Intervention de Antoine Lefèvre

Réunion du 4 novembre 2010 à 15h00
Débat sur les effets sur la santé et l'environnement des champs électromagnétiques

Photo de Antoine LefèvreAntoine Lefèvre :

Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, depuis quelques années, les lignes à haute et très haute tension suscitent de vives inquiétudes. Les lignes électriques sont-elles dangereuses pour la santé ? La question fait débat depuis le début des années quatre-vingt.

D’après les sources officielles, il n’y a pas de certitude scientifique sur la relation possible entre les risques biologiques et l’exposition. Du côté de l’opinion publique, les avis sont plutôt controversés. Or le simple fait qu’il existe une controverse, entre les scientifiques officiels et ceux qui sont indépendants des industriels et de l’État, sur la dangerosité des lignes à très haute tension pour la santé, constitue en soi la matérialisation de l’existence d’un risque.

Ces lignes se situent à 65 % en zone agricole et à 15 % en zone forestière. Ce sont donc environ 300 000 personnes qui vivent à proximité des 100 000 kilomètres de lignes, dont la moitié est à très haute tension, à environ 400 000 volts, générant des champs électromagnétiques basse fréquence de 50 hertz.

En 1991, le Conseil supérieur d’hygiène publique de France, observe, dans un avis, qu’en l’état des connaissances de l’époque, « on ne peut imputer aux champs électromagnétiques engendrés à proximité de lignes à haute tension des effets nuisibles pour la santé de l’homme ».

Quelques années plus tard, certaines nuances apparaissent. Un colloque organisé à l’Assemblée nationale en mai 1994, consacré aux champs électromagnétiques et à la santé publique, ne permet cependant pas de remettre en cause les avis émis par l’INSERM, le Conseil supérieur d’hygiène publique de France et l’Académie nationale de médecine, même s’ils ne permettent pas d’exclure totalement l’action des champs électromagnétiques dans un certain nombre de pathologies particulières.

Parallèlement, le ministère de l’industrie de l’époque met au point, en collaboration avec le ministère des affaires sociales et de la santé, un document de synthèse intitulé « Champs électromagnétiques et lignes électriques, état de la question et aspects sanitaires », établi à partir des analyses scientifiques les plus récentes réalisées à ce sujet, notamment l’avis de l’Académie de médecine.

Ce document est adressé en septembre 1994 aux services instructeurs des projets de lignes, préfectures, DRIRE, DDE, afin de leur permettre de mieux traiter les problèmes rencontrés et de répondre aux nombreuses questions qui leur sont posées lors des procédures d’examen des projets de lignes électriques.

La question se pose donc : la circulation du courant dans une ligne électrique, créant autour de celle-ci des champs magnétiques à très basse fréquence, peut-elle induire, à l’intérieur de l’organisme, des champs et des courants électriques, avec d’éventuels effets biologiques et sanitaires ?

En 2001, un rapport publié par le Centre international de recherche sur le cancer a classé les champs magnétiques à très basse fréquence dans la catégorie des agents « peut-être cancérogènes pour l’homme », tout en recommandant de nouvelles recherches « pour aboutir à des informations plus concluantes ».

Le Centre de recherche et d’information indépendantes sur les rayonnements électromagnétiques, le CRIIREM, rend publique une enquête, menée en 2008 auprès de 2 868 personnes demeurant à proximité de la ligne à très haute tension de Normandie. L’enquête conclut à « une dégradation significative des conditions de vie et de travail à proximité des lignes très haute tension qu’il n’est plus acceptable de nier. »

Enfin, le CRIIREM refuse de cantonner les problèmes de santé aux seuls cancers et leucémies et considère, comme certains orateurs l’ont évoqué, que le stress, les perturbations sonores et du sommeil, les états dépressifs et les maux de tête relèvent également de la santé publique.

« Les rayonnements électromagnétiques émis notamment par les lignes haute tension posent un certain nombre de problèmes », reconnaissait votre prédécesseur, madame la secrétaire d’État, après la parution de cette étude.

« Il est indéniable que ces rayonnements électromagnétiques émis notamment par les lignes à haute tension et d’autres sources posent un certain nombre de problèmes et qu’on est loin de tout savoir sur cette question », estimait en effet Mme Kosciusko-Morizet. « Les choses évoluent, néanmoins », malgré « une résistance de certains secteurs industriels et syndicats professionnels » dans le domaine de la santé et de l’environnement.

En 2004, une étude de chercheurs de l’université d’Oxford avait conclu à « une légère augmentation du risque de leucémie pour les enfants vivant à proximité ». Les auteurs de cette étude soulignaient que le risque de leucémie augmentait de 69 % pour les enfants dont le domicile se trouvait à moins de 200 mètres des lignes à haute tension au moment de leur naissance et de 23 % pour ceux qui étaient domiciliés à une distance située entre 200 et 599 mètres, par rapport à ceux qui étaient nés à plus de 600 mètres. La secrétaire d’État allait proposer une circulaire au ministre de l’écologie, invitant les préfets à réglementer les permis de construire sous des lignes à haute tension.

RTE reconnaît, dans un communiqué du 28 janvier 2009, la légitimité des préoccupations des riverains des lignes électriques quant aux effets sur la santé. Selon RTE, toutes les études et expertises menées depuis plus de trente ans n’ont jamais révélé d’effets sur la santé liés aux expositions aux champs magnétiques à très basse fréquence, ce que confirme l’AFSSET, tout en recommandant, dans son communiqué du 6 avril dernier, de ne plus installer de telles lignes à proximité d’établissements accueillant les enfants, au nom du principe de précaution.

