Oui, ces lignes à très haute tension sont nécessaires pour notre pays, et vous l’avez reconnu. Oui, nos concitoyens ont des doutes à leur égard. Oui, il faut reconnaître que l’impact de ces lignes soulève des questions auxquelles il est essentiel d’apporter des réponses.
Antoine Lefèvre a très bien rappelé le temps qu’il nous a fallu pour reconnaître ces zones d’ombre et ainsi franchir un grand pas.
Commençons par le premier sujet que vous avez évoqué : la connaissance de l’exposition de la population française et l’impact de ces lignes sur la santé.
Vous l’avez rappelé, selon une projection de RTE, 375 000 personnes seraient exposées à 0, 4 microtesla. Il faut connaître finement la population et le bâti concernés, ainsi que les expositions. Les dispositions des lois Grenelle I et Grenelle II vont nous aider dans cette tâche. Elles permettent une mesure et un contrôle régulier des champs électromagnétiques, notamment à proximité des réseaux de transport d’électricité.
Elles rendent aussi possible un accès à une mesure objective. En effet, dorénavant les collectivités locales ou des associations pourront demander une mesure, qui sera réalisée par un organisme accrédité, et ce à la charge du transporteur d’électricité.
Les lois précitées prévoient la transparence et la diffusion des études, puisque tous les résultats, en tout cas pour ce qui nous concerne ici, seront transmis à l’ANSES, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, qui doit les rendre publics.
S’agissant du recensement précis du bâti et des populations, je vais demander à RTE un bilan précis et exhaustif des établissements dits « sensibles » exposés à des champs magnétiques importants. Nous devons en effet savoir précisément combien de crèches ou d’écoles sont implantées dans cette zone des 100 mètres de chaque côté et combien sont exposées à 0, 4 microtesla, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Sur cette base, nous pourrons clairement évaluer l’impact des décisions que nous prendrons.
Parallèlement, il convient de progresser dans le domaine de la recherche et de l’expertise sur l’impact des lignes en cause – c’est une proposition unanime – pour essayer de réduire autant que possible les zones d’ombre.
Comme cela a été rappelé, l’étude Expers est actuellement menée par Supélec. Elle permettra d’estimer et de caractériser l’exposition de l’ensemble de la population aux champs magnétiques de basse fréquence, à partir d’environ mille adultes et mille enfants. Les résultats de ce travail nous fourniront des pistes.
Par ailleurs, une étude de cohorte, qui permettra de suivre 20 000 enfants de la naissance jusqu’à l’âge adulte, s’intéressera également à l’exposition aux champs magnétiques de basse fréquence.
Les domaines de recherche dans lesquels nous devons encore progresser sont très nombreux, vous l’avez rappelé, mesdames, messieurs les sénateurs.
Je pense, en premier lieu, aux maladies neurodégénératives, même si le risque n’est pas avéré, comme l’indique dans son apport l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques.
La France a décidé de lancer le plan Alzheimer, doté d’une enveloppe de 200 millions d’euros sur cinq ans, qui prendra en compte cette dimension dans les axes de recherche.
Je pense, en deuxième lieu, à l’électrohypersensibilité, point très difficile que le rapport a abordé avec une très grande justesse. Comme sur la question des ondes émises par les antennes-relais ou par les téléphones portables, jusqu’à présent, rien ne permet d’expliquer les troubles dont souffrent certaines personnes et d’identifier les mécanismes en cause.
Pour autant, la souffrance est réelle et ne doit pas être ignorée.
C’est la raison pour laquelle, dans le cadre de la table ronde sur les radiofréquences, avait été décidée la mise en place d’un protocole de prise en charge de ces personnes sous la coordination de l’hôpital Cochin. Ce protocole permettra de prendre en compte ces deux dimensions d’hypersensibilité aux ondes magnétiques ou aux radiofréquences.
