Intervention de Paul Raoult

Réunion du 11 février 2010 à 15h00
Solidarité des communes dans le domaine de l'alimentation en eau — Adoption d'une proposition de loi

Photo de Paul RaoultPaul Raoult :

Madame la secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, l’accès à l’eau, source de toute vie, est effectivement un droit fondamental, inaliénable, universel, imprescriptible. C’est pourquoi l’utilisation, la disponibilité et la préservation de l’eau doivent être garanties. L’eau est un bien public d’intérêt général qui ne saurait être considéré comme une marchandise. Elle doit être gérée de façon responsable, efficace, solidaire et durable.

Tels sont les principes affichés dans l’introduction de la charte fondatrice du premier réseau européen pour la gestion publique de l’eau.

Cette idée majeure est également sous-jacente dans l’article 1er de la loi du 30 décembre 2006 sur l’eau et les milieux aquatiques, qui consacre un droit d’accès à l’eau potable pour chaque personne physique, pour son alimentation et pour son hygiène, dans des conditions économiquement acceptables par tous.

Jusqu’à présent, nous n’avions voté aucun texte d’application de cette déclaration de principe. Aujourd’hui, un texte a minima nous est proposé, texte qui s’inscrit dans le droit fil de l’affirmation du droit à l’eau, jusqu’alors restée lettre morte.

Cette proposition a pour vertu majeure de conforter le rôle du FSL, créé par la loi du 31 mai 1990, dite « loi Besson », et dont la gestion est sous la tutelle du département depuis 1995.

Le FSL a déjà la possibilité d’intervenir pour apporter une aide à ceux qui sont en situation d’impayés de facture d’eau. Les éléments nouveaux sont la fixation d’un montant maximal d’aide, correspondant à 0, 5 % des montants hors taxe des recettes d’eau et d’assainissement, et la nécessité d’un avis du maire, rendu dans un délai d’un mois.

Mais cette proposition de loi soulève un certain nombre de questions.

L’eau est devenue un bien cher et inaccessible pour les personnes démunies. En incluant l’accès à l’eau et l’assainissement, le coût moyen est compris entre 3 et 4 euros par mètre cube d’eau. Pour une consommation annuelle de 120 mètres cubes, c’est donc une somme de 360 euros à 480 euros – soit 30 à 40 euros par mois – qu’un ménage doit débourser. Une telle somme représente souvent bien plus que 3 % du revenu pour un ménage percevant le RSA ou pour un couple devant vivre avec un smic et qui doit acquitter des charges locatives élevées.

Chacun sait que, aujourd’hui, sur la question de l’eau, le dispositif des FSL ne fonctionne pas toujours correctement : 20 % des départements n’ont pas de FSL et 50 % des FSL existants n’ont pas, jusqu’à présent, pris en compte les problèmes de paiement des factures d’eau, s’occupant exclusivement des factures de gaz et d’électricité.

La question qui nous est posée aujourd’hui est donc la suivante : les FSL, gérés par les départements, sont-ils prêts à s’impliquer plus qu’avant dans le domaine de l’eau ?

Même si les ressources venant des opérateurs publics ou privés sont plus importantes, il faudra que les départements s’engagent plus largement en termes financiers, alors même que ces derniers sont déjà au bord de l’asphyxie budgétaire.

Faut-il prévoir, en plus, une aide des communes ou des centres communaux d’action sociale, les CCAS, comme le prévoit l’article 65 de la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales ? Celui-ci dispose en effet que toute personne ou famille éprouvant des difficultés particulières, au regard de son patrimoine et de l’insuffisance de ses ressources ou de ses conditions d’existence, a droit à une aide de la collectivité pour disposer, dans son logement, de la fourniture d’eau, d’énergie et de services téléphoniques.

Cela suppose évidemment une volonté politique et une capacité financière d’intervention des communes qui n’est pas toujours évidente dans le contexte économique actuel.

Cette proposition de loi, si elle est intéressante, est donc globalement insuffisante.

