Intervention de Alima Boumediene-Thiery

Réunion du 14 juin 2006 à 21h30
Immigration et intégration — Article 26

Photo de Alima Boumediene-ThieryAlima Boumediene-Thiery :

Monsieur le ministre, ce projet de loi, mais également le projet de loi relatif au contrôle de la validité des mariages, qui a d'ailleurs été opportunément retiré de l'ordre du jour du Sénat, démontrent à merveille la suspicion perpétuelle que vous avez à l'égard de chaque migrant. Pour vous, un migrant étranger est forcément un « faux » : faux étudiant, faux malade, faux mineur abandonné, faux père, et maintenant faux époux.

Le message que vous adressez aux Français n'est autre que le suivant : « Françaises, Français, ne tombez pas amoureux d'un migrant étranger, surtout s'il est en situation irrégulière ! ».

Après avoir créé en 2003 le délit de mariage de complaisance et renforcé, la même année, les contrôles lors de la célébration du mariage, votre Gouvernement entend maintenant durcir les conditions pour obtenir un titre de séjour.

Pendant très longtemps, la seule qualité de conjoint de Français donnait droit à une carte de résident, dans la mesure où cela suffisait à démontrer des attaches personnelles, fortes et durables, en France.

Mais une fois que le migrant étranger a obtenu si difficilement ce titre de séjour, une fois qu'il a passé l'obstacle de la célébration du mariage, à la différence de n'importe quel ressortissant français, il se voit appliquer un droit au divorce « parcellaire ».

Il est ainsi prévu de retirer la carte de résident en cas de rupture de la vie commune dans un délai de quatre années suivant la célébration du mariage. C'est donc maintenant un recul du droit au divorce, après les limitations apportées à la liberté du mariage, y compris d'ailleurs pour les Français qui ont le tort d'aimer un étranger.

Cette condition est plus que discriminante, car elle force le migrant, quoiqu'il arrive dans sa vie de couple, à continuer de vivre avec son conjoint. Vous en faites un prisonnier de son mariage. Même s'il n'aime plus son conjoint français, ou même si celui-ci ne l'aime plus, il doit tout mettre en oeuvre, dans les quatre années qui suivent son mariage, pour rester marié.

Cette condition fait réfléchir lorsque l'on sait que les deux tiers des couples français se séparent au bout de trois ans de vie commune.

Pis, vous écartez la possibilité pour un couple binational d'avoir des problèmes et, pendant un temps - qui peut être plus ou moins long, d'ailleurs : quelques semaines ou quelques mois - de se séparer pour faire le point, avant de se retrouver.

Selon vous, il y aurait, d'un côté, l'amour entre Français, exempt de suspicion et pouvant se vivre sous toutes les formes et, de l'autre, l'amour entre un Français et un étranger, qui doit être conditionné, contenu, restreint, évalué, et en tout cas maintenu dans une suspicion permanente. Heureusement que les débats à l'Assemblée nationale ont permis d'amoindrir la portée de cet article en permettant de prendre en compte la naissance d'un enfant et les violences conjugales.

Mais cela ne suffit pas ! Outre le fait d'avoir un enfant né de l'union, le migrant doit en plus établir qu'il a effectivement contribué à l'entretien et à l'éducation de l'enfant depuis sa naissance.

Vous le savez, monsieur le ministre, cette condition est plus qu'injuste. Depuis quand le fait de s'occuper de son enfant est-il une preuve de la réalité des liens du mariage ?

Nous avons tous vécu ou connu personnellement des cas de couples de Français réellement mariés, mais dans lesquels l'homme, ou la femme d'ailleurs, n'entretient pas son enfant. Pourquoi demander plus au conjoint étranger qu'au conjoint français ?

De plus, la disposition concernant la naissance d'un enfant entre la célébration du mariage et la rupture de la vie commune écarte de facto un nombre trop important de personnes. Quid des couples, que vous appelez « mixtes », qui ne veulent ou ne peuvent avoir d'enfant et dont la vie commune est rompue pendant cette période de quatre ans ? Cette mesure est tout simplement discriminatoire.

Je terminerai en évoquant l'autonomie et l'indépendance de l'être humain. Ces dispositions conduisent en effet à instaurer une dépendance durable du conjoint étranger vis-à-vis du conjoint français.

Avez-vous pensé à tous ces cas, qui ne relèvent pas d'une pure fiction, où vous avez un homme, ou parfois une femme, qui use de tous les chantages, de tous les stratagèmes afin de faire pression sur son conjoint ? Vous rendez-vous compte de la pression que pourra représenter la menace de la rupture de la vie commune entre les mains d'un époux abusif ? Il n'aura même pas à dire que sa femme étrangère veut divorcer ou à prouver son absence. Il pourra se contenter de quitter le domicile conjugal ou d'en chasser sa femme, puis d'aller la dénoncer aux autorités compétentes. Celle-ci risquera alors de se voir retirer sa carte de résident.

En fait, vous imposez au conjoint étranger de choisir entre le maintien d'un couple, malgré toutes les difficultés lorsque celui-ci ne fonctionne plus, ou la clandestinité.

Pour toutes ces raisons, nous vous proposons la suppression de cet article.

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