Au travers de cet amendement de suppression, les sénatrices et sénateurs du groupe CRC-SPG entendent s’opposer à ce qui s’apparente à une privatisation, à terme, de notre service public hospitalier.
Madame la ministre, avant le passage du texte en commission et la réécriture complète de l’article 13, vous nous proposiez de privatiser les hôpitaux eux-mêmes, en autorisant des groupements dont feraient partie des établissements publics, privés non lucratifs et commerciaux, à recevoir la qualification d’établissements publics de santé.
Toutefois, ce recul ne nous fait pas oublier le maintien d’autres dispositions tout aussi dangereuses, comme l’encouragement du recours aux cliniciens hospitaliers, l’instauration d’éléments de rémunération variable et de critères quantitatifs, la suppression du conseil d’administration, remplacé par un conseil de surveillance directement inspiré du privé, enfin, bien sûr, cet article 1er, qui confère aux établissements commerciaux les missions actuellement exercées par les services publics hospitaliers.
Cette mesure s’inspire, bien sûr, des réformes menées par les gouvernements libéraux des autres pays, à commencer par les États-Unis et, plus près de chez nous, l’Allemagne, où nous nous sommes d'ailleurs rendus.
Ce dernier pays connaît, depuis les années 1990, un mouvement de privatisation, qui s’est considérablement amplifié depuis les années 2000. Cette tendance a accompagné une réforme d’ampleur relative au financement des hôpitaux, appelée outre-Rhin diagnosis related grouping, qui est en réalité très proche de la tarification à l’activité.
Or ce mode de financement a eu pour conséquence une aggravation des déficits des établissements publics de santé allemands, conduisant les autorités fédérales à privatiser les hôpitaux. Mes chers collègues, les mêmes causes produisant les mêmes effets, convenez qu’il y a de quoi s’inquiéter !
Au surplus, les grands gagnants de cette ouverture du système hospitalier public allemand ont été d’abord et surtout les cliniques privées lucratives qui, en 2006, représentaient 27 % des établissements de santé, contre 14, 8 % en 1991. Les hôpitaux publics, quant à eux, ne comptent plus, aujourd’hui, que pour 34 % des établissements de santé.
Cette privatisation, outre qu’elle réalise un transfert des biens collectifs, fruits de l’impôt et des cotisations sociales, en direction des intérêts privés, autrement dit un déplacement de la richesse commune vers les richesses individuelles, s’est traduite en Allemagne, comme ce sera inéluctablement le cas dans notre pays, par une dégradation de la qualité du système hospitalier. En effet, ce que visent les actionnaires des groupes privés de santé, c’est d’abord et avant tout la rentabilité !
À titre d’exemple, toujours en Allemagne, dans les établissements privés commerciaux, la masse salariale a diminué de 9 % en moins de dix ans, alors que la quantité de travail, en raison du transfert de missions de service public, de l’envolée actuelle de la pauvreté en Allemagne et de l’apparition de clients supplémentaires a, quant à elle, explosé. Conséquence de cette évolution, l’index de satisfaction des patients s’est clairement détérioré !
Mes chers collègues, je vous invite, si vous souhaitez en savoir plus, à lire le très instructif article du docteur Nicolas Daly-Schveitzer, médecin cancérologue-radiothérapeute à l’institut Gustave Roussy de Villejuif et professeur des universités.
Au final, la privatisation des missions de service public que vous êtes en train de réaliser, madame la ministre, jouera contre l’intérêt des malades et de la santé publique. Cette logique politique de libéralisation vise d’abord, et surtout, à déstructurer le modèle social de notre pays, à « marchandiser » tous les pans d’une économie qui reposait avant tout sur la solidarité, quitte à satisfaire, contre les intérêts de la majorité, les intérêts financiers de ceux qui jouent la santé en bourse.
C’est pourquoi l’article 1er, véritable socle de ce projet de loi, mérite d’être supprimé : de toute évidence, son adoption conduirait inéluctablement – certes pas du jour au lendemain, car de telles réformes s’appliquent sur une décennie, voire plusieurs – à une privatisation de la santé.
Les grands groupes à capitaux étrangers sont en embuscade. Maintenir cet article reviendrait donc à ouvrir la porte à la Compagnie générale de santé.