ magnétique va varier en fonction de la charge de la ligne et, donc, de la consommation d’électricité selon l’heure du jour ou la saison.

Un autre point important est de savoir que les lignes électriques sont loin d’être les seules émettrices de champs magnétiques dans notre environnement quotidien. Un très grand nombre d’appareils ménagers – quelquefois insoupçonnés – peuvent être des sources intermittentes non négligeables. À tel point d’ailleurs qu’une étude canadienne portant sur des coiffeuses professionnelles à Montréal a pu montrer que leur exposition du fait de l’usage intensif de sèche-cheveux dépassait les normes fixées pour les professionnels !

L’exposition générale de la population aux champs magnétiques reste cependant mal connue. Des études récentes ont été conduites en France sous l’égide de l’AFSSET, l’Agence française de sécurité sanitaire de l’environnement et du travail, et de l’école Supélec. Elles ont eu plutôt tendance à attirer l’attention sur des sources domestiques, comme les radios-réveils, sur d’autres sources continues, comme les lignes de chemin de fer, ou encore sur des sources importantes et occasionnelles, comme les portiques électroniques des magasins, sans parler des chauffages électriques par le sol.

Plus généralement, hors radios-réveils, les études récentes montrent que les enfants sont nettement moins exposés que les parents, car ils prennent moins les transports en commun, mais que les rares cas d’exposition supérieure s’expliquent par une exposition résidentielle liée aux lignes électriques ou de chemin de fer au domicile et à l’école.

Si les lignes électriques ont retenu l’attention, c’est qu’il s’agit de la source continue la mieux identifiée dans l’espace et dans le temps.

En ce qui concerne la mesure de l’exposition de la population française au champ magnétique émis par les lignes à haute et très haute tension, la référence est une étude qui a été réalisée en Côte-d’Or, en 2004, sur 240 foyers environ.

Sur la base de cette étude, on estime généralement que 375 000 Français pourraient être soumis à un champ supérieur ou égal à 0, 4 microtesla, un seuil qui est évoqué par certaines études épidémiologiques comme pouvant poser un problème pour la santé des plus jeunes enfants ; j’y reviendrai. Cette évaluation de la « population exposée » est essentielle, car elle sert de base aux calculs de risques de déclenchement de maladies éventuelles.

En la matière, la préconisation de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques est de développer la connaissance réelle de l’exposition de la population française aux champs magnétiques. Ce ne sont pas simplement les lignes à haute ou très haute tension qui devront être explorées.

Ces premiers éléments sont importants pour comprendre les conclusions et les propositions centrales du rapport, celles qui portent sur la santé humaine et l’environnement.

En matière de santé humaine, je vous rassure, mes chers collègues, la conclusion majeure du rapport est que nous avons toutes les raisons d’être rassurés sur l’impact éventuel des champs magnétiques et électriques à très basse fréquence.

Un consensus international s’est dégagé sur ce sujet et s’est exprimé dans divers rapports d’expertise de l’Organisation mondiale de la santé, l’OMS, de l’Union européenne et, en France, des organes compétents – le Conseil supérieur d’hygiène publique de France, le CSHPF, et l’ancienne Agence française de sécurité sanitaire de l’environnement et au travail, l’AFSSET.

De ces documents, on peut tirer plusieurs conclusions.

Premièrement, les champs électriques d’extrêmement basse fréquence et les champs magnétiques statiques n’ont pas d’impact sur la santé.

Deuxièmement, pour les champs magnétiques alternatifs d’extrêmement basse fréquence, c’est-à-dire du 50 hertz, les effets à court terme sont exclus tant que les normes internationales d’exposition instantanée de la population – 100 microteslas à 50 hertz – sont respectées.

Troisièmement, sur le long terme, presque tous les effets possibles sont aujourd’hui exclus, sauf dans trois domaines, qui sont, par niveau croissant de préoccupation : l’électrohypersensibilité, ou EHS, certaines maladies neurodégénératives et certaines formes de leucémie de l’enfant.

Les lignes électriques à haute et très haute tension peuvent être mises en cause, au même titre que les antennes- relais ou le WiFi, dans l’hypersensibilité électromagnétique.

