Intervention de Éliane Assassi

Réunion du 10 février 2009 à 21h30
Application des articles 34-1 39 et 44 de la constitution — Question préalable

Photo de Éliane AssassiÉliane Assassi :

Prouvez-le, monsieur Karoutchi !

Quelle peut être, dans ces conditions, la sécurité juridique ? Quelle lisibilité de la loi peut-on avoir ? Comment le citoyen lambda, qui est censé ne pas ignorer la loi, peut-il s’y retrouver ?

La dégradation du travail législatif va s’accentuer, demain, avec ce texte qui réduit le temps du débat, le temps d’examen des textes et le droit de les amender pour les améliorer.

La lutte contre l’obstruction n’est donc pas le vrai motif de cette réforme. Ce que vous voulez, c’est museler l’opposition parlementaire.

Ce qui vous gêne, lorsque l’opposition dépose beaucoup d’amendements sur un texte, c’est que les débats en séance publique se prolongent sur plusieurs jours, voire plusieurs semaines.

Ce qui vous gêne, c’est que ce temps soit mis à profit pour faire connaître à l’opinion publique les aspects pernicieux de tel ou tel projet de loi et que celle-ci puisse alors se mobiliser contre des réformes qu’elle juge néfastes.

C’est ce qui s’est passé avec le CPE, le contrat première embauche. L’obstruction parlementaire n’a pas empêché la mise en place du CPE, puisque le texte a finalement été adopté. C’est bien l’opinion publique qui, alertée par les débats parlementaires, s’est saisie de la question et a fait reculer le Gouvernement.

Lorsqu’ils agissent ainsi, les parlementaires de l’opposition jouent pleinement leur rôle. Reconnaissez, chers collègues, que la mobilisation de l’opposition contre un texte peut parfois vous rendre service. C’est le cas, par exemple, lorsqu’au sein même de l’UMP se manifestent des divergences sur un texte gouvernemental. Je pense ici au projet de loi sur le travail le dimanche, qui a été reporté à l’Assemblée nationale grâce à la contestation de la minorité parlementaire.

De plus, lorsque vous étiez dans l’opposition, vous avez, vous aussi, usé du droit d’amendement, et c’est bien légitime : je pense notamment aux nationalisations, à l’école laïque, au PACS.

Pourquoi voulez-vous imposer un temps global, alors que la Constitution prévoit déjà des dispositions pour abréger nos débats : le recours aux ordonnances, les irrecevabilités des articles 40 et 41, le vote bloqué, la clôture de la discussion générale, l’article 49-3, sans oublier la spécificité du Sénat, mes chers collègues, à savoir la question préalable positive !

L’usage abusif de la procédure d’urgence – elle a concerné en 2007-2008 près de la moitié des projets de loi discutés par le Sénat – permet en outre à l’exécutif de gagner du temps en privant les assemblées d’une deuxième lecture.

Et, quand l’exécutif veut accélérer le processus législatif d’un texte qui n’est pas déclaré d’urgence, il demande au président de la commission saisie, lequel, en général, s’y plie, un vote conforme. N’est-ce pas précisément ce qui s’est passé l’an dernier pour la réforme constitutionnelle ?

J’ajoute que la discussion de la loi de finances pour 2008 a été la plus brève depuis plus de trente ans, sans doute à cause de la mise en place de la LOLF – la loi organique relative aux lois de finances –, dont les règles ont restreint les possibilités de déposer des amendements ; leur nombre a chuté de 25 % par rapport au précédent exercice.

On le voit, le vrai but de votre texte est non pas de lutter contre l’obstruction, mais de continuer à abréger davantage encore les débats publics, en bafouant le rôle des parlementaires, en réduisant leur droit d’amendement, en privilégiant le travail « discret » en commission au détriment de la séance publique, c’est-à-dire loin des citoyens et des journalistes, en dehors de toute transparence et de publicité des débats, bref en s’asseyant sur la démocratie…

Or la séance publique doit rester le lieu naturel du débat politique, de la confrontation des idées, de l’expression démocratique, et ce dans la plus grande transparence. C’est ce qu’attendent les citoyens de leurs parlementaires.

En réalité, cette réforme institutionnelle voulue par Nicolas Sarkozy a été faite avant tout pour permettre au Président de la République de s’exprimer devant les deux assemblées réunies en Congrès et pour museler les parlementaires.

Car M. Sarkozy veut décider de tout, et tout contrôler. Ne se prend-il pas régulièrement pour le Premier ministre ? Ne fait-il pas les annonces importantes à la place des ministres ou des secrétaires d’État ? Surtout, il ne supporte pas les contre-pouvoirs.

D’où la réforme de l’audiovisuel public, qui marque le renforcement de l’emprise du Président de la République sur la télévision publique, menaçant ainsi l’autonomie de cette dernière, sans oublier les menaces sur la liberté de la presse.

D’où l’annonce de la suppression du juge d’instruction, faite par Nicolas Sarkozy en personne, pour éviter des enquêtes gênantes, ainsi que les atteintes récurrentes à l’indépendance de l’autorité judiciaire.

D’où la réforme du travail législatif, qui va accentuer le poids déjà excessif de l’exécutif par rapport au législatif et porter atteinte à la séparation des pouvoirs. Deux exemples sont à cet égard très évocateurs : la présence du Gouvernement en commission et la possibilité accordée au Président de la République de s’exprimer devant les parlementaires réunis en Congrès.

Depuis l’élection du Président de la République au suffrage universel, nous assistons à une évolution de nos institutions vers une hyper-présidentialisation de notre régime, déjà renforcée par le quinquennat et l’inversion du calendrier électoral.

Pour compléter le tableau du projet de société que veut Nicolas Sarkozy, il convient d’ajouter la réforme des territoires, dont le but est de supprimer certains échelons démocratiques gênants pour le pouvoir en place. Les communes, les départements, les régions sont des lieux de contre-pouvoir qu’il faut contrôler, d’autant plus qu’ils se situent majoritairement à gauche.

En résumé, le projet de loi organique tend à mettre en place un super-président, appuyé par une majorité parlementaire dévouée, dans un pays où il n’y aurait plus de contre-pouvoirs ni de contestation sociale – atteinte au droit de grève, criminalisation de l’action syndicale et militante, etc.

Pour conclure, tout ce que nous craignions à l’époque de la révision constitutionnelle est en train de se produire, toutes les critiques que nous avions formulées se vérifient aujourd’hui : bref, le scénario catastrophe est en marche !

Avec cette motion tendant à opposer la question préalable qu’au nom de mon groupe je vous demande d’adopter, mes chers collègues, vous pouvez mettre un coup d’arrêt à cette évolution dangereuse de nos institutions et à ses conséquences : un bipartisme renforcé, une hyper-présidentialisation du régime, une démocratie bafouée.

Comment espérer rétablir le lien entre les institutions et les citoyens ? Qu’en sera-t-il demain de notre pacte républicain ? Une démocratie où la parole des parlementaires est contrainte, voire interdite, mérite-t-elle encore son nom ?

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