Intervention de Robert Badinter

Réunion du 19 juin 2008 à 15h00
Modernisation des institutions de la ve république — Article 3 bis suite

Photo de Robert BadinterRobert Badinter :

Monsieur le président de la commission, il n’est pas inutile d’analyser la mécanique que l’on a forgée et qui se présente devant vous sous des traits qui ne correspondent pas à la réalité.

Le Conseil constitutionnel vérifie donc que l’objet de la proposition entre dans le champ du référendum. Ensuite, que fait-on ? On revient tout simplement devant le Parlement ! Et voilà ce qu’il en est de ce référendum que l’on a agité et présenté comme un progrès des droits des citoyens !

Comme j’ai déjà eu l’occasion de l’indiquer en commission des lois, autant je suis favorable au développement et à la pratique du référendum, y compris d’initiative populaire, à l’échelon municipal, départemental ou régional, autant je combattrai toujours le référendum d’initiative populaire national.

Le référendum d’initiative populaire est l’instrument préféré des démagogues les plus extrêmes, de ceux qui, en toutes occasions, utilisent les passions pour énerver la démocratie : regardons autour de nous !

Je sais très bien, au premier crime atroce, quels sujets on verra fleurir, quelle démagogie anti-immigrés on verra prospérer… Mais ce n’est pas l’objet de notre débat.

J’en reviens à l’analyse de la mécanique qui nous préoccupe. Que se passe-t-il à ce point du processus ? En clair, l’opposition parlementaire, s’appuyant sur un certain nombre de signatures, reprend le texte pour le soumettre à nouveau au débat parlementaire.

Que l’on ne vienne pas me dire que c’est là un progrès quelconque des droits des citoyens ! C’est tout simplement une nouvelle forme d’initiative parlementaire : à côté de la proposition de loi classique apparaît une proposition de loi renforcée par une campagne de pétition.

Je me suis interrogé : qu’est-ce, au regard des droits du Parlement, que ce mélange bizarre qui nous est présenté ? Les parlementaires peuvent déjà déposer une proposition de loi – et j’espère que, grâce à l’amélioration de nos procédures, ils seront nombreux –, ils peuvent la faire inscrire à l’ordre du jour, et elle sera débattue. Si elle est votée, elle ira devant le Conseil constitutionnel ; si elle n’est pas votée, on en restera là… Véritablement, l’innovation que l’on nous dépeint comme un progrès de la démocratie directe n’est rien d’autre qu’une construction des plus étranges !

Giraudoux avait raison : l’imagination est la première forme du talent juridique. Ici, elle a simplement pris le tour que Clemenceau se plaisait à dénoncer sarcastiquement : « Vous savez ce que c’est qu’un chameau ? C’est un cheval dessiné par une commission parlementaire. »

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