Intervention de Serge Vinçon

Réunion du 14 juin 2006 à 15h00
Conseil européen des 15 et 16 juin 2006 — Débat sur une déclaration du gouvernement

Photo de Serge VinçonSerge Vinçon, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées :

Le Conseil européen s'ouvrant demain doit examiner deux questions décisives pour l'Union européenne : la stratégie d'élargissement et le sort du traité constitutionnel, ou tout au moins du contenu de celui-ci, au terme de la période de réflexion ouverte par son rejet par la France et par les Pays-Bas.

Sur ces deux sujets, le débat devrait se poursuivre. Après la réunion des ministres des affaires étrangères qui s'est tenue à Vienne les 27 et 28 mai derniers, une prolongation de la période de réflexion s'est imposée.

S'agissant de l'élargissement, la Commission européenne travaille sur les critères d'adhésion, et, singulièrement, sur demande française, sur celui qui concerne la capacité de l'Union à assimiler de nouveaux membres.

Cette prolongation des débats illustre l'incertitude qui marque l'Europe aujourd'hui, mais cette réflexion est indispensable.

En effet, aucun consensus ne paraît pouvoir se dégager dans l'immédiat. Il n'est pas concevable que la France et les Pays-Bas reprennent le processus de ratification. Les sondages récents nous montrent que la position des Français n'a pas changé, et le débat dans le pays n'a pas évolué.

Faut-il, alors, faire le deuil de l'ambition portée par le traité ? Faut-il l'enterrer dignement et passer à autre chose, ainsi que le préconisent notamment les tenants d'une Europe limitée au seul marché intérieur ? Évidemment non, et pour plusieurs raisons.

Tout d'abord, parce que le processus de ratification peut, théoriquement, se poursuivre. Par ailleurs, les États ayant ratifié le texte, comme nos partenaires allemands, sont attachés, ainsi que l'a rappelé Mme Merkel, au traité constitutionnel, et peinent à comprendre pourquoi le refus de deux États, fussent-ils des membres fondateurs, devrait peser davantage que leur propre engagement.

Ensuite, parce que le traité constitutionnel lui-même invite le Conseil européen à se saisir des difficultés de ratification et à rechercher une solution, dès lors qu'un nombre significatif d'États membres auront ratifié le texte, ce qui pourrait être bientôt le cas.

Enfin, le traité de Nice, conçu pour une Europe à vingt-sept, nous oblige, en tout état de cause, à une réforme institutionnelle, notamment à celle de la Commission, à l'horizon de 2009. Le statu quo n'est donc pas envisageable.

Ce constat étant posé, les réponses à apporter divergent.

Entre les tenants d'une renégociation du traité et ceux qui souhaitent son maintien en l'état, il existe un espace de compromis. Il s'agit non pas d'opérer une « ratification rampante » du traité, qui verrait la mise en application discrète de certaines de ses dispositions, ce qui serait légitimement mal perçu par les citoyens et risquerait en même temps de nuire à l'équilibre défini par le traité, mais bien d'utiliser la phase de réflexion qui se poursuit pour tenter de préserver les avancées institutionnelles qu'il prévoyait, et dont certaines sont indispensables au projet européen.

Vous nous direz, monsieur le ministre, comment la France, dans son dialogue avec ses partenaires et avec ses citoyens, entend aborder cette nouvelle période, et avec quels objectifs.

Dans cette perspective, nous devons travailler dans deux directions. On a beaucoup, et légitimement, évoqué l'Europe des projets, pour montrer ce que la construction européenne peut apporter concrètement aux citoyens, notamment dans les domaines de l'emploi et des questions sociales, où leurs attentes sont fortes.

Cela étant, nous avons aussi, et peut-être surtout, besoin d'une ambition. J'ai la conviction que nous devons également développer de tels projets dans les domaines de la politique étrangère et de la défense, qui sont notre horizon pour l'Europe et que vous avez d'ailleurs pris pour exemples à l'instant.

Dans l'esprit des citoyens, cette Europe existe déjà, c'est pourquoi ils sont prompts à regretter ses insuffisances. Faisons cependant le pari que l'Union européenne peut contribuer à la stabilité en Afrique, comme elle s'apprête à le faire au Congo, qu'elle peut mener à bien l'immense tâche entreprise dans les Balkans, qu'elle peut faire entendre une voix attendue, écoutée et respectée sur la scène internationale. Développons les échanges sur ces sujets, afin de produire l'analyse commune qui fait actuellement défaut, en esquissant peut-être la mise en place du service diplomatique européen et du ministre européen des affaires étrangères. Nous vous rejoignons sur ce point, monsieur le ministre. C'est sur ces terrains que l'Union européenne démontrera qu'elle n'a pas laissé de côté son ambition politique. C'est aussi sur ces terrains-là que la cohérence de l'action internationale de l'Union doit être améliorée.

