Je pourrais également faire référence à Édouard Balladur. L’ancien Premier ministre, ici même, au Sénat, nous a formellement dit lors d’auditions devant la commission qu’il eût été, à titre personnel, partisan d’un régime présidentiel pur et simple.
Je me sens donc en quelque sorte conforté dans la réflexion que je vous propose ; je ne suis pas complètement isolé.
En ce qui me concerne, j’ai une approche plus concrète, car je n’ai pas la qualification de juriste de ces grands personnages, approche que j’ai exposée lors de mon intervention liminaire.
Le problème de notre démocratie est qu’il faut redonner un peu plus de pouvoir au Parlement, ce que nous sommes en train de faire. J’approuve entièrement cette démarche quasiment inespérée, il faut bien le dire. J’espère qu’elle aboutira, mais je ne suis pas sûr qu’elle suffise à réveiller la vie parlementaire.
Disons-le à mi-voix : dès lors que l’on n’a pas osé toucher au cumul des mandats, comment arriverons-nous à réanimer la vie parlementaire ? Je parle bien de réanimer la vie parlementaire, car, bien entendu, nous fonctionnons en réaction : nous examinons les textes qui nous sont soumis, nous avons des délibérations – ce débat est exemplaire de ce point de vue. Mais, chaque fois, nous agissons en réaction. En réalité, nous ne sommes pas créatifs.
Or le Parlement devrait être créatif. Pour cela, il faudrait un choc psychologique. Ce choc pourrait venir du passage au régime présidentiel. J’appelle ce choc de mes vœux, d’autant qu’il permettrait – je reviens un instant sur ce qui a été dit il y a quelques heures – une élection à la proportionnelle de l’Assemblée nationale. On aurait, en effet, beaucoup moins besoin de dégager une majorité.
En renouvelant le personnel politique, on donnerait également un choc à notre vie publique. C’est la raison pour laquelle il faudrait faire ce pas ou, à tout le moins, envisager de le faire.
Cela étant, on ne peut imiter purement et simplement le système américain. Avec l’autonomie du législatif d’un côté, puisque l’article 49 serait supprimé et que serait abrogé le droit de dissolution, et l’autonomie de l’exécutif de l’autre côté, les deux pouvoirs pourraient finir par se regarder en chien de faïence et aboutir à un blocage.
Nous sommes des Français. Dans les sociétés anglo-saxonnes, on trouve des terrains d’entente, des compromis, etc. Mais nous, dans notre tradition française, je ne suis pas sûr que nous évitions les blocages, avec un Parlement qui voudrait absolument imposer une loi au Président de la République, lequel la jugerait dangereuse, et, ce qui arriverait plus fréquemment, un Président de la République qui ne parviendrait pas à faire voter une loi qu’il jugerait, cette fois-ci indispensable.
Comment résoudre ce blocage ? Il faut trouver une solution. C’est ce qui ferait le caractère français du système.
En tout état de cause, je ne vois qu’une solution, qui nous est inspirée, d’ailleurs, par un vieux texte de Jules Ferry : dès lors qu’il y a une opposition insurmontable entre l’exécutif et le législatif, l’un et l’autre légitimes, il faut aller à la source du pouvoir. Or la source du pouvoir, c’est le souverain, c’est le peuple. Il faut donc rouvrir la possibilité de la dissolution, possibilité qui offre cet avantage d’être une arme à double tranchant.
On ne sait pas à l’avance qui sera le gagnant. C’est pourquoi cette arme est bonne. Le Président de la République peut gagner la partie comme il peut la perdre – on a vécu cela récemment. Dans ce cas, on reviendrait devant le souverain.
La méthode est simple. On peut en imaginer d’autres. M. Balladur, quand nous l’avons interrogé, a suggéré d’exiger que le texte concerné soit voté aux trois cinquièmes, mais comment une loi pourrait-elle être adoptée à la majorité des trois cinquièmes alors qu’elle n’a pu l’être à la majorité simple ? Je ne comprends pas bien l’intérêt d’une telle solution.
M. Balladur pensait également au référendum, mais cela ne me paraît pas non plus une bonne solution.
Monsieur le président, je suis désolé d’avoir parlé un peu longuement, mais la question méritait une petite exception.