Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le Sénat est saisi d’un texte relatif à la solidarité des communes dans le domaine de l’alimentation en eau et de l’assainissement des particuliers, sujet qui, au-delà de nos appartenances politiques, nous intéresse tous en tant qu’élus locaux.
Cette proposition de loi doit, selon son auteur, permettre aux « communes de mener la politique sociale de leur choix dans le domaine de l’eau », en les autorisant à financer un fonds de solidarité pour l’eau géré par les centres communaux ou intercommunaux d’action sociale.
Le 30 décembre 2006 était publiée la loi sur l’eau et les milieux aquatiques, ou LEMA, qui consacre un « droit [d’accès] à l’eau potable dans des conditions économiquement acceptables par tous ». Quatre ans plus tard, nous ne pouvons que partager le constat de notre collègue Christian Cambon. L’eau est devenue chère et, pour nombre de nos concitoyens, ce poste de dépense dépasse désormais 3 % de leur budget, limite fixée par l’Organisation de coopération et de développement économiques, l’OCDE, et le Programme des Nations unies pour le développement, le PNUD. Or, les foyers consacrent aujourd’hui davantage de leurs revenus à l’eau parce que son prix a augmenté en raison des normes environnementales, nationales et européennes, de plus en plus exigeantes en matière de qualité.
Plusieurs observations doivent toutefois nous inviter à ne pas céder à un quelconque catastrophisme en la matière.
D’abord, l’eau n’est pas un des premiers postes de dépense des ménages, la facture d’eau ne représentant en moyenne que 0, 8 % de leur budget. Cette affirmation doit tenir compte du fait que, selon les ménages, la fraction de revenus consacrée aux dépenses d’eau varie considérablement.
Ensuite, la question des impayés d’eau représente un poids financier relativement faible, soit aujourd’hui moins de 1 % du montant des factures émises.
Par ailleurs, l’eau fournie aux ménages présente un prix au mètre cube raisonnable, de trois euros environ en moyenne en France, dont le taux de croissance s’explique majoritairement par l’inflation générale et le renforcement des normes environnementales observé ces dernières années.
Enfin, on ne saurait occulter le fait que le service public de l’eau est l’un de ceux qui, en France, donnent le plus satisfaction aux consommateurs, notamment en matière de qualité, les réclamations enregistrées étant inférieures à 1 % du nombre des abonnés.
Quoi qu’il en soit, un véritable consensus politique existe sur la nécessité d’aider nos concitoyens les plus démunis à s’approvisionner en eau. Aujourd’hui, en matière de solidarité dans le domaine de l’eau, l’aide aux foyers les plus modestes repose sur un dispositif « curatif » qui permet de faciliter l’aide au paiement des factures des personnes en situation d’impayés, dans le cadre de l’article L. 115-3 du code de l’action sociale et de la famille.
Une autre proposition de loi, fondée sur les travaux de l’Observatoire des usagers de l’assainissement en Île-de-France, l’OBUSASS, a été déposée par le groupe communiste, républicain, citoyen et des sénateurs du parti de gauche. Elle tend, quant à elle, à établir un dispositif « préventif » facilitant l’accès des plus démunis au service public de l’eau par le versement d’une allocation aux personnes dont les charges d’eau représentent plus de 3 % du revenu. Nous avons eu l’occasion d’évoquer cette proposition de loi lors de nos travaux en commission. Sans rejeter cette initiative qui mérite d’être saluée, nous avons souhaité, avant de nous prononcer, attendre la conclusion des travaux actuellement menés par le Comité national de l’eau et le ministère de l’écologie, de l’énergie, du développement durable et de la mer. Nous espérons, madame la secrétaire d’État, que le Gouvernement envisagera, sur la base des résultats de la concertation conduite par les instances spécialisées, l’établissement d’un dispositif préventif.
La présente proposition de loi s’inscrit bien, pour sa part, dans le cadre du dispositif « curatif ». Comme j’ai pu le constater pendant les auditions auxquelles j’ai procédé, nous sommes tous d’accord : le dispositif actuellement mis en œuvre au niveau local, à travers les Fonds de solidarité pour le logement, les FSL, a trouvé ses limites et mérite d’être perfectionné. C’est pourquoi, tout en préservant l’esprit de la proposition de loi de notre collègue Christian Cambon, j’ai souhaité avant tout l’inscrire dans le cadre juridique existant. Permettez-moi donc d’apporter un certain nombre de précisions afin d’éclairer le dispositif rénové que la commission de l’économie a adopté à l’unanimité, en accord avec l’auteur de cette proposition de loi.
La commission a tout d’abord souhaité inscrire le mécanisme d’aide dans le cadre des dispositifs existants.
En effet, si le mécanisme envisagé par notre collègue était susceptible de bien fonctionner en Île-de-France, tel n’aurait sans doute pas été le cas dans les petites communes, qui ne disposent souvent pas de centre communal d’action sociale, ou CCAS, et ne seraient donc pas équipées pour gérer ce dispositif. Pour mémoire, je rappelle qu’en France environ 20 000 organismes sont chargés de la gestion de l’eau potable.