Nous savons encore peu de chose de ce syndrome. Cependant, il s’agit non pas d’une maladie objectivement diagnostiquée par un médecin mais d’un syndrome autodéclaré. Ce n’est pas le médecin qui diagnostique la maladie, c’est le patient qui se déclare « malade » ; cet état est donc subjectif, même si certaines personnes peuvent être confrontées à un profond mal-être et à de réelles souffrances, que je ne nie pas.

Nous savons également que les tests scientifiques en double aveugle n’ont pas pu mettre en évidence de lien de cause à effet.

Face à cette situation, il nous faut tout de même prendre au sérieux les malades et leurs souffrances, et prendre en charge les personnes pour leur proposer une solution thérapeutique.

C’est la solution que j’ai soutenue auprès de Mme la ministre de la santé. J’ai été heureux d’apprendre que la remise de mon rapport avait coïncidé avec la décision de financer la mise en place d’un programme de recherche initié par le professeur Choudat.

Celui-ci, s’appuyant sur un réseau national de consultations pour pathologies professionnelles, pourra proposer une prise en charge pluridisciplinaire aux personnes se déclarant électrohypersensibles et diffuser l’information utile auprès des médecins de ville.

L’hypothèse principale émise par ce professeur est que, dans la grande majorité des cas, il s’agirait d’une intolérance environnementale idiopathique liée à un événement ou à un choc. Ce médecin proposera donc aux patients une objectivation de leur exposition et de leurs symptômes en leur confiant un appareil de mesure portatif et entamera un processus de désensibilisation. Cette démarche est d’ailleurs analogue à celle qui prévaut pour le traitement de l’agoraphobie ou de ce type d’hypersensibilité.

Le deuxième sujet de préoccupation pour la santé est l’hypothèse selon laquelle les champs magnétiques émis favoriseraient certaines maladies neurodégénératives, comme la maladie d’Alzheimer et la démence sénile. Toutefois, ni la sclérose latérale amyotrophique, ou SLA, ni la maladie de Parkinson ne seraient impliquées.

Cette hypothèse de recherche a été soulevée par plusieurs études récentes portant, d’une part, sur des professionnels – les conducteurs de train suisses – et, d’autre part, sur des populations résidant auprès des lignes – les résidants de maisons de retraite – et mettant en évidence un lien dose-effet entre l’exposition et le déclenchement des maladies.

Les experts français et européens ne sont pas en accord pour estimer le niveau de risque. L’opinion de l’Office a été de se rapprocher des experts européens, c’est-à-dire de ne pas négliger le risque, car les études publiées, si elles n’ont qu’un pouvoir probant limité, portent néanmoins sur des populations professionnelles et mettent en évidence la possibilité d’une relation dose-effet, deux éléments induisant la nécessité d’une vigilance.

Il faut ajouter que ces pathologies sont communes et pourraient donc concerner un très grand nombre de personnes.

J’ai d’ailleurs cherché à savoir ce qu’il en était en France.

La RATP m’a apporté une réponse très satisfaisante, puisqu’une importante étude épidémiologique a été réalisée dans cette entreprise. Elle s’est révélée totalement négative ; il faut dire toutefois que la RATP utilise du courant continu.

En revanche, la SNCF ne m’a pas fourni la réponse que j’espérais et je souhaite vivement qu’elle entreprenne la démarche nécessaire avec les scientifiques compétents pour mener une étude similaire.

Sur ce deuxième sujet, la préconisation de l’Office est la vigilance et la nécessité de mener des recherches pour vérifier si cette hypothèse mérite une attention plus grande.

Le troisième sujet de préoccupation est de très loin le plus important : il s’agit d’un possible lien entre les champs magnétiques d’extrêmement basse fréquence émis par les lignes électriques à haute et très haute tension et certaines leucémies aiguës des jeunes enfants qu’ils favoriseraient.

Cette hypothèse a commencé à être discutée en 1979. Depuis cette date, un très grand nombre d’études ont été réalisées sans toutefois aboutir à une conclusion certaine.