J'ajoute que, s'agissant de la défense européenne, son articulation avec l'OTAN, en termes de concurrence ou de complémentarité, reste au coeur du débat. On peut craindre que le sommet consacré aux futures missions de l'OTAN qui se tiendra à Riga dans quelques mois n'illustre les divergences entre ceux qui sont, au sein même de l'Union, les principaux acteurs de la défense européenne.

Par ailleurs, monsieur le ministre, certains sujets de l'actualité internationale feront sûrement l'objet d'une discussion au sein du Conseil européen, comme la question du nucléaire iranien ou celle, tout aussi complexe, de l'aide européenne à la population palestinienne, et même, au-delà, d'une approche européenne spécifique de ce conflit, plus que souhaitable aujourd'hui, au moment où le chaos menace. Peut-être pourrez-vous nous dire tout à l'heure quels seront, sur ces questions, les axes de la position défendue par la France.

Quoi qu'il en soit, de même que l'Europe n'est pas la source de tous nos maux, elle n'est pas non plus la réponse systématique à tous nos besoins. C'est pourquoi il est nécessaire de renforcer une dynamique dans notre propre pays et de poursuivre nos efforts en matière de réformes. L'Europe nous y incite, et peut nous y aider. Forts d'une confiance retrouvée dans la capacité de notre pays à prendre toute sa place dans la dynamique de l'économie mondiale et à créer de la richesse et de l'emploi, nos concitoyens porteront un regard différent sur le projet européen et accepteront mieux de lui donner les moyens de progresser.

Cela m'amène au second sujet, celui de l'élargissement de l'Union européenne.

La réunification de l'Europe, en mai 2004, qui devrait être parachevée par l'adhésion de la Roumanie et de la Bulgarie, a été accueillie par nos concitoyens avec sympathie.

À l'évidence, si l'on se réfère à la teneur des débats auxquels a donné lieu le référendum, les autres élargissements annoncés sont davantage perçus comme une fuite en avant et comme une alternative à l'approfondissement. Si nous n'y prenons pas garde, pour reprendre les termes de Mme Ferrero-Waldner, commissaire européen chargé des relations extérieures, « les citoyens ne nous suivront plus », avec les conséquences que la règle constitutionnelle du recours au référendum implique dans notre pays. L'élargissement ne peut plus être seulement l'instrument idéal d'une politique étrangère européenne ; il est désormais un enjeu politique tout court, avec les exigences de pédagogie, d'explications que cela suppose pour nous tous, responsables politiques nationaux.

La réforme institutionnelle et l'élargissement sont interdépendants. L'adhésion à l'Union européenne a été et reste un réel moteur pour promouvoir les réformes démocratiques et réduire l'instabilité, mais celle-ci n'a pas disparu en Europe. Le référendum qui vient de se tenir au Monténégro a été une nouvelle étape du morcellement de l'ex-Yougoslavie, et l'avenir des négociations sur le Kosovo nous dira si ce processus risque ou non de se poursuivre encore.

Cependant, la paix et la stabilité ne découlent pas de la seule adhésion. Elles sont aussi le fruit de la dynamique d'un projet et de la volonté de travailler ensemble, que seules des institutions solides et une Europe sûre d'elle-même et de ses capacités peuvent garantir.

Que dire d'une Union dont la nature serait bouleversée par l'adhésion d'un pays candidat ? Que dire d'une Union dont les politiques de solidarité seraient remises en cause par l'arrivée d'États qui en espèrent précisément le bénéfice ? Que dire d'une institution paralysée par l'adhésion de pays qui comptent sur son action et sa dynamique ? C'est là, je crois, le sens des interrogations de nombre de nos compatriotes sur l'élargissement : le projet européen est riche de promesses, il nous appartient de les tenir.

Dans la crise que traverse actuellement l'Union européenne, toutes les options restent ouvertes. L'Allemagne et la France se sont accordées sur de nouvelles échéances et poursuivent la discussion sur la méthode. Sans apporter de réponse immédiate, le Conseil européen devrait s'efforcer de redonner un cap au navire européen : c'est ce que nous en attendons.

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