Intervention de Michel Thiollière

Réunion du 13 mai 2009 à 9h45
Diffusion et protection de la création sur internet — Adoption définitive d'un projet de loi en nouvelle lecture

Photo de Michel ThiollièreMichel Thiollière, rapporteur :

On nous répondra qu’on doit faire court !

S’il faut faire court, ouvrons tout de suite les vannes d’une mondialisation essentiellement marchande ! Cessons alors de nous rengorger en évoquant la diversité, l’identité et la litanie de tous nos droits : droit à la différence, droit à l’indépendance, droit à l’émergence, droit à la pluralité ...

Qu’est-ce que cela veut dire, si nous ne traitons pas le sujet au fond ?

Si nous laissons le rouleau compresseur de l’uniformisation du monde laminer l’artiste, nous aurons un monde plat, comme un écran sans profondeur, qui nie la hiérarchie des valeurs.

C’est à cela que ressemble internet si l’outil magique n’est pas « canalisé », pour reprendre le mot que j’utilisais il y a un instant, s’il n’est pas appréhendé en fonction des valeurs que nous portons et qui doivent mettre non la machine, mais l’homme au centre de tout.

Tout récemment, nos collègues députés européens ont adopté un amendement aux termes duquel l’usage d’internet serait un service qui ne pourrait pas être interrompu. Ont-ils voulu dire qu’internet est une chance, un service, un outil devenu aussi important dans notre vie quotidienne que le sont l’eau ou l’électricité ?

Si tel est le cas, nous pouvons les comprendre, tout en nuançant leur propos si nous convenons ensemble que les biens culturels sont d’une nature spécifique et que le talent créatif n’est pas forcément le fruit d’une activité productrice classique.

Il faut aussi qu’ils nous disent comment ils comptent protéger ce que l’Europe a aujourd’hui de plus précieux, ce qui lui confère une autorité morale de par le monde, ce qui lui assurera l’essentiel de ses revenus et de ses emplois, c’est-à-dire sa capacité à créer, à imaginer, à innover ou à inventer.

Se sont-ils demandé comment se poursuivra l’aventure des communications si les industriels et les scientifiques eux-mêmes voient leurs découvertes pillées ?

En cas d’accord pour protéger les innovations, demandons-leur à quoi cela servira de protéger la technologie qui permet d’alimenter le monde s’il n’y a plus d’eau à faire circuler dans les tuyaux !

Si derrière cet amendement se cache l’idée que la machine est autorisée à broyer le créateur, nous devons dénoncer cet amendement !

Si l’Europe emprunte la pente d’un populisme technologique et d’une fausse gratuité des biens culturels, alors, nous devrons nous y opposer !

Souhaitons que la future assemblée européenne, née des prochaines échéances de juin, ait à cœur, plutôt que de suivre aveuglément le monde des télécommunications, d’aider le monde des créateurs !

À ce moment du débat, je veux dénoncer un paradoxe pour moi insupportable. Aujourd’hui, le monde entier veut réguler le capitalisme débridé, outrancier, qui a oublié les règles les plus élémentaires du respect et du bon sens, alors que, dans le même temps, des esprits qui se disent éclairés veulent banaliser l’usage d’un outil symbole de la mondialisation la plus dérégulée, de la société qui s’avilit dans une négation de ses valeurs !

Si l’on veut redonner du sens au monde, il faut à la fois permettre l’accès à internet au plus grand nombre et défendre la création. Il ne faut sûrement pas établir un nouveau droit des hommes à piller la création au motif que la toile de l’internet est une nouvelle déesse au-dessus des lois des hommes. Nous devons nous garder de la fascination que nous éprouvons pour la machine que nous créons, de ce qui s’apparente à une forme d’addiction à la machine.

Nous n’en revenons pas d’avoir créé un si beau système. Sans doute la même fascination accompagnait-elle les premiers pas de l’imprimerie. Mais on peut vouloir la diffusion la plus large des livres sans pour autant détruire ce qui permet leur existence.

Aucune invention avant internet ne nous aura autant donné l’illusion que le temps et l’espace se retrouvent rétrécis, plus encore qu’au temps du chemin de fer, de l’automobile ou de l’aviation !

Rappelons-nous que l’intelligence des générations passées a permis le développement des machines, ainsi que la garantie et la protection de l’invention.

Viendrait-il à l’esprit d’un seul d’entre nous, en ces temps de crise et de compétition technologique, de brader les découvertes scientifiques et les inventions technologiques au motif que l’argent est rare et que chacun a bien le droit d’user de tous les objets de la création ?

Oserions-nous inciter nos étudiants, nos chercheurs, nos ingénieurs et nos techniciens à travailler dur, à nous offrir leurs découvertes pour que le monde aille mieux sans garantir la protection et la rémunération de leur travail ?

Alors que, partout dans le monde, les États protègent ce qu’ils ont de plus précieux, nous, Français, qui sommes l’un des peuples les plus créatifs dans le monde de la culture, nous conseillerions à nos artistes de partir plutôt que de voir leur travail pillé et non rémunéré !

On nous a dit : « Abandonnez l’idée de la suspension à internet, faites payer une amende ! » Autant dire tout de suite : « Pour piller, payez ! » Idée saugrenue qui consiste à dire qu’on peut tout voler du moment qu’on paie un forfait !

Loin du paradoxe, cela signifie que le jeu du piratage sera tarifé et que seuls ceux qui en auront les moyens pourront se le payer.

Alors que nous allons dans quelques instants passer au vote, il n’est pas utile de revenir sur tous les aspects du texte. Nous le connaissons bien ! Notre discussion ici même, puis la commission mixte paritaire, lui ont donné un tour adapté et à la hauteur des risques encourus.

Ainsi, il n’est pas besoin de rappeler que la Haute Autorité sera une autorité irréprochable et efficace.

J’avais, en son temps, évoqué la nécessaire réconciliation de l’internaute et du créateur. Cette thématique a été reprise, et je m’en réjouis.

Nous avons tout fait pour que la pédagogie soit renforcée. Nous avons travaillé pour concilier les droits des créateurs et des internautes. Nous avons aussi voulu une information plus approfondie des internautes et accentué le volet consacré à l’offre légale.

Bref, le texte est équilibré, et nous pouvons savoir gré – une fois n’est pas coutume !

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