Intervention de Catherine Morin-Desailly

Réunion du 13 mai 2009 à 9h45
Diffusion et protection de la création sur internet — Adoption définitive d'un projet de loi en nouvelle lecture

Photo de Catherine Morin-DesaillyCatherine Morin-Desailly :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous sommes aujourd’hui réunis pour mener à bien la dernière étape d’un parcours législatif pour le moins mouvementé.

Le projet de loi « création et internet » est examiné depuis près d’un an par le Parlement. Il a donné lieu à un événement particulier de la vie parlementaire dont on ne retrouve que trois précédents sous la ve République : le rejet par l’Assemblée nationale d’un texte issu d’une commission mixte paritaire.

Cet incident a conduit nos collègues députés à être saisis pour une nouvelle lecture au sein de leur assemblée. Avant d’être débattu en séance, le texte a été à nouveau examiné par la commission des lois, qui est revenue à un texte très proche de celui qui était issu de la commission mixte paritaire du 7 avril dernier.

Les débats à l’Assemblée nationale se sont donc déroulés sur le texte issu de la commission qui reprenait les aménagements et le consensus dégagés en commission mixte paritaire.

On peut regretter le retard qui a été pris alors qu’il est urgent de trouver la réponse la mieux adaptée à la question du téléchargement illégal.

D’une part, il faut apporter une réponse aux artistes et aux créateurs – ils sont plus de 10 000 à s’être manifestés – face au développement du téléchargement illégal. Ce phénomène d’atteinte massive aux droits de propriété intellectuelle et à la création met chaque jour un peu plus en péril les industries culturelles, musicales et cinématographiques de tout type. Il ne s’agit pas, contrairement à ce que certains véhiculent, de sauver exclusivement les grandes majors.

D’autre part, il faut proposer des mesures alternatives à une pénalisation systématique et inapplicable des internautes instituée par la loi relative au droit d’auteur et aux droits voisins dans la société de l’information, ou loi DADVSI, contre laquelle d’ailleurs le groupe centriste avait voté.

Aujourd’hui le contournement sur internet des règles de la propriété intellectuelle demeure assimilé au délit de contrefaçon, passible dans notre arsenal juridique de trois ans de prison et de 300 000 euros d’amende.

Or notre groupe a toujours montré son attachement à la prévention et à un système mesuré de graduation des sanctions.

D’ailleurs, je le précise, certains membres de notre groupe émettent toujours des réserves sur ce qui est qualifié de double peine, à savoir la suspension de l’accès à internet, attachée à la poursuite du paiement de l’abonnement.

Pour autant, nous mesurons les difficultés que cela suscite pour les offres triple play. Le principe de la suspension partielle implique de déterminer le coût individualisé de l’accès à internet, ce qui est difficilement mesurable du fait de la mutualisation des coûts d’exploitation de la boucle locale et du service ADSL.

Autrement dit, dans la mesure où le projet de loi implique de dissocier des services qui ont toujours été proposés dans le cadre d’offres forfaitaires globales et où cette dissociation a un coût important, la vraie question est de savoir qui doit supporter ce coût.

Convenons-en, il apparaissait donc difficile de faire supporter aux fournisseurs d’accès à internet, les FAI, les conséquences engendrées par les téléchargements illégaux d’un de leurs abonnés. De la même manière, est-ce aux contribuables de s’acquitter des conséquences de cette faute, en supposant que l’État aurait été mis à contribution ?

Au-delà de ces questionnements, je tenais à revenir sur les avancées du projet de loi auxquelles le groupe centriste est particulièrement sensible.

En premier lieu, le texte tel qu’il nous est proposé aujourd’hui ne remet pas en cause les grands équilibres atteints à l’issue des accords interprofessionnels dits de l’Élysée, qui ont été à la base du travail et de l’élaboration du projet de loi. De même, il ne remet pas en cause les grands équilibres du texte tel que voté en première lecture au Sénat et sur lequel s’était dégagée une quasi-unanimité de notre assemblée.

En second lieu, s’agissant du procédé de désignation du président de la HADOPI, je m’en félicite, le travail réalisé au sein de la commission mixte paritaire, qui avait permis de restaurer le processus de désignation adopté au Sénat, n’a pas été remis en cause : le président de la HADOPI sera élu parmi les membres du collège.

J’avais été particulièrement sensible à la modification introduite par les députés sur ce point. C’est notre groupe qui avait été porteur, lors de son examen par la Haute Assemblée, de l’amendement prévoyant d’abandonner cette nomination par décret au profit d’une élection. Par ce système d’élection, sur le modèle de celui qui est retenu par la Commission nationale de l’informatique et des libertés, la CNIL, c’est l’indépendance et l’impartialité de la Haute Autorité qui se trouvent ainsi garanties.

Le texte qui nous est soumis aujourd’hui confirme également les dispositions en faveur d’une mise à disposition plus immédiate de l’offre légale, que ce soit dans le domaine de la musique – avec un amendement déposé par notre groupe qui a permis la suppression des Digital Rights Management, ou DRM, levant ainsi l’un des principaux freins au déploiement des nouvelles offres – ou des œuvres cinématographiques, pour lesquelles le délai entre la sortie en salles et l’exploitation sous forme de vidéogramme a été ramené à quatre mois.