Je pense surtout, en troisième lieu, aux leucémies aiguës de l’enfant. C’est tout le paradoxe, les études épidémiologiques font apparaître une corrélation statistique entre une exposition à 0, 4 microtesla et le doublement des cas de leucémies, mais, dans le même temps, on est totalement incapable d’expliquer le mécanisme qui permettrait d’apporter un éclairage sur cette corrélation.
C’est d’ailleurs à partir de ces études épidémiologiques, que, en 2002, le CIRC avait classé le champ magnétique de basse fréquence comme un cancérogène de catégorie 2B, et non de catégorie supérieure, dans la mesure où le mécanisme demeure inexpliqué.
Donc, j’y insiste, contrairement à ce que l’on constate pour ce qui est des ondes émises par les antennes ou par les téléphones portables, il existe, en l’espèce, une grande convergence entre les études effectuées sur le sujet.
En attendant la progression de la connaissance sur l’exposition et une explication des mécanismes, un certain nombre de mesures peuvent cependant être prises.
Comme vous l’avez rappelé, monsieur Raoul, pour des raisons évidentes, il est essentiel que la recherche relative à l’impact des lignes de haute tension ne soit pas intégralement financée par RTE, même si, je tiens à le rappeler, ce dernier est indépendant d’EDF. Il est donc nécessaire que l’État développe des financements publics à cette fin.
Le ministère de l’écologie, de l’énergie, du développement durable et de la mer a demandé à l’ANR, l’Agence nationale de la rechercher, d’intégrer dans ses programmes pour la question des champs magnétiques d’extrêmement basse fréquence, notamment leurs effets sur les enfants.
Par ailleurs, nous allons demander à l’ANSES de tenir compte de ses propres recommandations en matière de recherche lors de l’élaboration de ses appels à projets dans les domaines de la santé et de l’environnement.
L’enfouissement des lignes est souvent présenté comme « la » solution. Mme Escoffier l’a très bien souligné, cette technique présente principalement trois limites.
Tout d’abord, l’impact sur la santé lorsqu’une construction est située juste au-dessus d’une ligne enfouie peut être supérieur aux conséquences d’une ligne aérienne. N’oublions pas non plus que le coût de l’enfouissement est dix fois supérieur à celui d’une ligne aérienne. Enfin, techniquement, une telle solution n’est pas possible partout. En effet, on ne peut enfouir une ligne que sur de très courtes distances au sein d’un même réseau. Comme le souligne le rapport, cette option technico-économique ne peut être fondée que sur une démarche prenant en considération le coût et l’avantage de l’enfouissement. Cette position est totalement lucide.
Cependant, il reste de marges de progrès pour enfouir ces fameuses lignes. D’ailleurs, dans le projet de loi portant nouvelle organisation du marché de l’électricité sont prévues les modalités de participation financière de RTE à la mise en souterrain d’ouvrages existants. Je rappelle également que, dans le contrat de service public conclu avec RTE, figurent des objectifs d’enfouissement des lignes.
Pour autant, l’Office recommande principalement, à titre de précaution ou de prudence – ne jouons pas sur les mots – de ne pas exposer un nombre encore plus élevé de personnes sensibles. Cela relève du bon sens. D’ailleurs, un certain nombre de pays, comme le Luxembourg, l’Allemagne ou, avec une autre force juridique, la Suisse, appliquent d’ores et déjà cette recommandation en prévoyant un certain éloignement par rapport aux bâtiments.
La mesure de bon sens non contraignante que vous préconisez s’impose à nous, car il est impossible aujourd’hui d’établir un lien mécanique entre le constat épidémiologique et les raisons sanitaires. Dans tous les cas, une mesure contraignante aurait juridiquement une portée relativement faible.
Suite aux recommandations de l’AFSSET, nous avions saisi, avec M. Jean-Louis Borloo, le Conseil général de l’environnement et du développement durable, le CGEDD, et le Conseil général de l’industrie, de l’énergie et des technologies, le CGIET, qui aboutissent à peu près à la même conclusion : l’État doit préconiser une recommandation non contraignante pour éviter, dans la mesure du possible, l’installation de bâtiments sensibles dans des zones de prudence.
