Intervention de Robert Badinter

Réunion du 19 juin 2008 à 15h00
Modernisation des institutions de la ve république — Articles additionnels après l'article 3 quater

Photo de Robert BadinterRobert Badinter :

Il était délicieux de se retrouver dans une atmosphère de colloque scientifique et non plus au cœur d’un débat sur une révision de la Constitution.

Je ferai tout d’abord remarquer à Jean-René Lecerf qu’il donne à l’entreprise de révision actuelle une dimension qu’elle ne comporte pas réellement.

Ainsi que j’ai eu l’occasion de m’en expliquer assez longuement lors de l’ouverture de ce débat, nous sommes dans un régime singulier qui, à partir du parlementarisme rationalisé à la faveur des deux modifications les plus importantes, l’élection du Président de la République au suffrage universel - sur laquelle on ne reviendra pas, il faut bien se le dire -, le quinquennat et l’inversion du calendrier électoral, a abouti à ce que l’on ne peut désigner que par un seul nom : la monocratie.

Il n’y a aucun doute, après l’élection démocratique, indiscutable, du Président de la République, c’est fini. Pour cinq ans, nous avons une majorité qui s’appelle elle-même « majorité présidentielle » et qui, à ce titre, ne peut pas répondre – hélas, dirai-je ! - aux exigences d’une véritable séparation des pouvoirs. La majorité présidentielle, c’est la majorité que dirige le Président de la République, patron du principal parti de la majorité.

Nous sommes dans un régime original, qui a le mérite de répondre à une exigence d’exécutif fort. Il a de grands inconvénients : c’est le pouvoir d’un seul, avec tout ce que cela signifie.

Je dirai ensuite à Pierre Fauchon que l’exposé des motifs de son amendement, d’une certaine manière, est plus prometteur que le dispositif qu’il propose, qui n’est pas, il faut le reconnaître, de nature à révolutionner nos institutions.

Cher Pierre Fauchon, l’exercice du droit de dissolution, en cas de rejet d’un texte après une seconde délibération, aboutit encore à renforcer le pouvoir du Président de la République sur l’Assemblée nationale.

Vous me direz que c’est un enjeu, celui qui est inhérent à la dissolution telle qu’elle est pratiquée actuellement. Si, après la dissolution, le Président de la République se retrouve avec une majorité politique qui lui est opposée, il aura le choix entre démissionner ou cohabiter. Je ne suis pas sûr que ce soit exactement ce que nous devons envisager comme le meilleur des régimes possibles.

Mais, mon cher collègue, tout ce que vous avez exposé sur ce mouvement, à mon avis irrésistible, qui nous entraînera, à la suite de l’élection du Président de la République au suffrage universel – sur laquelle on ne reviendra pas –, vers un régime présidentiel, assorti de nos spécificités nationales, me semble très juste.

Il faut accompagner ce mouvement ! La révision actuelle ne le fait pas, mais nous reprendrons certainement la question dans l’avenir. Aujourd’hui, nous procédons plus à un aggiornamento qu’à autre chose.

Je conclurai en disant que nous sommes un peuple admirable, et je ne résiste pas au plaisir de vous raconter une petite anecdote à ce sujet.

Lorsqu’a été célébré le deux centième anniversaire de la Constitution des États-Unis, en 1987, le président de la Cour suprême avait invité tous les présidents des cours constitutionnelles des démocraties. Comme j’avais le privilège d’être alors le plus jeune, mes collègues m’ont chargé de répondre en leur nom à tous. J’étais très honoré et j’ai travaillé pendant huit jours. Je suis parti avec la tenue du doyen Vedel : il en fallait une, et sa tenue me paraissait plus belle que la mienne, une simple robe de professeur ; je lui avais donc demandé de me prêter le costume de doyen. J’ai ainsi assisté à la cérémonie dans toute ma splendeur !

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