Le pouvoir d’achat des ménages les plus démunis a baissé sous l’effet de la crise et, dans le même temps, le prix de l’eau continue d’augmenter, et à un rythme plus soutenu que l’inflation. Cette évolution est liée à des facteurs réglementaires – protection de la ressource, normes de traitement, réseaux – et techniques – coûts de production, coûts des canalisations, production des traitements. Mais elle est également due à la très forte progression de la part de la facture d’eau consacrée à l’assainissement, part désormais plus importante que celle de la production et de la distribution d’eau.

Aussi les ménages les plus démunis souffrent-ils de plus en plus. Dans ce contexte, la solidarité doit-elle fonctionner comme on le propose, c'est-à-dire en faisant en sorte que, sur un certain territoire, la facture d’eau de ceux qui ne peuvent pas ou plus la payer soit prise en charge par ceux qui paient la leur ? N’est-ce pas une façon de faire payer les pauvres pour les plus pauvres ?

En outre, la nouvelle dépense conduira inévitablement les distributeurs à augmenter le prix de l’eau, ce qui entraînera d’autres ménages, déjà fragiles, vers une situation d’impayés.

Il me semble donc nécessaire de créer une sorte de bouclier social qui limiterait la part de revenu annuel réservé à la facture de fourniture d’eau et d’assainissement à 3 % du revenu. Cela permettrait de garantir un vrai droit à l’eau, sous la forme d’une allocation semblable à l’aide personnalisée au logement.

Pour éviter les situations dramatiques, peut-être faudrait-il envisager d’autres mesures.

Premièrement, une tarification par tranches pourrait être mise en place, avec un prix très inférieur pour la première tranche. Cette solution, il est vrai, est susceptible de poser d’autres problèmes, notamment en ce qui concerne les familles nombreuses.

Deuxièmement, la mensualisation classique, par voie bancaire, pourrait être développée pour les ménages les plus démunis.

Troisièmement, lorsque l’eau est gérée en régie, le système de relance des factures pourrait être mieux organisé, afin de ne pas laisser les familles s’enfoncer dans l’endettement.

En conclusion, je pense que c’est la création d’une nouvelle allocation qui assurera le droit à l’eau, en compensant le manque de revenu selon un principe de solidarité fixé au niveau national et assis sur le revenu de tous les ménages de notre pays.

Au moins, ce principe aurait pour avantage d’apporter aussi une réponse aux 46 % de ménages qui n’ont pas de facture d’eau et qui paient leurs charges d’eau avec les autres charges collectives générales – gaz, électricité, chauffage et loyer.

En effet, les ménages pauvres ont aujourd’hui des dépenses contraintes qui absorbent la quasi-totalité de leurs revenus. Entre 5 millions et 8 millions de personnes sont concernées. La totalité de cette population vit avec moins de 908 euros par mois, montant correspondant au seuil de pauvreté, fixé à 60 % du revenu médian. Je précise que, dans cet ensemble, 4, 28 millions de personnes vivent avec moins de 757 euros par mois, soit 50 % du revenu médian et 3, 3 millions sont allocataires de minima sociaux, percevant entre 300 et 700 euros.

Devant cette montée inexorable de la précarité, c’est-à-dire ce que subit toute personne ne disposant pas, de manière stable, d’un revenu suffisant pour s’assurer une vie décente, nous devons attendre les résultats des réflexions du Comité national de l’eau…

Cette proposition de loi, me semble-t-il, perd une partie de son sens si elle ne permet pas d’offrir simultanément des solutions curatives et préventives. C’est pourquoi j’ai le sentiment que la présentation de ce texte, quels que soient ses aspects positifs, revêt un caractère quelque peu précipité. La tarification sociale de l’eau est une problématique importante pour l’ensemble de nos concitoyens. J’attends donc dans les semaines qui viennent des propositions plus complètes et cohérentes, susceptibles de satisfaire l’ensemble des Français.

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