Aujourd’hui, ce risque est classé « 2B » par le Centre international de recherche sur le cancer, le CIRC, l’organe compétent de l’OMS. Cette classification signifie qu’il s’agit d’un « cancérogène possible ».

La décision a été prise en 2002 sur la base des études épidémiologiques qui ont été jugées suffisamment consistantes, sans toutefois apporter la preuve d’une relation de cause à effet. L’auteur lui-même remettait en cause les conclusions de son étude.

L’OMS a également constaté dans le même temps que les études in vivo et in vitro n’apportaient aucune confirmation à l’épidémiologie – au contraire – et que ces champs magnétiques alternatifs d’extrêmement basse fréquence ne pouvaient pas être classés dans le sous-groupe 2A – les « cancérogènes probables » – ou dans le groupe 1 – les « cancérogènes certains » pour l’homme.

Il faut également tenir compte de ce que la catégorie 2B est extrêmement large, puisqu’elle regroupe à la fois le café et la chlordécone.

Cette classification, qui date maintenant de près de dix ans, n’a pas été remise en cause et a été plutôt confirmée – sans toutefois conduire à une élévation passant éventuellement du niveau 2B au niveau 2A – par les rapports d’expertise et les publications scientifiques intervenues depuis lors aussi bien au niveau international qu’en France.

Nous sommes donc bien face à un risque. Mais quelle est son importance ?

Ces leucémies sont fort heureusement des maladies rares et dont le taux de guérison est relativement élevé – il est de l’ordre de 80 %. Elles touchent essentiellement les enfants de 0 à 6 ans, avec un pic à 3 ans. On a dénombré 6 640 cas entre 1990 et 2004.

Les causes de ces maladies sont multifactorielles et il y a beaucoup d’inconnues. Les champs magnétiques, s’ils étaient impliqués, n’en seraient qu’une des causes et n’expliqueraient pas tous les cas constatés.

En France, on estime que seulement 2 % des enfants malades pourraient être exposés à des champs magnétiques supérieurs à 0, 3 microtesla. Parmi ceux-ci, seul un quart serait soumis à ces champs du fait des lignes à haute et très haute tension. Comme je vous le disais, il y a d’autres sources potentielles.

Ainsi, compte tenu de ce que l’on sait sur l’exposition de la population française, de 0, 5 cas à 3 cas par an pourraient s’expliquer par les lignes électriques, soit une mortalité annuelle inférieure ou égale à 1.

Nous sommes donc face à un risque scientifiquement possible avec une très faible occurrence.

Je n’ai toutefois pas voulu, comme cela s’est fait au Royaume-Uni, le balayer au regard d’une simple relation coût-avantage : éviter un tel risque serait beaucoup trop coûteux par rapport à d’autres risques, plus élevés et moins difficiles à réduire – par exemple, les accidents mortels de la circulation.

J’ai estimé que nous devions considérer pleinement l’inquiétude légitime des familles et la possibilité que les lignes électriques soient une cause certes très faible, mais récurrente, de mortalité pour quelques enfants.

J’ai donc proposé à la fois de poursuivre et d’approfondir les recherches pour, dans toute la mesure du possible, lever les doutes qui existent aujourd’hui, ou les confirmer.

J’ai ensuite proposé, dans un cadre temporel limité – cinq ans avant d’obtenir de nouveaux résultats scientifiques – de prendre une mesure de prudence à caractère non obligatoire. Cela signifie que, au niveau local, en fonction des possibilités concrètes, il convient d’éviter d’accroître la population des enfants de moins de 6 ans soumis au cours de l’année à un champ supérieur ou égal à 0, 4 microtesla en moyenne.

Pour formuler cette préconisation prudentielle, je me suis appuyé sur des recherches de législation comparée réalisées par le service des études juridiques du Sénat, qui a mis en lumière qu’un dispositif similaire avait été retenu aux Pays-Bas.

En revanche, j’ai exclu toute mesure obligatoire de couloirs de protection avec une distance déterminée, ce qui est à la fois trop contraignant, trop coûteux et mal fondé scientifiquement, en tout cas tel que cela avait été préconisé par l’AFSSET. C’est l’une de nos divergences avec le rapport de l’Agence.

