Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, c’est avec beaucoup d’humilité que je m’apprête à intervenir devant vous.
Mon expérience du sujet se limite en effet à l’installation d’une ligne à haute tension à Goutrens, dans mon département, ce qui n’a pas manqué de créer quelques problèmes, et à la remise en état de tronçons à Saint-Victor-et-Melvieu, sur la grande ligne électrique qui descend vers le sud de l’Aveyron. N’ayant aucune compétence en la matière, je sollicite votre indulgence, mes chers collègues, car je n’ai ni le talent ni les connaissances en la matière de mon collègue Daniel Raoul.
Le débat qui nous occupe aujourd’hui, sur l’initiative de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, a le mérite de permettre à la représentation nationale d’aborder de façon claire un problème rarement posé : celui de l’effet qu’a, ou n’a pas, sur la santé l’environnement des champs magnétiques produits par les lignes à haute et très haute tension. Nous devons nous en féliciter et remercier notre collègue Daniel Raoul de l’excellence de son rapport, que j’ai essayé de comprendre autant que faire se peut.
Ce débat est d’autant plus justifié que notre pays possède 80 000 kilomètres de lignes à haute et très haute tension, c’est-à-dire comptant entre 63 et 400 000 volts, soit le plus grand réseau d’Europe et aussi l’un des plus anciens, puisque sa création a débuté en 1922.
À titre personnel, je remarque que, très tôt, l’État s’est pleinement investi dans cette mission en créant, dès 1936, un secrétariat d’État à l’électricité et aux combustibles solides, dont le premier titulaire fut un homme à la mémoire duquel vous comprendrez que je veuille rendre hommage : Paul Ramadier, député de l’Aveyron, à qui nous devons cette reconnaissance de la distribution d’électricité comme un service public essentiel.
Nous savons tous, en effet, quel rôle considérable ces structures ont joué dans l’essor économique de la Nation au cours du demi-siècle qui a suivi, contribuant à son plein développement, en particulier celui des territoires les plus fragiles. Certes, l’ouverture du marché européen de l’électricité à la concurrence a récemment modifié la donne ; je pense en particulier à la transformation d’EDF en société anonyme, en 2004. Mais cela ne change pas véritablement la problématique qui nous occupe, à savoir les questions que se posent nos quelque 400 000 compatriotes vivant dans la proximité plus ou moins immédiate de ces lignes, quant à l’incidence de celles-ci sur leur santé. Ces questions sont parfaitement légitimes ; nul ne saurait en douter dans cet hémicycle.
Au vu des expertises menées depuis plusieurs années, au niveau tant mondial qu’européen ou national, ces lignes – ou plus exactement le champ magnétique produit par ces lignes... – sont-elles dangereuses pour la santé humaine ? Si l’on se fie au consensus scientifique international, il semble qu’elles n’auraient d’autres effets sur la santé que ceux qui sont identifiés lorsque les expositions sont plus élevées que la norme autorisée.
Trois groupes de pathologies font toutefois débat : l’électrohypersensibilité, les leucémies de l’enfant et certaines maladies neurodégénératives, sur lesquelles, objectivement, la communauté scientifique ne s’est pas encore définitivement prononcée.
La sagesse est donc de poursuivre les recherches et d’attendre des conclusions fiables, sans négliger aucune piste, comme il convient de le faire lorsque la santé publique est en jeu. C’est l’une des préconisations du rapport. Nous ne pouvons qu’y adhérer et souhaiter que le ministère de la santé prenne en charge, le plus rapidement possible, cette relance de recherche, en particulier en trouvant un lien statistique fiable, voire en convainquant nos partenaires européens d’initier une démarche semblable ; je retiens cette autre recommandation.
Quelles que soient les préconisations retenues par l’État, nous devons reconnaître qu’elles ont toujours pour origine l’initiative de nos compatriotes, qui ont droit, plus que les autres, au plus élémentaire service de précaution sanitaire.
Il en va probablement de même des impacts potentiels sur l’environnement et sur l’agriculture, puisque nous disposons de très peu de données scientifiques quant aux effets potentiels directs des champs électriques et magnétiques. Mais, comme dans le cas précédent, il appartient à l’État, ou aux États européens, de prendre toutes leurs responsabilités en la matière, puisque l’on ne saurait admettre que l’entreprise EDF fasse des bénéfices sans se soucier des conséquences humaines, écologiques et économiques qu’induit son activité industrielle.
Il nous reste, en attendant des conclusions épidémiologiques qui, nous le savons, seront par définition longues à venir, à réfléchir ensemble sur la politique que nous devons mettre en œuvre face aux lignes à haute et très haute tension.
Bien entendu, l’enfouissement pourrait, a priori, apparaître comme la solution la plus tentante au regard de l’esthétique environnementale. J’en ai moi-même fait l’expérience à Goutrens, une importante zone touristique implantée au milieu des vignobles de Marcillac – vin ô combien intéressant ! –, sur de magnifiques terres rouges. L’installation de lignes à haute tension, qui seraient venues barrer ce paysage, avait alors suscité de nombreux conflits, que j’ai tenté de résoudre.
Nous savons pourtant que l’enfouissement ne règle pas le problème puisque, même enterrées, les lignes continuent à produire un champ magnétique. Cela pose la question de l’opportunité des dépenses considérables qu’engendre un enfouissement : 40 millions d’euros pour 21 kilomètres de lignes ! De surcroît, cet enfouissement peut être rendu inutile, du fait de l’incontestable amélioration technique des câbles ; l’élue d’un département rural que je suis ne saurait l’oublier. Par ailleurs, les agriculteurs n’y sont pas favorables, car cela induit des contraintes négatives.
À cette heure du débat, il me paraît difficile de se précipiter pour adopter quoi que soit dans ce domaine, sans disposer des informations qui nous manquent et que nous avons souhaitées.
Je voudrais, pour ma part, me limiter à un seul vœu : que l’État, ou les États européens, profitant de la déréglementation du marché de l’électricité, ne se désengage pas de ce domaine, même s’il ne s’agit que de surveillance. C’est bien le contraire que les usagers attendent – pas seulement ceux qui habitent à côté des lignes ! – et, avec eux, l’ensemble de la collectivité nationale dans ses domaines d’activité les plus variés.
Permettez-moi d’ajouter, un peu en marge de ce débat, que des problématiques de même nature s’appliquent au WiFi, au WiMax, autant qu’à la téléphonie mobile. S’il avait été présent, François Fortassin aurait exprimé, lui aussi, son inquiétude à cet égard.
Dans ces domaines, la vigilance est indispensable. Je ne veux pas manquer, en cet instant, de saluer la mémoire de cet exceptionnel anthropologue et ethnologue, Claude Lévi-Strauss, décédé l’an dernier, qui est le premier à avoir fait naître le concept d’humanisme écologique. Dans Tristes tropiques, il s’écriait : « Un humanisme bien ordonné ne commence pas par soi-même, mais place le monde avant la vie, la vie avant l’homme, le respect des autres êtres avant l’amour-propre ».