Intervention de Bruno Retailleau

Réunion du 14 juin 2006 à 15h00
Conseil européen des 15 et 16 juin 2006 — Débat sur une déclaration du gouvernement

Photo de Bruno RetailleauBruno Retailleau :

Monsieur le président, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, pour ma part, je ne partirai pas de Suède, mais je resterai dans l'Hexagone, plus précisément dans mon département de Vendée où, lundi, Dominique Bussereau effectuait une visite de terrain. Il a alors annoncé la décision du Gouvernement de donner 1 000 euros à chaque agriculteur qui accepterait de passer à l'agriculture raisonnée.

Bonne et sage décision, mais les agriculteurs, qui sont devenus des experts en matière de réglementation bruxelloise, lui ont fait remarquer que cette décision était inapplicable en raison de la règle dite de minimis.

Cette anecdote résume à elle seule la situation dans laquelle nous sommes un an après le « non » français à la Constitution. Tout se déroule en effet comme si rien ne s'était passé. Tout se passe également comme si le Gouvernement tenait pour négligeable l'expression du peuple français.

Si vous en doutez, je vais vous donner trois exemples pris dans les quatre dernières semaines et choisis parce qu'ils portent sur les trois motifs principaux de l'inquiétude des Français et des raisons du rejet du traité : la dérive fédéraliste, la Turquie, la directive Bolkestein.

Premier exemple : la dérive fédéraliste.

Le 21 avril dernier, le Gouvernement a soumis à la présidence autrichienne des « propositions pour améliorer le fonctionnement des traités ». Parmi celles-ci figure l'abandon du vote à l'unanimité pour les affaires de police et de justice en matière pénale grâce à l'utilisation de la clause passerelle de l'article 42 du traité sur l'Union européenne.

Comme par hasard, cette disposition figurait également dans le projet de traité constitutionnel, qui a pourtant été rejeté. On tente aujourd'hui de la réintroduire par la fenêtre. Heureusement, il y avait l'Allemagne et Angela Merkel !

Deuxième exemple : la Turquie.

Voilà un pays candidat qui se moque des accords internationaux, qui ne respecte pas, en particulier, le protocole d'Ankara et qui n'a toujours pas reconnu un État membre de l'Union. Qu'à cela ne tienne ! Ce n'est pas sur ce pays que la France et d'autres États membres ont fait pression pour qu'il respecte ses accords, mais sur Chypre afin que la Turquie franchisse, avant hier, une étape décisive vers son adhésion.

Troisième exemple : la directive Bolkestein.

Cette directive à peine reformulée, la Commission a annoncé le 8 juin dernier une nouvelle directive libéralisant les services de santé pour la fin de l'année. Ces services, avec d'autres, étaient pourtant au coeur du refus de la première mouture de la directive « services ».

Madame, monsieur les ministres, avez-vous adressé la moindre protestation ? Pour le moment, je n'en ai lue aucune. C'est pourquoi vous me permettrez de douter de la loyauté du Gouvernement à l'égard de la volonté du peuple français, qui, comme le montrent tous les sondages - plusieurs orateurs l'ont reconnu -, reste fidèle à son vote du 29 mai.

En réalité, les eurocrates sont persuadés que c'est le peuple français qui s'est trompé, et surtout pas eux ! Leur objectif est bien d'organiser un contournement du verdict des urnes en utilisant différents moyens, alternatifs ou cumulatifs.

Il s'agit, tout d'abord, de la voie subreptice, par le biais du mémorandum français du 21 avril ou par le découpage du projet de Constitution européenne en tranches. J'ai même lu que l'on proposait de débaptiser purement et simplement le traité.

Il s'agit, ensuite, de la voie parlementaire. Après l'élection présidentielle en France, les élections législatives aux Pays-Bas, et sans oublier l'anniversaire du traité de Rome en mars 2007, c'est-à-dire entre la fin de la présidence allemande et celle de la présidence française en décembre 2008, gageons qu'une mouture du traité, voire la même version, sera soumise à un vote parlementaire.

Il s'agit, enfin, de la voie juridictionnelle, avec la Cour européenne de justice, complice de toujours du projet fédéral. Je veux parler de l'arrêt du 13 septembre 2005, qui est un saut important vers la communautarisation du droit pénal.

Le « non » français et néerlandais représente une formidable opportunité de poser les bases d'une nouvelle Europe, plus proche des citoyens et plus respectueuse de la souveraineté de chaque nation.

La responsabilité du Gouvernement est de respecter scrupuleusement le message des Français et de saisir cette opportunité.

Dans un premier temps, c'est à lui de proposer l'abandon définitif de la Constitution européenne, qui a été rejetée, à l'instar de ce que demandent les Pays-Bas, le Royaume-Uni ou encore la Pologne.

Dans un second temps, c'est à lui de donner un contenu au concept d'« Europe des projets » tel qu'il a été ébauché à Hampton Court.

Comme vient de le dire M. de Montesquiou, l'Europe des projets ne doit pas être un faux-semblant, une nouvelle finasserie. N'employons pas des mots différents pour désigner une réalité semblable ! Il faut une autre Europe, et non une Europe où tout le monde fait la même chose au même moment, au même rythme, dans les mêmes conditions et suivant les mêmes modalités. Dans un ensemble de plus en plus hétérogène, il est totalement illusoire d'imposer à tous des convergences qui sont de plus en plus artificielles.

L'Europe qui réussira, l'Europe de la puissance sera l'Europe des réseaux, l'Europe différenciée où les piliers seront les démocraties nationales qui s'associeront librement afin de développer des projets en commun selon des formations à géométrie variable.

L'Europe nouvelle, c'est une Europe respectueuse des souverainetés nationales, c'est-à-dire, comme le disait le général de Gaulle, des démocraties !

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