Intervention de Jean-Luc Mélenchon

Réunion du 5 décembre 2007 à 9h30
Loi de finances pour 2008 — Enseignement scolaire

Photo de Jean-Luc MélenchonJean-Luc Mélenchon :

Or la moitié des jeunes Français suivent un enseignement professionnel et technologique ou un apprentissage. Parmi eux, 30 % se trouvent dans l'enseignement professionnel, les autres étant répartis dans les autres filières. Et c'est comme si ces jeunes n'existaient pas !

Pourtant, ils forment une masse vitale, la base de notre capacité productive. Les travailleurs français se sont d'ailleurs mieux adaptés que les autres, notamment les Allemands, car le système éducatif les avait préparés aux modifications des machines. La durée de vie d'une machine est passée de quinze ans à dix ans ou à quatre ans, voire moins dans certaines branches où l'outil informatique est utilisé. Comment expliquez-vous que la production ait suivi, sinon par le fait que les travailleurs avaient la capacité d'auto-adaptation, compte tenu des bases suffisantes qui leur avaient été données.

Nous devons manier ces notions avec beaucoup de précaution sans suivre la dernière mode, la dernière trouvaille de je ne sais quelle officine internationale qui ne pense qu'à faire du commerce avec tout cela. Dans cette histoire, la France joue sa peau !

Les différentes catégories sont toujours les mêmes. Il y a ceux qui n'y connaissent rien et qui ne veulent pas en entendre parler et les têtes d'oeufs qui ont trouvé la bonne occasion de faire des économies : réduire, réduire et encore réduire les budgets. Le ministre, quel qu'il soit et même s'il n'en pense pas moins, est obligé d'accepter, car il est membre du gouvernement.

La grande trouvaille consiste à réduire le budget de l'enseignement professionnel en comptant sur sa prise en charge par le secteur privé, grâce à l'apprentissage. Or, si celui-ci fonctionne très bien pour les métiers où le tour de main et le geste sont essentiels et où la connaissance se transmet visuellement, en revanche, il est plus délicat pour tous les autres métiers, car le niveau technique s'est considérablement élevé et un haut niveau de connaissances générales est devenu nécessaire.

Nous avons besoin d'ouvriers titulaires d'un CAP, mais aussi, et surtout, d'un plus grand nombre de détenteurs d'un bac professionnel. C'est le coeur de l'affaire. Que se passe-t-il aujourd'hui ? Je sais que M. le ministre veut bien faire ; il écrit des communiqués touchants où il déclare que, pour améliorer l'accès au bac professionnel, il va faire passer celui-ci en trois ans. Je souhaiterais formuler deux remarques à ce propos.

C'est d'abord une question de classes. L'objectif de 80 % d'une classe d'âge au niveau du baccalauréat a commencé à être remis en cause lorsque nous sommes parvenus à peu près à ce pourcentage pour les filières de l'enseignement général. Et pourtant, au total, le résultat n'est que de 60 %. D'où vient la différence ? De l'enseignement professionnel, où la moitié de nos jeunes ne vont pas jusqu'au bac professionnel et s'arrêtent au BEP.

L'objectif est la promotion des travailleurs et des milieux populaires. Il faut comprendre pourquoi les choses ne se passent pas aussi bien qu'on le voudrait et trouver des solutions concrètes, techniques.

Pour quelles raisons, croyez-vous, les jeunes ne vont-ils pas jusqu'au bac professionnel ? Parce qu'ils s'ennuient à l'école ? Non, ce n'est pas le sujet. En premier lieu, ils doivent suivre des remises à niveau qui demandent un peu plus de temps. En second lieu, toutes les filières ne sont pas au même endroit. Si un jeune est inscrit en BEP et qu'il veut suivre la filière du bac pro, il doit parfois se déplacer dans la ville d'à côté. Or il n'y a que les petits bourgeois qui croient que toutes les familles possèdent deux voitures ! Que fait le jeune ? Il quitte l'école pour l'emploi en espérant que les choses s'arrangeront.

Par ailleurs, beaucoup d'élèves sont pères ou mères de famille - d'après les statistiques, la moyenne d'âge des effectifs de l'enseignement professionnel est plus âgée -, et il faut qu'ils mangent. Donc, si l'on veut les amener à un niveau suffisant de qualification pour le bien du pays, il convient de leur donner les moyens matériels de continuer leurs études.

Telle est la clé de la situation, et non de raccourcir la préparation au bac pro. Vous vous trompez, monsieur le ministre ; vous avez été mal conseillé. Je sais qui se charge de ce boulot depuis des années : les grands trouveurs de Bercy et les grands intelligents de l'Union des industries et métiers de la métallurgie, l'UIMM.

Monsieur le ministre, on parle souvent des permanents ouvriers des syndicats, mais méfiez-vous des permanents patronaux. Certains n'ont pas mis les pieds dans une boîte depuis quinze ou vingt ans. Cela ne les empêche pas de vous expliquer comment former les ouvriers. Ils sont aussi suspects que ceux qui n'ont pas travaillé, surtout lorsqu'ils relaient des trouvailles comme celle de l'UIMM visant à ramener la formation au baccalauréat professionnel à trois ans.

L'IUMM souhaite un bac pro à trois ans pour plusieurs raisons. D'abord, ses représentants pensent aux économies qui résulteront de la diminution du temps de formation. Ensuite, ce sont des partisans acharnés du partage aberrant entre l'éducation nationale et le monde de l'industrie : l'éducation nationale s'occupant des connaissances générales - comme ils disent - et eux certifiant les compétences professionnelles.

La délivrance d'un certificat de compétences est au coeur de la polémique entre le système républicain de l'enseignement professionnel et les organismes anglosaxons qui ont partout mis en place ce certificat de compétences.

Le certificat de compétences, c'est le piquet qui tient le travailleur à la gorge. Un diplôme et une qualification se négocient dans les conventions collectives. En revanche, un certificat de compétences n'a de durée que celle du produit que vous savez fabriquer. Un certificat de compétences, dans le secteur de l'automobile, a une durée de cinq ans et la durée de vie d'une automobile est de sept ans sur le marché.

Voilà pourquoi la question scolaire est toujours une question sociale. Et elle nous renvoie à l'idée que nous nous faisons du développement de notre patrie républicaine.

Monsieur le ministre, c'est une erreur de généraliser le bac pro à trois ans. Un chiffre le prouve. Aujourd'hui, le baccalauréat professionnel se prépare en quatre ans - les études courtes professionnelles m'ont toujours fait sourire. Mais il faut savoir que 20 % des jeunes qui arrivent aujourd'hui au bac pro ont eu besoin d'une cinquième année. On voit mal comment ils s'en sortiraient en trois ans !

Monsieur le ministre, je plaide pour la jeunesse ouvrière, je plaide pour les travailleurs, je plaide pour le développement de notre pays en tant que puissance industrielle.

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