Je commencerai par rendre hommage aux techniques de communication parfaitement efficaces et très subtiles du Gouvernement, dont l’objectif premier est de démontrer avec force que la politique menée en matière de sécurité permet de faire diminuer la délinquance.
Cela ne vous empêche pas, à l’occasion de chaque nouveau fait divers plus ou moins monté en épingle par les médias, d’admettre en définitive que la délinquance n’est pas complètement contenue. Mais, au lieu de vous interroger sur votre politique, vous préférez reporter la faute sur les magistrats, qui seraient laxistes, ou sur le code pénal, dont les dispositions seraient insuffisamment répressives.
À grands renforts de couverture médiatique, vous envoyez des renforts humains sur place : de cette façon, vous continuez d’augmenter la défiance du citoyen vis-à-vis, notamment, de l’institution judiciaire et vous en tirez la conclusion que les textes ne sont pas assez répressifs.
Pour vous, les contrevenants sont tous de dangereux criminels, que les juges laissent faire. Le citoyen développe ainsi un sentiment d’insécurité croissant, qui justifie l’accumulation, à laquelle nous assistons ces dernières années, en boucle, ou plutôt en spirale, de textes qui sont pourtant tous – nous en avons la preuve – totalement inefficaces.
Le traitement et la prévention de la délinquance nécessiteraient – vous l’avez d’ailleurs prévu dans le projet de loi – un véritable partenariat entre les différentes institutions ou les dépositaires de l’autorité publique, lesquels devraient travailler main dans la main, en toute confiance : vous agissez dans le sens contraire et claironnez tous les jours votre défiance à nos concitoyens.
Ce projet de loi est un fourre-tout qui n’organise aucune programmation sur le long terme, si ce n’est, à mon sens, la mise à mal de notre démocratie et de notre sécurité, ce qui est tout de même regrettable pour une loi de « programmation » !
Par ailleurs, il est inégalitaire, ne serait-ce qu’en raison du transfert, que nous avons évoqué ce matin, des missions de l’État vers les polices municipales. Les communes riches pourront avoir une police municipale et mener des actions de prévention de la délinquance plus ou moins efficaces, mais pas les communes pauvres. Les policiers municipaux, sous l’autorité du maire, devront assumer une fois de plus des fonctions régaliennes qui, normalement, reviennent à l’État. Les policiers municipaux ne seront pas formés aux nouvelles missions qui leur seront confiées, car, que je sache, le Centre national de la fonction publique territoriale n’est pas en mesure aujourd’hui d’assurer cette formation complète.
Ce projet de loi est inégalitaire également parce que, comme de nombreux articles l’ont indiqué, la répartition des forces de sécurité entraînera une désertion des zones rurales. Dans le projet de loi, il est bien indiqué que les forces de sécurité seront affectées dans les bassins de délinquance : les zones rurales seront donc oubliées. Pour l’instant, la gendarmerie nationale est toujours là et elle est encore composée de militaires sur lesquels nous pouvons compter, mais ils sont de moins en moins nombreux. Aujourd’hui, ils sont regroupés avec la police nationale sous l’autorité du ministère de l’intérieur ; si, demain, ils sont toujours parmi nous, ils devront eux aussi aller dans les zones urbaines. À l’époque, Coluche disait que certains étaient plus égaux que d’autres ; aujourd’hui, s’il était encore vivant, il dirait plus « équivalents »…
De plus, ce texte est inutile, voire dangereux.
Il organise la défiance et déstabilise l’institution judiciaire, qui est pourtant un pilier fondamental en matière de lutte contre la délinquance.
Il met à mal le principe de la personnalisation de la peine, qui devient une dérogation au droit commun.
Il organise un transfert, et non une coproduction, de l’obligation de sécurité vers les sociétés privées, sans mettre en place en amont les moyens de contrôle et de formation nécessaires. Même le domaine public sera demain sous le contrôle de sociétés de sécurité privées grâce à la vidéosurveillance, qui n’est pour moi qu’un outil, mais pour vous une fin. Le dogme de la perfection de cet instrument est d’ailleurs extrêmement dangereux : il empêche de mettre en œuvre les moyens nécessaires pour le contrôler.
Il met en place, insidieusement, les conditions d’une censure de la communication en s’abritant derrière la nécessaire lutte contre la pédopornographie, qui est déjà associée au radicalisme religieux. D’aucuns me diront : ne faut-il pas lutter contre ces deux fléaux ? Si, bien sûr, mais en s’appuyant sur les principes de notre démocratie ! Et ce n’est pas faire preuve d’angélisme que d’affirmer que nous avons les moyens de lutter contre la pédopornographie et le radicalisme religieux sans mettre à mal la démocratie et censurer tous les moyens de communication.
La série de mesures figurant dans le texte ne visent de plus que les « exécutants » de la délinquance, jamais les donneurs d’ordre, ceux qui tirent réellement les ficelles des profits gigantesques liés à cette dernière : paradis fiscaux, fraudeurs de grande envergure, systèmes financiers, banques parfois peu scrupuleuses. D’ailleurs, aucune aggravation de peine n’est prévue, les délais de prescription diminuent, et nul moyen n’est dédié spécifiquement à cette lutte !
Monsieur le ministre, vous l’avez compris, nous sommes persuadés que vous ne vous attaquez pas à la délinquance. Nous ne pouvons nous associer à votre politique de communication et soutenir votre discours populiste.