Le mécanisme envisagé pouvait également aboutir à créer un nouveau circuit de financement, allant du service d’eau au CCAS, sans relation avec le dispositif du FSL, alors même que l’aide aux personnes en situation d’impayés relève des attributions de celui-ci.
Or il importe, d’une part, de mettre en place des dispositifs lisibles s’appuyant sur les structures existantes, afin de veiller à maîtriser les coûts de gestion. C’est pourquoi la logique du « guichet unique » doit être privilégiée : en effet, nos concitoyens ne comprendraient pas qu’ils doivent s’adresser à des niveaux de collectivités différents selon la nature de la facture pour laquelle ils sollicitent une aide.
Il importe, d’autre part, de mettre en œuvre une solidarité entre les communes qui ne sont pas toutes dans les mêmes situations en termes de pauvreté : la péréquation à l’échelle du département s’avère, à ce titre, la plus pertinente.
Il importe enfin de faire référence au FSL conformément à l’esprit du projet de loi de réforme des collectivités territoriales, en soulignant le rôle de « chef de file » du département dans le domaine de l’aide sociale.
La commission a ensuite souhaité inclure les immeubles collectifs d’habitation dans le périmètre des foyers aidés. Il convient en effet de répondre à l’une des imperfections du système actuel s’agissant des publics visés, puisque le volet « eau » du FSL ne participe pas au paiement des factures d’eau des personnes en immeubles collectifs d’habitation, au motif que celles-ci ne reçoivent pas de facture de la part d’un distributeur d’eau, puisqu’elles ne sont pas personnellement abonnées. Nous avons donc souhaité permettre aux services de l’eau d’appuyer désormais l’action du FSL, en définissant, par convention, un mode de calcul de la contribution aux charges d’eau pour les immeubles collectifs d’habitation.
La commission s’est également prononcée en faveur d’une diminution de 1 % à 0, 5 % du taux de contribution initialement envisagé. Ce taux apparaissait en effet élevé par rapport aux abandons de créance pour les seuls abonnés directs en situation d’impayés compte tenu de difficultés financières, que l’on peut estimer entre 0, 1 % et 0, 2 %. Le taux de 1 % était en fait censé couvrir l’ensemble des abandons de créance, qu’il s’agisse de cessation d’activité, de règlement judiciaire ou encore de départ sans adresse.
Nous ne souhaitions pas qu’un prélèvement sur la facture des abonnés domestiques couvre d’autres motifs – pour mémoire, rappelons que la contribution à 0, 5 % devrait permettre de recouvrer environ 50 millions d’euros, montant largement suffisant, les 0, 5 % restants pouvant éventuellement servir à financer le dispositif préventif prévu par l’autre proposition de loi ; cette hypothèse mériterait d’être étudiée. Cette diminution du taux lève donc toute ambiguïté sur le domaine couvert et sera d’autant plus fondée que le dispositif « préventif » d’aide au paiement des factures devrait réduire le nombre de personnes en situation d’impayés.
La commission a par ailleurs choisi d’étendre le dispositif aux régies et aux délégataires. Dans sa rédaction initiale, la proposition de loi laissait en effet un vide juridique concernant les situations où le service de distribution d’eau potable était confié à un opérateur externe par rapport à la collectivité, que cet opérateur soit public ou privé. C’est pourquoi notre commission a souhaité prévoir cette possibilité en permettant également aux opérateurs, sur une base volontaire, de participer au financement des aides. En termes de coûts, l’intérêt de ce dispositif est de supprimer les frais de gestion liés aux procédures d’abandon de créance, tant pour les délégataires que pour les régies.
Enfin, la commission de l’économie a voulu conforter le rôle du maire dans l’attribution des aides. En effet, la proposition de notre collègue entendait replacer le maire au cœur du dispositif d’aide. Si nous avons voulu renforcer les mécanismes existants au niveau départemental, nous reconnaissons néanmoins le rôle déterminant du maire, dont la connaissance du terrain et des familles démunies ne peut être contestée. C’est pourquoi notre commission a souhaité que le gestionnaire du FSL informe le maire de toute demande reçue et sollicite son avis avant de procéder à l’attribution des aides.
En outre, et sans préjudice de cette disposition, le maire pourra également saisir le gestionnaire du fonds pour instruction d’une demande d’aide spécifique.
Toutefois, afin d’éviter les difficultés dramatiques pour les administrés qui pourraient résulter d’un retard de prise en charge du FSL lié au défaut d’avis du maire, notre commission a prévu que, sans réponse du maire dans un délai d’un mois, cet avis soit réputé favorable. Le maire se verra donc conférer par la loi des moyens d’information et d’intervention, sans trop complexifier les mécanismes d’attribution existants.
En définitive, le dispositif que la commission de l’économie a adopté à l’unanimité des groupes politiques constitue un compromis qui préserve les compétences des différents niveaux de collectivités, tout en assurant au maire un rôle accru dans l’attribution des aides.
Je vous invite donc, mes chers collègues, à confirmer aujourd’hui le vote unanime de la commission pour un dispositif en faveur de nos concitoyens les plus démunis.