Madame la secrétaire d’État, je souhaiterais savoir quelles décisions vous allez prendre à ce sujet à la lumière des travaux de l’AFSSET, du rapport de l’OPECST et du rapport que vous avez demandé aux conseils généraux du ministère et dont les conclusions ne nous sont pas encore parvenues.

Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, j’en viens maintenant au second volet de ce rapport – rassurez-vous, mon intervention sera plus brève que sur le volet précédent – : l’impact sur l’environnement.

En la matière, nous pouvons avancer en terrain plus connu.

De nombreuses études ont été réalisées en Amérique du Nord, où la question a pris par le passé une grande importance, et en Scandinavie.

Toutes ces études conduites sur la faune et la flore sauvage ou cultivée aboutissent au résultat que presque aucun effet n’est perceptible en raison du champ magnétique ou du champ électrique, y compris avec des lignes d’une tension de près de 1 million de volts.

Cela ne veut pas dire pour autant que l’on sache tout sur le sujet. J’ai eu le sentiment que de nombreux travaux scientifiques pouvaient être conduits pour approfondir les connaissances.

Ainsi, concernant la France, j’ai demandé à RTE d’approfondir la coopération existant avec les chasseurs, les apiculteurs et de nombreux autres acteurs par des partenariats scientifiques.

Par exemple, des études récentes ont montré que les lignes aériennes pouvaient provoquer un effet de lisière, de réserve et de trame très bénéfique pour la flore. Mais on ne dispose pas des données relatives à un état initial qui pourraient nous permettre d’effectuer une comparaison.

De même, les pylônes servent souvent de nichoirs à des espèces de valeur, comme les rapaces ou les cigognes, mais nous manquons de données scientifiques d’ensemble.

En matière d’apiculture, si des ruches sont installées sous les lignes, il serait intéressant de pouvoir en faire le suivi selon un protocole scientifique.

Plus généralement, j’ai proposé que RTE, EDF et ERDF fassent émerger un organe large de dialogue et de recherche sur l’impact des lignes sur l’environnement sauvage, dont le noyau pourrait être le Comité national avifaune, qui, aujourd’hui, ne s’intéresse qu’à la mortalité aviaire et ne réunit que quelques protagonistes.

Cela étant, les difficultés rencontrées en relation avec les lignes électriques sont essentiellement apparues dans des élevages bovins laitiers. Les problèmes, consultations et demandes d’information répertoriés depuis 1998 sont au nombre de 24 pour la France entière. Nous ne sommes donc pas face à un grand problème vétérinaire national.

Ces difficultés sont d’ailleurs bien connues depuis la publication du rapport Blatin-Benetière en 1997. Elles sont dues à des courants parasites liés soit à des phénomènes d’induction électrique ou magnétique, soit à des courants de fuite à proximité d’installations électriques en raison principalement de défauts de mise aux normes ou de mise à la terre des installations.

Si les causes sont connues, elles ne sont pas pour autant aisées à diagnostiquer et le problème n’est pas facile à résoudre. C’est un véritable travail de spécialistes. Il doit être accompli aussi bien d’un point de vue vétérinaire que d’un point de vue électrique.

C’est pour cette raison qu’existe, depuis 1998, le GPSE, le Groupe permanent de sécurité électrique, chargé d’un travail d’information, de prévention, de recherche et de résolution des cas litigieux, qui a été très bénéfique.

Le rôle du GPSE doit, aujourd’hui, être éclairci et renouvelé. J’espère que vous pourrez, madame la secrétaire d’État, nous apporter, au nom de votre collègue de l’agriculture, toute la lumière utile.

L’Office a constaté que l’État n’était plus assez engagé dans le GPSE, dont le financement est assuré pour l’essentiel par RTE ; cela pose des problèmes évidents.

Ces difficultés sont d’autant plus aiguës qu’il n’y a plus de séparation entre le GPSE « national », chargé de la recherche, de l’information et de la prévention, et des comités « locaux » chargés de traiter les cas litigieux sous l’autorité du préfet, comme cela avait été imaginé en 1997. RTE peut donc apparaître comme « juge et partie ». Cette impression est renforcée par le fait que l’intervention du GPSE est conditionnée par l’acceptation, de la part de l’agriculteur, d’un protocole « secret » aux termes duquel il s’engage à abandonner toute poursuite à l’encontre de RTE...