Pourtant, nous en sommes conscients, cette loi ne règle pas définitivement la question du téléchargement illégal – qui se trouvera dès lors limité mais non éradiqué – ni, plus largement, celle du piratage numérique. Les technologies évolueront toujours plus vite que le droit. Il faudra s’adapter et le législateur devra, à la lumière des travaux de la HADOPI qui est chargée de veiller aussi bien à limiter les mauvaises pratiques qu’à susciter les bonnes, réfléchir à des améliorations, voire à des évolutions futures.

Mais cette loi, qui ne sera certainement que transitoire, doit être une étape importante dans une prise de conscience collective.

Tout d’abord, une prise de conscience de la part des internautes est nécessaire. Il est indispensable de faire passer un double message clair : la culture a un coût et les droits de propriété intellectuelle doivent être respectés. À quoi bon multiplier les canaux de diffusion si, à terme, la diversité des contenus disparaît, si les contenus étrangers deviennent prédominants et si la création française a été asséchée ?

Dans cet état d’esprit, nous avons veillé ensemble à ce que le texte favorise et accompagne les nouveaux usages, à la fois protecteurs des œuvres et ouverts au monde de la création, venant se substituer aux pratiques qui lui nuisent.

Les consommateurs peuvent aujourd’hui naviguer d’une plate-forme de téléchargement à une autre et d’un baladeur à l’autre en gardant la pleine jouissance d’œuvres légalement acquises. Le marché du disque vendu à l’unité a fait long feu et s’ouvre aujourd’hui une profusion de nouveaux modèles qu’il conviendra de développer : plates-formes légales mais aussi streaming ou catalogues, autant d’offres technologiques conviviales et à des prix attractifs.

Ensuite, une prise de conscience de la part des créateurs, des producteurs, des éditeurs, des réalisateurs et des artistes est également nécessaire. Ils doivent eux aussi se remettre en cause, penser à s’adapter et à trouver de nouveaux modèles économiques pour l’ère du net.

Ils doivent aussi se rendre compte des évolutions. Le phénomène « internet » n’est pas temporaire ; il constitue aujourd’hui une réalité durable qu’il faut transformer en atout et non chercher à combattre.

Comme l’a rapporté notre collègue Michel Thiollière, l’ensemble des acteurs concernés, les propriétaires et les fournisseurs de contenus, doivent se rapprocher encore davantage. L’expérience le montre, le monde de la création et le monde numérique ne peuvent plus continuer à s’ignorer. Ils doivent réfléchir ensemble au développement de moyens innovants qui permettront demain d’offrir aux internautes les possibilités d’un accès aux savoirs et aux œuvres de la création.

Enfin, concernant les sanctions, je m’en réjouis, le texte favorise la transaction qui est plus pédagogique et qui reste l’objectif premier de cette réforme. La suspension de l’accès à internet fixée à deux mois rétablit un différentiel, rendant la transaction plus attractive.

Certains ont vu dans ce retour à un minimum de deux mois un renforcement de la répression. En réalité, l’objectif est tout autre : il s’agit de renforcer l’attractivité de la transaction face à la sanction sèche. Or, j’en suis persuadée, une transaction entre la HADOPI et l’abonné pour l’établissement de la sanction garantira plus de souplesse, mais surtout renforcera le caractère pédagogique de la sanction.

La nouvelle lecture à l’Assemblée nationale a été l’occasion d’avancées réelles concernant la procédure de suspension de l’accès à internet. Des précisions importantes ont notamment été ajoutées au texte de l’article L 331-25 du code de la propriété intellectuelle. Cet article prévoit notamment que la HADOPI devra toujours informer l’abonné de « la possibilité de se faire assister d’un conseil, de consulter l’intégralité du dossier le concernant et de présenter des observations écrites et orales ».

Enfin, je terminerai en évoquant la prévention. Je l’ai déjà dit, l’objectif de la réponse graduée est de faire évoluer les mentalités et les comportements.

L’éducation et la pédagogie nous semblent essentielles pour que nos jeunes générations prennent conscience des conséquences du téléchargement illicite sur la création artistique. En 2006, lors des travaux sur la loi DADVSI, nous avions plaidé l’importance de l’éducation de nos jeunes concitoyens à la culture tant ces pratiques de téléchargement peuvent accréditer l’idée que tout est gratuit et que la culture ne coûte rien. Or c’est méconnaître l’investissement personnel, intellectuel et financier ainsi que le travail des artistes.

Sachant cela, comment peut-on dire que l’encadrement de l’utilisation des œuvres est une atteinte aux droits essentiels de l’homme revêtant un caractère liberticide ? Certains de nos collègues accréditent pourtant une telle idée, avec force démagogie, en contradiction le plus souvent avec leur prétendu soutien aux artistes et à la culture. C’est tout à fait consternant !

Je m’en félicite, le texte prévoit toujours une information des élèves dans le cadre de l’éducation nationale. Il est également bien venu que les fournisseurs d’accès à internet soient mis à contribution dans les actions de sensibilisation des internautes par des messages appropriés.

Ne l’oublions pas, l’enjeu de ce projet de loi est d’assurer l’avenir de la création culturelle. Il faut garantir un juste équilibre entre les droits légitimes des auteurs, sans lesquels il ne saurait y avoir de création artistique et culturelle, et les droits des citoyens à l’accès, au partage et à la diffusion de la culture, des savoirs et de l’information que permet ce formidable espace de liberté qu’est internet.

Tout en soulignant qu’il faut rester humble dans le traitement de ce sujet sensible et évolutif, une très large majorité du groupe de l’Union centriste votera ce texte.

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