Usine à gaz, gadget, éléphant blanc ou écran de fumée : je ne sais comment qualifier, monsieur le ministre, la proposition de création de cette énième commission qui figure à l'article 24 bis. La France souffre vraiment de la maladie de la « commissionite » !
Cette proposition résulte directement de votre embarras à présenter et à défendre l'abrogation de la disposition permettant de régulariser les migrants étrangers après dix ans de présence sur le territoire.
Ainsi, à l'Assemblée nationale, vous vous êtes livré à une nouvelle opération qui s'inscrit dans votre stratégie générale alliant affichage et tromperie.
Affichage, parce que vous continuez de vouloir maintenir la fiction de l'humanité de votre projet de loi. Ainsi, monsieur le ministre, vous avez présenté cette commission à l'admission exceptionnelle au séjour des étrangers en situation irrégulière en vue, je vous cite, « d'homogénéiser les pratiques préfectorales et de préciser les critères d'admission exceptionnelle au séjour, qui pourront prendre en compte des exigences humanitaires ou des motifs exceptionnels invoqués par les étrangers ».
Je vous le dis avec regret, ces arguments ne tiennent pas. En effet, vous dites vouloir en finir avec l'appréciation au cas par cas des dossiers d'admission exceptionnelle par les préfets, mais cette disposition ne fera que renforcer leur pouvoir discrétionnaire parce que, en l'état actuel du texte, c'est le préfet qui soumet le dossier à ladite commission.
Ce qui signifie donc que l'administration, au lieu d'appliquer directement les critères relativement objectifs de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, pourra instaurer une sorte de filtre, en soumettant à la commission les seuls dossiers qu'elle estime bons.
Parmi les dossiers qui ne trouveront pas grâce aux yeux des préfectures, figureront sûrement ceux dont les titulaires auront du mal à prouver leur résidence habituelle en France. Or, c'est justement pour éclairer le préfet sur la question de savoir si l'étranger apporte des preuves suffisantes de sa présence en France que cette commission est créée.
De plus, l'intérêt d'une nouvelle commission est considérablement limité, si l'avis qu'elle émet ne lie pas l'administration. Apparemment, au vu du texte, c'est bien l'administration qui aura tout de même le dernier mot.
Il convient également de combattre la création de cette commission qui a pour effet collatéral de paralyser le recours contentieux. En effet, en cas de refus d'attribuer le titre de séjour, le recours devant les tribunaux administratifs aura peu d'effet puisque les juges ne pourront sanctionner les préfectures sur la base de la violation d'un droit qui n'existera plus.
Monsieur le ministre, compte tenu de l'architecture alambiquée de la saisine de cette fameuse commission, pouvez-vous nous éclairer sur le devenir des recours gracieux et hiérarchique ?
Se pose également la question du principe même de l'examen de dossiers individuels par une commission nationale. Comment feront les migrants et leur avocat pour quitter leur région et venir à Paris plaider leur dossier ? Devront-ils aussi, dans ces cas-là, choisir un avocat parisien ?
Comment une telle instance pourra-t-elle gérer tous les dossiers ? Selon les critères que vous établissez, cette commission ne s'occupera pas seulement des cas de migrants résidant en France depuis dix ans, mais également des migrants répondant à des considérations humanitaires. Or ces critères sont toujours flous et ne correspondent à aucune définition claire dans le droit français.
Les instances départementales qui sont prévues par la loi n'ont presque jamais fonctionné, sauf dans de très rares cas. Pourquoi donc créer une commission thématique supplémentaire dont la composition est, de surcroît, plus qu'imprécise ?
Pourquoi ne pas réactiver plutôt les commissions qui existent déjà et sont plus proches de la réalité, puisque leur ressort est départemental ?
Monsieur le ministre, cette commission ne servira à rien d'autre qu'à faire croire qu'on a tenté de répondre à un souci humanitaire mais, une fois de plus, on renvoie les personnes à leur clandestinité. Telle est précisément la politique que votre Gouvernement promeut, et nous ne pouvons l'accepter.