Intervention de Alima Boumediene-Thiery

Réunion du 14 juin 2006 à 15h00
Immigration et intégration — Article 75

Photo de Alima Boumediene-ThieryAlima Boumediene-Thiery :

Le texte entend mettre en place une procédure de contestation des reconnaissances d'enfants tout à fait inédite en droit de la famille, au point de créer en la matière un bouleversement inacceptable.

Les dispositions de cet article permettent à l'officier d'état civil qui reçoit la reconnaissance d'un enfant de saisir le parquet s'il estime qu'il existe des indices sérieux laissant présumer que la reconnaissance est invraisemblable ou frauduleuse.

Le parquet devra alors dans un délai de quinze jours autoriser la reconnaissance ou s'y opposer. Il pourra aussi décider de surseoir pendant deux mois maximum, de faire procéder à une enquête avant de prendre une décision.

L'auteur de la reconnaissance pourra bien sûr contester la décision de sursis ou d'opposition et la reconnaissance pourra être alors sans cesse retardée d'un ou deux mois, sans parler du fameux délai de dix jours devant le tribunal de grande instance.

Actuellement, même si un officier d'état civil ne peut pas juger de la sincérité d'une reconnaissance, il pourrait signaler une reconnaissance qui lui paraîtrait mensongère. C'est donc seulement quand la reconnaissance est invraisemblable, par exemple lorsque la différence d'âge entre l'enfant et le père est inférieure à douze ans, que l'officier d'état civil peut refuser de la recevoir et saisir le parquet. Sinon, il lui suffit d'avertir l'intéressé d'un risque d'annulation.

En fait, on s'aperçoit que seuls les étrangers en situation irrégulière, auxquels on prête toujours les pires intentions, sont obligés de s'en tenir au strict droit du sang. Bien entendu, même si ce projet de réforme du code civil n'en fait pas mention, il ne fait aucun doute qu'il ne cible que les sans-papiers.

Les femmes comoriennes qui viennent accoucher à Mayotte et qui sont suspectées de rechercher un Mahorais prêt à reconnaître la paternité de leur enfant, sont explicitement visées par ce dispositif.

Si, comme nous le font croire vos récentes déclarations, monsieur le ministre, le champ d'application de cette réforme concerne tout le territoire national, force est de constater que les sans-papiers qui reconnaîtraient un enfant français pourraient être les principales personnes touchées par ladite réforme. En fait, vous avez maintenant décidé de réduire ce champ d'application, en particulier à Mayotte.

En ce qui concerne les risques réels de fraude, on peut s'interroger sur la nécessité de prévoir une procédure de contrôle a priori reposant uniquement sur des indices qui s'avèrent humiliants et injustes pour des personnes de bonne foi, alors qu'il existe déjà une procédure d'annulation a posteriori plus fiable et respectueuse des droits de la personne.

Une nouvelle fois, on s'aperçoit que ce dispositif repose entièrement sur la suspicion a priori de l'officier d'état civil. L'expérience a démontré que ce type de contrôle était source de nombreux dérapages, tels le refus systématique des maires hostiles aux étrangers, la saisine abusive des parquets effectuée sur le seul fondement du séjour irrégulier.

À ce propos, il convient de relever que des enquêtes intrusives sont déjà menées dans la vie privée des candidats au mariage. D'ailleurs, de nombreux détournements de procédure sont opérés par l'administration. Le dépôt du dossier en mairie devient un moyen d'identifier puis de reconduire à la frontière les candidats au mariage qui sont en situation irrégulière, quelle que soit la réalité des sentiments qu'éprouve chaque partie.

Le contrôle a priori des reconnaissances d'enfants risque fort d'aboutir au même résultat. Quels indices sérieux l'officier d'état civil va-t-il rechercher pour conclure à un risque de fraude, sinon la situation irrégulière de l'un des parents ?

Pour conclure, à l'instar des suspicions pesant sur le mariage, le présent projet de loi, qui réformera certaines dispositions du code civil dont le champ d'application est territorialement limité à Mayotte, pourra être destiné à dissuader tous les étrangers de faire valoir leur droit de vivre en famille. Il s'agit, encore une fois, d'une violation des droits fondamentaux, et nous ne pouvons l'accepter.

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