Intervention de François Autain

Réunion du 13 mai 2009 à 9h45
Diffusion et protection de la création sur internet — Vote sur l'ensemble

Photo de François AutainFrançois Autain :

Madame la ministre, nous ne pouvons soutenir votre projet de loi, car il porte atteinte au respect de la vie privée et professionnelle.

Dans la droite ligne établie par vos prédécesseurs depuis 2002, vous mettez en place une surveillance généralisée de l’internet, particulièrement intrusive et injuste.

Ce texte, en effet, n’ouvre pas de possibilité de recours et ne permet pas de procès équitable avant que n’intervienne une coupure de l’accès à internet décidée par une énième « autorité administrative indépendante », en l’occurrence la HADOPI. Ce processus restreignant encore un peu plus les libertés de nos concitoyens vise singulièrement les plus jeunes, que vous avez décidément beaucoup de mal à comprendre, tant sur le plan économique et social que sur le plan culturel.

Le Parlement européen n’est pas du tout sur la même longueur d’onde, vous le savez, puisqu’il vient de rendre ce texte obsolète, par un vote acquis à une écrasante majorité, en rappelant que toute coupure de l’accès à internet ne pouvait se faire sans la décision préalable de l’autorité judiciaire.

Le système que vous proposez repose de surcroît sur une identification des « coupables », techniquement inefficace parce que hasardeuse, pour ne pas dire arbitraire. Pour prévenir le téléchargement sur les bornes publiques sans fil – le fameux Wifi –, qui nous entourent, y compris dans le jardin du Luxembourg, le Gouvernement est même allé jusqu’à envisager la création de « listes blanches », censées répertorier les sites autorisés !

À ces subtilités quasi surréalistes, à défaut d’être virtuelles, s’ajoute une « triple peine », qui additionne suspension de la connexion, poursuite du paiement de l’abonnement et persistance des poursuites civiles ou pénales.

Madame la ministre, la vérité est sans doute difficile à avouer : vous avez promis aux acteurs de la création de proscrire ce qui ne peut l’être techniquement. Il est en effet apparu clairement au cours des débats au Parlement que l’adresse IP, numéro qui identifie chaque ordinateur connecté à internet, peut être aisément masqué ou même détourné par un utilisateur tiers.

Vous établissez une véritable présomption de culpabilité qui, à notre sens, est contraire à la Constitution, comme d’ailleurs le non-respect du principe de l’imputabilité. Cette loi sanctionne non pas le téléchargement en soi, mais le défaut de sécurisation par l’abonné de sa connexion à internet. Elle impose à tous les citoyens de maîtriser leur outil informatique, alors même que les professionnels admettent sans fard qu’ils n’en sont pas toujours capables.

Pour prouver sa bonne foi, l’internaute devra installer un logiciel faisant office de mouchard, dont la désactivation pourra être sanctionnée pour chaque équipement connecté.

Madame la ministre, au lieu de concentrer votre énergie à défendre, durant deux mois, l’indéfendable, pour vous attirer les faveurs électorales de quelques grands industriels de la culture, il eût été préférable d’essayer d’adapter le droit d’auteur à l’ère numérique. Comme lors de l’examen, en 2006, de la loi relative au droit d’auteur et droits voisins dans la société de l’information, qui promettait déjà tout et ne réglait rien, vous avez été d’une discrétion absolue sur ce sujet beaucoup plus complexe.

Vous concevez toujours la création comme un patrimoine statique qu’il faut défendre et, surtout, ne pas rendre accessible au plus grand nombre. Seule une nouvelle rémunération du droit d’auteur, qui régulerait aussi la part de chaque acteur de la création, est en effet adaptée aux réalités d’internet. S’il n’est pas possible d’adapter internet au droit d’auteur, c’est le droit d’auteur qu’il faut faire évoluer, dans l’esprit qui lie les artistes à leur public.

Madame la ministre, vous avez fini par déclarer, voilà quelques jours, que cette loi avait pour seul but de créer « un cadre psychologique ». Vous aviez déjà endossé il y a quelques semaines le rôle de gendarme du Net ; vous jouez donc désormais un second rôle, celui d’analyste du monde virtuel. Peut-être eût-il été préférable que vous restiez, tout simplement, ministre de la culture…

Parce que ce projet de loi est fondamentalement liberticide, structurellement inefficace et qu’il ne saisit pas l’occasion de repenser les rapports économiques du monde de la culture, les sénateurs du Parti de gauche, Jean-Luc Mélenchon et moi-même, voterons contre.

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