Intervention de Éliane Assassi

Réunion du 11 février 2010 à 15h00
Solidarité des communes dans le domaine de l'alimentation en eau — Adoption d'une proposition de loi

Photo de Éliane AssassiÉliane Assassi :

Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, les élus du groupe CRC-SPG sont pleinement satisfaits que la question du droit d’accès à l’eau vienne en débat dans cet hémicycle. Nous estimons qu’il s’agit là d’un des défis majeurs du xxie siècle, d’un enjeu de civilisation.

À ce titre, la LEMA aurait dû permettre une avancée sensible en affirmant, dans son article 1er, un droit d’accès de tous à l’eau « dans des conditions économiquement acceptables ». Pourtant, cette disposition n’a aujourd’hui qu’une valeur déclaratoire. Force est de constater qu’il existe encore de grandes iniquités territoriales. L’accès à l’eau peut ainsi représenter jusqu’à 10 % des ressources d’un foyer.

Partant de ce constat, un consensus politique semble se dégager pour aller plus loin afin de garantir, par des avancées législatives, le droit à l’eau. Pour mesurer l’intérêt de cette proposition de loi, posons-nous la question : les dispositions prévues permettront-elles de garantir concrètement l’exercice de ce droit ? Je suis au regret de répondre par la négative.

En effet, la proposition de loi telle qu’elle est issue des travaux de la commission reprend des dispositions déjà existantes qui, de par leur caractère optionnel, ont fait la preuve de leur inefficacité. De plus, elle ne vise qu’à renforcer le volet curatif, sans s’attaquer aux véritables causes de dysfonctionnement de ce service public.

Au départ, la proposition de M. Cambon visait, sous couvert de la liberté des collectivités locales à mener les politiques sociales de leur choix, à leur confier la responsabilité du financement des impayés d’eau. Si l’on comprend les élans généreux de cette proposition, au regard du contexte national, elle est insatisfaisante tant les compétences et l’autonomie financière des collectivités ont été rognées par des lois récentes.

En outre, un tel dispositif aurait renforcé le schéma bien connu de la socialisation des pertes et de la privatisation des profits.

La commission s’est donc attachée à réintégrer ce dispositif au sein du fonds de solidarité pour le logement, sans pour autant s’attaquer aux dysfonctionnements, ce qui ne saurait nous satisfaire.

Nous allons finalement nous en tenir une nouvelle fois à des déclarations de principe qui ne trouveront aucune application concrète. Ainsi, la réintégration des logements collectifs dans le FSL-eau, qui est une priorité, dépendra du bon vouloir des départements.

Par ailleurs, et ce point nous semble fondamental, le principe de financement alternatif est déjà prévu par l’article 6-3 de la loi de 1990. Je le rappelle, le contenu de cet article prévoit déjà la faculté ouverte aux délégataires comme aux collectivités de contribuer au financement du fonds de solidarité pour le logement. On connaît le succès de cet appel à la générosité… Aujourd’hui, les délégataires ne sont engagés qu’à hauteur de 3 millions d’euros, par le biais d’abandons de créances, alors même que la facture globale d’eau s’élève à 11 milliards d’euros.

Vouloir nous faire croire que cette proposition de loi apporte une innovation frise donc la malhonnêteté intellectuelle. C’est d’autant plus regrettable qu’il aurait été essentiel de renforcer, à travers ce texte, la participation des entreprises, notamment à la suite du désengagement de l’État.

En effet, depuis 2004, les départements ont reçu la compétence de la gestion et du financement des FSL, dont la situation varie beaucoup d’un département à l’autre. Est ainsi foulée aux pieds la nécessaire péréquation nationale dans la gestion de ce service public national. Ce transfert, vous le savez, a été opéré sans que les moyens correspondants soient eux-mêmes transférés.

