Intervention de Michel Thiollière

Réunion du 13 mai 2009 à 9h45
Diffusion et protection de la création sur internet — Adoption définitive d'un projet de loi en nouvelle lecture

Photo de Michel ThiollièreMichel Thiollière, rapporteur :

En outre, la commission mixte paritaire a exclu toute amnistie des contraventions dressées et condamnations prononcées à l’encontre des pirates sanctionnés en vertu du délit de contrefaçon de droits voisins. En effet, les personnes concernées sont, non de simples particuliers poursuivis pour téléchargement illégal, mais de vrais trafiquants. Il n’y avait donc pas lieu de revenir sur cette application de la loi sur les droits d’auteur et les droits voisins dans la société de l’information du 1er août 2006, dite loi DADVSI, sauf à envoyer un message, là aussi paradoxal, aux « pirates » en laissant supposer que les « gros » échapperont aux mailles du filet.

Enfin, la commission mixte paritaire a confirmé les dispositions introduites par l’Assemblée nationale, sur l’initiative du Gouvernement et du député Christian Kert, en faveur du secteur de la presse

Le jeudi 9 avril dernier, alors que le Sénat avait adopté les conclusions de la commission mixte paritaire, l’Assemblée nationale les a rejetées.

Cette situation, très rare dans l’histoire de notre Vè République, a entraîné la poursuite de la navette parlementaire. L’Assemblée nationale a, par conséquent, examiné le présent projet de loi à l’occasion d’une nouvelle lecture et adopté ce texte par un vote solennel hier.

À cette occasion, elle a adopté un texte quasiment identique à celui qui résultait des travaux de la commission mixte paritaire. Elle y a seulement apporté trois modifications mineures.

Parce que cette rédaction lui convient, la commission des affaires culturelles l’a adopté hier soir sans modification et vous demande de le voter aujourd’hui en nouvelle lecture.

Je formulerai cependant un regret : comme je pressentais bien voilà quelques mois que les plus permissifs et les plus libéraux ou libertaires reviendraient à la charge pour suivre la pente de la démagogie, j’avais fait adopter par notre assemblée la possibilité de limiter, le cas échéant, le débit de l’accès à internet. Je déplore que cette mesure n’ait pas reçu plus de soutien. Nous aurions maintenant une alternative crédible face aux critiques qu’encourage le vote du Parlement européen du mercredi 6 mai dernier.

Je rappelle que les députés européens ont voté un amendement de leur collègue socialiste Guy Bono sur ce qu’il est convenu d’appeler le « paquet Télécom », texte relatif à la réglementation des réseaux de communications électroniques. Cet amendement, identique à celui qui avait été adopté le 24 septembre 2008 par le Parlement européen, en première lecture, prévoit qu’aucune atteinte ne peut être imposée aux « libertés et droits fondamentaux » des « utilisateurs finaux » d’internet sans « décision préalable des autorités judiciaires », dans l’objectif d’empêcher la coupure d’un abonnement internet sans décision de justice préalable. On l’a bien compris, il veut ainsi peser dans le débat français sur le présent projet de loi.

Un certain nombre d’États membres de l’Union européenne, dont la France, y étaient très opposés. C’est pourquoi le Conseil de l’Union avait rejeté cet amendement en première lecture, à l’unanimité, et un amendement de compromis avait été élaboré, en liaison avec le Conseil, en vue de la deuxième lecture devant le Parlement européen, le 6 mai dernier.

Toutefois, cet amendement de compromis n’a pas été examiné par les députés européens, la version initiale de l’amendement Bono, redéposée entre-temps, ayant été appelée au vote avant lui et adoptée.

Il appartient donc à présent au Conseil d’examiner cet amendement en deuxième lecture, le 12 juin prochain. En cas de rejet par le Conseil et, donc, de confirmation de sa position, c’est l’ensemble de la directive en cause qui serait renvoyée devant le comité de conciliation, à l’automne 2009.

Les termes de cet amendement sont interprétés par son auteur et par les opposants français à la « réponse graduée » comme faisant obstacle au présent projet de loi, ce dernier ne prévoyant l’intervention du juge judiciaire qu’au stade des voies de recours à l’encontre des décisions prises par la HADOPI, autorité administrative indépendante.

Dans le rapport que j’avais présenté, en première lecture, au nom de notre commission des affaires culturelles, j’avais dénoncé les failles juridiques de l’interprétation ainsi donnée par les défenseurs de cet amendement.

J’en rappellerai rapidement ici les principaux arguments : l’accès à internet n’a le statut de « droit fondamental » ni en droit français ni en droit européen ; la Commission européenne, à laquelle le projet de loi avait été notifié le 24 juillet 2008, ne s’est pas opposée à la poursuite du processus législatif français avant le 24 octobre 2008, comme elle aurait pu le faire si elle avait considéré que le texte apparaissait en contradiction avec le droit communautaire existant ou en cours d’élaboration.

Néanmoins, si l’amendement Bono était adopté, outre le fait qu’il est sans rapport avec l’objet du « paquet Télécom » et s’apparente davantage à une manœuvre politique, on pourrait considérer, d’une part, qu’il se heurterait au principe de subsidiarité prévu par l’article 5 du traité instituant la Communauté européenne, d’autre part, qu’il remettrait en cause la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes relative à la nécessaire conciliation entre les différents droits et libertés.

Dans ce cas, on pourrait aussi considérer la HADOPI, compte tenu de sa composition et des nombreuses garanties procédurales prévues avant et après toute sanction, comme un « tribunal indépendant et impartial » au sens de la Convention européenne des droits de l’homme, qui définit les règles dites du « procès équitable », la nature – judiciaire ou administrative – de l’organe chargé de prendre les sanctions étant indifférente.

Toutefois, même si l’on peut penser que l’éventuelle adoption de cet amendement serait sans effet sur l’application de la loi française, elle poserait des problèmes au regard du droit communautaire puisque seuls les traités constitutifs de l’Union européenne peuvent édicter de nouveaux droits et libertés fondamentaux.

Compte tenu de toutes ces difficultés, notre commission souhaite, madame la ministre, que le Gouvernement français demande au Conseil européen de maintenir sa position initiale, c’est-à-dire de ne pas accepter cet amendement. Les auteurs, les artistes et l’ensemble des professionnels des filières de la culture méritent mieux que cela. Faisons confiance aux vertus pédagogiques de notre démarche, au-delà même des aléas liés aux évolutions technologiques.

Le Sénat ne prolongera pas davantage la période trop longue qui a séparé les accords de l’Élysée du vote final du projet de loi par le Parlement.

Votre commission estime que ce long et chaotique processus législatif aura néanmoins eu pour mérite d’améliorer considérablement le texte proposé par le Gouvernement, sans en dénaturer l’esprit. Il est maintenant urgent qu’il soit mis en application.

N’oublions pas, au-delà des débats passionnés qui ont animé cette période, nos objectifs communs : permettre l’accès à cet espace de liberté qu’est internet, tout en défendant la création culturelle ; permettre le respect des droits parfois antagonistes – liberté de communication et droit de propriété – au travers d’une légitime régulation.

Avant de conclure, je souhaite, enfin, évoquer deux pistes qui, selon moi, doivent être explorées le plus tôt possible. Sinon, nos efforts seront vains. Sinon, la puissance de la démagogie, du leurre de la gratuité, du tout technologique aura raison de la création et de son économie fragilisée.

Il est une première urgence : les partenaires de la musique, du cinéma, des séries télévisées, des médias, du logiciel ou des jeux doivent mettre en ligne des formules simples, économiques et respectueuses du droit d’auteur.

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