À vrai dire, je vois que les débats que suscitent les conclusions de votre rapport par rapport à celui de l’AFSSET sont pratiquement inexistants. Simplement, l’un formule sa recommandation en termes de distance, d’éloignement par rapport à une ligne, l’autre la formule en termes de niveau d’exposition, avec le fameux seuil de 0, 4 microtesla.
Nous allons élaborer des recommandations à destination des préfets et des maires sur ce sujet. Cela devrait répondre à votre demande, madame Schurch.
Mais, puisque nous avons un doute sur le bon critère à adopter – la distance de 100 mètres ou le seuil de 0, 4 microtesla –, nous vous proposons de mettre en place un groupe de travail, avec les représentants des collectivités locales, l’objectif étant d’aboutir, dans moins d’un an, à des recommandations concrètes.
Par ailleurs, vous le savez, les SCOT, schémas de cohérence territoriale, et certains PLU, plans locaux d’urbanisme, doivent faire l’objet d’une évaluation environnementale, et certains grands projets d’urbanisme doivent également faire l’objet d’une étude d’impact au cas par cas.
La question de l’analyse de l’exposition aux champs de basse fréquence sera intégrée aux éléments à prendre en compte dans ces études.
Enfin, toute nouvelle ligne devra éviter les établissements sensibles et les choix seront faits en fonction de ce critère.
Vous avez également émis des recommandations en termes de concertation. Là encore, nous retrouvons les sujets que nous avions identifiés au sujet des radiofréquences.
Vous soulignez, à juste titre, que la nécessité de réaliser des lignes à très haute tension doit être l’expression d’un projet collectif. Cela me semble effectivement fondamental.
Les procédures actuelles de construction des lignes prévoient d’ores et déjà des participations, parfois complexes, du public et des élus. Il faudra sans doute les améliorer et surtout améliorer leur compréhension. Le contrat de service public de RTE contient également des dispositions allant dans ce sens.
Pour répondre un peu plus précisément sur la question de la transparence, je vous indique qu’il existe une page, sur le site internet de RTE, consacrée à se sujet. Nous avons également créé un site, « ondes-info », consacré à l’ensemble des ondes et intégrant les données issues de votre rapport, monsieur le sénateur.
Par ailleurs, nous avons créé un groupe de travail sur les risques émergents, dans le cadre du plan national santé-environnement. Nous souhaitons qu’il puisse se saisir de cette question de la concertation.
J’y suis très sensible, votre rapport a abordé l’impact de ces ondes sur l’environnement. Je m’en réjouis, puisque, je vous le rappelle encore une fois, 2010 est toujours l’année internationale de la biodiversité…
A priori, nous n’avons pas repéré d’impact des champs magnétiques sur la santé des animaux. En revanche, nous avons bien identifié un problème électrique.
J’en viens donc à votre recommandation concernant le GPSE, le groupe permanent sur la sécurité électrique. Nous avons pu échanger avec le ministère de l’agriculture et son rôle sera réaffirmé et conforté.
RTE travaille en lien étroit avec le ministère de l’agriculture et la profession agricole depuis plus d’un an pour améliorer l’organisation du GPSE et lui donner un statut d’association, au sein de laquelle le ministère sera présent. Cette association devrait voir le jour dans les prochains mois. Elle sera totalement en phase avec les différentes recommandations que vous avez émises sur le sujet.
Pour conclure, je n’ai pas de citation aussi belle que celle de Mme Anne-Marie Escoffier, mais, comme elle, je pense que c’est effectivement avec beaucoup d’humilité que l’on doit aborder ce sujet. En effet, de nombreuses zones d’ombre persistent mais nous ne pouvons pas, pour autant, ignorer le problème. La société dans laquelle nous vivons désormais ne le permet plus.
Nous devons donc faire face à ces questions avec pragmatisme, en évitant la surenchère et en assumant les zones d’ombre. C’est la raison pour laquelle je vous remercie du rapport fait par l’Office : il clarifie la situation et apporte des réponses de bon sens que nous allons, pour l’essentiel, reprendre à notre compte.