Selon le rapport, la compensation s’élève aujourd’hui à seulement 93 millions d’euros, alors même que le financement des aides représentait 220 millions d’euros en 2008. C’est ce qui, entre autres raisons, explique que les sommes consacrées à ces aides restent limitées puisque seuls 72 000 foyers disposent aujourd’hui d’une aide au titre du FSL-eau, et uniquement à hauteur de 8, 5 millions d’euros.

Se posent donc clairement des problèmes de financement. À ce titre, par le plafonnement de la contribution des opérateurs à 0, 5 % des recettes provenant du service de l’eau, ce texte remanié traduit manifestement un manque d’exigence en termes de responsabilité des opérateurs.

Si nous considérons qu’il faut remédier aujourd’hui à ces dysfonctionnements, notamment en rendant obligatoire un certain niveau de contribution des « majors » de l’eau, nous pensons également que la question fondamentale reste celle de la garantie d’un droit. Or il n’en est nullement question ici.

Je le répète, sous des allures généreuses, le dispositif qui nous est proposé ne remet pas en cause le schéma actuel, qui conduit dans un même mouvement à une tarification trop importante du prix de l’eau pour les usagers et à une explosion des bénéfices des entreprises délégataires. En se voulant uniquement préventif dans le cadre du FSL, la proposition de loi accepte de fait les inégalités d’accès au service public de l’eau et s’apparente finalement davantage, faute de moyens et d’ambition, à un correctif social qu’à la mise en œuvre d’une véritable politique publique.

Or nous considérons que la priorité politique dans le domaine de l’eau ne peut consister dans le simple apport d’un tel correctif. Certes, il est nécessaire de prévoir des dispositifs d’urgence, notamment au regard de la situation sociale particulièrement dégradée, mais la priorité réside bien dans une politique publique différente en la matière.

Nous voulons donc clairement réaffirmer notre position.

Tout d’abord, nous estimons que les dérives que nous subissons concernant la tarification de l’eau démontrent l’absurdité de considérer ce « patrimoine commun de la nation » comme une simple marchandise. Ainsi que l’a affirmé notre collègue Évelyne Didier au nom de notre groupe lors de l’examen du projet de loi sur l’eau et les milieux aquatiques, l’accès pour tous à cette ressource est un droit fondamental.

Ensuite, nous prônons un retour progressif à une gestion intégralement publique de la distribution de l’eau afin que celle-ci soit résolument orientée vers la satisfaction de l’intérêt général et que les ressources financières ainsi dégagées soient exclusivement affectées à l’amélioration de ce service public.

Afin d’opérer un premier pas dans cette direction, nous avons déposé une proposition de loi alliant la définition d’un droit, celui de l’accès à l’eau, à la mise en place de garanties légales, l’allocation de solidarité, tout en respectant les principes fondateurs de la péréquation nationale.

Malgré vos déclarations sur l’intérêt de notre dispositif, vous n’avez pas voulu qu’on en débatte aujourd’hui en déclarant nos amendements irrecevables et en renvoyant cette question à de futurs débats à l’Assemblée nationale. Nous les suivrons bien évidemment avec attention.

Pourtant, légiférer uniquement sur le volet curatif ne répondra pas à l’objectif de la LEMA de donner « le droit d’accéder à l’eau dans des conditions économiquement acceptables par tous ».

Les sénateurs de notre groupe n’adopteront pas aujourd’hui un dispositif incomplet et redondant avec la législation actuelle sans avoir pu débattre dans notre hémicycle de l’instauration d’un volet préventif, véritable garantie du droit d’accès à l’eau pour tous.

Pour conclure, je voudrais remercier ici l’OBUSASS du remarquable travail de fond qu’il a fourni et de la rigueur intellectuelle dont ont fait preuve celles et ceux qui sont à la direction de cet observatoire.

Je voudrais également dire à Christian Cambon combien nous avons été sensibles à sa proposition – et c’est suffisamment rare pour que je le souligne ! –, qui, au-delà de nos désaccords, a le mérite de poser la question de la solidarité dans le secteur de l’eau et de l’assainissement.

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