J’ai donc préconisé que le GPSE soit prolongé, car telle est la demande des professionnels de l’agriculture et de RTE, mais qu’il soit renouvelé dans ses modalités de fonctionnement : un plus grand formalisme et une responsabilité de l’État mieux identifiée, un réinvestissement dans l’information et la pédagogie par le développement d’un site internet, désormais en ligne, et une intervention locale transparente assurant le développement des bonnes pratiques et excluant tout soupçon de collusion.

Dans ces conditions, je suis convaincu que le GPSE pourra poursuivre sa tâche de sécurisation électrique et verra sa crédibilité renforcée pour résoudre les cas les plus complexes.

Ces questions relatives à la santé et à l’environnement autour d’ouvrages technologiques majeurs, comme les lignes à haute et très haute tension, posent directement le problème de la relation de notre société avec la science.

Cette relation est désormais de plus en plus difficile. Il y a une véritable perte de confiance vis-à-vis des experts et des hommes de science, qui dépasse ce que nous avons connu par le passé. Cette césure, qui s’exprime beaucoup plus vivement en matière de plantes génétiquement modifiées ou de nanotechnologies, doit être comprise pour être résolue.

Pour cela, les recherches conduites par les sociologues, les philosophes ou les historiens nous aident grandement. Ils ont pu mettre en lumière, ces dernières années, qu’il nous fallait dépasser la dichotomie traditionnelle – et confortable ! – entre savants et ignorants. Non, ces questions ne partagent pas, d’un côté, des sachants et disants et, de l’autre, des incultes. Le réel manque d’informations, voire la désinformation très entretenue qui se fait jour parfois ne suffisent pas à expliquer les réticences actuelles.

Il nous faut inventer un dialogue à la fois plus large et plus précis, une participation à la décision et à l’analyse des effets sur le long terme, qui aille au-delà du débat public actuellement organisé. Les lignes à haute tension nous offre une opportunité formidable en la matière. Je souhaite que nous la saisissions.

Ces lignes sont le résultat d’un projet politique de développement économique. C’est donc fondamentalement l’affaire des élus locaux et nationaux, et j’espère que ce débat y contribuera. Élus locaux et nationaux doivent en être pleinement saisis : participer au diagnostic du réseau, approuver les travaux de court terme, c’est-à-dire d’entretien, et ceux de moyen ou long terme, c’est-à-dire de rénovation, construction et développement. Ils doivent notamment intervenir pour faire un choix coût-bénéfice en matière d’enfouissement.

Beaucoup est fait, d’ores et déjà, par RTE, mais j’ai l’impression que le dialogue doit être encore plus développé.

Le dialogue doit aussi s’étendre à l’ensemble des acteurs économiques et associatifs. La demande des agriculteurs visant à mettre en place une ferme témoin devrait être entendue. Diffuser des bonnes pratiques est dans l’intérêt de tous.

De même, on peut approfondir tous les mécanismes collaboratifs esquissés par RTE avec les chasseurs, les apiculteurs et les naturalistes. Il est possible d’imaginer des dispositifs participatifs pour construire un diagnostic commun sur les impacts. C’est nécessaire et utile. On se rend compte, également, qu’une ligne électrique est perçue par la population comme presque aussi « impactante » qu’une ligne TGV.

Ces demandes nouvelles sont contraignantes et coûteuses, mais elles sont aussi, pour l’avenir, la garantie des bases d’un dialogue et d’une acceptation possible. Ce dialogue ne doit pas être organisé une fois pour toutes, au moment de la construction ; il convient de trouver les voies et moyens d’entretenir une relation collaborative et inclusive tout au long de la vie des ouvrages.

Voilà quelles sont les quelques préconisations de l’Office parlementaire. J’espère vous avoir convaincus que ces débats entre la science et la société nous feront progresser, à condition de faire preuve d’honnêteté intellectuelle, de transparence, d’ouverture, mais aussi de responsabilité.

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