Intervention de Denis Badré

Réunion du 14 juin 2006 à 15h00
Conseil européen des 15 et 16 juin 2006 — Débat sur une déclaration du gouvernement

Photo de Denis BadréDenis Badré :

Si M Zapatero le dit aujourd'hui, c'est très bien ! Je regrette que la France ne l'ait pas fait plus tôt et de manière plus forte. Comme je le disais au ministre d'État il y a huit jours, j'aimerais que la France prenne enfin une initiative sur ce sujet. Si la France propose à l'Europe de traiter des questions d'immigration, elle sera obligée d'y associer immédiatement une véritable politique de développement qui redonnerait du sens à la construction européenne. Je vais d'ailleurs y revenir dans un instant.

L'ordre du jour prévu n'est donc pas formidable. Heureusement, il y a quelques points positifs. MM. Serge Vinçon et Hubert Haenel rappelaient que les parlements nationaux commencent à voir leur rôle reconnu. Nous avons fait du très bon travail sur ce point. À partir du moment où vous mettez ensemble des parlementaires nationaux des différents États de l'Union, ils sont à la hauteur de leurs responsabilités et se rendent compte des enjeux de la construction européenne. Il faut les écouter, j'espère que cela sera le cas, d'abord sur l'article 88-5 de la Constitution française, introduit pour permettre la ratification de la Constitution européenne mais qui subsiste même sans celle-ci. Utilisons-le sans tergiverser, sans nous retrancher derrière le fait que tel ou tel gouvernement trouve que le dispositif pourrait être meilleur ! Avançons, de grâce avançons !

C'est un constat : l'Europe est en panne et la France, qui est elle-même en panne dans l'Europe, n'assume plus ses responsabilités. À l'origine de beaucoup d'initiatives, elle a été longtemps coupable d'arrogance. Aujourd'hui, on nous a « rabattu le caquet ». À Bruxelles, on est moins arrogants. Tant mieux ! Mais je ne voudrais pas que, écrasée par sa responsabilité dans l'après-29 mai, la France n'assume plus sa responsabilité historique : celle d'être ouvreur de la construction européenne. Elle a en effet toujours exercé cette responsabilité jusqu'à présent.

Il faut restaurer la confiance. Il faut parler aux Européens, et, en particulier, aux Français. Il faut retrouver le sens de l'avenir. Pour cela, il faut centrer l'action sur des projets concrets. Construire une politique scientifique, c'est très bien ; construire une politique européenne de l'énergie, c'est nécessaire ; préparer une Europe de la sécurité et de la défense, c'est indispensable ; proposer des réseaux transeuropéens, c'est essentiel. Tout cela, c'est concret. Les Européens comprennent ce que c'est et ils comprendront donc que l'Europe représente quelque chose pour leur avenir.

Il faut surtout renouer avec la formidable méthode Schuman. On en a surtout retenu qu'il fallait avancer pas à pas. Pour Robert Schuman, il s'agissait surtout de proposer à la fois un grand dessein, en 1950 la paix, et des réalisations concrètes pour y parvenir, à l'époque la mise en commun du charbon et de l'acier.

Quel est notre grand dessein, notre paix d'aujourd'hui ? Quelles sont nos réalisations concrètes, notre mise en commun du charbon et de l'acier de 2006 ? Nous attendons aujourd'hui de tels projets de ceux qui portent la responsabilité de la construction européenne, de ceux qui vont aller au sommet de Bruxelles demain.

Que représente la stratégie de Lisbonne pour les Européens ? Ils n'y comprennent rien. C'est illisible, incompréhensible. Vous devriez expliquer aux Européens que vous avez compris que leurs préoccupations portent sur l'immigration et sur les délocalisations. Pour y répondre, vous devriez proposer deux grandes politiques, qui seraient l'équivalent de la nécessité de construire la paix en 1950 : une politique d'aide au développement, pour réduire l'écart avec les pays les plus pauvres, et une politique de développement scientifique et d'innovation, pour être compétitifs par rapport aux pays les plus avancés. Les problèmes de l'immigration et des délocalisations pourraient ainsi être traités d'une façon plus ambitieuse.

Monsieur le ministre, le doute donne sens à la foi, à condition qu'il ne l'étouffe pas ! La construction européenne est devenue molle, illisible, imperceptible.

Le monde de 1950 était autrement menaçant et imprévisible. Pourtant, ceux qui, à l'époque, étaient en charge de l'avenir ont su bousculer toutes les raisons d'attendre et de ne rien faire. Ils - et c'étaient d'abord des Français - ont offert un avenir à notre continent exsangue et déchiré, à l'heure où c'était le plus difficile.

Aujourd'hui, ce sont le Président de la République, le Gouvernement et vous-même, monsieur le ministre, qui êtes en charge de cet avenir. L'histoire vous jugera sans doute d'abord sur ce point. Avez-vous assumé vos responsabilités au regard de la construction européenne en 2006 ? C'est votre responsabilité la plus lourde et la plus éminente.

Les Français attendent, les Européens attendent - on peut même dire sans emphase, le monde attend. Et vous, vous nous dites que vous attendez le Conseil européen ! Mais avez-vous le droit d'attendre encore ? Le temps de gérer la panne est passé. Le temps de l'attentisme est révolu. Le temps est de nouveau celui de l'avenir, de l'inspiration au service d'une foi à soulever les montagnes !

C'est à vous, monsieur le ministre, qu'il appartient d'envoyer un signal très fort aux Français et aux Européens, de montrer aux Européens que la France assume de nouveau son rôle d'ouvreur, de montrer aux Français qu'il n'y a pas d'avenir pour eux hors de l'Europe !

C'est à vous, monsieur le ministre, qu'il appartient de prendre des initiatives ayant du sens et de faire des propositions pour les mettre en oeuvre. Il est déjà bien tard. Monsieur le ministre, levez-vous, prenez de la hauteur, les enjeux sont considérables ! Soyez présent au rendez-vous que vous donne l'histoire, et d'abord, demain, au sommet de Bruxelles !

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