L’AFSSET reconnaît qu’une association statistique a été démontrée par plusieurs études, au point que le Centre international de recherche sur le cancer a classé en 2002 les champs d’extrêmement basses fréquences comme cancérogènes possibles pour l’homme, mais avoue ne pas connaître le mécanisme d’action en jeu.

Pour l’OPECST, « un consensus international existe : les champs électriques ou magnétiques n’ont vraisemblablement aucun impact sur la santé. Les normes existantes n’ont pas à être modifiées. Cependant, trois cas font débat : l’électrohypersensibilité, certaines maladies neurodégénératives et les leucémies infantiles ».

L’agriculture et l’élevage paraissent, eux aussi, concernés et impactés, comme l’a souligné notre collègue. Selon certains, on relève régulièrement de graves problèmes sur des élevages à cause des lignes à haute tension ou des prises de terre des transformateurs électriques. Ils avancent que l’on peut recenser des problèmes tels que des baisses des défenses immunitaires, des baisses de fécondité, des avortements spontanés, du cannibalisme, des ulcères, des malformations par manque de calcium, des excès de fer dans le sang, des problèmes thyroïdiens.

La cour d’appel de Limoges, dans un arrêt du 1er mars 2010, vient de préciser le régime de l’action en réparation engagée par l’éleveur se prétendant victime des effets de l’exposition de ses installations d’élevage au champ électromagnétique induit par une ligne à très haute tension.

Le tribunal de grande instance de Tulle, dans une décision du 28 octobre 2008, avait innové en faisant une application entre personnes privées du principe de précaution, retenant à l’encontre du gestionnaire du réseau de distribution d’électricité une présomption de dangerosité de l’ouvrage, à défaut pour lui de rapporter la preuve de son innocuité.

Ce faisant, le tribunal a condamné RTE à verser à l’éleveur concerné une indemnité, afin de compenser le préjudice subi par l’exploitation du fait de l’exposition à la ligne à très haute tension.

À défaut pour l’éleveur d’avoir mis en évidence, de manière certaine, l’existence d’un lien de causalité suffisamment caractérisé, la cour d’appel n’a pu que réformer le jugement déféré et débouter l’éleveur de sa demande indemnitaire.

Cette décision est conforme à la position de la Cour de cassation, qui rejette, dès lors qu’il n’existe aucune certitude scientifique quant à la dangerosité.

Ainsi, il paraît difficile, voire impossible, pour un exploitant d’obtenir la réparation des préjudices qu’il peut subir du fait de la proximité d’une ligne à très haute tension.

L’OPECST propose des pistes de recherche et des mesures concrètes. Au-delà des questions sanitaires et environnementales, il plaide pour le réengagement de l’État et un meilleur dialogue avec les élus et les citoyens.

Afin de préciser les conditions de compatibilité d’un élevage à proximité d’une ligne électrique et d’offrir un dispositif pédagogique sur les courants parasites, RTE propose de choisir deux à quatre fermes témoins au voisinage de la future ligne Cotentin-Maine ou d’une ligne à 400 000 volts déjà existante. Elles feront l’objet d’un diagnostic complet – électrique, zootechnique et sanitaire – renouvelé tous les trois ans.

Ou encore, RTE et l’AMF ont signé une convention, dans laquelle la situation des tiers à proximité des lignes à haute tension et à très haute tension est prévue. RTE va mettre à disposition des maires un nouveau dispositif permettant de mesurer les champs magnétiques à proximité des lignes à très haute tension par des laboratoires agréés. Une plaquette vient d’être diffusée à l’ensemble des élus concernés par ces ouvrages.

Dans le cadre de la mise en œuvre du Grenelle de l’environnement, aux termes de l’article 42 de la loi Grenelle I et de l’article 183 de la loi Grenelle II, un dispositif de surveillance des niveaux de champs électromagnétiques à proximité des lignes à très haute tension doit être instauré. Il serait souhaitable que le décret devant être soumis à l’examen du Conseil supérieur de l’énergie voie le jour avant la fin de cette année.

Enfin, le 2 avril 2009, le Parlement européen a adopté une résolution sur les préoccupations quant aux effets pour la santé des champs électromagnétiques. Parmi ses vingt-neuf recommandations figure une invitation à la Commission à présenter un rapport annuel sur le niveau de rayonnement électromagnétique dans l’Union, sur les sources de ce dernier et sur les mesures prises par l’Union pour mieux protéger la santé humaine et l’environnement.

Le Parlement s’interroge vivement sur le fait que les compagnies d’assurance tendent à exclure la couverture des risques liés aux champs électromagnétiques des polices de responsabilité civile. À l’évidence, les assureurs européens font déjà jouer leur version du principe de précaution.

Nous y voilà !

Le principe de précaution, aux termes duquel est recommandée l’étude des actions qui permettraient d’éviter des dommages possibles, même si leur survenue est incertaine, est défini et interprété de façon très variée. L’approche est essentiellement fondée sur l’idée selon laquelle « mieux vaut la sécurité que les regrets ».

Alors, bien sûr, il s’agit non pas d’être pour ou contre le progrès, mais de choisir de vivre dans une société qui ne fabrique pas de profit au détriment de la santé publique. Nous sommes tous concernés par l’adoption ou non d’une réglementation de protection de la santé publique vis-à-vis des rayonnements électromagnétiques.

Madame le secrétaire d’État, vous qui êtes sensible à l’exposition de la population française aux ondes émises par les antennes-relais et qui préconisez l’interdiction du téléphone portable à l’égard des plus jeunes et le port de l’oreillette par tous, je vous remercie des éléments de réponse que vous voudrez bien nous apporter.

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